Toujours une petite tristesse au dernier jour, et un étonnement : déjà ?
Cette année, ce phénomène curieux qui se confirmera jusqu'au dernier jour.
Ça n'enlève rien à la qualité des films mais c'est un peu inquiétant, est-ce que ça signifie la fin prochaine de films militants si cette façon de prétendre que non est le fruit de pressions ?
Sinon, c'est impressionnant à quel point dans les films de cette année les hommes débloquent (parfois sous couvert de traditions, mais n'empêche quels abrutis), tout le monde picole (plus ou moins gravement, mais tous) et fume à tout va, combien le travail est stressant, le chômage omniprésent, les frontières redoutables. Pour la première fois j'ai ressenti qu'un film qui se passait essentiellement en Amérique du Sud avec des zones non-sûres dans lesquelles les protagonistes passaient en se méfiant étaient moins sous tension que des films se passant en Europe de maintenant.
À part ça, une grosse thématique poules rousses : il y en avait au moins une dans presque chaque film. Et une sous-thématique tennis assez amusante. Il faut croire qu'on s'est rendu compte que les matchs de maintenant tout en puissance avaient moins d'intensité dramatique.
L'autre chose marquante, mais qui ne date pas du festival de cette année, c'est simplement qu'elle est de plus en plus visible, sans doute parce que les années 70 et 80 du siècle précédent font à présent l'objet de reconstitutions, c'est la frontière d'espace et de temps entre un monde sans téléphones individuels portables et un monde où ils sont omniprésents. Aucune des histoires concernant "le monde d'avant" n'aurait eu lieu de la même façon s'ils avaient existé. La présence d'ordinateurs et de l'internet a moins d'impact, par exemple. Peut-être parce qu'il y a moins de différence entre expédier une lettre et envoyer un mail, qu'entre être en face d'une personne et lui parler directement ou lui parler au téléphone où qu'elle soit.
On commence à voir, dans des films où ça n'est pas le sujet, l'importance des réseaux sociaux.
Dans un festival comme celui-ci dans lequel les films viennent du monde entier, on mesure mieux la force de pénétration de ces moyens de communication. Il y a quelques années certains films se passaient encore dans des coins reculés où "ça" ne passait pas. À présent, les films dans lesquels les gens, même pauvres, ne disposent pas de cette technologie sont ceux qui se tiennent avant l'an 2000 ou dans les early-2000.
C'est plus marquant encore que pour les films pre-code ou post. J'ai l'impression, mais je peux me tromper car je n'ai pas connu ces temps, ni même mes parents, seulement mes grands-parents (que je n'ai presque pas croisés), que cette évolution est aussi forte dans la réalité que celle qui a vu venir presque partout l'électricité. Le genre de cinéma que nous suivons au festival, et qui touche au quotidien des gens le plus souvent s'en fait le reflet. Sur une succession de films vus dans un temps limité les évolutions générales présentant un caractère d'universalité sont encore plus flagrantes qu'en observation directe et forcément géographiquement limitée (on ne peut être partout en même temps).
Cette dernière journée du cru 2017 fut un régal, de (très) bons films jusqu'au bout, dont une comédie.
On aura pu une fois de plus constater que lorsqu'il y a un palmarès, une comédie même excellente ne parvient pas aux prix, comme s'il fallait qu'une œuvre donne une impression de sérieux pour être louable. Or réaliser une bonne comédie demande plutôt plus de travail, tout doit être au millimètre - un film qui embarque par l'émotion n'a pas autant besoin de précision -.
Wilde Maus
La tête à l'envers, Josef Hader, Autriche - 2017 (1h43)
Un critique musical reconnu se fait licencier de son journal car trop coûteux trop vieux, n'ose pas le dire à sa femme psychanaliste, erre dans le Prater, y trouve du travail mais s'enfonce dans son mensonge. Pendant ce temps ils tentent elle et lui d'avoir un enfant, et elle reçoit ses patients. L'ensemble se combine pour avoir quelques conséquences.
Un régal, c'est bien vu de l'air du temps à tous points de vue - could happen anywhere in Europe -, super bien interprété (1), ce qui est drôle l'est dans l'ensemble avec finesse. Même le "salaud" n'est pas caricatural, mais présente sa part d'humanité.
Et puis c'est gorgé de ces petites absurdités folles dont sont tissées les vraies vies.
Film que je reverrai avec plaisir, pour savourer les détails et à nouveau bien rire, même si le fond de l'affaire n'est pas gai.
Je pense qu'un instant du film très émouvant me restera, concernant l'amour face au danger immédiat. Et aussi une méchante mauvaise conscience en mangeant du fromage puisque ça sera là que j'aurais enfin pigé pourquoi certains fromages étaient indésirables pour les végétariens. C'est vrai qu'on parle rarement de la caillette (de veau) dans des films français.
(1) un des personnages qui se trouve être homosexuel est campé avec toutes les nuances de la réalité et ça fait du bien.
Heartstone
Gudmundur Arnar Gudmundsson (Hjartasteinn), Islande - 2016 (2h09)
En Islande au début des années 2000 (et donc avant l'usage des téléphones portables), un été, des adolescents ... sont en pleine adolescence. Ça se passerait de façon plutôt mignonne si l'un d'eux ne se trouvait pas contraint de se rendre à l'évidence : il est homosexuel. Et si le monde dans lequel il vit n'était pas sans l'ombre d'une mauvaise conscience d'une splendide homophobie.
Pour une question d'horaires serrés, nous avons manqué le début, mais ça ne semblait pas gênant : film calme et lent. Beauté des paysages, excellentes interprétations.
Façon de filmer très classique, non sans qualité mais je me suis quand même un tantinet ennuyée.
Et puis cet agacement curieux qui est le mien lorsque dans un environnement visiblement froid les humains se baladent peu vêtus comme s'il faisait chaud, n'a pas contribué à me faire ressentir l'empathie qui m'a manquée.
Je pense que ce film peut être marquant pour des personnes plus jeunes ou davantage concernées (ou qui n'ont pas vus les films de Bergman avant)
The Line
Peter Bebjak (Ciara), Slovaquie - 2017 (1h48)
Thriller mafieux redoutable d'efficacité avec un beau, un très bel art de filmer.
Je n'étais pas la bonne cliente pour ce film : l'ultra-violence me fatigue et une légère invraisemblance concernant la cohérence d'un personnage m'a gênée vers la fin (sans doute parce que je suis une femme). Il n'empêche que c'est rondement mené, que ça laisse des images marquantes (c'est fait pour), que les acteurs sont tous formidables, qu'il y a juste ce qu'il faut d'humour (1) pour nous détendre entre deux déchaînements de violence, que ça fait du Grand Cinéma.
Il s'agit d'une histoire de famille mafiosante de la frontière entre Ukraine et Slovaquie, et qui se livre à de juteux trafics avec une certaine rigueur, de l'organisation et une parfaite efficacité. Mais cette frontière sera bientôt fermée et les tendances divergent quant à la manière de s'adapter aux prochains nouveaux enjeux. Il est bon pour mieux comprendre de savoir avant le début qu'au moment où l'action (les actions) est censée se passer (2007) un paquet de cigarettes qui vaut 3 € en Slovaquie vaut 40 centimes en Ukraine et que l'attente à la frontière sans bakchich est de 5 ou 6 heures.
Le méchant est super méchant, sans faille.
Il y a à un moment une cascade de grimper de mur qui est épatante. Elle n'est hélas pas dans la bande annonce qui contient un gros spoïleur (2).
Ça vaut bien des films hollywoodiens.
Mais c'est sans doute aussi ce qui fait que j'apprécie moyen, même en reconnaissant bien des mérites à ce qui est là à l'œuvre.
(1) Notamment la vision d'un peuple entier en train de fumer après qu'une cargaison de contrebande ait été perdue (mais pas pour tout le monde).
(2) Ce qui est curieux pour un thriller. Et d'autant plus dommage.
Battle of the sexes
Jonathan Dayton et Valerie Faris (ceux de Little miss Sunshine), USA-GB - 2017 (2h01)
Le film de clôture est généralement un film grand public pour autant de qualité et plutôt détendant. Celui-ci n'a pas dérogé à la règle. Il tourne autour du match qui opposa le 21 septembre 1973 Billie Jean King et Bobby Riggs.
La reconstitution est à couper le souffle, si vous en doutez jetez un coup d'œil sur cette video d'époque. C'est un peu fou de constater que ce qui dans le film paraît exagéré, ne serait-ce que la consommation folle du monsieur en compléments alimentaires et produits dopants n'est que le reflet précis de la réalité.
Rétrospectivement, le Borg - Mc Enroe du début du festival paraît bien fadasse. Ils se sont simplement autorisés à choisir une interprète un peu plus jolie que la vraie Billie Jean ne l'était et un Bobby Riggs plus replet.
Billie Jean King elle-même a apprécié le film.
En entendant les propos les spectateurs hommes ou femmes jeunes sortant surpris de la projection (C'était vraiment à ce point-là ?), on peut penser que ce film en plus d'être distrayant et réussi est salutaire. Oui, on vient de là, oui ça n'est pas si loin, et en ces temps de libéralisme galopant le Male Chauvinism reste bien portant. Voilà de quoi redonner des forces pour ne vraiment plus se laisser faire.
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Seuls regrets : - que le film qui m'a le plus marquée et impressionnée n'ait pas de prix. Il s'agissait de Rudar (The Miner) de Hanna Wojcik Slak. Moins spectaculaire que ceux qui ont attiré l'attention il était plus intense, plus militant, plus fort, plus émouvant. Et d'une grande qualité de l'art de filmer, si l'on y prêtait attention.
- qu'à la fin du festival il n'y ait pas encre un lieu ouvert où l'on puisse pour un dernier soir se retrouver. Pour être passée au Village en fin d'après-midi j'ai pu voir que tout était en train d'être rangé, ce qui est compréhensible, la place est à libérer. Sans doute que les participants officiels du festival ont leur propre rendez-vous, mais ça serait agréable un endroit ouvert aussi aux festivaliers plutôt que de simplement s'enfoncer dans la nuit après le dernier film, un coup de l'amitié au moins pour les porteurs de pass permanent et spectateurs de la dernière séance.
(cette année j'avais imprimé les billets puisqu'il y a eu de sérieux problèmes au moment de faire les réservations ; l'an passé j'avais pu les faire par deux et présenter simplement mon téléphone à l'entrée)