Les risques d'un travail trop consensuel
12/05/2013
Acciaio - D'acier - Stefano Mordini - 2012 (it.) 2013 (fr.)
C'est un film très agréable à voir, surtout je suppose pour les garçons qui peuvent admirer à loisir deux jolies jeunes filles en tenues légères, petits shorts ultra-courts sur cuisses fines comme on n'en fait plus (1). Le problème réside peut-être là : il est agréable, on passe un bon moment. Et puis après ?
Plusieurs thèmes s'entremêlent qui auraient pu donner, comme dans le roman (2) quelque chose d'un peu social, d'un peu ancré dans une époque (3), mais tout se passe comme si le réalisateur ou sa production n'avaient souhaité choquer personne, et surtout pas faire réfléchir.
Il y a donc ces deux jeunes filles dans une relation d'amour adolescente comme il peut s'en esquisser dans l'attente des premiers garçons - elles n'ont pas l'air vraiment lesbiennes, c'est juste que -, le père brutal de l'une d'elle (sombre situation effleurée mais vite on passe à autre chose), absent de l'autre (qui revient brièvement foutre sa merdre puis finalement non), le beau grand frère magnifique courageux (il faut bien assurer en l'absence du père), l'usine voisine une aciérie comme seul avenir ou bien partir ; mais qui part revient : c'est ce qu'a fait la belle blonde, devenue cadre de l'entreprise ; une boite de nuit mais une scène potentiellement sexuelle y tourne assez vite court, des flirts ratés, un petit ami vite escamoté. Au fond peu de réelle sensualité malgré l'exposition des corps comme ils peuvent l'être dans la chaleur d'un bel été.
Quelques belles images de travail d'usine, aussi. Mais posées là sans réelle suite, là aussi, comme si on craignait d'importuner en montrant trop de travail.
Plusieurs films étaient possibles : une œuvre sensuelle, tout était prêt y compris cette sorte de cabane dont elles disposent pour leurs siestes avant que le propriétaire n'en réclame l'usage, l'éveil des deux jeunes femmes à l'amour, à la sexualité ; une œuvre d'époque : génération sans perspective qui tente quand même de grandir et se frayer un chemin ; une œuvre sociale : la fin de l'industrie dans notre vieille Europe et la casse sociale qu'elle induit ; une œuvre dramatique : comment un événement brutal et précis peut changer plusieurs vies.
Au lieu de ça une œuvre jolie, qui n'ose aller nulle part, un drame dont on semble soudain se rappeler qu'il fallait qu'il ait lieu mais surtout ne parlons pas des choses qui fâchent, et donc pas de sexe, pas de mort, pas de luttes sociales, pas de violence vue de trop près.
Du coup, il ne reste que quelques cuisses qui courent, de beaux décors, de bons acteurs, mais longtemps plus tard, en mémoire, je suis prête à parier : presque rien.
Je ne regrette pas de l'avoir vu, je l'aurais simplement aimé plus énergique, plus militant ; moins : j'aborde un sujet puis avant qu'il ne fâche, je passe au suivant.
Reste une très belle relation familiale entre la mère que son mari a quittée, ses deux enfants frère et sœur qui se veulent du bien et tentent de s'en sortir. Les scènes qui les concernent sont très réussies.
nb. : À sa décharge, j'ai vu ce film quatre jours après avoir vu The grandmaster de Wong Kar-Wai qui m'a bluffée, alors peut-être que quoi ce fût ne pouvait que me paraître fade à côté de cet opéra du king fu.
(1) Sur ce coup-là je ne suis tellement pas le cœur de cible que j'ai mis 25 minutes à reconnaître l'une de l'autre les deux jeunes protagonistes. Elles s'habillent et sont coiffées de façon similaire, j'ai mis longtemps à me rendre compte que l'une était un peu plus grande et l'autre a les cheveux davantage ondulés. Bon, les dames ne sont pas en reste qui peuvent admirer le (trop parfaitement) beau Michele Riondino, du coup peu crédible en type qui mène une vie dure de gars contraint de complèter la paie rudement acquise par quelques combinazione nocturnes. Et évidemment il faut qu'il soit amoureux de la belle fausse blonde de service et là on a envie de dire Même dans un film italien ? Quelle dictature de l'éclairci.
(2) "D'acciao" de Silvia Avallone
(3) Un ami m'a rappelé que le livre se situait en 1993 et était beaucoup plus ancré dans le concret de la politique de ces années-là. Le film se veut actuel de façon un peu molle. Il y a de l'internet. Pas trop de téléphones portables mais un peu quand même. La lutte sociale est gommée, esquissée, à peine évoquée.