Passé (personnel) revisité, en bon, en mauvais


    C'est une remarque faite à Arras par Catherine Le Gall qui m'y a fait songer, elle parlait de ce que l'enquête longue et minutieuse menée pour le livre "Les prédateurs" avait blessé en elle, qu'elle avait mis un moment à se remettre de ce qu'elle avait appris, à réajuster sa compréhension du monde. Je suppose qu'elle n'imaginait pas le niveau de la criminalité en cols blancs tel qu'il est.

J'ai pris ainsi conscience depuis mercredi d'à quel point ma propre vision du monde avait aussi bougée, pas tant depuis les révélations sur des exactions financières, le choc avait eu lieu pour moi de part mon emploi au début des années 90, que sur les conséquences de #MeToo - s'apercevoir que des trucs déplaisants que l'on avait vécus n'étaient ni la faute à pas de chance, ni d'un type qui ponctuellement avait pété un câble, mais que c'était la norme, le truc répandu -, et sur des tolérances que l'on avait, je dirais malgré soi, en se disant, c'est depuis que le monde est monde, qu'y pourrait-on ?, et qui sont remises en cause. Du coup j'ai des petits flashs back de scènes qui en leur temps ne m'avaient pas choqué plus que ça, qui m'avait fait tiquer, certes, mais pour lesquelles je pensais que c'était à moi de m'adapter au monde tel qu'il est, que ça ne changerait jamais, et qui me reviennent. 

Par exemple dans cette vidéo de concert de l'an 2000 le duo avec des paroles "explicit" comme diraient les américains entre un homme de 50 ans et une jeune fille de 16, OK c'était juste pour l'art, mais n'était-ce pas une incitation à trouver normal un chant amoureux entre une encore gamine et un qui aurait pu être son grand-père ? 
Ou cet éditeur qui avait prévu un matelas dans une pièce de la partie professionnelle de ses logis successifs pour loger les stagiaires (qui aussi se succédaient, puisqu'il n'y avait pas les moyens de payer de vrais employés) venant d'un peu loin. À l'époque j'avais à la fois songé, ça peut effectivement aider, que ça partait d'un bon sentiment (que quelqu'un ne soit pas obligé de renoncer par manque de moyens pour se loger) mais que ça n'était pas très cool quand même (ça n'était même pas un lit dans une chambre meublée), voire sujet à caution. À présent je serais plutôt d'avis que c'était clairement une forme d'exploitation sous couvert de formation.

Ce ne sont que deux exemples parmi une petite foule, des éléments qui me reviennent à l'esprit et pour lesquels je m'interroge alors qu'au moment même mon questionnement était réduit.

Du côté joli de la vie, je me suis aperçue en retombant par ricochet sur des nouvelles de sportifs que j'admirais en mon jeune temps, que l'air de rien j'avais réalisé récemment deux de mes rêves d'enfance ou d'adolescence. 

Avant de piger que les filles ne pouvaient prétendre aux mêmes destinées que les garçons, avant de savoir aussi que j'étais équipée d'une thalassémie mineure qui n'aide pas trop aux performances physiques, je m'étais rêvée en sportive de haut niveau. J'aimais l'effort physique et une vie quotidienne tissée d'entraînements et de pousser son corps au mieux de ses capacités me faisait rêver. Un grand-cousin de mon père avait été boxeur pro, mon père était plutôt sportif pour quelqu'un au travail prenant, ma mère dès qu'elle a pu aussi pratiquait différentes activités et était une marcheuse infatigable, peut-être que quelque chose en ce sens était favorable. Après, je n'étais pas particulièrement douée, j'étais petite de taille, fluette, avec de gros soucis de coordination, les pieds plats, et souvent malade. Je n'avais que le mental et d'être dure au mal. Ça ne suffit pas.
Voilà qu'il m'aura fallu attendre une cinquantaine d'année pour, sur une semaine, connaître ce que ça fait : l'existence entièrement tournée sur les entraînements et la récupération. 

J'ai n'ai pas pu accomplir autant de kilomètres à vélo que mes camarades, je ne suis pas encore assez aguerrie, il n'empêche que lors ce stage de triathlon que je viens de vivre, en gros j'ai suivi. Et surtout : j'ai adoré ça. J'espère que je pourrai recommencer l'an prochain.

L'autre rêve l'était au sens littéral : c'étaient des rêves que je faisais la nuit, sans trop m'expliquer pourquoi, et non quelque chose que je rêvais de faire. J'étais vis-à-vis du monde extérieur plutôt réservée et timide, il fallait que je connaisse les gens pour être plus expansive ; mon éducation poussait dans le sens de Il ne faut pas se faire remarquer. Et voilà que régulièrement dans des rêves, j'étais la personne qui interviewait de grands sportifs, très à l'aise avec eux, amie avec certains. Je me souviens que ces rêves m'étonnaient. Comme j'apprenais des langues étrangères et que ces songes avaient lieu en V.O. j'imaginais que c'était mon cerveau qui avait trouvé ce biais, via l'actualité sportive que je suivais tous les dimanche en regardant Stade 2 ou mon magazine de foot préféré, de réviser mes cours.

Voilà que des années après, par la voie du métier de libraire et à présent la pratique de la radio, je me suis retrouvée et me retrouve encore à interroger sur leurs pratiques des écrivain·e·s. , que je suis effectivement une de ces personnes qui pose des questions aux autres sur leur travail et la vie que ça donne (1).

Réaliser ses rêves, même très tardivement et même ceux que l'on faisait sans y croire, est très satisfaisant. 

Sans doute est-ce une étape normale à mon âge que de revisiter son passé, les points heureux et les zones tristes, personnelles ou de société. C'est dur à encaisser côté vision du monde tel qu'il était et tente d'être encore, mais plutôt réconfortant, que des prises de consciences collectives semblent aller vers davantage de respect des personnes ; c'est merveilleux de pouvoir avoir accès, ne serait-ce que ponctuellement, à ce qu'on avait imaginé que l'on pourrait faire.

 

(1) Je ne risquais pas d'imaginer enfant interviewer des écrivains, car pour moi à l'époque c'était plutôt de vieux messieurs des temps anciens, déjà morts pour la plupart, et Agatha Christie.

 


Félicité


    C'était ce matin, le printemps en train. Se lever tôt pour aller nager, un bon entraînement où pour une fois je ne fus pas la plus lente, ce qui est surprenant. Un petit déjeuner collectif comme ils font du bien. Julien S. évoquait le marathon de Boston, comme on y est traités chacun comme des champions. Il l'a couru avant l'année de l'attentat (1). C'était très beau la façon dont il évoquait l'épreuve, son parcours en tout droit, l'ambiance de fête avec jour de congé. 

Fullsizeoutput_12ec Il y avait un monde fou à la boulangerie alors j'ai pris mon petit déj d'un côté, nous, du triathlon, occupions toute la travée, et ensuite alors que tout le monde partait, une part ample de pain aux noisettes, ainsi qu'un pain feuilleté. De l'extérieur les camarades m'ont saluée et c'était comme une scène de film, le groupe qui s'égaie, vu de l'intérieur d'une baie vitrée et le salut joyeux (2). 

J'ai marché jusqu'à la maison par un pur temps de printemps. La perspective était une journée à la BNF, toujours un moment stimulant. Je suis passée par les jardins. 

Alors que j'arrivais devant notre immeuble, j'ai vu un livreur de colis postaux démarrer, ai songé, C'est pour moi, et là aussi, un peu comme dans un film, c'était parce qu'une livraison de bouquins pour un jury de lecteurs et lectrices libraires dont je fais partie venait de m'être déposée.

Le fiston était à la maison, réveillé, vif et rigolard dans un de ses jeux collectifs connectés.

Rien n'allait spécifiquement mal. Tout était paisible. J'ai pris une photo des pains et des livres, pour conserver la mémoire d'un bonheur qui, je le sais d'expérience, ne saurait durer. 20190322_092856

(D'ailleurs j'avais mal à la cheville droite, qu'est-ce que ça va donner pour la course de dimanche ?)

 

(1) Au passage un article réconfortant sur les relations entre victimes et sauveteurs persistants des années plus tard. Je me souviens de Jeff Bauman, son témoignage décisif et des paroles réconfortantes de Francis D. ; je n'étais pas encore triathlète mais déjà pourvue d'ami'e's marathonien'ne's, et à ce titre profondément choquée, d'autant plus que j'avais su (ou suivi) en direct. Peut-être que la tragédie avait conforté ma décision de m'y mettre, qui devenait du coup en plus du reste aussi une façon de résister.

(2) Il n'y avait que deux personnes avant moi, j'avais cru pouvoir chercher mon pain et rejoindre le groupe, mais de leur côté en raison des contraintes professionnelles le départ s'est accéléré malgré une conversation qui battait son plein et du mien, comme une des personnes passait commande pour un groupe et que ça semblait compliqué, ça traînait.  


parfaite dans son genre (Une journée)

 

    Notre première dédicace collective - et qui m'a mise en joie, j'ai pensé au travail de Grand Corps Malade Il nous restera ça -, des clients juste ce qu'il fallait compte tenu de tout ce qu'il y avait à faire, un peu de mode coursier, nager pour commencer, danser pour terminer, les amis du triathlon - que j'ai l'impression de connaître depuis toujours alors que nous avons fait connaissance il y a un an seulement. 

Une amie qui me fait la bonne surprise de passer. 

Une rencontre qui trouve sa date.

Être efficace dans le boulot - le plaisir qu'il y a à sentir les choses avancer -.

De la chaleur, la petite parcelle d'été dont le mauvais temps trop précoce nous avait privée.

Un lieu comme hors-sol à Saint-Ouen et repérer l'entrée grâce au vélo d'un ami (1).

 

Dans son genre c'était parfait. Manquait seulement l'homme de la maison (2). 

Manquait du temps personnel et de l'écriture.

Traînaient encore les usual tristesses et celle plus particulière du départ de l'un de mes cousins. J'éprouve du mal à faire le deuil de sa présence parmi nous. Et je ne sais que trop ce que ma cousine peut ressentir. J'éprouve aussi toujours un immense désarroi lorsque se dévoile le côté mister Hyde de personnes que j'admirais.

(et puis comme toujours dans ces cas, des sortes de pensées bizarres qui traversent le cerveau, par exemple m'être dit que c'était bien que ma mère soit morte avant d'avoir su, puis prendre conscience de ce que signifiait vraiment ce qui venait de se penser et se dire Mais ça va pas la tête ?).

Les semaines filent à vitesse folle. Être heureux au travail, c'est miraculeux. 

 

(1) Ça ferait une jolie scène comique dans un film, marcher à grand pas en cherchant un café et voir le vélo et faire quelques pas de plus avant que l'info ne parvienne au cerveau : si le vélo de Martin est là, c'est que cette entrée qui semble fermée est peut-être bien celle du Mob Hôtel.
(2) En mission normande de récupération de quatre des objets volés et qui étaient conservés à la gendarmerie ; accessoirement de petits moments festifs avec les voisins, ce que je ne peux comprendre qu'à demi : comment peut-on célébrer l'enfermement de quelqu'un [même s'il nous a fait du mal] ?


Parfois la vie c'est bien foutu (mais il faut vite en profiter parce que ça ne dure pas)

 

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Ça démarrait, moyen, exactement comme l'autre jour, mais à tout prendre je préfère ça et que ça finisse bien plutôt que des journées entamées sans nuages, un jour à la Foire du Livre de Bruxelles, je dois retrouver une grande amie et cueille l'annonce d'une rupture, un dimanche de juin, tranquille, course à pied, la forme, je rentre et trouve un mail d'un bien-aimé au début tout à fait courant, sur le principal sujet en cours (une rencontre littéraire qu'on organisait) et puis presque en PS, l'annonce aussi d'une rupture (ou plutôt d'un changement de rôle, comme si les femmes étaient des pions), un dimanche brumeux d'un mois de janvier qui me voyait travailler dans les trop beaux quartiers et une collègue à la caisse qui lisait les infos entre deux clients qui pâlit - Il y a eu un attentat -, un vendredi de novembre, nous sommes au festival d'Arras, les films sont formidables, un peu de remue-ménages vers les places réservées lors de la projection du soir et puis à peine le générique entamé, l'annonce et un texto de ma fille, Paris est à feu et à sang ... Bref, je finis par vraiment préférer les journées qui démarrent avec un peu de poisse (mais pas trop), c'est devenu rassurant. 

Et donc voilà celle-ci, le début pas mal - démarrer la matinée en nageant, rayons de soleils par moments, c'est beau, c'est bon, quel bonheur !, un petit-déjeuner littéraire passionnant -, je parviens à en profiter même si les lendemains d'attentats sont toujours délicats, une amie concernée mais de par son métier (1), et puis la "usual poisse" qui réapparait sitôt le téléfonino rallumé après : deux mauvaises nouvelles coup sur coup, rien à voir entre elles, une réapparition d'inquiétude pour quelqu'un que j'aime (entre autre). Rien de dramatique, c'est déjà beaucoup, mais une journée ensoleillée qui d'un coup s'assombrit.

C'est dans ce petit nuage gris que filant prendre le RER qui m'approche du travail, en plein milieu d'un trottoir, j'ai trouvé un coupe papier. Un de ces trucs so seventies avec le manche en marbre (ou pseudo, mais assez lourd), là par terre, loin de toute poubelle, loin de toute raison plausible qu'il ait atterri là. Au demeurant pas très loin d'une école maternelle, alors je m'en saisis avant qu'un bambin ne soit tenté d'en faire autant. Ce n'est qu'un vieux coupe-papier mais quand même. 
Ensuite, il y a eu le trajet, le travail, et j'ai oublié l'avoir fait. 

Au soir je suis dans une librairie, pas n'importe laquelle, et je tombe sur les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon dont je suis une fan absolue - cet art du raccourci -. Elles sont dans une très belle édition illustrée et reliée à l'ancienne : les pages encore à découper. 

Au métro du retour, illumination soudaine : j'ai ce qu'il faut pour procéder.  J'ai ainsi pu commencer à bouquiner : je disposais comme par enchantement et le l'objet et de l'outil. Joli cadeau de la vie. 

(dommage que ça soit dans l'ensemble trop rare, et que ça ne dure pas)

 

 

(1) C'est fou cette loi du "au moins une" : à chaque attentat perpétré dans une grande ville d'Europe, je (on ?) connais au moins une personne concernée d'une façon ou d'une autre. Et donc là c'est une amie que son travail amène à devoir rencontrer des témoins. Et bien sûr plusieurs autres présents à Londres et pour lesquels on s'est brièvement inquiétés - je me demande si le Brexit viendra modifier ça : beaucoup moins de parisiens qui vont à Londres comme de rien -. 


Fan, moi ? Jamais (quoi que)

    Ça reste un mystère pour moi, ce truc qui fait qu'on bascule de l'admiration pour le travail de quelqu'un à une adulation de la personne elle-même.

J'ai suffisamment vécu pour savoir que l'amour (celui des amoureux, pas le filial ou le plus général "de son prochain" (1)) comporte une part de ça. 

Mais il s'agit pour les fans d'autre chose puisque l'objet humain de leur (centre d')attention est par définition inaccessible (2).

Alors comme le sujet est un peu marrant, quand j'ai envie de dérider mon cerveau de sombres pensées que les circonstances y ont imposées, je me reprends à tenter de le creuser. 

Ce soir je songe que bien que ne comprenant guère, il m'est arrivé par trois fois d'éprouver quelque chose qui y ressemblait, qui s'en approchait.

- Une rencontre à l'Institut Culturel Italien à laquelle participait Natalie Dessay, je tenais à la remercier de moments magiques passés à l'Opéra grâce à elle, l'ai fait, mais allez, reconnais-le, patate, tu avais la gorge sèche et ta petite voix à toi qui tremblotait.

- Ma rencontre imprévue avec Wim Wenders un samedi à la Fnac des Ternes, il dédicaçait avec son épouse le livre consécutif à Buena Vista Social Club, je passais par là, j'entends l'annonce, vais jeter un coup d'œil, suis surprise par le (relatif) peu de monde et voilà qu'on papote cinéma - j'ai un prénom qui aide merci Maman merci Papa -, tranquilles, cools, ça va de soi. Je redescends, passe en caisse (elles sont où étaient au 1er étage, et la dédicace avait lieu au 4ème, à la librairie), me dis tiens si je rentrais en bus, attends le bus et là, soudain, mais C'ÉTAIT WIM WENDERS. J'ai dû m'asseoir pour retrouver mon souffle.

- Une étape de ma vie de libraire qui n'avait rien donné, il eût fallu que j'eusse de la maille à investir et pas seulement des qualités de terrain et ma passion, et cette visite des futurs locaux avec un type que j'admire pour le boulot qu'il fait, et qui m'ouvre une porte en disant comme il aurait dit dans une visite d'appartement vous pourrez en faire la bibliothèque ou la chambre des enfants, Là ce sera le bureau de Ken Loach lorsqu'il viendra à Paris. La moi de douze ans qui m'habite toujours un peu, la gosse de banlieue qui aimait aller au ciné, inventer des histoires, les faire jouer à ses ami-e-s, n'osait pas trop les filmer en super 8 parce que ça coûtait trop cher et que le père aurait dit qu'est-ce que c'est que ça, n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait être un réalisateur sinon elle aurait voulu faire ça, le coup de la porte ouverte sur le bureau d'un des plus grands contemporains qui aurait pu être au boulot son voisin, elle ne s'en remet pas. (3). L'adulte que je suis a vu des petites étoiles sur ce coup-là.


Je dois donc bien être un peu fan quand même. 
Pour autant, ça ne se comprend toujours pas.

 

(1) Oui, ce truc oldschool en voie de disparition et qui peut même mener en prison si on le pratique encore dans certaines régions aux flux migratoires importants.
(2) sauf JJG un jour m'a raconté un expert ;-)  
(3) C'est aussi la prise de conscience des plafonds de verre que dans une société il y a : je viens de si loin, que l'éventualité même d'un tel voisinage dans la vie quotidienne de travail, est faramineuse en soi. Eussé-je été issue d'un milieu pas forcément aisé mais un zeste bourgeois et cultivé, une telle éventualité sans suite serait un mauvais souvenir à vite oublier, un échec. Au lieu de ça, ce moment est l'un des plus beaux souvenirs de ma vie. Un de ceux auxquels je pense pour tenir bon quand ça tangue. 


En lisant un article sur une tempête de sable à Katmandou

 

    En lisant un article sur une tempête de sable à Katmandou, j'ai entre-aperçu en lisière une photo d'un des "Royals" britanniques. Elle m'a mise comme un doute solide. (et bien un peu drôle)

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(En même temps une de mes collègues jeunes l'avait vu sur la fin de son étrange passage, et je me dis qu'elle l'aurait reconnu, elle)

La matinée des commerçants mal embouchés


    Après la journée des objets fâchés, voilà que je viens de traverser une matinée des commerçants mal embouchés :

  • à la pharmacie dont nous sommes (hélas) bons clients, je rapporte 4 boîtes 1/2 de médicaments périmés. Il se trouve qu'après le tri dans l'armoire à pharmacie, une sorte de logique machinale m'a poussée pour y glisser ceux-là à prendre un sachet de pharmacie de la réserve familiale de sacs à réemployer . Au moment de récupérer les médicaments périmés la pharmacienne me demande désignant du menton le sachet Mais eux, ils ne vous les ont pas repris ? (le gag : je ne sais même pas d'où venait le sac, nous sommes quatre et quand la nécessité médicale nous prend près de la maison, nous allons là où je suis passée, pas ailleurs, sauf tour de garde)
  • le bijoutier chez lequel je suis une cliente assez régulière pour bracelets et piles de montre et petites réparations (en particulier sur des bracelets depuis que je travaille comme libraire) et qui me reçoit froidement, entre deux clients venus pour des achats, et pas comme moi pour un rafistolage.
  • notre vieux (2) cordonnier au demeurant adorable et qui nous a dépanné plus d'une fois, parfois le fait pour rien et sait pour des sommes raisonnables rendre vie à de vieux souliers (1) a un trou de mémoire et un bref instant ne se souvient plus des deux paires que la veille je lui ai confiées. Nous les avons très vite retrouvées. Mais comme c'était à la suite des deux autres, ça contribuait à mon impression de "C'est pas mon jour dans les échoppes". 


    Le début de cumul, en fait, m'a presque amusée. 

 

(1) J'aime à user les vêtements, les chaussures, à aller jusqu'au bout. Ce qui impliquer de repriser ou ressemeler. J'aime qu'on laisse au temps d'imprimer sa marque (y compris sur les êtres vivants).
(2) Le fiston s'interroge sur son âge, il dit Pour moi il était déjà très vieux quand j'avais cinq ans, il doit être vraiment très très vieux maintenant. Le fiston l'aime bien : précisément quand il avait cinq ou six ans et alors qu'il (le petit) posait une question sur la grosse machine pour travailler les chaussures, l'homme avait pris le temps, malgré tout son boulot (3) de tout bien lui expliquer, faire fonctionner les différentes parties, ce qui nous avait rendus heureux et mieux instruits.  
(3) Comme souvent les très bons professionnels de métiers de service immédiat, il a une jolie clientèle de personnes qui viennent exprès là.


De la circulation à vélo dans Paris et ses surprenants dangers

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Comme je n'attendais que ça, de pouvoir circuler dans Paris à bicyclette, j'ai dû m'abonner aux vélibs dès 2007. Je les utilise une à deux fois par jours, sauf par très mauvais temps où lorsqu'il y a des tracas d'intendance ou des stations entièrement vides. 

Je suis vraiment très heureuse qu'ils existent, leur mise à disposition a changé (en fort bien) ma vie. 

Elle a aussi par deux fois failli changer ma mort. Ou plutôt le fait de circuler en deux-roues alors que certains automobilistes sont fous a failli par deux fois précipiter mon décès.

La première fois c'était avenue de Clichy dans le sens descendant, j'avais un peu d'élan et soudain un automobiliste devant moi, sans prévenir le moins du monde ni regarder que quelqu'un venait en face (une voiture dont le conducteur avait par bonheur des réflexes parfaits) et un vélo et d'autres véhicules derrière, avait entrepris un demi-tour que rien ne laissait prévoir. J'avais esquivé comme un torrero le taureau il s'en était fallu d'un ou deux cheveux.

La seconde fois, c'était ce matin, non loin de la station de RER Henri Martin alors que je pédalais paisiblement vers le Trocadéro, dans la piste cyclable bien délimitée qui se trouve en cette avenue. Un car de touriste progressait à vitesse normale dans sa voie, de l'autre côté de la bordure. Un grand 4x4 le suivait qui a soudain décidé que ça n'allait pas assez vite pour lui et l'a doublé en chevauchant la piste cyclable, mode le tout-terrain se moque des bordures, tralala. Le hic c'est qu'il se moquait aussi qu'un vélo y soit.

J'ai eu la double chance de rouler tranquillement et d'avoir hérité à la station Henri Martin d'un vélo en bon état. Le freinage fut donc suffisant et efficace. Ils étaient juste un peu, très peu, devant moi. 

Comme la première fois c'est après coup que j'ai eu les conséquences physiques, le cœur un peu rapide, les jambes un brin molles. Dans la journée plusieurs fois, je me suis sentie surprise d'être encore là.

Ce qui est significatif de quelque chose, mais j'ignore de quoi, c'est que les deux seuls accidents que j'ai failli avoir en sept ans correspondent à des comportements erratiques d'automobilistes qui se croient seuls au monde et vraiment tout permis. Comme tous les cyclistes citadins j'ai subi mon lot d'ouvertures de portières, feux grillés par les autos, priorités non respectées ... Mais comme il s'agissait de mauvaises conduites prévisibles, je m'y attendais et j'avais pu sinon voir venir du moins micro-anticiper. Je n'avais pas eu le temps d'avoir peur, simplement de me dire Mais ils ne pourraient pas faire attention ! et puis c'était passé.
Ces deux dangers violents sont d'un autre ordre. D'être confrontée sans carrosserie à des pilotes sans neurones (ou mal branchés).

Il faut croire que j'étais dans l'un de mes jours de survie.

Que ce billet ne dissuade par ceux et celles qui sont prêts à se mettre au vélo dans la ville de le faire. Pour dangereuses que ces deux expériences aient été, il n'en demeure pas moins qu'elles ne sont que deux sur de nombreuses heures de circulation réparties sur des années. Et que globalement dans Paris, depuis quelques temps les automobilistes dans leur relation aux cyclistes ont fait de nets progrès. Certain(e)s s'accordent même la classe d'être parfois courtois, de nous laisser des passages qui n'étaient pas requis afin de ne pas interrompre l'élan, d'attendre d'avoir la place pour nous dépasser au lieu de nous frôler. Les vélos ont leur place dans la ville désormais. Et je suis particulièrement contente de pouvoir ce soir en témoigner.

[photo : la piste cyclable sur laquelle je roulais]


La première course à grande affluence


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(minuit, tomber de fatigue, billet non relu)

Nous avions déjà participé à un 10 km officiel mais c'était dans notre ville, zéro vestiaire, gambader puis rentrer chez soi, tranquilles. Quelques centaines de participants.

C'était il y a 18 mois et tant de choses ont depuis changé pour moi.

À présent et suivant un mouvement d'inscription lié à l'entreprise de l'homme de la maison (1) (2), il était l'heure de passer à de grandes courses organisées. À défaut de pouvoir me lancer dans le triathlon peu compatible avec ma #viedelibraire, j'espère dans environ un an devenir capable de semi-marathon mais une telle distance se tente mieux en courses, il me faut donc m'habituer à ne pas seulement courir en liberté.

Le problème du nombre, comme je m'y attendais, était celui des consignes. J'ai commencé à mourir de froid en attendant après la course de récupérer mon hoodie, mes mains sont restées glacées et insensibles au moins vingt minutes après l'attente, malgré le bon refuge dans un chaud café. L'homme avait opté pour l'attitude Je suis un super-héros qui ne craint pas le froid et était parti de la maison en short et tee-shirt. Ne disposant que de l'option Je suis une wonder-woman qui frétille par temps de canicule, je ne pouvais en faire autant. Nous rendre sur place en voiture ne nous avait pas effleurés un seul instant. Je meurs de froid très facilement. J'appréhende l'hiver en librairie.

Ce n'était vraiment pas de chance, un temps idéal la veille et aujourd'hui si froid. #myluckylife.

L'ambiance course était sympathique, des touitons me l'avaient dit, ils avaient raison. 

J'ai couru seule la plupart du temps. Par rapport aux camarades collègues de l'homme, mon rythme est lent. 

Lent mais constant alors c'était drôle après avoir été dépassée par bien des gens de les doubler vers les derniers kilomètres. J'ai découvert à cette occasion que pour des personnes jeunes et de pleine santé, faire 10 bornes sans préparation n'est pas un problème du moins à envisager. Après, ils ou elles finissent dans des états de fraîcheur variables. J'étais loin d'être dans le rouge de ma jauge de fatigue supportable.

"Allez maman" disait ce beau drapeau tenu fièrement par deux bambins (à vu d'œil, 3 et 5 ou 6 ans) tandis que le ou la plus jeune riait aux anges dans sa poussette et que le père, fier (d'eux, d'elle, de lui même qui avait été capable de les mener en deux points successifs du parcours sans tarder), tenait.

"Pour Françoise" indiquait un dossard (un vrai : dans le dos) que portaient chacunes trois femmes qui courraient côte à côte. Je me suis prise à espérer que Françoise se battait contre un cancer actuel et que ce "pour" ne signifiait pas "à la mémoire de". 

Bon, alors ça allait que nous courrions dans un bois, parce qu'il m'aura fallu improviser une pause-pipi afin de répondre à une envie intempestive à laquelle l'attente préalable (3) dans le froid n'était pas étrangère. J'espère que pour les courses de pleine ville des toilettes sont prévues. 

Même en courant je trouve des objets perdus ou jetés (en l'occurrence : un mouchoir).

J'ai un peu regretté de n'avoir pas le tee-shirt de la course afin de participer à l'harmonie d'ensemble  Photo1157

Partie avec retard pour cause de file d'attente aux consignes et que la couleur de dossards qui était la mienne n'avait pas de file dédiée, je n'ai pas vu comment fonctionnaient les sas de départ, on nous a fait passer directement. La densité de coureurs n'a donc été une gêne à aucun moment et je ne crois pas avoir gêné qui que ce soit. 

Curieux comme lorsqu'ils ont un service à demander, les gens s'adressent parmi un lot d'inconnus directement à moi. Je sais que j'ai une tête à chemin et j'aime rendre service mais c'est parfois lassant (à force) (lorsqu'en l'occurrence on ne peut pas aider, à moins de se compliquer l'existence ce qui n'est pas mon activité préférée - elle est souvent pour moi bien assez compliquée -). 

Les orchestres sur le long du parcours, c'était dansant, c'était bien. 

Le nombre de personnes qui courent avec des oreillettes et des gros appareils de statistiques corporelles et temporelles m'a impressionnée. Comme disait l'ami Hugues, bientôt la société de consommation n'aura plus un seul nouveau terrain de chasse. Pour une activité aussi simple que courir il n'est besoin que d'une bonne paire de chaussures (du moins si l'on ne pratique pas le "pieds nus"), le reste vous a été rendu indispensable et vous y avez cru (4). L'homme de la maison comme les autres qui ne court plus vraiment avec moi depuis qu'il a sa montre qui mesure tout.

Les passages anxiogènes des véhicules de secours. Et une jeune femme à oreillettes qui devait écouter à très fort volume puisque ce sont des coureuses proches qui lui ont fait signe de s'écarter alors que la sirène nous vrillait les tympans.

Les personnes qui en attendent d'autres et les engagent à tenir bon. Il faut être très fort pour courir à un autre rythme que le sien. Y compris inférieur.

Les collègues qui m'ont encouragée vers la dernière boucle, je n'en revenais pas : à la fois qu'ils soient déjà là (tout rhabillés tout pimpants) et qu'ils aient pensé aussi à moi, l'élément rapporté et de peu de prestige, rythme lent. Ça faisait plaisir.

L'excellente idée qu'avait eue Adrien de nous faire repérer le parcours quinze jours plus tôt.

Il est difficile de faire comprendre que l'on peut agir lentement sans être en difficulté. Ça vaut dans cette société pour toute activité. Qui peut encore comprendre qu'on va lentement par choix ou décision murie ? #frenzysociety 

Se trouver un moment à courir le long d'un homme à la silhouette proche de celle de F. avoir l'illusion un instant que c'était lui et comme je ne m'y attendais guère (ou : avoir l'illusion parce que je ne m'y attendais guère), j'ai manqué un souffle ou deux (ou trois) puis je me suis reprise. Putain de chagrin qui ne lâche (encore) rien. 

Les kilomètres qui ont suivis j'étais très seule (malgré la petite foule qui avançait à petites foulées).

Plus tard, j'ai retrouvé un ami. 
Encore plus tard je me suis rendue compte que j'en avais sans doute perdu un autre en raison des péripéties de sa vie. Sans doute que je joue une fois de plus le mauvais rôle de "la femme qui en savait trop". Comment dire à ceux qu'on apprécie Ne m'en racontez pas trop afin de ne pas le regretter après et me rayer de vos (nouvelles) vies comme une menace potentielle ?

J'ai entendu d'étranges ou douces bribes de conversations. Dont un homme qui expliquait à ceux du groupe avec lesquels il courait, Ne le prenez pas mal mais quand je cours je ne parle pas.

J'ai songé, C'est un peu comme moi. Je conçois l'exercice physique comme une forme de méditation pendant laquelle l'écoute au corps est primordiale (sous peine de malaise plus que pour une recherche de spiritualité). Mais si l'on me parle, je réponds. 

- On pourrait faire du co-voiturage (proposition d'un trajet à pas cher car un éloignement familial semblait causé par le coût du déplacement).
- Oh je ne m'entends pas avec ma belle-sœur (en fait il ne s'agissait donc pas d'argent). 

J'ignore mon temps de parcours. Le chronomètre général indiquait 1h26 mais à partir du départ des premiers. Or nous n'avions franchi la ligne de départ qu'un quart d'heure ou vingt minutes après.

Sur ma montre dont j'oublie la marque sans arrêt j'ai mis 1h10 environ. Soit mon temps habituel. Un peu moins si l'on décompte les instants photos et la pause pipi.

J'admire ceux et celles qui courent malgré un certain embonpoint. J'ai déjà tant de mal avec mes propres kilos (dont quelques-uns depuis deux hivers en trop), comment font-ils pour développer l'énergie nécessaire à déplacer leur masse ?

J'aime ceux (celles aussi, mais c'est moins fréquent) qui donnent l'impression de courir lentement car leur foulée est longue, mais vont vite en fait. Généralement des hommes fins aux jambes interminables (5). 

L'homme était ravi de son temps et d'approcher les 12km/h. Bientôt nous ne ferons plus que partir ensemble lors des entraînements.

Je crois que ce jour à Bruxelles où nous étions venus encourager Pablo dans son marathon n'est pas étranger à notre transformation en coureurs à pied. Quelque chose dans l'ambiance ce jour-là nous portait, donnait envie de ne pas se contenter d'être au bord de la route. Merci Pablo.

J'ai subi d'autres influences, Tarquine, Thierry ... et la nécessité particulièrement en Normandie de trouver une alternative à la pratique de la natation laquelle nécessite un plan d'eau à température supportable, mais une étincelle date de ce jour d'octobre 2011.

Sans la pratique régulière de la course à pied je ne sais si je pourrais faire face à l'engagement physique de ma #viedelibraire. Il s'est trouvé que c'est venu à point nommé.

Mon numéro de consigne était le 409  PA050003 - Version 2

et celui de mon dossard 29973. Pourquoi est-ce que je m'en souviens ?

Les distributions de flyers à l'arrivée, pour d'autres courses dont un relai. Cet homme qui annonce l'une d'elles "pour lutter contre le cancer de la prostate". Nous venions de gambader au profit de la recherche contre les cancers du sein, j'ai cru qu'il plaisantait.
Il semblerait que non. 

- Si vous attendez pour recevoir un sac, regardez, ici, une dame en distribue.
(reconnaissance éperdue envers cette inconnue qui a réduit mon attente dans le froid ; peut-être que j'étais bleue).

Parmi les goodies, des serviettes périodiques. Évidemment.

Et une lessive "spécial sport" afin de "préserver la technicité des fibres". C'est ce qui s'appelle de la segmentation.

Cet étrange mécanisme de ma vie à Paris qui me fait toujours aller successivement deux fois dans un même lieu (je parle de ceux où je n'ai pas mes habitudes, de quartiers éloignés) : ainsi j'étais à nouveau dans le café qui nous accueillis, joyeux, avec entre autre Christopher Boucher et son père et Benoît et sa mère lors du festival America. Il me semble déjà d'une saison passée. Ça m'a fait plaisir même s'il le faisait avant tout pour lui, que l'homme de la maison me propose cette étape avant de repartir, moins frigorifiés. J'avais retrouvé l'usage de mes mains.

Somme toute et donc, et même si j'ai essuyé un fameux coup de blues en redescente, le froid induisant un surcroît de fatigue laquelle s'est empressée de faire entrer le chagrin, une très bonne expérience que je renouvellerai volontiers. 

 

PS : Retour à la maison avec une solide envie de sieste, mais voilà que c'était la fête au jardin d'en face PA050001dûment agrémentée par un crooner au vibrato pataud et qui défilait un à un tous les succès des années 70 et 80 du siècle dernier. J'ai été à deux doigts de m'en aller trouver refuge au ciné, ou plutôt deux pas que je n'avais plus la force de faire. Il faut bien qu'il existe quelque inconvénient d'avoir un jardin d'en face. #myluckylife 

 

(1) Ça m'embête parce que cette expression depuis le livre d'Édouard Louis peut être interprétée différemment. Or je n'y mets aucun jugement, l'expression m'était plutôt venue par antithèse d'une autre qu'employait Anne Savelli dans son "Décor Lafayette" et pensée dans une acception affectueuse.

(2) Mais j'ai payé à titre personnel mon inscription. Ce qui fait qu'au bout du compte j'étais dans la situation de courir aux couleurs de l'entreprise tout en n'ayant pas le tee-shirt "Odyssea" et en ayant une inscription individuelle. Pas étonnant que j'aie une sorte de phobie administrative : quoique je fasse pour quoi que ce soit je ne rentre jamais tout à fait dans les cases. 

(3) de celui qui était la veille allé chercher les dossards. Et des collègues qui souhaitaient partir ensemble.

(4) Oui je sais vous tenez à améliorer votre performance, votre temps, à éviter une crise cardiaque, rythmer votre course, mais à moins de viser le haut niveau est-ce à ce point important ?

(5) plaisanterie privée ;-) (mais n'empêche, c'est vrai).