2023 - jour 3 : Krešimir !

Arras film festival

lundi 6 novembre

À nouveau un bon petit early morning run pour commencer la journée, et cette fois-ci seule ce qui m'a permis d'improviser le circuit pour faire la durée souhaitée de mon petit programme d'entraînement. Il faisait dans les 8°c, la thermique était de rigueur même si pour les jambes le short long à double épaisseur suffit encore.

Capture d’écran 2023-11-08 à 18.07.48

 

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C'était un moment doux et calme, malgré la circulation entrevue aux grands axes, de personnes qui partaient visiblement travailler.

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Il y avait quatre films à notre programme pour la journée : un vieux Tchèque qui dans mon souvenir (1)était drôle, un film croate que j'avais pris car lui aussi était censé être une comédie, l'idée étant de prendre courage en vue d'un quasi documentaire sur la population réfugiée dans le métro en Ukraine pendant les bombardements russes en 2022 (2). Et pour finir sur une note optimiste, dont de la part du réalisateur et de sa bande de comédiens je ne doutais pas, "Et la fête continue !" le nouveau film de Robert Guédiguian. 

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Trains étroitement surveillés
Jiri Menzel (Ostre sledovane vlaky, Tchécoslovaquie, 1966, 1h33)
avec Vaclav Neckar, Jitka Bendova, Vladimir Valenta, Josef Somr, Nada Urbankova
époque : pendant la 2ème guerre mondiale

J'avais le souvenir d'un film drôle, mais en fait s'il n'est pas dépourvu d'humour et de quelques scènes pétantes de poésie, dont un manteau récupéré comme si de rien n'était sur un porte-manteau après un bombardement, c'est surtout un drame avec toute son inéluctabilité. C'est émouvant et touchant. 
Et triste.
Et d'un très beau noir et blanc.
Et donc c'est l'histoire du jeune Milos, apprenti chef de gare et qui tente de devenir un homme accompli, mais bon c'est pas si simple. Et puis c'est la guerre.

 

Seventh heaven (Sedmo nebo)
Jasna Nanut 2023, Croatie, 1h28
Interprétation : Kresimir Mikic, Iva Jerkovic, Iva Mihalic, Niksa Butijer, Dejan Acimovic, Petar Ciritovic
Scénario : Jasna Nanut, Hrvoje Osvadic

Sur le thème rebattu de l'homme d'âge mur et que le corps commence à lâcher, qui trompe sa femme et mère de ses enfants avec une jeune personne qu'il fréquente de par son travail, Jasna Nanut fabrique une comédie sensible où l'on s'amuse autant qu'on est émues. Je n'avais pas prêté attention au fait que Krešimir Mikić était de la partie. Sa présence permet de rendre touchant le personnage qui sans lui serait simplement un mec lamentable de plus. 
Il a dans ce rôle un petit côté Nanni-Morrettesque, la séduction en plus (oui, je l'avoue, j'ai un faible ; il me rappelle sans doute quelqu'un). En apprenant qu'il était au générique, j'ai eu le sentiment de faire de belles retrouvailles avec un bien-aimé. Comment vas-tu depuis tout ce temps ?
Le rythme du film est bon, et la subtilité de sa fin une bonne surprise.
Pas un chef d'œuvre, pas inoubliable mais de vrais bons moments.

 

Photophobia
Ivan Ostrochovsky, Pavol Pekarcik
2023, Slovaquie, République tchèque, Ukraine , 1h11
Interprétation : Nikita Tyshchenko, Viktoriia Mats, Yana Yevdokymova, Yevhenii Borshch
Scénario : Marek Lescak, Ivan Ostrochovsky, Pavol Pekarcik
Documentaire scénarisé 
Habitants de Kharkiv réfugiés dans le métro au lendemain de l'attaque de l'Ukraine par la Russie en février 2022, ils vont y rester pour certains une dizaine de mois. On suit plus particulièrement deux enfants qui semblent amis, Nikita et Viki qui ont une douzaine d'années, assez grand pour comprendre les dangers, pas encore pour s'émanciper. On voit l'organisation de survie qui a été mise en place, la vie quotidienne (bien des gens quittaient cet abri chaque jour pour aller bosser). Il y a des moments doux, de bons moments entre les personnes et aussi d'autres temps de grande dureté. Et l'enfermement.
L'un des réalisateurs, présent, a expliqué lors du Q & A leur travail pendant de longs mois, d'abord pour aider puis filmer des bribes, puis filmer quelques moments (entre autre les jeux des enfants, leurs explorations sur les lignes inexploitées) plus scénarisés. Par exemples ils leur posaient une question et filmaient leurs réponses et réactions.
Film à la fois beau et fort, et qui permet de mieux percevoir ce qui se joue en Ukraine.

 

Et la fête continue !
Robert Guédiguian, 2023, France, 1h45
Interprétation : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark, Robinson Stévenin, Gérard Meylan, Grégoire Leprince-Ringuet, Alice Da Luz, Pauline Caupenne
Scénario : Robert Guédiguian, Serge Valletti
Ariane Ascaride en politicienne qui travaille à l'hôpital comme infirmière, mère courage inlassable, grâce à elle on y croit à fond, alors que l'incorrigible optimisme de Robert Guédiguian sans elle ne passerait pas, ou peu.
Il y a des scènes de liens humains beaux et forts dont on donnerait n'importe quoi pour qu'elles soient de la vraie vie.
Globalement ce film est bon pour le moral, ou en tout cas s'efforce d'y être.
Et bien sûr il y a toute la bande habituelle autour du réalisateur, et c'est une équipe qui fonctionne à merveille.
Il est beaucoup question des immeubles effondrés à Marseille, si c'est un sujet sensible pour vous, autant le savoir à l'avance. 

(écrit les 08.11.23 et 09.11.23, tard)

 

 

(1) J'avais dû le voir il y avait longtemps, à la télé dans une diffusion de type "ciné-club".
(2) Non qu'ils aient hélas cessés depuis mais disons que le film a été tourné en 2022.


2022 jour 5 : La journée des films lents

Arras film festival

mercredi 9 novembre 

Nous avions un film prévu à 09:30 et j'aime beaucoup entamer la journée comme ça, par un film qui, s'il nous réussi, donnera une belle couleur, d'emblée au reste des heures.

 

"Metronom" d'Alexandru Blec, Roumanie, 2022 (1h42) (CMM = 0 ; la violence est psychologique, essentiellement)
avec Mara Bugarin, Serban Lazarovici, Vlad Ivanov, Mihai Calin, Andreea Bibiri, Alina Brezunteanu, Mara Vicol
09:30 S5

En Roumanie en 1972 pendant une finale de la coupe Davis, des lycéens se retrouvent chez l'une de leur camarade de classe et écrivent une lettre à l'animateur de l'émission de radio Metronom 72 sur Radio Free Europe qu'ils écoutent clandestinement. Ana s'y rend dans l'espoir de revoir Corbin son amoureux, avant que celui-ci ne quitte avec sa mère la Roumanie pour rejoindre à l'étranger leur père et mari. Seulement elle avait d'abord annoncé à celui-ci qu'elle ne viendrait pas.

On pourrait ainsi résumer l'histoire : si vous dites à quelqu'un que vous aimez que vous ne vous rendrez pas quelque part, ne changez pas d'avis. Surtout en dictature.

Film un brin excessivement lent, mais à part ça parfait : les acteurs, les ressorts narratifs, la façon dont c'est filmé, la bande son (géniale : toute la bonne musique des early seventies qui leur était interdite), le choix des plans. Des scènes de fêtes adolescentes sont de merveilleux plans séquences.

Évidemment, ayant failli avoir une cousine roumaine dans ces années-là, je ne pouvais qu'être profondément émue par le sujet. Ils essaient simplement d'avoir une jeunesse normale dans une société qui ne l'est pas.

Au sujet du film, son réalisateur (pour Cannes, où le film était dans la sélection Un certain regard)

 

Séance suivante à 14:00, nous avons eu le temps de rentrer déjeuner et même de cuire des patates et pour moi de piquer un somme.



"La Montagne" de Thomas Salvador, France, 2022 (1h55) (CMM = 0 ; attention toutefois pour les personnes sujettes au vertige)
avec Thomas Salvador, Louise Bourgoin, Martine Chevallier, Laurent Poitrenaux
14:00 C2 salle pleine - échanges à l'issue de la projection en compagnie du réalisateur et de l'actrice principale 

C'est l'histoire d'un gars qui, venu vers Chamonix pour une présentation commerciale de son boulot, décide de rester le week-end faire un tour en montagne, et ne parvient plus, ou du moins pas tout de suite, à redescendre.
Là-haut il fera la connaissance d'une jeune femme travaillant dans un restaurant de très haute altitude et parviendra à approcher la montagne au plus près, notamment grâce à d'étranges lueurs qui ressemblent à des blobs de laves mais qui ne brûleraient pas.
On retrouve les thèmes chers à Thomas Salvador : du quotidien très quotidien mêlé à un fantastique empreint de poésie ; l'ensemble serti dans une solide conscience écologique. Le film a été tournée en haute altitude, très peu d'effets spéciaux viennent du numériques et si les lueurs étaient censées représenter un danger c'est raté : on dirait de petits animaux affectueux sans queues ni têtes. L'histoire d'amour échappe à la niaiserie et le personnage féminin a une intervention courageuse et sportive et ça va de soi comme ça devrait toujours être le cas dans les films. Rien n'est en trop, pas de gras dans les scènes (en particulier, la vie d'avant est visualisée en trois séquences qui sont exactement ce qui est nécessaire pour comprendre mais rien de trop), les dialogues sont d'une justesse parfaite, sans un mot de trop. 
Je suis parfaitement la bonne cliente pour cet univers là.
Mais comme on était en début d'après-midi, et que le film prend tout son temps (c'est ce qui fait son charme, aussi), force est de constater que j'ai de loin en loin dormi. Les scènes d'exploration intérieure de la montagne (appelons ça comme ça) m'ont en revanche maintenue éveillée, portées qu'elles sont pas une très forte intensité d'échange et de beauté.

En cherchant en rentrant à en savoir un peu plus j'ai retrouvé la mention d'un court-métrage déjà un peu ancien ; et une des raisons qu'avait sans doute le réalisateur d'être particulièrement ému lorsqu'une spectatrice lors du Q & A a dit en substance J'étais fâchée avec la montagne qui nous a pris mon petit frère en 2005, mais à voir votre film, un peu moins.

un Q & A d'il y a cinq mois

 

À nouveAu retour à l'hébergement avant la projection suivante. J'ai dû faire un effort, soutenu par le fait que les réveils sont trop pénibles après ce type de petits sommes, pour ne pas aller à nouveau au lit.

 

Ciné concert "Paris qui dort"de René Clair, France, 1923 (1h) précédé de quelques courts-métrages d'animation conçus dans le cadre d'une rencontre croisée interdisciplinaire d’artistes portugais et français.
conservatoire, 19:00

L'ensemble du ciné concert durait trop longtemps, ce qui empêchait les personnes qui avaient prévu des films à 21:30 de s'y rendre. Or parmi les courts métrages d'animation beaucoup étaient des travaux scolaires, entre ennuyeux et pénibles ; trois présentaient quelque chose de novateur, intelligible et qui apportaient quelque chose ; un jouait la carte d'être insupportable pour les spectateurs (et l'accompagnement sonore de celui-ci était au diapason). Bref, la première partie, je m'en serais volontiers passée sauf à ce qu'une sélection auparavant ait été effectuée.

Le film titre était en tout point remarquable ainsi que  l'accompagnement par Jacques Cambra et deux jeunes musiciens (ou trois ? en l'écrivant un doute me vient) était en tout points remarquable. Un Paris de confinement, presque. Et furtivement, la ville telle qu'elle était il y a un siècle, ce qui était impressionnant. J'aimerais bien qu'on rendre Paris à une locomotion équidée.  Chevaux et vélos, voilà qui me plairait.

Ce fut au point que lors d'un dîner chez Volfoni (il était trop tard pour voir un autre film mais pas pour aller dîner), nous nous sommes plongés dans des recherches sur les ascenseurs de la Tour Eiffel et sur le Paris des expositions universelles de 1889 et 1900 (et entre autres les bâtiments construits puis détruits puis d'autres reconstruits à cet effet).


2022 jour 3 : une après-midi de sommeil

Arras Film Festival

lundi 7 novembre 

Le premier film n'était qu'à 11:30, j'en ai profité puisque le programme d'entraînement de cette semaine comportait pour commencer une séance d'endurance fondamentale de 30' d'aller courir dans la ville, vers le fort Vauban, un parc non loin dont je me souvenais, et puis la fontaine aux lions, là où j'avais reçu lors d'un premier mai un appel de FDK qui m'avait donné courage et espérance. Je ne parviens pas à me faire au fait qu'il soit mort. Que plus aucun échange ne sera jamais possible.
Pour autant, cette demi-heure de course à pied, sous le soleil, en croisant des scolaires qui font leur séance, avec l'éternel panel des élèves faisant du sport dans le cadre scolaire, des déjà sportifs aux qui-détestent-ça en passant par ceux qui s'efforcent d'être de bons petits soldats, mais qui sans entraînement régulier ne peuvent pas faire grand chose, me rend allègre, je me sens bien.
Une douleur aux tendons de la cheville droite me pousse à une escale dans une pharmacie, afin d'acheter du baume du tigre, je pense au passage du "Sac à main" sur l'achat du peigne dans une pharmacie à Arras, et ne sais plus si c'est de mon histoire qu'il était question ou de celle de Marie elle-même.
D'une certaine façon, qu'il s'agisse de F ou elle, j'ai l'impression qu'ils sont ici un peu aussi avec moi.
Il me reste ensuite tranquillement le temps de me préparer pour la séance.

 

"La passagère" d'Andrzej Munk, Pologne 1961-1963 (0h59)(CMM = 0)
avec Aleksandra Slaska, Anna Ciepielewska, Jan Kreczmar, Marek Walczewsk
11:30 S3

Il est dit dans le film lui même qu'Andrezej Munk est mort accidentellement avant d'avoir pu achever son œuvre. Ce qui semble avoir fait que les survivants ont décidé d'en faire un film comme La jetée, une voix off sur des passages de photos enchaînées et d'autres passages qui sont filmés. C'est encore plus fort comme ça que si les séquence "croisières" étaient achevées et parlées. Le noir et blanc est splendide et la netteté des visages stupéfiante. 
L'histoire est terrible, une femme, Liza, sur un navire de croisière qui la ramène son mari et elle en Europe dans les années 50 (je crois) croit reconnaître une détenue d'Auschwitz qu'elle avait contribué à sauver alors qu'elle était surveillante SS. Elle s'en ouvre à son mari un Américain (du sud, rencontré après guerre), lequel ignorait son passé. Les parties filmées sont le récit de la vie au camp. Les scènes sont d'un réalisme glaçant. Et d'autant plus poignantes qu'elles concernent les femmes, qu'on évoque moins : il y eut bien des films de prisonniers hommes glorieux mais les femmes sont assez délaissées des fictions sur ce thème. C'est si effarant qu'on ne comprend pas tout, ou que trop bien : ainsi le gars chargé de remplir les réceptacles pour les cristaux de gaz des pseudos douches d'en arrivant, les enfants marchant vers leur mort dès l'arrivée, le fait que le camp était si grand qu'il fallait y circuler, pour les responsables, à vélo ; la gestion énorme des objets dérobés aux populations spoliées (je n'y avais guère jusqu'ici songé, en dehors des cas d'œuvres d'art ou de meubles précieux dont les récupérations reviennent de loin en loin aux informations ; je n'avais jamais songé à la gestion des stocks de poussettes, par exemple).
L'ancienne responsable tente de se persuader qu'elle s'est montrée la plus humaine possible, que peut une personne dans une entreprise industrielle de destruction ? On voit à quel point au camp tout se paie, tout n'est que bref soulagement en échange de lourdes contreparties, certains éléments font penser au management moderne (à l'énorme différence que dans les entreprises actuelles on risque un licenciement et pas sa vie, ou rarement). Le film montre bien combien l'horreur et la mort peuvent débouler à chaque instant, y compris après des moments presque supportables - on soigne quand même un peu des gens, puis à peine après, on les tue pour une broutille, un soupçon -.
Une classe de lycéens assistait à la projection, je me suis demandée comment ils pouvaient percevoir une telle œuvre. Nous sommes d'une génération de 20 ans après (c'est rien, 20 ans), avons grandi entourés d'adultes qui "avaient connu", voire de survivants (silencieux, le plus souvent), cet indicible dès que l'on grandissait nous était familier, pas moins violent, mais nous savions. À des jeunes de maintenant, une telle atrocité du quotidien, un massacre si soigneusement industrialisé, peut-il être plausible ? Un tel film à sa reconstitution appliquée, peut-il sembler être autre chose qu'une violente dystopie de fiction ?

J'ai retenu le numéro de matricule de Marta : 13417
Fut-il celui d'une vraie détenue ? D'une détenue que qui faisait le film avait personnellement connue ?

 

Il m'aura fallu l'après-midi pour récupérer, malgré un moment passé à faire les courses dans un établissement produits frais et bio, déjà repéré l'an passé, et qui fut un moment de calme, de vie paisible.
Pour la sieste je me suis amusée à regarder ce que proposait la télé locale, un bouquet de chaîne Samsung TV dont je n'avais jamais entendu parler, et l'une d'elle qui proposait des grands classiques. Alors j'ai tenté de revoir M le Maudit et comme presque à chaque fois que j'ai tenté de voir ce film, me suis endormie (le film n'y est pour rien, c'est que mes tentatives ont toutes lieu dans des moments d'extrême fatigue). Peut-être qu'à force les pièces du puzzle se complèteront et que j'aurais une idée de l'œuvre.

Finalement il fut vite 19:00 et temps d'aller voir le film prévu suivant.

 

"La reconstitution" de Lucian Pintilie, Roumanie, 1968 1h38
avec George Mihaita, Vladimir Gaitan, George Constantin, Emil Botta (1h37)(CMM = 0)
19:00 S5

Dans une sorte d'improbable buvette près d'un stade de foot - dont on entend les clameurs tout au long du film sauf en sa dernière scène - et d'un barrage, est tournée sous l'égide d'un étrange procureur, à la fois soucieux de son pouvoir et de se tremper les pieds dans l'eau, une reconstitution d'une bagarre entre deux jeunes, lesquels étaient bourrés lors des faits, mais doivent en acceptant le tournage d'un film pour l'édification de la jeunesse (où seront mis en scène leurs méfaits afin de montrer comme c'est moche) racheter leur faute et leur liberté. 
Sauf que plein de petits trucs se passent mal, une jeune fille en maillot de bain traîne autour d'eux, sans s'habiller mieux sauf à l'extrême fin (si quelqu'un qui a vu le film sait nous expliquer pourquoi, à part pour le male gaze, nous sommes preneurs, sa persistance dans la tenue alors que tous les autres personnages sont pleinement vêtus, et qu'elle ne nage qu'au début, met un certain malaise), et que finalement la violence, trop bien re-mimée aura une conséquence funeste.

George Mihăiță est éblouissant dans le rôle d'un gentil petit délinquant un brin azimuthé façon Keith Moon et qui finira mal.

J'ai adoré le côté, On se demande sans arrêt où ils veulent en venir, chaque scène est un bijou en soi, les portraits sont somptueux. Des dialogues sont drôles. Le fait de faire rejouer aux délinquants mêmes leur délinquance. La fin tragique, alors même que les dirigeants sont déjà partis (sans se soucier que leurs acteurs d'un jour allaient bien, tournage terminé). Le match de foot et la foule en retour du stade à la fin.

Bref, à mes yeux une pépite.
Comme nous avons croisé un couple d'amis dans la salle puis en sortant, l'honnêteté m'oblige à préciser que mon enthousiasme n'est pas universel. Sans doute que pour beaucoup de personnes, le récit est trop à faux rythme et fort destructuré.

Je sais qu'un certain nombre de scènes reviendront me rendre visite, un paquet de mois encore après.

 

Retour maison juste après le film, à peine le temps d'échanger quelques mots avec nos amis du ciné-club croisés dans le hall du Mégarama.
Le joueur de pétanque s'est occupé de préparer un petit dîner (poisson déjà préparé, riz à cuire), tandis que j'écrivais ces chroniques, du moins je commençais.

 

 


samedi 11 novembre jour 8 : Le 2ème (presque) chef d'œuvre

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Est-ce un biais de la sélection ou une tendance de fond du monde actuel que le cinéma refléterait ? : le nombre de films qui évoquent les mauvaises conduites ou pratiques masculines et les souffrances des femmes sous leur joug ou celui des traditions dont les premiers se réclament facilement pour satisfaire leurs penchants est impressionnant.

L'ampleur des dégâts commis l'est aussi. Un film géorgien nous a fait découvrir quelques gradations dans l'horreur comme de séparer un enfant de sa mère veuve au prétexte qu'un autre homme du clan l'a réquisitionnée comme femme. 

D'une façon générale, la juxtaposition de films internationaux aux prises avec des thèmes généraux d'évolutions des sociétés ou de l'histoire et des films française qui ne les évoquent qu'en passant, centrés sur des destinées individuelles qui n'ont d'autres portées que la leur, n'est pas franchement à l'avantage des seconds.

Et ce fut la découverte d'un nouveau "chef d'œuvre personnel", je veux dire qu'il l'est à mes yeux mais que j'ignore à quel point ça fonctionne pour d'autres : The final journey, film allemand de Nick Baker-Monteys (Leanders Letzte Reise) - 2017 (1h45)

 

 

Le film nous embarque dans un voyage imprévu dans l'Ukraine en guerre de 2014, une petite-fille suivant son grand-père parti soudainement après l'enterrement de sa femme. Il fut soldat dans la région pendant la seconde guerre mondiale et souhaite retrouver avant de mourir des personnes de son passé.
Tout est parfait, la façon de filmer, les acteurs, la combinaison de l'Histoire et de leur histoire, le scénario, équilibré, et le conflit actuel qui renvoie l'écho de l'ancien. Contrairement à celui qui m'accompagnait j'ai apprécié le côté traversée d'un pays en conflit car je sais que c'est bien ainsi : bien des moments où tout semble normal à peine un peu perturbé et puis soudain, ça bombarde ou ça tire et le havre de paix devient un endroit de maximal danger. 
La subtilité des relations entre les gens est parfaitement rendue, celui qui est amical et qui se tend parce qu'on a parlé de politique. Les personnes qui tentent d'être correctes vis-à-vis d'un frère humain mais ne peuvent tout à fait faire abstraction du passé. Le faut-il ? Le doivent-elles ? À quel point on peut être le héros des uns et le salaud des autres, du moins en temps de conflit armé. 
Au passage la confirmation d'à quel point dans les indépendantismes récents la présence d'une aile fasciste est difficile à nier, infiltrés au prétexte de patriotisme localisé et traditions à retrouver.
Enfin, d'un point de vue plus intime, le côté "choses que l'on découvre sur le passé familial longtemps plus tard" ne pouvait me laisser indifférente, pas cette année.
Du coup envie de découvrir quels autres films a réalisé Nick Baker-Monteys  PB110025

Au passage, Jürgen Prochnow, proprement magistral dans le rôle du très vieil homme. 

(Il ferait un très bon Johnny Hallyday si d'aventure quelqu'un cherche un acteur en vue d'un biopic)

 

 

 

 

 

Les autres films vus aujourd'hui et que la force de celui-ci a un tantinet éclipsé furent :

Une part d'ombre
Samuel Tilman, Belgique - 2017 (1h30)

Un groupe d'amis voient un des leurs se retrouvé soupçonné d'un meurtre : il a été le dernier a avoir aperçu la victime en vie, et sa vie qui semblait lisse et exemplaire présente une part qu'il avait caché et qui pourrait constituer un mobile solide. 
Ça n'est pas que ça soit un mauvais film, loin de là, c'est bien mené quoiqu'assez cousu de fil blanc - un seul personnage celui de l'ami fidèle envers et contre tout, présente une réelle profondeur, les autres sont cantonnés à des archétypes du bon avocat à la femme bafouée en passant par les amis qui n'en sont facilement plus -. Le hic c'est que les autres films en présence sont d'un tel niveau qu'une petite histoire qui tient du fait divers ne débouchant sur rien d'autre qu'une histoire personnelle ne fait pas le poids. 
La façon de filmer est solide, le rythme bon, mais d'un classicisme absolu.
En fait j'eusse aimé voir la pièce de théâtre qui pourrait en être tirée : elle partirait de la scène de la réunion entre professeur, une sorte de conseil de classe, conduirait comme dans le film, l'homme soupçonné à quitter la salle, mécontent de la suspicion qu'il ressent et se poursuivrait par les échanges entre ses collègues aux travers desquels on découvrirait peu à peu toute l'affaire, en se posant plein de questions. Juste ça, un huis clos.
J'oubliais : je commence à être agacée par le côté "paysages obligés" qu'ont certains films de nos contrées, comme si la région qui a participé à son financement demandait qu'en contrepartie 15 minutes au moins de ce qui fait sa beauté soient montrées à l'écran. Alors nous voilà avec de longs plans d'une voiture le long d'une route (1), vue d'un peu en haut, oh les jolies forêts / montagnes / bords de mer / villages et qui n'apportent rien de rien à l'évolution narrative et rien non plus de l'ambiance des environs, simplement du décor descriptif. Ce film-là n'échappait pas à ce qui semble devenu une règle.

(1) À la réflexion c'est peut-être dû à des accords de placement produits avec les firmes automobiles. 

Dede

Mariam Khatchvani, Géorgie - 2017 (1h37)

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Une intéressante critique de ce film ici.

Si j'ai bien compris ce qui s'est dit, le film se passe en Svanétie en 1992 et cinq ans plus tard. Les protagonistes du film parlent une langue qui n'est plus pratiquée que par 10000 personnes et la réalisatrice tenait à tourner dans celle-ci afin d'en conserver trace ; les enfants petits que l'on voit aller à l'école dans le film parlent, eux, géorgiens.

L'histoire est celle d'une jeune femme en bute aux traditions patriarcales, qui semblent dans cette région de haute-altitude particulièrement féroces, les hommes s'arrogeant le droit de disposer non seulement des femmes mais de leurs enfants. Ce qui est intéressant c'est que le personnage principal est une femme qui se révolte et parvient (je ne spoïle pas vraiment c'est proche du début) dans un premier temps à refuser un mariage arrangé pour convoler avec celui qu'elle aime et qui l'aime, mais les traditions et les hommes qui s'en réclament ne les laisseront pas si facilement en paix. Il est à noter un personnage de jeune religieux qui pousse à l'adaptation au respect des femmes, mais il n'est malheureusement pas beaucoup écouté. 
Ce film est magnifique. Magnifique et assez désespérant.

Mairam Khatchvani dit qu'elle s'est inspirée de l'histoire d'une de ses propres grand-mères. Dede signifie Maman

nb : Dommage, son affiche est un spoïler en soi.

 

Jean Douchet, l'enfant agité

Fabien Hagège, Guillaume Namur, Vincent Haasser, France - 2017 (1h25)

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Délicieux film sur Jean Douchet lui-même avec images d'archives et interviews de proches.

Jean Douchet lui-même présent ainsi qu'en spectateurs certains réalisateurs qui reconnaissent lui devoir beaucoup.

De ce fait la séance et le début [avons dû partir pour voir le film suivant] d'une interview au Village juste après étaient assez émouvantes. L'homme m'est devenu plutôt sympathique (2), rendant les films encore plus vivant, maniant l'humour. 
Je suis parfaitement en phase avec sa perception du sens de la propriété, ce qui même si en matière de cinéma j'ai parfois du mal à comprendre, nous fait un bon point commun.

(2) Lors d'un week-end de ciné-club à la Brosse-Montceaux j'avoue pour ma plus grande honte l'avoir trop vite jugé professoral et froid. Mais peut-être qu'il était déçu des lieux, des mets et de l'accueil, qu'il avait le sentiment de perdre son temps, je ne sais.

 

Un cadavre au dessert

Robert Moore (Murder by Death), USA - 1976 (1h34)

C'était notre petit bon vieux classique pour finir la journée avec un peu de détente. Film très plaisant que j'avais déjà vu je crois au moins deux fois, sans me souvenir du dénouement : le drôle c'est cette réunion des plus grands détectives de fiction dans une sorte d'escape game et la leçon d'écriture infligée par le personnage de Truman Capote.
Le point encore plus drôle est que j'étais persuadée par mon souvenir que ce film valait pour ses dialogues ultra pétillants. Il n'en est (presque) rien ; si certains échanges sont drôles beaucoup se veulent spirituels et ne sont que lourdingues. Curieux d'avoir magnifié ce point. 
La copie semblait vieille, deux interruptions brèves ont été nécessaire avant que nous ne puissions voir le film entièrement, c'était impressionnant de ce dire que ce film était un déjà très vieux (et sympathique de l'avoir revu)

 

 


 

 

 


Un giorno particolare - une journée à Rome

film d'Isabella Commencini

 

 

 


Une journée à Rome par previewnet

 

Pour une fois je préfère le titre en V.F. au titre original qui marchait un peu trop sur les pieds d'un chef d'œuvre.

Le film lui-même m'a beaucoup plu, contrairement au camarade Sorj qui pour le Canard l'a modérément apprécié, je ne me suis pas ennuyée. Seulement je crois que c'est le genre de film qui, attachant mais non sans défauts, dépend beaucoup dans la perception qu'on en aura de notre propre état d'esprit au moment où on le voit.

Il se trouve que j'étais triste, un peu perdue dans ma vie. Je ne demandais qu'à ce qu'on m'embarque ailleurs, et la jeunesse des deux protagonistes m'a immédiatement délassée du poids de mes années (1).

Le film raconte la parenthèse que vivent Marco et Gina pendant une journée à Rome ou dans ses environs. Elle doit rencontrer un député, qui moyennant quelques faveurs sexuelles pourra donner le coup de pouce décisif à sa carrière d'actrice plutôt que d'escort girl. Il est chauffeur depuis le matin même. Mais voilà que le député est un peu trop pris, et qu'ils sont priés de s'occuper en attendant, on les rappellera. La voiture est grosse et les frais sont payés. Le garçon comme la fille ont déjà tout intégré des mécanismes cruels de cette société-ci, si bien qu'ils osent à peine se laisser aller à s'amouracher comme naguère, à leur place, nous aurions fait sans hésiter.

Le film est très juste sur certaines notations sociales, très contemporain, il aura sans doute un succès longtemps plus tard comme trace d'ici et maintenant.

Il manque un peu du petit quelque-chose qui en fera une œuvre dont on se souvient après même si en entrant dans la salle on était préoccupés.

Il y a moins de force dans celui-ci que dans l'Intervallo, son cousin (2). Je ne saurais dire à quoi ça tient. Peut-être à la force de la menace qui plane sur les deux jeunes. Dans la "Journée à Rome" seule la fille est menacée ; le gars ne l'est qu'après, lorsqu'il se sera senti dans la peau de celui qui amène la proie (certes consentante mais quand même) à son prédateur las.

 

On voit pas mal de Rome et de ses alentours, j'ai apprécié. 

Les deux jeunes acteurs sont parfaits. Leurs dialogues sonnent juste. Ainsi que les moments de malaise de la jeune femme, prête à tout pour s'en sortir, mais insuffisamment aguerrie.

On rit aussi.

Un bon moment, une belle balade, et un film qui gagnera de la valeur, comme témoignage, en vieillissant.

 

(1) La peine qui me tenaillait était liée à trop d'âge et pas assez de beauté. 

(2) Au point qu'on dirait que l'un et l'autre répondent à la même commande : un gars, une fille, un lieu, une journée. C'est d'autant plus troublant que le jeune Allession Gallo qui aurait fort bien pu tenir le rôle du chauffeur y fait une brève apparition comme vigile d'une boutique de luxe (un peu comme Romy Schneider dans "Plein soleil" le temps de nous donner un regret). Cela dit dans le rôle de Marco, Filippo Scicchitano a la candeur qu'il faut.

 

PS : Et à part ça, au moment de l'essayage de la robe de cover girl, une réflexion de la mère qui chapeaute l'opération et répond à la fille qui s'étonne du prix que la robe a dû coûter : - Ben on va quand même pas te mettre une robe à 100 € pour aller voir l'onorevole (député). 

Et comprendre, stupide et stupéfaite, que 100 € c'est considéré comme rien, trop peu. 

 

 

 

la fiche du film sur IMDB


Les risques d'un travail trop consensuel

 

Acciaio - D'acier - Stefano Mordini - 2012 (it.) 2013 (fr.)

 

 

 

C'est un film très agréable à voir, surtout je suppose pour les garçons qui peuvent admirer à loisir deux jolies jeunes filles en tenues légères, petits shorts ultra-courts sur cuisses fines comme on n'en fait plus (1). Le problème réside peut-être là : il est agréable, on passe un bon moment. Et puis après ?

Plusieurs thèmes s'entremêlent qui auraient pu donner, comme dans le roman (2) quelque chose d'un peu social, d'un peu ancré dans une époque (3), mais tout se passe comme si le réalisateur ou sa production n'avaient souhaité choquer personne, et surtout pas faire réfléchir.

Il y a donc ces deux jeunes filles dans une relation d'amour adolescente comme il peut s'en esquisser dans l'attente des premiers garçons - elles n'ont pas l'air vraiment lesbiennes, c'est juste que -, le père brutal de l'une d'elle (sombre situation effleurée mais vite on passe à autre chose), absent de l'autre (qui revient brièvement foutre sa merdre puis finalement non), le beau grand frère magnifique courageux (il faut bien assurer en l'absence du père), l'usine voisine une aciérie comme seul avenir ou bien partir ; mais qui part revient : c'est ce qu'a fait la belle blonde, devenue cadre de l'entreprise ; une boite de nuit mais une scène potentiellement sexuelle y tourne assez vite court, des flirts ratés, un petit ami vite escamoté. Au fond peu de réelle sensualité malgré l'exposition des corps comme ils peuvent l'être dans la chaleur d'un bel été.

Quelques belles images de travail d'usine, aussi. Mais posées là sans réelle suite, là aussi, comme si on craignait d'importuner en montrant trop de travail.

Plusieurs films étaient possibles : une œuvre sensuelle, tout était prêt y compris cette sorte de cabane dont elles disposent pour leurs siestes avant que le propriétaire n'en réclame l'usage, l'éveil des deux jeunes femmes à l'amour, à la sexualité ; une œuvre d'époque : génération sans perspective qui tente quand même de grandir et se frayer un chemin ; une œuvre sociale : la fin de l'industrie dans notre vieille Europe et la casse sociale qu'elle induit ; une œuvre dramatique : comment un événement brutal et précis peut changer plusieurs vies.

Au lieu de ça une œuvre jolie, qui n'ose aller nulle part, un drame dont on semble soudain se rappeler qu'il fallait qu'il ait lieu mais surtout ne parlons pas des choses qui fâchent, et donc pas de sexe, pas de mort, pas de luttes sociales, pas de violence vue de trop près.

Du coup, il ne reste que quelques cuisses qui courent, de beaux décors, de bons acteurs, mais longtemps plus tard, en mémoire, je suis prête à parier : presque rien.

Je ne regrette pas de l'avoir vu, je l'aurais simplement aimé plus énergique, plus militant ; moins : j'aborde un sujet puis avant qu'il ne fâche, je passe au suivant.

Reste une très belle relation familiale entre la mère que son mari a quittée, ses deux enfants frère et sœur qui se veulent du bien et tentent de s'en sortir. Les scènes qui les concernent sont très réussies.


nb. : À  sa décharge, j'ai vu ce film quatre jours après avoir vu The grandmaster de Wong Kar-Wai qui m'a bluffée, alors peut-être que quoi ce fût ne pouvait que me paraître fade à côté de cet opéra du king fu.

 

(1) Sur ce coup-là je ne suis tellement pas le cœur de cible que j'ai mis 25 minutes à reconnaître l'une de l'autre les deux jeunes protagonistes. Elles s'habillent et sont coiffées de façon similaire, j'ai mis longtemps à me rendre compte que l'une était un peu plus grande et l'autre a les cheveux davantage ondulés. Bon, les dames ne sont pas en reste qui peuvent admirer le (trop parfaitement) beau Michele Riondino, du coup peu crédible en type qui mène une vie dure de gars contraint de complèter la paie rudement acquise par quelques combinazione nocturnes. Et évidemment il faut qu'il soit amoureux de la belle fausse blonde de service et là on a envie de dire Même dans un film italien ? Quelle dictature de l'éclairci.

(2) "D'acciao" de Silvia Avallone

(3) Un ami m'a rappelé que le livre se situait en 1993 et était beaucoup plus ancré dans le concret de la politique de ces années-là. Le film se veut actuel de façon un peu molle. Il y a de l'internet. Pas trop de téléphones portables mais un peu quand même. La lutte sociale est gommée, esquissée, à peine évoquée.

 


L'intervallo - Leonardo di Costanzo - mai 2013

 

Il sera dit que les deux films récents qui auront laissés sur moi une empreinte durable en cet hiver 2013 devaient être italiens :

Les équilibristes, vu au festival d'Arras et qui me hante encore, depuis novembre l'effet n'est pas dissipé ;

- L'intervallo de Leonardo di Costanzo vu à Paris avant une belle rencontre.

 

 

 

Les films les plus forts viennent souvent des fils les plus fins : deux jeunes se retrouvent à devoir partager une journée dans l'attente inquiétante des mafiosi qui les ont mis en présence ; on comprend très vite que la jeune fille s'est faite enlever par représailles ou punition. Quant au garçon, il n'a pas eu trop le choix, et s'est sous la menace qu'il se fait geôlier.

Bref, una giornata particolare, mais dans une vie d'adolescents menacés par la violence d'une société dans laquelle ils n'ont que commencé à poser les pieds ; mais qui aurait été filmée par Tarkovski au lieu de Scola : décor digne de la fin de Stalker ou Nostalghia, grands bâtiments abandonnés avec splendide séquence de pluie et la présence de l'eau aussi à l'intérieur, comme un hommage (1), et les avions qui par moments passent si bas que comme dans Le sacrifice ils interrompent actions ou conversations ou du moins les dévient.

Mais contrairement à l'univers exclusivement sombre du cinéaste russe, le film italien nous offre de délicates trèves, alors que les deux protagonistes explorent l'univers clos dans lequel on les a jetés. Ces moments où la part d'enfance encore vive en eux reprend le dessus et la menace sur leur avenir immédiat s'estompe.

La magie du film est de nous accorder aussi une parenthèse, un espoir que la beauté du monde malgré sa condamnation à plus ou moins brève échéance, ne soit pas tout à fait perdue et qu'il doit être possible de s'entendre entre (sur)vivants.

Enfin, les mafieux et par ailleurs l'expression des jeunes, en dialecte, sont d'une impressionnante vérité. À en oublier qu'il s'agit d'une fiction.

Je sais que ce film me restera longtemps. Et que perdureront quand j'aurai oublié l'essentiel de l'intrigue, ces deux scènes du fils et son père préparant leur matériel de travail pour la journée, à gestes immuables, silencieux et précis, puis le repliant à la nuit venue.

 

 

PS : J'ai la conviction, s'il parvient à maintenir le cap face aux sollicitations et aux risques séduisants de ce monde et sauf accident de la vie, qu'on tient en Allessio Gallo un futur très grand : prenez le temps d'écouter son interview au sujet du film. Ses débuts me rappellent ceux de Di Caprio dans Gilbert Grape, et il ne s'agit pas plus de le prendre pour un pataud sympa que le tout jeune Leonardo d'alors pour un handicapé (2). He's gonna be redoutable et vous pourrez dire : j'ai vu son premier film.

 

(1) Se méfier des fausses évidences : interrogé à ce sujet Leonardo di Costanzo qui parlait lui-même volontiers de "Una giornata particolare" a dit que les références à Tarkovski n'étaient pas volontaires, dont il était flatté.

(2) Il était à ce point saisissant, et peu connu à l'époque, que j'avais eu un doute si le cinéaste n'avait pas fait le pari de recruter quelqu'un qui l'était.

Bonus : un article de Télérama avec trois extraits commentés par son réalisateur


Solaris - Tarkovski - Russe - 1972

Un Ovni que ce film très long, mais qui ne le paraît pas, auquel on ne comprend pas tout, comme chez David Lynch de Mulholland Drive sauf qu'au lieu d'être dans l'espace ce dernier zonait en Californie. La Californie russe des années 70 s'appelle Solaris, une planète dotée d'un Océan aux étranges pouvoirs et que des scientifiques envoyés dans une station spatiale qui le survole de près tentent de comprendre. Certains dans l'aventure ont déjà perdu la vie. 

 

L'esthétique est terriblement Seventies, à croire que l'est et l'ouest n'étaient pas si étanches, les apparitions féminines tiennent du David Hamilton, cheval et brumes incluses, en moins frelaté et dénudé, mais c'est très curieux de voir ces dames en longues robes ou châles baba cool au crochet. Si le propos avait été guerrier au lieu d'une recherche (plutôt vaine) d'amour universel avec les puissantes (mais lesquelles en fait) on aurait pu se croire dans un film américain.

 

La narration est je crois censée être chronologique, le personnage principal part pour cette station, y vit de drôles de trucs, revient. Les hommes sur place sont sujets à des visions concrétisées, ce qui s'il s'agit d'une belle femme est pratique pour faire l'amour (1). Ses apparitions concernent les femmes de son passé et ses deux collègues survivants, qui semblent aux prises avec d'autres entités moins glamour, sont un peu jaloux. Elles sèment des châles au crochet. La station est de plus en plus déglinguée, rien à voir avec la propreté d'un Cosmos 1999 pour ne citer que lui, sauf peut-être les pyjamas, encore que. La veste de pyjama de l'homme russe a sur la poche des initiales et comme par moment il semble avoir égaré son pantalon, c'est trop la classe.

 

Le cinéaste n'a peur de rien : dans la même séquence on entend un homme expliquer qu'il était pris dans un brouillard épais et puis on nous fait voir ce même brouillard qu'il avait filmé. Et ça dure (de ne rien voir, ou presque) tout le temps qu'il disait avoir lui-même traversé. Bizarrement quelques personnes ont alors quitté la salle.

 

Je peux laisser l'impression d'ironiser, mais ce n'est pas que ça, il y a un grand charme, une poésie dans le ridicule, quelque chose d'attachant si l'on accepte de se laisser emporter dans une sorte de retour sur époque. Une poésie datée. Des moments de surréalismes parfaits, comme cette image de l'homme qui revient vers la datcha paternelle (que je suppose telle, mais je peux me tromper) et c'est dedans qu'il pleut.

Le sous-titrage de la version vue était aléatoire et équipé d'erreurs parfois jolies ("Il est tombé à la rentrée de la nuit"), ce qui m'a permis de constater qu'après quelques films dans une langue et dès lors qu'ils ne se lancent pas dans un long monologue philosophico-mystique, on peut suivre.

Il y a assez peu de dialogues en fait, pas de gestes inutiles, on dirait une pesanteur accrue. Mais les mots échangés sont assez savoureux.

 

Et puis dans les stations spatiales des années 70, on pouvait fumer.

 

- Je n'aime pas le moderne. (l'homme dans sa villa)

 

- La solaristique dégénère (dit avec le plus grand sérieux)

 

- Il a l'âme d'un comptable !

- Par amitié, ne dit pas ça 

(un homme partant mécontent après une discussion qui a tourné court avec un autre et s'adressant à celui qui les a réunis)

 

- Tu es trop dur, tu n'es pas fait pour le cosmos où tout est si fragile.

 

- Tu as de la chance, elle n'est que ton passé (un des scientifiques commentant l'apparition attitrée de son collègue)

 

Des instants de poésie : 

 

Ils viennent la nuit

Il faut quand même dormir

On perd le sommeil à vivre ainsi

 

Des moments Shakespeariens :

 

Dans cette situation sont également impuissants et la médiocrité et le génie.

 

- Il est mort d'être dans une impasse. Il a cru que cela n'arrivait qu'à lui.

 

- Peut-être ta venue parmi nous est une faveur ou une torture de l'Océan.

 

Des interrogations Shakespeariennes : 

(quelque chose comme : Peut-être ne suis-je venu là que) pour apprendre que l'humanité est le but pour l'amour.

 

Et des remarques lapidaires des collègues. Ainsi après une splendide interrogation métaphysique de l'un d'eux, l'autre, à plat : 

- Tu aimes les questions épineuses.

 

 

Des répliques qu'Audiard n'aurait pas dédaignée, mais pas dites du tout sur le même ton :

 

- Vous êtes un chic type mais vous avez mauvaise mine.

 

- Il s'agit de sciences et non d'histoires d'alcôves.

 

- Quel hideux spectacle ! Je ne peux m'habituer à ces résurrections.

 

- La souffrance donne à la vie un aspect morne.

 

Et pour finir cet inoubliable : 

 

- Nous avons perdu le sens du cosmique, chez les anciens il était plus aigu.

 

 

 

Bref, on ne sait pas où l'on est, mais si on accepte de se laisser bercer, on peut y être bien, s'émouvoir, s'amuser et ne pas voir le temps passer.

 

(1) Mais on est dans la chasteté soviétique, tout au plus voit-on quelques transparences, un cordon dénoué qui ne dénoue rien, une épaule, un homme et une femme sous des draps bleus (qui deviennent un peu sales et moins bien repassés, peu à peu) et une courtepointe matelassée


Choco - Jhonny Hendrix Hinestroza - Colombie - 2011

Il y a les films lents réussis et les films lents un peu trop lents. J'aurais été bluffée par Choco si je n'avais vu La Playa D.C. la veille et par ailleurs les films tibétains de Pema Tseden vus à La Rochelle, le premier avec un choix de lenteur mais rythmé, et les seconds d'une lenteur infinie mais savourable. Choco manque un peu son coup, sa lenteur endors, la répétition n'apporte pas toujours ce qu'elle devrait - il aurait peut-être fallu l'esquisser - et quelques plans qu'on comprend oniriques ou déplacés de l'ordre chronologique ne suffisent pas à muscler l'ensemble. 

Dommage, le film reste attachant, on apprend pas mal de choses sur des vies quotidiennes loin des nôtres d'Europe, une ségrégation rampante et double à l'égard des femmes, un monde où la plupart des hommes ne sont que des parasites, fors d'un statut social ancestral qui veut que la femme fasse tout et qui on ne sait pas trop par quels pertes d'emplois ou chômages endémiques, ne tentent pas même de rapporter à leur famille un peu d'argent. Dans ce grand dénuement, Choco parvient à s'occuper dignement de ses enfants, et quelque chose se joue là de l'ordre du Tout n'est pas perdu. Elle trouve aussi un employeur qui semble un homme correct même s'il ne fait pas de cadeaux. Au passage on apprend, si on ne le savait pas déjà, ce qui était mon cas, que l'or est (encore) extrait au mercure dans certaines régions et les travailleuses qui s'y collent le font sans protection.

Je travaille à l'ancienne, dit son nouveau patron, pas de mercure, pas de machine, on gagne ce qu'on peut, chez moi, collectivement.

 

Les paysages sont de toute beauté. Et comme on les parcourt le plus souvent à pied, ce film est une belle promenade. Quoique désenchantée.


Nickyho Rodina - Nicky's family - Minac - 2011 - Rép Tchèque + Slovaquie

 

Le documentaire à mon sens est raté, du moins en sortant j'ai une pure envie de leur dire Passez-moi les rushes je vous remonte tout ça, il y a une palanquée de séquences WTF (mais peut-être dues à des sponsors à honorer) et puis cette manie moderne de procéder à des pseudo-reconstitutions pour être certains qu'on comprenne bien. Je veux bien étant donné le sujet qu'il y ait un but pédagogique mais comme je n'ai plus 12 ans et que la plupart sonnent faux (1), ça m'a prodigieusement agacée : Nicholas Winton et ses rescapés méritaient mieux que ça. Et pas non plus ces bruitages pesants (rires enregistrés plaqués sur des images des heureux temps d'avant, musique pour le moins bourrée d'emphase par moments).

Mais bon malgré les 10 dernières minutes insupportables sirupeuses de la fin et un extrait d'émission de télé qui me met terriblement mal à l'aise, le documentaire mérite d'être vu pour les témoignages et ce qu'il nous apprend de ce qui s'est passé : un jeune homme brillant, équivalent trader de dans le temps, au lieu d'aller au ski en 1938 part rejoindre un ami à Prague et se trouve submergé par des demandes de parents éperdus qui souhaitent exporter leurs enfants d'un péril qu'ils pressentent grand (2). Et le voilà à faire des listes et des listes, alerter les autorités, sonner à toutes les portes, se laisser séduire par une belle espionne (You can't have an ugly spy), lui faire embarquer 25 enfants en Suède, organiser des convois vers l'Angleterre, des sortes d'adoptions, une forme étrange de marketing - 6 photos par fiches, choisissez votre enfant -, des faux passeports. Et jusqu'à la déclaration de guerre le 1er septembre 1939 et qui empêchera le départ d'un convoi de 250 enfants, faire sortir environ 600 petits d'un pays où les attend la mort. Une fois les gamins casés et la guerre enclenchée, l'homme s'en retourne à sa vie, qui dans un premier temps et après un échec de résister à la folie guerrière (engagé à la Croix Rouge), fera de lui un pilote. Puis il retournera à une vie quotidienne, sa propre famille à fonder et ses carnets des temps troublés, ses dossiers plein de photos des petits postulants à l'émigration d'urgence, calés au grenier. D'où ils ne sortiront qu'en 1988, par les bons soins rangeurs de son épouse qui découvre à l'occasion que son cher et tendre fut quelque chose comme un héros. Et lui qui avait envoyé chier son patron à l'époque juste parce qu'il se sentait dans l'obligation de sauver ces vies, tout surpris qu'on le fête, qu'on l'adule, qu'on le donne en exemple.

Il faut dire qu'à la volonté d'aider coûte que coûte, s'est jointe une inventivité qui a fait merveille. Un marketing éhonté (mais efficace et il fallait faire vite) pour placer les petits, des supercheries créatives (il s'autoproclame Honorary secretary d'une section imaginaire du Foreign Office destinée aux Enfants Déplacés, papier à en-tête, tampons imprimés et ça prend), et des gosses sauvés ; dont 250 ont pu être retrouvés et qui ont répondu à l'appel lancé pour des retrouvailles. Et connaître enfin leur bienfaiteur dont ils ne savait rien, puisqu'il s'était hâté de passer à autre chose une fois les gamins casés.

Voir de très vieux messieurs ne pas pouvoir retenir leurs larmes à l'évocation et de l'héroïsme de leur parents et de l'altruisme de cet inconnu, a quelque chose qui est plus qu'émouvant. On sort de là, différents. Vaguement honteux du peu qu'on a fait quand on le pouvait.

Parmi les survivants retrouvés beaucoup ont fondé famille (je crois avoir vu le chiffre de 5700 descendants) et tous consacrent une part de leur temps à des activités caritatives. Ils ont dans les 70 à 80 ans et leur sauveur 103.

 

Un lien vers un des témoignages.

Et vers un document de synthèse qui m'a paru intéressant. Il y est entre autre question de Geertruida (Truus) Wijsmuller-Meijer qui en Hollande sauva elle aussi une foule d'enfants.

(1) Sauf une où l'on voit des parents adoptifs anglais choisir leur petite Tchèque adoptive

(2) La lucidité et le courage de ces parents qui sauvent leurs petits en s'en séparant est quelque chose qui m'inspire et m'inspirera sans doute toujours une admiration époustouflée. Il se trouve que dans la préparation d'un roman que je ne trouverai sans doute jamais le temps d'écrire j'ai beaucoup lu sur la période et tant de témoignage aussi de gens qui disaient qu'ils n'imaginaient pas de telles persécutions possibles ; en particuliers ceux en France qui étaient allés benoîtement se faire enregistrer comme juifs. Apparemment à l'est le péril était davantage perceptible.

PS : Un point très frustant de ce documentaire : aucune mention de ce qu'est devenu Martin Blake, l'ami qui a appelé de Prague pour dire qu'il ne venait pas au ski car trop de gens sur place avaient besoin d'aide (et dont le nom est trop répandu pour qu'une recherche simple par moteur habituel puisse donner un rapide résultat).