Deux films de Claire Simon (Récréations et Premières Solitudes) : grands bonheurs
27/11/2018
Je crois que c'était à Arras ou bien au Méliès à Montreuil, j'avais vu la bande annonce de Premières solitudes.
Non seulement j'ai pu le voir mais il était précédé d'une séance du film Récréations
Et en présence de Claire Simon.
Les deux sont remarquables, et Premières solitudes, un bonheur - malgré le fond triste -.
Je tenais à le noter avant de tomber de sommeil.
"Récréations" fut tourné à l'école maternelle Constantin Pecqueur tout près de l'Attrape-Cœurs et qui ressemble si peu à une école maternelle, vaste et austère comme elle est. Sa cour est à l'image du reste, aucune vue sur l'extérieur, de très hauts murs, comme une prison. C'était au tout début des années 90, la fille de la réalisatrice avait 4 ans, apparaît peu, aucune complaisance particulière de ce côté là. Le film a été restauré et ne serait-ce la façon d'habillement des enfants - qui fait encore 80ies - on pourrait le croire récent. La cinéaste est visiblement parvenue à se faire oublier ou presque, un des gamins qui fait une bêtise dit "Elle va nous filmer, elle" comme une provocation, et une petite fille qui parvient fort bien à sauter d'une hauteur par dessus un banc jusqu'au sol de la cour, regarde fixement la caméra comme pour demander Pourquoi ne me filmes-tu pas alors que j'y arrive bien ? (la scène se concentre sur une petite Nathalie qui pleure de peur au début puis parvient peu à peu (sous les applaudissements des spectatrices et spectateurs), avec l'aide de camarades qui lui prennent la main, à vaincre sa trouille, non sans avoir fait sa drama queen de ouf. Quelle adulte est-elle devenue ?
Du coup on voit les enfants jouer tels qu'en eux-même et c'est beau. Bien sûr les garçons jouent à la baston, on dirait qu'ils en ont un besoin irrépressible. Mais c'est loin d'être aussi violent que dans mes souvenirs. Peut-être parce que je suis d'un temps où la raclée paternelle était la norme en matière d'éducation et du coup les enfants reproduisaient cette violence. Moins maintenant.
Il y a de très beaux petits scénarii de fiction, de l'entraide, et avec cette scène du saut de vrais moment d'humaine progression.
"Premières solitudes" comporte aussi une grâce.
Ce sont moins des jeunes pris au hasard (et ils sont bien plus grands, quittant l'adolescence, entrant dans l'âge adulte), élèves d'une classe de première au lycée Romain Rolland d'Ivry, option cinéma. Le travail initialement prévu : un film avec l'aide de la réalisatrice a tourné très vite à : filmons nous en train de faire connaissance. Et ceci a finalement très vite foncé vers : vie familiales, vie massacrées. Ils sont à 70 % des enfants du divorce et ce qui est désormais courant apparaît là dans toute sa dimension. Toutes et tous même l'un de ceux dont le père est théoriquement encore au foyer, souffrent d'un père défaillant. Les mères le sont aussi mais pour une bonne raison : elles triment à peu de rémunération pour tenter de nourrir leur petite famille, rentrent épuisées. Les jeunes en sont tristes mais ne leur en veulent pas. Alors qu'il y a de la colère contre les papas pas papas. Une colère contenue.
Ce film est à la fois réconfortant, immensément, on voit des jeunes qui malgré tout sont structurés, craignent l'avenir mais ne font pas n'importe quoi, s'y colle quand même à tenter d'y arriver en bossant. Il règne entre eux un grand respect - effet de la présence de la caméra ou est-ce vraiment au naturel comme ça ? effet de cette sélection qu'opère une option ciné ? - et une belle écoute garçons, filles (l'un des garçons est possiblement homosexuel, je ne sais, est-ce que ça le rend plus compréhensif ?), réconfortant, donc, mais terrible constat d'échec de la génération des parents, pour cause de monde économique violent : les gens bossent bossent bossent et s'en sortent difficilement. Une seule pense encore selon le schéma, Je vais travailler dur et bien gagner ma vie, seulement elle a une optique particulière avec de nombreux frères et sœurs restés au Nigéria. Du coup peu ici, égale beaucoup là-bas.
On ressort de ce film très ému-e-s et ça fait du bien. Un peu rassuré-e-s sur l'avenir aussi : les suivants sont des gens bien, malgré tout ce qu'on a foiré, et qu'on persiste à continuer.
En complément : Claire Simon interviewée par Marie Richeux sur France Culture