Le cinéma muet, tout comme l'opéra, me fait trop d'effet. Leurs outrances me saisissent, ces vies paroxysmiques balancées de tout ou rien, si peu crédible quand on y pense, sauf que la mienne ressemble à ça (sans doute la faute à papa, quelle idée aussi de donner à sa fille un prénom d'opéra ?).
Alors j'avoue, j'ai pleuré, comme une gamine, comme une gosse, malgré les gros plans insistants sur leurs airs dramatisants, j'ai pleuré avec ces deux orphelines qu'un miracle rassemble et puis que le sort à plusieurs reprises sépare.
J'ai pleuré malgré les intertitres réactionnaires et qui ont acquis sens fort comique en vieillissant ("le sournois Robespierre", dont l'interprète l'est effectivement à souhait (ah ce petit geste à peine esquissé sur le foulard pour indiquer "coupez-lui la tête"), "la canaille de la ville" qui "ivre de sa nouvelle liberté" "entame une carmagnole" peu ou prou qualifiée de danse de sauvages, l'action qui se déroule "dans un climat d'anarchisme et de bolshévisme (sic)").
J'ai pleuré les séparations qu'elles subissaient, les retrouvailles ratées, et même à l'excessif "Parlez moins fort, il y a ma soeur aveugle dans la salle" que réclame l'infortunée Henriette à ses juges qui s'apprêtent à la condamner à la peine décapitale.
Griffith c'est Johnny sur scène et qui chante "Que je t'aime", on se dit, que bien sûr, évidemment que non, on n'y croît pas, mais si on a en soit la moindre petite faille, la petite fissure subtile qu'au quotidien on tente d'ignorer, ça passe par là et on s'embarque, bien malgré soi. Parce qu'il en fait des caisses, emporte le morceau, y met les tripes qu'il faut.
Je n'ai pas résisté à la scène au tribunal où elles se précipitent l'une vers l'autre, les deux soeurs, Louise et Henriette enfin retrouvées, l'une dans l'assistance l'autre (presque) condamnée, et qu'aux derniers mètres, aux derniers pas les baïonnettes croisées devant l'une et l'autre par les soldats impavides coupent dans leur élan. J'ai eu mal, physiquement. Comme une enfant à qui on narre un conte effrayant.
L'accompagnement au piano par Jacques Cambra que j'entendais, je crois, pour la première fois, n'entrait pas pour rien dans l'émotion qui m'a saisie. A la fois discrète, ce n'est pas un concert elle est là pour servir le film, et se mariant avec chaque intensité. J'ai adoré sa Carmagnole déstructurée. Le film était très long, même s'il n'y paraissait pas, et tenir ainsi plus de deux heures de rang à jouer en phase avec les images à mes yeux est un exploit. Dommage qu'à la fin il soit parti fissa après un bref salut, je crois qu'on était quelques uns qui aurions voulu le remercier. Je le fais ici à défaut de mieux.
Au passage, l'ébahissement de découvrir qu'en 1921 on (Griffith et ses techniciens au moins) connaissait déjà les travellings arrière avec élargissement du champ. Sans parler de certains gros plans aux insertions certes un peu brutales (l'art du montage a évolué) mais impressionnants de justesse et d'à propos.
Enfin j'ai compris grâce à ce film la dénomination qui jusqu'alors me laissait perplexe d'un des bâtiments de La Pitié Salpêtrière, je dois d'abord me documenter avant d'en reparler, et sans doute de préférence dans mon blog parisien, mais je suis heureuse de cette connaissance offerte.
morceaux choisis :
accident de carrosse, une petite fille est renversée et tuée sur le coup. Un passant et voisin s'en prend au noble propriétaire du meurtrier engin, lequel sort sa bourse et tend une poignée de pièces au récriminant :
- Morte ? Tenez, quelques pièces pour la mère.
puis se tournant vers son cocher :
- Les chevaux n'ont rien ?
deux intertitres parmi tant d'autres :
"La pauvreté derrière les grilles fait entendre ses murmures menaçants."
"Un petit claquement de porte (1) qui plus tard suivra Henriette jusqu'à la mort" [à l'époque on était sympa, on ménageait son spectateur en le préparant aux émotions insoutenables à venir]
(1) au nez de Robespierre quand même
Commentaires