Le meilleur moyen pour vous débarrasser de moi (à part me tuer, ce que je vous déconseille)

Je fais partie de votre vie et vous en avez un peu marre qu'on se voie, ou qu'on s'écrive. Je crois que ma stabilité fait qu'au bout d'un moment je lasse et mon indécrotable franchise vient à bout des plus faibles susceptibilités. Sans compter les éclipses dues aux moments où le travail et les ennuis de santé familiaux remplissent la vie à ras bord et me vident de toute l'énergie, alors je ne suis plus là ou sous forme de fantôme triste. Des choses de ce genre. Quant aux amours il y a toujours une belle blonde qui surgit et qui fait que je suis celle de trop. D'ailleurs n'essayez plus le "J'ai rencontré quelqu'un" on me l'a fait une fois de trop et désormais je ne suis pas certaine de ne pas réagir avec une violence qui me semblerait à force d'avoir tant encaissé légitime. De même qu'un "Ce serait mieux qu'on ne se voie plus" assené sans qu'il n'y ait aucune cause apparente, aucune raison compréhensible. Et donc à part ces deux techniques devenues très risquées d'avoir été par quelques prédécesseurs sans précautions manipulées, restent : 

- devenir raciste et toutes ses variantes (misogyne, homophobe, antisémite, négationiste ...) ; bref tout ce qui tient un autre en rejet, mépris ou haine du fait de caractéristiques qu'il possède de naissance et contre ou pour lesquelles il ne peut strictement rien.

Vous pouvez être certain(e)s que sans demander mon reste je sortirai de vos vies, incapable que je suis de maintenir un lien affective avec qui que ce soit qui vit dans le rejet mécanique d'une altérité.

- être frappé(e) soudain d'un élan mystique quel(s) que soi(en)t le ou les dieux révélés, religion officielle ou secte déclarée ; parce que j'ai l'impression que la personne qu'auparavant j'aimais ou j'appréciais ne dispose plus de son cerveau, qu'il est désormais comme un disque dur d'ordinateur infesté par un virus, que ce n'est plus son utilisateur qui en maîtrise les fonctions. Et puis ça rejoint le premier point car le plus souvent les religions conduisent tôt ou tard à considérer celui qui croit ailleurs comme un impie qu'on peut (qu'on doit) tuer afin d'accéder plus facilement à un ultérieur paradis. C'est donc au bout du compte une forme de racisme aussi. C'est alors moi qui ne suis plus capable de maintenir le contact. Parce que je ne sais plus si je m'adresse à la vraie personne ou à une sorte de robot téléguidé par des préceptes intrus.
Ça vaut aussi pour des extrêmismes politiques, lesquels fonctionnent selon un schéma proche : l'admiration pour un leader obère toute capacité de raisonnement. 
Je peux en revanche rester proche de ceux qui ont toujours eu des convictions modérées, qui ne les laissent pas sans esprit critique, ne les équipent pas d'une haine de l'incroyant, ni d'une hiérarchisation entre humains et qui s'abstiennent de tout prosélytisme. Je comprends parfaitement qu'on se sente mieux avec la compagnie imaginaire d'un grand horloger et des rituels à respecter histoire d'oublier qu'on peut mourir à la seconde d'après et qu'ensuite il n'y a plus rien que les souvenirs diffus qu'aux autres on a laissés ou quelques trucs qui servent encore un paquet de temps après, il y a un peu de Thomas Edison dans mon usage ce soir d'un appareil électrique (par exemple) pour partager trois mots.

En revanche, tenter de m'éloigner en ce mettant aux abonnées absents est une stratégie infructueuse. La plupart du temps j'ai si peu de marge dans ma vie quotidienne que je ne me rends compte de l'absence (sauf s'il s'agit d'un(e) très proche) qu'au bout d'un temps assez long que je ne sais pas estimer : j'enchaîne les jours comme autant d'obstacles à franchir malgré l'épuisement, ils forment une continuité de fatigue, ça masque le reste. Et comme je ne sais pas interpréter le silence je viens et reviens aux nouvelles, puisque par dessus le marché je suis du genre à m'inquiéter dès que ma propre existence me permet de souffler.

Si j'écris ce soir ce billet c'est parce qu'après une semaine sauvée in-extremis par Modiano et les jurés du prix Nobel de littérature, mais qui a failli être engloutie par le succès d'un provocateur réactionnaire (1), je me rends compte d'à quel point ces dernières années, les uns se réfugient dans la haine d'un ou plusieurs boucs émissaires ou (inclusif) l'amour d'un dieu. Et que j'en ressens comme le souffle d'une épidémie qui s'attaquerait aussi à ceux que j'aimais, la famille d'origine, les amours, les amis. Et que je manque d'une force qui me rendrait capable de maintenir un lien avec ceux qui sont atteints. 

 

(1) Être libraire c'est encore de nos jours se trouver en première ligne face à certains phénomènes, et c'est parfois flippant.

  

 


Comment font ?

 

Ces derniers temps, entre les difficultés financières malgré le travail salarié retrouvé et les tracas physiques induits par le boulot - bossant davantage pour dépanner pour août, je me réveille la nuit d'avoir mal aux jambes -, et aussi les chagrins affectifs et pour partie leurs conséquences physiques, je passe une partie non négligeable de mon temps à me demander Comment font les autres (pour l'amour, pour l'argent, pour tenir le coup physiquement - tant d'amies bossent en librairie à temps plein et qui n'ont pas l'air que leur principal souci soit de tenir debout -) ? Comment ont fait mes aïeux dont les conditions de vie étaient autrement plus rudes ? Et puis la question qui me taraude le plus : comment font tous ceux qui écrivent (et publient, et pas rien) tout en tenant par ailleurs un job à temps plein ? 

Ce mois d'août j'aurais vraiment mené une vie dépouillée, pas de sorties, pas même celles liées au travail (1), tout au plus à l'extérieur deux brefs dîners (sans prolongations pour refaire le monde), une bière avec une amie, un soir un ciné. Pauses déjeuners frugales et sur place (2). Moins de sport pour cause de pause estivale des cours et entraînements, ce qui mécaniquement aurait dû me libérer du temps. Hé bien non, rien, travailler et dormir, lire bien trop peu pour moi. Le sommeil me tombe dessus dès après le dîner comme si on m'assommait et les douleurs des jambes me réveillent quelques heures après, j'attends que ça se calme, me recouche, me rendors aussitôt. Pourtant, pour la récupération, ça ne suffit pas.

Bien sûr ce n'était pas un hasard si j'avais cherché avant tout un emploi à temps partiel, je voulais tout concilier, je me savais loin d'être une wonderwoman comme il conviendrait, et sans doute qu'une fois retrouvé mon rythme normal, au moins les douleurs aux jambes devraient regagner une intensité supportable qui ne me réveilleront plus la nuit en cran d'arrêt. Il n'empêche, se sentir au bord d'être inapte à gagner pleinement sa vie, et alors même qu'on aime ce qu'on fait, commence à devenir sérieusement flippant. 

 

(1) par exemple en mai et juin il y eu un certain nombre de soirées de présentation de rentrée littéraire.

(2) Les premiers temps je profitais de mes pauses déjeuner pour explorer le quartier, cette contrée exotique qu'est l'arrondissement chic. 

PS : En plus pour quelqu'un qui vit en région parisienne j'ai un temps de transport vraiment supportable voire carrément privilégié ; si le temps (météo) le permet je rentre même en vélib, tranquillement, une trentaine de minutes, le meilleur moment de la journée.


Flouée

   

C'est bien le sentiment dominant qui me restera de cette année 2013 (après confirmation toute récente de quelque chose de plus dont je me doutais, mais comme souvent, pas au point que les choses en était).

Après, on me dira que c'est à moi enfin de cesser d'être so gullible. Généralement je pige un peu (oui ce voyage à Paris sans trouver le temps de me voir, oui ces deux missions que tu me confies sans même proposer qu'on se voie, oui ce soudain regain d'intérêt pour l'italien au point d'en parler au cœur de la nuit, oui ce cadeau d'anniversaire qui est un cadeau tout autant pour toi, d'autant plus qu'in fine, c'est moi qui l'organise, oui cette absence de nouvelles parce que finalement c'est autre chose qui s'est passé et puis que quelqu'un d'autre - le "tu" n'es pas forcément le même à chaque fois -), généralement trop tard et puis de toutes façons que faire.

Je lis ces jours-ci l'excellent "Avant de disparaître" de Sylvain Pattieu sur les ouvrier de PSA Aulnay, que j'avais croisés un jour dans le métro à Champs-Élysées Clémenceau à l'automne 2012, alors que j'avais encore un emploi. Et j'éprouve un sentiment d'impuissance mâtinée d'écœurement qui doit être assez proche du leur. Sauf qu'ils se battaient collectivement contre quelque chose qui est de l'ordre du système, même s'il a ses représentants séculiers. Et qu'en ce qui me concerne ce sont des personnes à titre individuel qui m'ont déçue.

Heureusement il y a les amis, vraiment, et qui dans la débine se montrent secourables. 

Avec cette absurdité (1) que je finirais presque par me demander s'ils ont à ce point fiables et de confiance précisément parce qu'ils ne sont pas trop proches, et donc peuvent se permettre ce luxe d'être formidables et de m'épargner leur part sombre, entre petits mensonges et autres lâchetés. Après tout c'est sans doute moi qui suis sous-équipée, à toujours dire les choses, à ne jamais tricher.

Bref, par la faute de trois hommes (2) ma confiance en les autres a très grièvement morflé. Once and again.

Heureusement aussi que trois amies à titres divers ont redressé la barre, relevé le niveau. De façon assez classique : alors que je n'attendais rien de particulier de leur part ; ou en tout les cas pas à cette hauteur là. La vraie aide concrète qui permet de ne pas se noyer. Et qui au vu de ce qui est encaissé par ailleurs permet de ne pas désespérer de toute l'humanité. Continuer pour le 5% qui ne te repousseront que s'ils sont en train de mourir de faim ou physiquement menacés et que c'est soi ou l'autre, mais qui en l'absence de disette et en temps de paix, resteront respectueux, quand bien même un raccourci un peu brutal dont vous seriez les victimes les aura tenté.

Heureusement aussi qu'il reste (mais pour combien de temps ?) en ce pays un filet social qui permet du moins de tenir quelques temps si les choses tardent à s'arranger. Est-ce qu'on se rend compte à quel point c'est précieux tant qu'on n'y a pas soi-même été confronté ? (3)

Heureusement qu'il reste des potes pour passer un coup de fil, envoyer un message, un texto et dire, Tiens au fait, tu (ou vous) fai(te)s quoi ce soir ? Passe(z) donc à la maison.

Mais on aimerait tant qu'il n'y ait rien à réparer, et personne qui n'ait agi à notre égard de manière à dormir moins bien la nuit. Souvent il ne s'en faudrait que d'un gramme de courage, d'un renoncement à la menterie, faire face franchement et avant pourrissement de la situation, d'un minimum de cohérence dans le comportement et de ne pas se dire (je suppose que c'est ça qu'ils se disent), allez, ça n'est pas grave, elle s'en remettra. Alors que si, c'est grave, dès lors que ça a une incidence sur des éléments essentiels de l'existence (4) ; même si précisément tu t'arranges pour que ça ne soit plus ton existence à toi (5).

Et que oui, je m'en remettrai, d'ailleurs tu vois, c'est presque fait ; mais pas l'estime que j'avais pour toi.

 

(1) C'est une variante du Mauvais Sort du Cheminot Non Gréviste : on s'en prend à qui est là de ce qu'on reproche aux autres mais comme ils brillent par leur absence c'est le collègue qui trinque qui précisément des absents, n'en est pas.

(2) et d'une femme, mais il y a huit ans de cela. Et j'ai appris plus tard qu'elle se comportait comme une sorte de serial killeuse affective. N'étant ni de son milieu social ni (alors) professionnel, j'étais une nouvelle proie parfaite, tout ignorante de ses antécédents.

(3) Même chose pour la prise en charge, même incomplète des dépenses de santé.

(4) OK, pour la fausse blonde, disons qu'on oubliera que tu as pu te montrer zéro-neurones à ce point-là. Mais pour les autres "tu" et le reste, ça va être un peu plus difficile que ça.

(5) Stratégie bien connue du Je déconne puis je déconnecte (et comme ça je fais même au fond de moi comme si rien ne s'était passé puisque j'ai effacé le survivant à ma connerie, c'est sans doute qu'elle n'a pas eu lieu. Du tout. Rien. Nada)