The Angel's Share (La part des anges)
23/07/2012
Ken Loach 2012
Quand je serai bien vieille le soir au coin du feu (1), je pourrai raconter à mes arrières petits enfants, lesquels ne sauront sans doute pas vraiment ce qu'est un livre en papier ni un film dans lequel on n'intervient pas, que 2012 avait été pour moi une année bien étrange, durant laquelle l'homme qui m'avait 6 ans plus tôt sauvé la vie avait publié "Une bonne raison de se tuer", celui qui avait durablement flingué ma vie sexuelle "La véritable vie amoureuse de mes amies [...]" (2), et un réalisateur majeur de la fin du XXème sièlce et début du XXIème avait fait un film sur mesure pour moi.
- Comment ça, Mère-Grand, sur mesure pour toi ?
- Le film qui pouvait me toucher le plus, compte tenu de mon histoire personnelle et d'un de mes centres d'intérêt, qui depuis 23 ans alors m'aidait à tenir le coup face aux duretés du monde, à savoir le whisky. Mais pas n'importe lequel : le meilleur, celui qu'on peut jouer à déguster à l'aveugle, celui des distilleries mythiques, celui qui plus qu'à boire offre à rêver.
Parce que ce film voilà, c'est l'histoire d'un p'tit gars bien mal démarré dans la vie, et pas forcément très sympa, il a salement amoché entre autre un mec normal qui ne lui avait rien fait, et s'il échappe à une peine de prison supplémentaire, c'est parce qu'une jolie jeune femme attend un gosse de lui, que l'avocate la joue subtil et que le juge se laisse tenter d'accorder some last chance. Sauf qu'on ne sort pas comme ça des embrouilles, ceux avec qui on a traîné, ceux avec lesquels on s'est frités et la belle-famille potentielle vous demandent des comptes, font tout pour vous pousser à bout et pourraient même vous tuer.
Il faut croiser un ange pour se sortir de ça, seul on ne peut pas. Et la jolie jeune femme, même si elle est miraculeusement parfaite ne suffit pas. L'ange de Robbie, puisque le gars s'appelle ainsi, est un bon vieux père de famille, qui a du bide et de la bouteille, ainsi qu'une part de fermeté sous sa bonhommie (ou l'inverse). Et c'est un ange qui aime le whisky, le bon. De façon fortuite, un bonheur auquel trinquer, il s'aperçoit que son jeune délinquant d'Écossais qu'il soit, ne connaît rien aux meilleurs produits de son pays.
Il entreprend de l'initier, et déjà je commence à pleurer. Car si je viens de bien moins mal barré, je dois une fière chandelle à ceux qui m'ont ouvert la même porte, alors que je connaissais beaucoup à la physique quantique, un peu à la programmation informatique, trop aux fins de mois difficiles, et rien à rien de la vraie vie.
Ce à quoi je n'aurais pas cru il y a 13 ans de cela, mais depuis si, c'est que le gars s'avère posséder un nez hors du commun, qu'il pige tout de suite qu'il y a un truc et potasse comme un malade, devient bon archi-vite et - je ne dis pas plus, je ne veux pas spoïler - tentera très rapidement de s'en servir comme d'un chemin possible pour enfin s'en tirer dans la vie.
Et avec les honneurs, le panache et ce à quoi je crois depuis que les amis m'ont offert en se cotisant un outil de travail, un ordi (3). J'ai pleuré comme une averse lors de la dernière scène concernant Harry et ce n'était pas de tristesse mais d'être touchée au fond du cœur.
Allez, il y a bien deux gentilles invraisemblances de scénario, histoire de me faire sentir que je m'y connais un peu (trop), et puis cette croyance fondamentale en le bon de l'humain que je ne partage plus tout à fait depuis (2) et que le père de mes enfants m'ait cruellement déçue, mais que j'ai longtemps eue, alors Ken Loach reste mon cousin, au diable ceux qui prennent la bonté pour de la naïveté.
Pour offrir un summum de consolation, voilà que le film, aux images impeccables (4), au montage sans gras juste au bon tempo, idem pour le son, du grand, du très grand art, plaît aussi à un jeune gaillard de 17 ans, qui observe d'un air condescendant les marottes de sa petite maman. Mais là, il est sorti heureux, jusqu'à concéder, C'est vrai, ton film, il était bien ; et qui m'a souligné à quel point le scénario était équilibré, relançant juste ce qu'il faut d'action quand la jeunesse à trop admirer des alambics cuivrés commencerait à s'ennuyer.
Grand, grand, grand bonheur, donc, rare alliance entre une œuvre que tous peuvent savourer et un cinéma d'auteur de fine qualité.
Reste un défaut (5) : de même qu'il était difficile de ne pas sortir des "Chariots de feu" sans s'élancer en courant, il est impossible de quitter ce film sans l'irrésisitble envie de s'en déguster un. Et je ne suis pas la seule qui le dit.
Sláinte Lord (6) Loach, and thank you so much.
(1) Ce n'est pas de moi, hein, les jeunes.
(2) À sa décharge le terrain avait été bien préparé entre autre par mon amie la plus intime qui m'avait 6 ans plus tôt effacé de sa vie sans aucun signe avant-coureur ni cause compréhensible, ce qui détruit toute possibilité de confiance en autrui. Le désir alors disparaît pour longtemps.
(3) Oui parce que 2012 fut aussi l'année où les copains me voyant tomber au bord de n'avoir plus rien pour écrire et que j'étais sans le sou, m'ont offert une nouvelle machine. Et c'est aussi le moment où j'ai retrouvé une de mes cousines perdue de vue par suite d'un chagrin (pour elle) il y a plus de 30 ans, mais bon les enfants je vous raconterai tout ça une autre fois.
(4) Loach me fait en cela penser à Desplechin : capable de filmer la violence, la tendresse, la dose exacte d'environnement et d'époque avec une extrême maestria mais sans en rajouter dans le "trop" ; et l'un comme l'autre une direction d'acteurs à couper le souffle. Entre autre ici, le personnage de Thaddeus, collectionneur est interprêté par Roger Alam d'une façon qui nous fait oublier qu'on suit une fiction.
(5) En fait deux : les yeux bleus du garçons, ils m'agacent un peu.
(6) Je suis probablement un peu en avance, ou bien il aura refusé cette distinction qu'on lui proposait ...
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