Il restait dix ans
13 août 2014
Je m'étais réveillée de bonne heure à cause de la nuit : mon corps se sentait au matin et qui avait bien pris l'habitude des aubes estivales a été surpris qu'aux abords du 15 août à 6 heures il fît encore nuit. Et puis j'avais fait quelque cauchemar, c'est rare, et plutôt mal dormi.
Et puis voilà, ça a été pour apprendre la nouvelle de la mort de Lauren Bacall qui pour le coup ne me laisse pas indifférente pour elle-même directement.
Depuis la fin de l'adolescence (un peu avant via la télé qui diffusait les vendredi et dimanche soir tard des vieux films en noir et blanc sous-titrés dont je me régalais quand je parvenais à accéder au salon sans être dérangée par le "mais va te coucher" qu'à mes propres enfants à mon tour j'inflige) et l'accès aux cinés du quartier latin dont le prix d'entrée étudiant à l'époque valait celui d'un ticket de Restau U., je n'ai cessé de vivre pour partie dans ces vieux films Américains des années 30 à 65, où les femmes sont sophistiquées (1), les hommes à chapeau, le whisky mal servis (2), les lieux d'habitation immenses, les cigarettes dans des étuis, les briquets splendides et qui s'allument au quart de tour, les dialogues raffinés.
C'était la faute à mes parents qui m'avaient choisi ce prénom pas évident à incarner lorsque la société attend des femmes qu'elles collent à certains critères. Sportive et naturelle, j'ai poussé à l'opposé.
Mais je n'ai pas dédaigné le monde de ma glorieuse aînée (3). Et j'ai appris à chanter et danser, parce que dans la vie, quand un truc vous est donné, il faut assurer.
Alors je vis là haut, depuis des décennies, pour partie. C'est la que j'ai rencontré mon dernier amour, plus atteint encore que moi de se réfugier dans ces films. Dommage que ça ait influé à ce point sur son image de la féminité.
Ils sont mon pays de la nuit quand je parviens à chiper des heures au grand sommeil, le contraire d'un port de l'angoisse, mon havre de paix.
Je viens donc de perdre quelqu'un que je connaissais, qui faisait partie de cette région de mon monde, une formidable voisine de palier. Lauren Bacall incarnait celle qu'un homme peut aimer avec intelligence et pas seulement pour sa beauté. Une Gilda, certes, mais qui s'en était bien tirée.
Je comptais bien sur sa présence, plus encore que sur la mienne, pour les dix prochaines années. Celui avec qui j'aurais pu longuement parler d'elle m'a quittée l'an passé. Le monde me semble un tantinet déserté.
Grand merci à la grande dame pour les excellentes heures offertes, la classe, l'humour, et ces moments de détente qu'offraient des films qui pour autant rendaient intelligents.
(1) Notez que ça m'a plutôt servi de contre exemple on dirait, sauf que j'aime à porter chapeau.
(2) Ça je l'ai su plus tard, mais il n'est pas exclu de même qu'un certain Hercule doit bien être pour quelque chose dans mon obstination à me faire rendre malheureuse par des Belges ou des gars du nord, que mon accointance avec le whisky vienne tout au fond de là. Et aux faux cons maltés j'ai toujours préféré les vrais grands écossais.
(3) Décidément j'adore le type à l'accent français puis qui parle français à la fin "tout de même". Le diable est dans les détails mais les chefs d'œuvre aussi.