Les heures de sommeil

 

    En 2015 et jusqu'en juin 2017, et alors que j'avais déjà des tendances (je peux m'endormir brièvement à toute heure à volonté, il me suffit de m'allonger, me sentir suffisamment peu menacée et fermer les yeux), j'ai été atteinte d'une forme légère de narcolepsie. Je suis parvenue à mener ma vie à coup de violents efforts contre les endormissements et d'organisation (1). 

Depuis, et malgré une vie quotidienne trop remplie, ça va nettement mieux. J'en conservais néanmoins la conviction que j'étais une grosse dormeuse. Mon rythme idéal, je le connais depuis longtemps : se lever à 6h30 se coucher peu après 23h30 si possible, et faire une sieste de 40 minutes en début d'après-midi. 

Le rythme requis par le travail dans notre société à notre époque n'est pas tout à fait celui-ci. Le capitalisme débridé nous pousse de toutes façons à consommer le plus possible et donc à dormir peu, étant donné que l'air n'est pas encore payant (2) et que c'est la seule chose, avec un système de chauffage l'hiver, que l'on consomme en dormant.

Il aura fallu ce cadeau d'anniversaire d'une montre pour le triathlon qui mesure les phases de sommeil et que par curiosité je voie ce que cela donnait pour que je prenne conscience qu'en réalité j'étais plutôt petite dormeuse, ce qui continue de me surprendre. Une semaine normale, pas spécialement par choix mais parce qu'il y a le travail, au matin tôt les entraînements et au soir en rentrant des choses à faire et le besoin irrépressible d'un peu de temps réveillé en roue libre, à prendre des nouvelles du monde et des copains, de temps de lecture aussi, je ne dors qu'environ 5h à 5h30 par nuit.

Du coup je comprends mieux pourquoi je ne souffre pas d'insomnie, je tombe littéralement de sommeil à peine couchée et me réveille sous les injonctions combinées du radio-réveil et du réveil de mon téléfonino. 

Ce dimanche, une cheville en délicatesse faisait qu'aller courir n'était pas une option, tout au plus un peu de vélo, dans l'après-midi. Donc pas de réveil extérieur. Et voir ce que ça donnait. 

Dormir de tout mon saoul, ça donne donc 8h de sommeil 

Capture d’écran 2019-04-07 à 12.12.38Il faudrait pouvoir faire ça chaque jour. Seulement ma vie quotidienne requiert un lever à 6h30, ce qui signifierait se coucher à 22h30. Quand on rentre du boulot vers 20h30 à 21h c'est impossible : il faut dîner, se laver, il y a un minimum de choses à faire pour la maison et il me faut pour le travail du temps un peu pour lire. Sans même parler de partager un moment avec les membres de la famille. Sans même parler de temps humain nécessaire à de la décompression (lire des bêtises, rigoler avec les ami·e·s, faire des jeux idiots, regarder une série ...) car l'être humain n'est pas fait pour être un efficace permanent.

Je me demande quelle solution trouver, comment ménager ce qui s'impose (il faut gagner sa vie, travailler d'arrache-pied pour rapporter quelque argent) et ce dont le corps et l'esprit ont besoin pour fonctionner au meilleur d'eux. Quelque chose me dit que je suis loin d'être la seule et que pour notre société et notre époque, c'est collectivement un réel enjeu. 

 

(1) Entre autre : j'arrivais plus tôt dans ma zone de travail pour pouvoir faire une sieste préventive d'un quart d'heure dans un parc voisin avant d'attaquer mon service qui heureusement n'était en général que les après-midi.

(2) Ça le deviendra hélas certainement, l'air du dehors devenant de plus en plus irrespirable. Il y aura donc des dispositifs pour que nous puissions disposer de temps d'air pur, inévitablement payant. Les riches auront des équipements légers et permanents, les pauvres, de plus encombrants et seulement par moment. Les pauvres tousseront. Les riches peut-être aussi mais en s'intoxiquant volontairement avec des substances entre autre tabagiques. 

 


Raréfaction des zones de pêche (Poisson d'Avril)

 

    Nous en parlions ce week-end avec les ami'e's : l'exercice traditionnel du canular du premier avril devient de plus en plus coton. Depuis quelques années, pour ma part depuis sous Sarkozy, j'ai commencé à avoir de plus en plus de mal à distinguer la parodie du réel, le canular d'une info réelle, perçue brièvement comme drôle avant de susciter d'effarement. Avec l'élection de Trump le phénomène a pris une ampleur sans limite, le Brexit a élevé l'ensemble au rang d'art et l'ère de Président Macron, avec des déclarations qui semblent sorties d'un générateur de phrases et un virage répressif et autocratique peu compatible avec ce pays, est une grande fournisseuse de Mais vous êtes sûrs que c'est pas un canular ?. Les gouvernements d'extrême droite qui, terminée la sorte d'immunité qu'avait accordée la fin de la seconde guerre mondiale, fleurissent un peu partout sont également de formidables pourvoyeurs de Ah la bonne blague !, Oh zut c'est vrai. Globalement le capitalisme débridé qui règne sur la planète avec ce que ça donne aux marges (tout ce qui peut se vendre existe, y compris le plus délirant) est un excellent pourvoyeur de canulars en pour de vrai permanents. 

Ce qui devait arriver arriva. 

J'ai commencé ma journée ce matin en entendant Clara Lecocq Réale qui présentait le journal de 8h sur France Culture préciser : "En ce 1er avril ceci n'est pas une blague, en Ukraine le comédien Volodymyr Zelenskiy est favori des sondages. Il l'a emporté hier au premier tour [de la présidentielle] ..."

Je m'aperçois en recherchant le journal précis, que je suis totalement en phase avec Camille Magnard et sa revue de presse internationale du matin.

Les #AprilFools sont en perdition. 

  


Comme je n'ai pas le temps d'écrire mon téléfonino le fait à ma place

    

    Un des avantages de faire partie de l'équipe des Libraires Volants est qu'au gré des missions et comme nous avons droit à une pause déjeuner d'une heure, il est possible de partager un repas avec les ami•e•s qui logent ou bossent non loin. 

Ainsi hier, j'ai eu ce bonheur de partager une heure avec l'une de mes amies, simplement par la suite d'un SMS qu'elle m'avait envoyé sur un tout autre sujet et sur le mode, je suis dans le coin, aurais-tu du temps ? 

Ensuite le boulot a repris de plus belle, j'avais rempoché mon téléphone fissa à l'entrée d'un client à peine l'amie partie ; quand on tient une boutique, le temps ne nous appartient pas. 

Un SMS de mon amie m'est parvenu peu après, comme je craignais un incident lors de son retour, quelque chose d'urgent, un oubli, je l'ai consulté dès que j'ai pu. Elle me disait gentiment quelque chose comme Je crois que le SMS précédent ne m'était pas destiné. 

J'étais surprise : depuis celui précisant l'adresse de la librairie pour laquelle je travaillais, je n'avais rien envoyé. Plus tard, quand j'en ai eu le temps, j'ai consulté l'historique de notre conversation. 


En fait, je n'avais pas été efficace lors de la mise en pause du téléfonino avant de le rempocher. Il était resté sur la dernière page ouverte, un texto de l'amie me confirmant sa venue. Et de là, le système d'aide à la saisie avait composé un texte un tantinet surréaliste et dans doute qu'un pli de mon vêtement s'était trouvé au bon endroit pour créer un appui sur "Envoi" lors de l'un de mes mouvements. 

J'ai cru m'étouffer de rire lorsque j'ai lu le résultat. À quoi bon tenter d'écrire lorsqu'on dispose d'un téléfonino si créatif ? : 

HEt qu'elle étaisà déjà de de la 888777u7 de faire des trucs à Arras faisaient de de de de a à la librairie nous de de a de la journée à toi et de de la de a à de tout autres trucs de a 888777u7 de faire un massage de de de a fait x est en train de wiig8g̈fait une enveloppe minuit et une de a fait x w wwwwwww TML.5

Si d'aventure je parviens un jour à trouver le temps d'écrire un polar et que celui-ci comporte une péripétie autour d'un message codé, je n'aurais pas besoin de trop me casser la tête pour l'inventer. 

 

 


Mon téléfonino vous écrit


    Je venais d'envoyer un SMS pour parler à qui de droit du vélo de rêve dont je venais de faire l'achat, un SMS assez technique, de fait, puis de prendre le chemin du retour avec deux roues de rechange (du coup un peu chargée). J'avais mal fermé mon téléfonino, lequel avec la complicité de ma poche de pantalon s'est mis à être très bavard. 

Aux séries de hyhyyhyhyhy et autres hhhhh hij6yh que j'ai expurgées près, il a trouvé le moyen d'envoyer tout seul le SMS suivant : 

"Y y et et et de To To do et que je thé tchétchène de Clichy dans un état un état un état t'aime fort fort et de duvet hic hic c'est que jhve quelqu'un qui hhhh"

Je me demande encore où il est allé chercher tout ça (1) mais si ça continue il publiera avant moi.

 

(1) En particulier "tchétchène" et "duvet" que je ne crois pas avoir jamais mentionnés dans un SMS. "Le thé tchétchène de Clichy" ferait un bon titre. 


Les infos perlées


    C'était déjà le cas dès lors que ma mère était tombée malade et que mon temps ne m'appartenait pas, même hors du travail : je ne suivais plus les infos que par morceaux, de façon lacunaire, essentiellement via les réseaux sociaux et la radio mais seulement à certaines heures : France Culture le matin et les flashs sur FIP quand aux librairies où je travaillais il se trouvait qu'il n'y avait ni clients ni coups de fil au 50 minutes d'une heure donnée (1). 

Ces derniers temps, sans doute à cause du déménagement des affaires de mes parents et tout le travail préalable et au fait que mon travail à et pour la librairie est très prenant - entre autre de belles plages de lectures quand je suis à la BNF ou chez moi, pour préparer les rencontres, et je me coupe bien du monde dans ces moments-là -, au fait aussi que la maison de Normandie est sans l'internet et que je me suis fait voler mes lunettes fin octobre sans les avoir encore réellement remplacées - j'utilise des lentilles progressives, formidables, mais ne les porte pas sans arrêt -, ce qui fait que lire sur l'écran de mon téléfonino est un peu hasardeux (2), c'est devenu particulièrement flagrant.

Et bizarre : par moment une info m'arrive pratiquement en temps réel. Et puis une autre, parce qu'elle s'est glissée alors que j'étais concentrée sur toute autre chose et qu'elle n'a pas eu tant de relais me passe totalement inaperçue. Ou alors je l'apprends par ses conséquences. 

Ainsi du crime écœurant commis sur une octogénaire à Paris parce qu'elle était d'origine juive, je n'ai eu vent que par le touite d'une amie qui s'apprêtait à se rendre à un hommage. Et j'avoue dans un premier temps n'avoir pas compris, avoir cru (naïve) qu'il s'agissait de quelqu'un que l'amie admirait - un peu comme j'étais allée à la cérémonie pour Lucie Aubrac -, et j'ai eu le temps de me dire, qui était-ce qu'elle admire ainsi et que je ne connais pas, avant de mesurer, et mon erreur et l'horreur. 
De la prise d'otage à caractère terroriste de Trèbes, je n'ai eu que le fait qu'il se passait un truc dans un supermarché, vers Carcassonne, et compris seulement au soir l'ampleur et là aussi l'horreur de cette tuerie.
J'ai découvert seulement ce soir que Philip Kerr était mort, alors que ça concerne mon métier - bizarre d'ailleurs que si peu de retentissement côté pro -. 

Pour autant pour d'autres choses, il se peut que j'en sois au courant dans l'instant, si par exemple je consulte Twitter pendant un trajet en transports et que ça tombe sur les téléscripteurs ou leur descendance en ce moment précis. 

Je me sens donc en même temps toujours autant en prise avec mon époque et à la fois pas du tout, décalée, déphasée, en parfaite inconscience de certains événements. Pour un peu ça me renverrait au temps où les informations ne parvenaient qu'au compte-gouttes jusqu'à la plupart des gens : journaux du matin ou du soir, informations à certaines heures précises sur les quelques radios officielles, journaux télévisés deux fois par jour au maximum pour qui cherchait à les regarder (3). Et je suis impressionnée de mesurer à quel point notre rapport à l'information, à intérêt constant - je cherche à savoir ce qui se passe, à me tenir correctement informée, je ne tiens pas nécessairement à tout savoir au plus vite dans tous les domaines tout le temps - a changé. 


(1) Ce qui est assez rare en fait : si on voit une seule personne sur une heure donnée, elle passera à moins dix. ;-) 

(2) En même temps ça me permet d'inventer des news en mode Professeur Tryphon, ce qui est parfois drôle.

(3) Et donc à être devant son poste allumé à l'heure dite, car les magnétoscopes n'étaient pas encore d'un usage répandu. 

 


Je ne suis plus sans papiers

Gilda with ID card

Voilà, grâce à l'initiative heureuse et sympathique d'une employée de la mairie, me voilà à nouveau pourvue d'une carte d'identité.

Après le vol de mon sac fin octobre et de tout ce qu'il contenait, j'avais pensé à faire refaire le passeport en priorité et qu'une fois seulement lorsque j'en disposerai je pourrais faire ré-établir les autres documents. Elle m'a suggéré fort intelligemment de tout faire en même temps. 
J'ai dû filer en courant chercher de l'argent pour acheter au Tabac un timbre fiscal et de ce fait, alors qu'il faut prendre rendez-vous et que ça n'est pas si simple (pré-demande en ligne à remplir, puis presque autant à refaire au moment même du rendez-vous), et pas si simple de se libérer, les deux demandes sont parties en même temps.

Ce matin alors que je disposais, ô miracle, de deux heures de temps personnel, mon téléfonino a émis son signal de SMS arrivé, lequel disait, "Votre carte d'identité est disponible jusqu'au 17/03/2018 dans votre lieu de recueil". Autant vous dire que je n'ai pas attendu un seul instant de plus.

Je suis donc extrêmement reconnaissante envers cette femme et sa suggestion. 

Je le suis aussi envers le photographe de la rue de Charenton chez qui j'étais allée me faire tirer le très officiel portrait. Il a trouvé moyen tout en respectant les consignes strictes des documents de maintenant (1) que j'aie l'air d'être moi, même avec un splendide RF sur le nez. 

Au soulagement que j'éprouve moi que la conformité soucie peu, je mesure combien doit être source de tension le fait de n'avoir pas de papiers d'identités, du moins pas ceux qui autorisent à séjourner dans un pays plutôt qu'un autre.

J'ai vécu le reste de la journée dans l'illusion que puisque c'était allé si vite, le reste de mes tracas administrativo-quelque chose de ces jours derniers allait rapidement s'aplanir, chèque et chéquier, carte de mutuelle ..., mais je crains que ça ne soit pas si simple.
Ma carte vitale, quant à elle, est déjà là (2).

Avant que d'oublier et de passer à la suite de mes aventures, je dois noter que mon pass navigo m'a été utile comme seul document un peu sérieux quoique non officiel avec photo me restant. Je déplore que son abandon prochain ait été voté par la région au profit d'une sorte de future appli smartphone - particulièrement injuste puisque sa facilité d'utilisation dépendra de la qualité de notre équipement -.

Et qu'il m'a été secourable malgré qu'il n'était ni obligatoire ni mentionné, d'avoir pris avec moi mon livret de famille lors du premier rendez-vous.

Dans l'absolu il faudrait s'arranger pour avoir toujours un document d'identité à la maison lorsqu'on en a un autre sur soi, et jamais dans le même sac ou au même endroit le téléphone portable et l'ordinateur. Moyennant quoi il devrait suffire de moins d'un mois pour retrouver une vie sans surcroît de complications. Ç'aura été presque mon cas.

 

(1) Je me souviens d'un temps où l'on pouvait sur un passeport arborer l'air souriant, des cheveux débordants, une barrette pour les maintenir, ce qu'on voulait comme vêtement du moment qu'on voyait le visage.

(2) Quand tu penses à la façon fastidieuse de 2009 (vol du portefeuille), que de progrès !

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L'assistant automatique


    De nouveaux appareils en mises à jour - curieux de s'être fait subtiliser la même année en deux fois et le téléfonino et l'ordinateur - voilà que je découvre que ce dispositif de sauvegardes automatiques de certaines photos est désormais muni d'un assistant, lequel fait une partie du boulot pour nous : classer en album, "améliorer" certaines images - généralement, présomption humaine, je préfère mes photos avec défauts -. 

Ça n'est pas tout à fait inintéressant, même si je continuerai autant que possible d'utiliser mes propres classement, plus efficaces à mon cerveau et son fonctionnement de mémoire.

Capture d’écran 2017-12-12 à 22.26.57En particulier ce dispositif créé les choses à partir d'une logique implacable, ce qui rend des résultats parfois faux très drôlement, parfois charmant. Ainsi la machine a semblé se réjouir de mon merveilleux week-end à Paris début décembre (Patate, j'y habite), ainsi que d'une excursion que j'aurais faite fin novembre à vers Eaubonne et Beauchamp, ce qui est une appellation fort romanesque du fait d'être allée préparer once and again des cartons de déménagement. Et j'étais à Taverny, en vrai.

Ce monde moderne peut être amusant.

(Cette façon d'être cerné-e-s est également flippante, mais préférons en rire du moins pour l'instant)


Paris sans voiture, la petite illusion

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Ah que c'est beau Paris sans voitures !

 

Bon alors en vrai, non, cette photo je l'avais prise à Bruxelles le 17 septembre 2006, parce que pendant que les Français s'appliquent consciencieusement à continuer de polluer, nos voisins, eux ça fait plus de dix ans qu'ils ont des journées sans voitures et intégralement. 

C'était un de ces petits déplacements en TGV qu'on s'accordaient avec le fiston avant ses fatidiques douze ans : nous profitions d'un tarif merveilleusement réduit grâce à une carte annuelle pas trop coûteuse qui permettait de payer les trajets trois fois rien et pour l'enfant et pour un adulte qui l'accompagnait. Nous avions choisi le week-end en fonction je crois d'une compétition de pétanque du papa, c'était aussi une façon d'éviter un dimanche de pétanque-widow. Nous ignorions que nous allions débarquer lors d'un jour particulier. Nous étions arrivés tôt le matin dans une ville sous la brume et totalement silencieuse. Nous avions vite pigé, ça n'en demeurait pas moins magique. Des vélos partout. La brume en plus atténuait les sons. Je me souviens de toute cette journée comme d'un très beau rêve.

À Paris, onze ans plus tard, c'est peu dire qu'en vrai, ça n'a pas fonctionné tout à fait : 

 

PA012752[photo prise en bas des Champs Élysées ce dimanche 1er octobre à 11:28 ; et ça n'était pas un moment d'exception]

Nous nous étions dit, naïfs, Tiens si notre entraînement de vélo nous le faisions dans Paris intra-muros ? Puis, gourmands, tiens si l'on s'offrait la place de l'Étoile ?, Oh, et les Champs Élysées ?, Et la Concorde ? (1)  Et voilà qu'en fait nous avons tout juste croisé un peu moins de bagnoles - en plus que les un peu moins au lieu d'être respectueuses parce qu'elles étaient de trop, en profitaient d'autant plus pour foncer -, un peu plus de vélos (ça au moins c'était sympa, et puis comme ça on échangeait quelques mots, certains étaient exprès venus de grande banlieue, malgré le crachin qui ce dimanche persistait), même pas pu descendre les Champs Élysées qui à l'heure où nous voulions passer étaient interdits aux vélos même tenus à la main (2) et nous sommes faits renvoyer  PA012750

par les rues adjacentes. Les purs piétons quant à eux pouvaient passer mais au compte-goutte puisqu'à présent, ce que l'on peut comprendre au vu des événements des deux dernières années et qui semblent ne plus jamais devoir cesser (3).

Nous nous en sommes donc retournés après une petite boucle réduite à vitesse réduite aussi (puisqu'aussi gênés qu'un autre jour ou quasi) - au temps pour moi qui avais espéré passer saluer mes camarades qui effectuaient un dimanche d'ouverture à la librairie -

Capture d’écran 2017-10-01 à 12.38.39

un tantinet déçus, il faut bien l'avouer.

Comme l'écrivait un ami sur Twitter, ça n'était pas Paris sans voitures c'était Paris avec un petit peu moins de voitures. 

Sans arrêt dans notre circuit nous avons dû faire attention à la circulation comme un jour ordinaire. À aucun moment nous n'avons eu l'impression que la rue était rendue aux vélos et piétons. 

Il se trouve que je suis ressortie dans l'après-midi entre 14h et 16h30 et que la situation ne s'était guère améliorée (4). On aurait même dit que pas mal de gens, particulièrement des deux roues, qui avaient dans un premier temps fait l'effort, avaient fini par se dire, puisque c'est comme ça, moi aussi je prends mon véhicule. 

Au point que dans un reportage très pro-journée sans voitures, à plusieurs reprises (5), on voit les bagnoles dans l'arrière-plan pas si lointain. Ce qui n'est pas sans un léger effet comique puisque les personnes interrogées disent combien c'est formidable, Paris sans ces engins. 

Pendant ce temps ceux qui persistent à vouloir polluer (en oubliant qu'eux-mêmes vivent là et ont des poumons) hurlent leur colère sur les réseaux sociaux et insultent la maire de Paris, tout ça parce qu'on ose leur demander de faire preuve d'un peu d'intelligence et de civisme durant une journée.

Nous avons cependant fait une bonne petite balade que nous n'aurions pas tentée sans cette initiative, et dans une ville qui reste belle et qui malgré tout nous rend souvent heureux d'être là.

*                    *                     *

Rien à voir directement, mais il est difficile d'écrire quelques mots sur ce dimanche 1er octobre 2017, sans évoquer les nouvelles qui nous arrivaient de Catalogne par les réseaux surtout et un peu les infos au sujet du référendum sur l'indépendance que le pouvoir central de l'Espagne a déclaré illégal. Je n'ai pas d'opinion tranchée au sujet de l'indépendance de la Catalogne, je suis consciente de la complexité des enjeux et toujours un peu méfiante du combo (régionalismes, replis sur soi, glorification des traditions (lesquelles sont presque toujours ennemies du respect de la liberté des femmes)), méfiante également du côté oppressif des pouvoirs centraux. Il n'empêche que voir des gens pacifiques et non armés se faire tabasser par des forces dites de l'ordre qui s'efforcent de les empêcher d'aller voter est particulièrement révoltant et terrifiant. Je partage à tous points de vue Capture d’écran 2017-10-01 à 23.31.22

ce touite d'Attac France d'où l'image est tirée 

*                    *                    *

Enfin, impossible de clore ce billet sans évoquer la mémoire de Philippe Rahmy, dont l'annonce du décès survient via Le Temps, alors que m'apprêtais à éteindre l'ordi. Nous espérions l'inviter à la librairie, j'en avais parlé il y a dix jours avec l'un des ses éditeurs qui m'avait précisé qu'il faudrait que ça soit avant le 15 décembre ou après le 15 avril en raison de la résidence d'écriture prévue. Quelle tristesse.

Un bel article à son sujet dans La Tribune de Genève  

Son site, Rahmyfiction 

 Paris sans voitures paraît soudain d'une futilité méprisable. Mais sans doute que laisser le billet c'est aussi montrer à quel point l'annonce d'une mort peut être brutale, survenir alors que l'on relisait, un décès être inattendu et la peine éprouvée forte y compris pour quelqu'un qu'on avait tout au plus une et une seule fois croisé (mais son travail est inoubliable).

 

(1) Tous lieux de Paris où il n'est pas des plus agréables d'être un cycliste lors d'une quelconque journée

(2) Plus tard, j'ai appris qu'il s'était agi d'un défilé l'Oréal dans le cadre de la Fashion Week. Privatisation de l'espace public une fois de plus et de plus en plus. 

(3) Dans l'après-midi même à la gare Saint-Charles de Marseille un de ces pseudo-terroristes surtout bien cinglé tuera au couteau deux femmes qui avaient le malheur de passer par là. Désormais n'importe qui fait n'importe quoi en se croyant investi d'une mission divine de combat.

(4) Il était annoncé que la journée sans voitures c'était de 11h à 18h. J'en étais venu à me dire que puisque nous avions circulé au début de cette plage horaire, peut-être avions-nous essuyé les plâtres, le temps que les voitures soient vraiment mises à l'arrêt ou sorties.
(5) À 0'53" puis vers la fin

 


C'était la seule consolation de cette situation

(C'est un billet que j'avais écrit il y a un an ou deux, pas mis en ligne sur le moment, redécouvert aujourd'hui) (intéressant de voir ce qui entre temps a changé, ce qui n'a pas bougé) (et je mesure l'importance bienfaisante du triathlon dans ma vie, c'est comme si l'ensemble de mes capacités s'étaient élargies, en plus que je parviens enfin à penser un peu à moi, par le biais de l'attention nécessaire au corps)

 
    C'était la seule consolation de cette situation, quand celui qui avait bien un peu fait semblant est parti, je n'ai plus vraiment eu, fors cas très particuliers très extrêmes, par exemple les différentes vagues d'attentats et de ne pas savoir qui risquait ou non d'avoir été là, à rester suspendue aux nouvelles de quelqu'un ou à leur absence. Lui était plutôt du genre régulier, ou alors il prévenait (cette semaine, j'écris), généralement de façon inutile (c'est lui qui m'envoyait un SMS, un mail), ou alors s'est parce qu'il était malade (auquel cas il réécrivait dès qu'il le pouvait, où envoyait un bref texto dès qu'il sortait de la fort fièvre). C'était plutôt moi l'irrégulière. 

D'ailleurs je le suis hélas souvent avec la plupart de mes amis : il y a le travail, il y a ses prolongations (de belles soirées en librairies, des lectures pros), la petite famille, les entraînements sportifs, quelques sorties, et (pas suffisamment) l'écriture. Le sommeil prend tout ce qui reste. Souvent le soir lorsque je suis enfin devant l'ordi, je m'efforce de répondre à mes messageries (celles des réseaux, celle du vrai mail), et le sommeil déboule avant que j'aie fini. Je remets donc au prochain temps personnel libre, généralement le lendemain soir car le matin c'est debout-se préparer-filer et il n'est pas rare qu'un message reçu en début de semaine n'ait pas de réponse avant le week-end suivant. Comme désormais le week-end je travaille une fois sur deux (en gros), ça remet parfois d'une quinzaine, et je pense que mes interlocuteurs sont en droit de penser que je les ai oubliés (alors que non).

Il s'est trouvé que l'an passé parce que la bien-aimée d'un ami de longue date avait subi un dangereux problème soudain de santé, je m'étais par ricochet retrouvée dans la situation de l'attente dans l'inquiétude. Avertie du malheur, prévenue d'un silence le temps du plus fort du combat, j'ai passé près d'une semaine à penser à eux en permanence, une sorte de petit sous-programme que mettait en sourdine le travail et mes propres moments de ressources intensément utilisées (par exemple ce retour du travail à vélo sous une pluie battante, le problème n'étant pas tant la pluie qui en deux ou trois minutes m'avait rincée, plus rien n'était à craindre, que les multiples dangers induits de mes freins devenus incertains, aux dérapages possibles, aux voitures qui levaient des flaques, et à une moins bonne visibilité).

C'est alors que j'avais pris conscience d'être retombée dans ce travers d'autrefois, datant de mon premier amour, puis de la période du Burkina Faso (l'amoureux moins gêné que moi par la distance subie : il vivait une vie au parfum d'aventures du fait même de son expatriation, tandis que je me frottais aux dures lois du travail en grande entreprise pour lesquelles personne ou presque n'était moins adaptée que moi), puis de la période de grande intimité avec l'ancienne amie, puis de la période avec celui que j'appelais Another Ted après qu'il m'avait si brutalement quittée : je renouais avec ces heures et ces jours traversés dans une sorte d'équivalent humain du "mode sans erreur" des ordis, fonctionnant mais sans plus, plein de fonctions mises en veilleuse, incapable d'accéder à l'ensemble de mes capacités, pas tout à fait présente, en fait.

Et comme toujours le message (en l'occurrence un SMS) mettant fin à l'attente (d'autant plus qu'il apportait une bonne nouvelle, un intense soulagement), montra combien l'oppression avait été forte par le niveau instantanément d'énergie retrouvée et de présence au (reste du) monde.

Ça n'aurait constitué qu'un dégât très collatéral, mais j'avais été au bord de perdre le seul aspect consolant de ma situation de "rejected one".

 

PS : Cet épisode avait aussi été l'occasion de mesurer, comme l'évoquait Chris Marker dans "Le cœur net" la non sanctuarisation de l'amitié dans nos sociétés. Si je suis la sœur de mon grand ami, je peux éventuellement obtenir des informations par un tiers, c'est la famille. Je ne suis qu'une amie, quand bien même notre lien affectif de fraternité est très fort, pas moyen de savoir ce qu'il est advenu si le principal intéressé trop occupé ou accablé n'émet plus rien.
Ça avait été aussi l'occasion de prendre conscience d'un truc auquel je n'avais auparavant pas vraiment songé : la plupart de mes amis "d'avant", s'ils meurent sans que des amis communs ne relaient l'infos, je n'en saurais rien. Pour un certain nombre d'autres de mes amis de ma vie depuis l'internet (1), je sais que d'une manière ou d'une autre, par les réseaux ou les infos, je serais avertie si quelque chose survenait. Les temps ont bien changé. 

(1) J'aimais beaucoup ce que disait au passage Samantdi sur ses amis d'avant et d'après. Valable aussi pour les miens (et moi)


Papillon à joindre à votre prochain envoi

 

    Je continue donc peu à peu, méthodiquement, à chaque passage nécessaire (agences immobilières, relevés des compteurs, jours des différents types de poubelles ...) à trier, ranger, jeter de vieux papiers, collecter des souvenirs, mettre en cartons des objets de la maison de ma mère.

J'en étais aujourd'hui à des tiroirs qui contenaient des papiers administratifs de mon père, affaires courantes qu'elle n'avait pas jugé bon ou pas osé jeter.

Entre autre des décomptes de remboursement de mutuelles. L'une d'elle à chaque feuille joignait un petit "papillon à joindre à votre prochain envoi". Y figurait le nom et prénom de l'assuré, son numéro de sécurité sociale, et un numéro de téléphone direct d'entreprise précédé de "suivi par" qui devait permettre de joindre directement le conseiller en charge de son dossier.

Ça devait être avant l'internet généralisé mais après le grand envahissement de toute organisation par le management.

Alors le "suivi par" est suivi d'un prénom.

J'ai pu ainsi repérer Christine qui avait dû s'occuper de frais dentaires, Arlette qui s'était attelée aux lunettes, Manuel, sans doute pas encore suréquipé d'ambitions politiques, et un mystérieux Cetelic, vers la fin (1).

J'ignore si mon père, qui n'était pas sans humour, en souriait. 

 

(1) C'était aussi avant la vague du dumping social et des délocalisations, les numéros de téléphones sont des fixes en région Nord Est.