à Aurélie Filippetti, parce que (re)venir de loin n'est pas uniquement une question de géographie.
Depuis la première et trop récente année où j'y ai mis les pieds, chaque année de Festival m'aura apporté la découverte du travail d'un réalisateur.
C'est facile pour moi de faire encore d'en faire encore à mon âge, j'ai beau adorer le cinéma presque autant que les livres, je n'y suis pas née et pendant longtemps avalais dans le plus somptueux désordre et sans discernement tout ce que la vie laissait à ma portée. Qui souffre de la soif boit tout ce qu'il peut trouver.
Autrement dit, pendant longtemps, je n'ai pas ou peu choisi et voyais LE film du moment que passait avec un solide retard sur Paris la petite salle unique de Taverny (Val d'Oise) souvent en V.F. (savais-je à l'époque que la V.O. existait ?) pour 8 francs l'entrée et plus tard 12.
Je n'avais aucune idée de l'existence même du métier de réalisateur, je supposais vaguement un accord collectif entre acteurs et caméramen ; c'était les années 70 et la hiérarchie n'était pas de mode mais la collégialité si. Je me disais que des fois ça devait être celui qui avait écrit l'histoire qui essayait d'ordonner un peu tout ça et que donc les films basés sur des romans anciens devaient être les plus difficiles à fabriquer vu qu'il était mort et ne pouvait plus aider. Je pense soudain à "L'île au trésor".
Parce que bien sûr, à mes yeux de gamin(e) ou ado, un bon film était avant tout un où ça bouge et où il se passait plein de choses, où mon petit coeur en battait pour le héros ou son second, celui qui va mourir quand ça tournera mal parce que le héros jamais, tout au plus lui échoit une blessure glorieuse (au bras et encore : pas celui qui tient l'épée), où je me se laissais surprendre par le retournement final de situation.
ET OU TOUT FINISSAIT BIEN (1).
En revanche, déjà à l'époque j'avais pigé que dans la vraie vie ça marchait pas comme ça. Variante : que j'étais du bois dont on fait les seconds qui clamsent. Pour être un héros il faut être rudement en forme, un peu présomptueux, beau, et puis c'est des responsabilités tout ça. Quant aux héroïnes, c'était rien que des nunuches, jamais réussi à m'identifier. Mon rêve était clairement du côté de celui qui fait son boulot, de son mieux, avec loyauté au service d'un autre plus séduisant et plus capable, et puis qui meurt un peu avant la fin en contribuant à la victoire. On remarquera que c'est pas comme ça qu'on attrape de resplendissantes histoires d'amour. Lucidité adolescente.
Prescience, peut-être.
Charlot est le premier à m'avoir donné une idée d'oeuvre complète, mais je ne crois pas me souvenir d'avoir fait grand lien avec Charlie Chaplin, réalisateur. C'était le personnage qui primait. Mes souvenirs de Charlot sont d'ailleurs plutôt télévisuels et de Noëls (?).
Mon père, c'était simple, il n'aimait que les westerns, qu'il regardait à la télé. Ma mère, élémentaire : elle n'aimait pas les westerns, qu'elle évitait à la télé.
Ce n'est que très tardivement alors qu'on était étudiants, et grâce aux cinémas Actions proches de nos lieux de cours (2) que j'ai découvert les rétrospectives consacrées au travail d'un réalisateur et de fait qu'ils existaient. Mes premiers furent donc Lubitsch et Rohmer et mes affections alors rudimentaires pas au delà de "quand c'est lui qui s'y est collé, il y a de bonnes chances pour que j'aime le film". Il ne fallait pas se louper : l'arbitrage était souvent entre manger (un repas au Mac Do ou au restau U) ou ciné, et l'homme de ma vie préférait manger (3). Ce n'était pas qu'une question d'horaire. J'ai eu un peu faim certaines nuits de pleine lunes ,
Même en tentant grâce en partie au ciné-club de rattraper le temps perdu et combler mes lacunes cinématographiques, j'étais donc avant de venir à La Rochelle dans l'ignorance insupportable de l'existence et du travail de Peter Watkins (2004) et Rithy Panh (2005).
Cette année c'est plutôt d'une redécouverte qu'il s'agit : grâce aux "Histoires sans paroles" qui passaient le dimanche soir à la télé, du temps antédiluvien où n'existaient qu'une ou deux chaînes captables, et ces dernières années au boulot formidable de Lobster films ,
les grands du muets ne me sont pas inconnus. Les cascades vertigineuses et les chagrins d'amour abyssaux d'Harold Lloyd m'avaient donc déjà fait rire ou vibrer, même si mon coeur battant en tient davantage pour Buster Keaton ; question de mélancolie sans doute.
Seulement cette année les films d'Harold Lloyd sont accompagnés au piano par Jacques Cambra, pouvoir en suivre plusieurs donne une vue d'ensemble d'autant plus attachante (on voit le travail qui s'affine, l'esquisse sur un court d'un gag poussé à son terme dans un long métrage ultérieur). Des enfants sont présents à certaines séances et leur rire est formidablement communicatif. Bref, monsieur Lloyd est somptueusement servi.
Je n'ai donc pas trop hésité à me détourner de Ken Loach (et pourtant, Ken Loach, sa palme, j'en ai pleuré tellement j'admire ce type, ses engagements, ce qu'il filme et comme il le fait et que la reconnaissance même tardive de sa valeur m'a touchée) et des regrets définitifs de quelques "DP" (Dernières Projections) pour prendre le car spécial jusqu'à La Couarde sur l'Ile de Ré et y passer toute une soirée à déguster "Safety Last !" ("Monte là-dessus"), 5 ou 6 huîtres et un verre de vin blanc offerts par les organisateurs de La Maline (salle de spectacle glaciale de clim mais chaleureuse d'ambiance).
Je crois qu'aucun de ceux qui y étaient ne l'a regretté.
(1) et où les gentils gagnaient 2 à 1 avec le but de la victoire dans les 4 dernières minutes quand on croyait que c'était foutu.
(2) l'ESTP bd Saint Germain, privilège des étudiants parisiens.
(3) autrement dit un film décevant n'était pas sans risque de scène de ménage, longues bouderies ultérieures au moins jusqu'au petit déjeuner roboratif du lendemain, ou, plus douloureux, passage à vide amoureux sur fond d'incompréhension mutuelle pour le cas où j'avais adoré un film que tout mes commensaux (parce que généralement on embarquait quelques amis dans l'aventure) sauf un(e) (il y avait souvent un(e) dingue dans mon genre, par roulement) avaient jugés imbitable (sic).
[photo : La Maline à La Couarde (Ile de Ré) où le film a été projeté]
Merci à Laure, si elle passe par ici. Ce billet doit sans doute beaucoup à notre conversation d'hier soir sur les cloisonnements de cette société dans laquelle nous vivons et que ceux qui sont nés du bon côté ou à la bonne période, malgré leur bonne volonté ne perçoivent pas toujours.
je viens de voir à l'instant : "Faut pas s'en faire", ce que c'était drôle !!!!
Rédigé par : zvezdo | 08/07/2006 à 22:09
Moi aussi, j'ai fait "la Maline" pour "Monte là-dessus" et j'ai été sidérée par ce film muet et jubilatoire datant de ...1923. Je n'avais jamais entendu parler d'Harold Lloyd (qui m'a fait bien plus rire que certains "Charlot") avant le festival de La Rochelle et ce qu'en a dit le Télérama de cette semaine. Comme toi, j'ai trouvé l'accompagnement au piano par Jacques Campra en direct sur scène fabuleux, au point d'en oublier que ce n'était pas la bande son. Mais ce qui me laisse pantoise c'est de "réaliser" que l'imagination des réalisateurs de cette époque était tellement en avance sur la techonogie dont ils disposaient et qu'ils ont réussi à faire des films forcément avec trucage mais sans en donner l'air. On imagine ce que les pionners du cinéma auraient pu faire à l'époque du numérique dans le burlesque de situation !
Rédigé par : bibiscocote | 09/07/2006 à 10:25
@ Zvezdo : entre-temps j'ai entendu dire que certains allaient ressortir en salle à la rentrée. Je me ferais une joie d'y aller.
@ Bibiscocote : c'est marrant la question des possibilités techniques je me la pose bizarrement plus pour l'écriture. Le super chié blog qu'il nous aurait pas fait en direct de Guernesey le père Victor ! Et les carnets de voyage du cousin Arthur, donc ... :-) (on peut toujours rêver, non ?).
Je crois que pour le ciné je me dis que les limites techniques étaient peut-être un des ferments de leur imagination, tout comme pour Lubitsch les exigences de la censure ont finalement été bénéfiques (en l'obligeant à faire dans le subtil).
Pas d'accord au sujet de la bande son : Jacques Cambra était tellement bien, en phase avec les images et plein de fantaisies et d'improvisations de variations autour de thèmes adaptés, qu'on en regrettait que certains films aient des bandes sons !
Rédigé par : gilda | 11/07/2006 à 11:23