
Je m'étais inscrite car j'étais disponible au moment de l'inscription, ce qui m'a valu un embouteillage d'agenda par la suite, hélas (1), et parce que je pensais bien de maintenir le momentum comme on dit de nos jours, entre le marathon de Paris et la course club prévu en Champagne le week-end de la Pentecôte.
Le marathon, fors une légère défaillance lors d'un tunnel trop bien animé pour certaines de mes fragilités (flashs lumineux et sons technos à fortes basses), était passé crème malgré la déception d'avoir dû finir en alternant marche et trottinement (2).
En particulier, les jambes, bien entraînées, étaient en simple fatigue, quelques heures allongée et plus rien n'y paraissait. Je souffrais de la fatigue générale, de l'énergie vidée, mais le reste était impeccable.
Du moins, je le croyais.
Alors un petit 20 km, un mois plus tard, me semblait raisonnable et de bon aloi.
L'idée de rallier là où j'habite (enfin pas loin) à là où je suis née, de plus, me plaisait. Et puis j'apprécie toujours de courir sans être gênée par la circulation, que pour une fois, la ville ne soit pas qu'aux voitures. Pas d'objectif particulier car je savais les deux côtes redoutables, et ne souhaitais pas me cramer en vue de la course club (un triathlon, ce qui requiert bien plus de logistique, de fonds et d'énergie).
Nous avions, le joueur de pétanque et moi, un dimanche précédent effectué la reco de la côte du Mont Valérien.
J'avais décidé d'en faire mon petit défi, la monter sans marcher. C'est dans mon cas, un peu vain : les marcheurs efficaces vont plus vite que mon trottinage forte pente très petites foulées, mais ça fait travailler la condition physique.
Le départ avait lieu auprès du jardin d'acclimatation, et c'était pour moi facile d'accès : un coup de tram 3B et un peu de gambade d'échauffement. J'avais choisi de faire sans vestiaire et de prendre une veste de sport, ce qui m'a bien aidée car pour une raison que j'ignore en ce printemps, j'ai souvent froid. Ne suivez pas mes avis vestimentaires, pour moi la température idéale pour courir en tee-shirt et short est au-dessus de 20°c, et en dessous de 15°c je dois utiliser de l'énergie pour me réchauffer. Un de mes meilleurs souvenirs de triathlon était le Frenchman d'une année où il faisait temps de canicule. Tout m'avait semblé facile et léger.
Ce qui fait que j'avais cette veste, que j'ai enlevée pour les côtes - de toutes façons j'allais si doucement que tenir un habit à la main ne changeait rien -, mais qui m'a bien aidée le reste du temps.
J'avais également sur moi de quoi pallier une éventuelle absence de ravito (liquide, gel et solide), l'expérience de la tortue : on passe parfois alors qu'il ne reste plus grand chose. Ça n'a pas servi cette fois, l'orga était parfaite. Le ravito à l'arrivé était même luxueux avec entre autre des tranches de melon. Et pour les amateurs de sucré des trucs que je crois qui sont très appréciés.
D'expérience, j'ai démarré lentement, en considérant la portion entre le départ et la montée de Suresnes comme un échauffement pour celle-ci. Le monde entier des concurrents partis comme moi dans la deuxième partie de la foule (3) m'a dépassée. Je me sentais bien, l'impression que c'était un jour avec sensation de flow possible, mais on verra après la côte.
Le repérage a aidé, je savais précisément les portions plus rudes, et celles pour reprendre souffle, et la dose d'énergie à puiser pour tenir jusqu'en haut et y parvenir sans essoufflement. Ce qui fut fait. J'ai pu me faire plaisir dans la descente, avec un passage à 5'30'', comme une coureuse normale ou plus jeune.
Ensuite, on longeait de la voie à forte circulation, avec un passage inférieur, et j'ai dû un peu puiser pour ce moment peu appréciable. Ce qui a donné pour moi un premier 10 k en 1h12, ce qui est le temps moyen de quand je fais un 10 k. Compte tenu de la côte costaud, c'était bien.
Tenté de maintenir la cadence histoire que ce morceau peu agréable du tracé soit vite derrière moi. Ensuite on arrivait assez vite en bords de Seine et hop, passé le pont de Chatou, c'était la partie belle du parcours : chemin de halage.
Là j'ai connu ce qu'on aime, le flow, la facilité, ça déroule, l'impression qu'on pourrait continuer sans effort ainsi jusqu'à la fin de la journée. L'impression d'être à sa place, au bon moment, en train de faire ce pour quoi on est fait (4).
Il a juste fallu que la nécessité d'une pause pipi me gâche un peu le truc, mais c'est ainsi. Une fois soulagée, c'était reparti.
On a eu des encouragements, même les gens lents, un peu tout au long du parcours, rien à voir avec le marathon de Paris, mais c'était sympa comme tout et oui, ça aide, surtout lorsqu'on fait partie des dernières personnes.
J'ai cru à ce moment-là parvenir à rallier l'arrivée en moins de 2h30 et avant que la fin de parcours soit livrée aux voitures.
Fatale erreur, c'est quand j'ai commencé à y croire entre les kilomètres 16 à 17, que la douleur sous le pied droit, laquelle était une petite gêne intermittente depuis quelques temps, sans que je m'en soucie plus que ça (5), est devenu une gêne gênante, puis une douleur de réelle souffrance.
J'ai évalué la distance qui restait à parcourir, tenté de me souvenir d'un choc éventuel qui aurait pu provoquer une blessure que la distance longue aurait révélée (non, rien à déclarer), mais me suis souvenue d'une douleur similaire, 10 ans plus tôt, provoquée par des chariots trop lourds à rentrer chaque soir en librairie qu'à un point du processus je devais pousser du pied pour monter une petite marche. Partant du principe que c'était sans doute cette blessure qui se réveillait, j'ai songé que les 3 km qui restaient, s'ils n'allaient pas arranger les choses, ne les aggraveraient guère, que le retour prévu en transports en commun resterait possible, ainsi que le télétravail si aller au bureau le lendemain s'avérait impossible. J'ai enclenché le mode warrior, décidé que la côte finale je la marcherai, et hop, c'était parti pour bien arriver.
Ce que j'ai fait.
Malgré la difficulté supplémentaire que j'aurais tant rêvé éviter : les véhicules à moteur relâchés, comme des fauves et la fin de la montée sur le trottoir au parfum des gaz d'échappement, bien obligée.
Une jeune femme juste derrière moi, à laquelle j'avais failli proposer mon aide, m'a d'une certaine façon rendu service : elle était soudain au téléphone et disait, Je n'en peux plus j'ai tellement mal au ventre, je ne sais pas si je vais y arriver. Juste quand j'allais l'attendre, un homme âgé - c'est à dire, oups, quelqu'un de mon âge voire légèrement moins - qui m'a semblé sorti de nulle part est descendu vers elle à toute allure, encore le téléphone à la main, et qui lui ressemblait (son père ?), j'ai donc poursuivi mon ascension, mais le fait de me dire qu'aussi irradiante que fût ma douleur elle n'était qu'au pied et pas ailleurs, m'a soutenue. Quand on est en souffrance, on se raccroche à ce qu'on peut.
J'ai terminé en faisant semblant d'être en aisance, et je l'étais pour l'énergie et l'état musculaire, mais à deux doigts de franchir la ligne à cloche-pied.
J'étais inquiète pour la balade littéraire prévue dans l'après-midi et n'ai finalement pas pu y aller, ce qui m'a attristée.
Et encore l'illusion que bien soignée, j'avais le temps possiblement de me remettre avant la course club prévue lors du week-end de la Pentecôte.
En revanche je savais d'ores et déjà que la solution "Je fais le triathlon sauf la course à pied" serait, si ça n'allait pas mieux, compromise : j'avais mal sous le pied, là où sur les pédales il faut appuyer. Et qu'aussi ce qui allait être pénible dans les temps à venir ne serait pas tant la privation de course à pied - je saurais me dire que je dois rester x jours sans gambader et profiter du temps dégagé pour faire d'autres choses utiles -, que le fait de ne plus pouvoir vélotafer.

La douleur m'a un tantinet gâché le plaisir d'une arrivée avec panorama, de toute beauté, vue sur Paris, qui constitue une récompense en soi.
En attendant, la médaille est belle et le tee-shirt de qualité.
Je me note la date du 10 mai 2026 pour tenter de prendre ma revanche sur l'adversité.

Le relevé de l'épreuve, via ma montre de sport :


Grâce au Barbu, qui documente ses courses dans leur filage quasi intégral et sans trop de paroles (j'apprécie), une bonne idée de ce que cette course était et un meneur d'allure qui faisait vraiment bien son taf. Je n'ai pu suivre un meneur d'allure qu'une fois, lors de la corrida de Houilles du temps où c'était une association locale qui s'en occupait (le comité des fêtes ?) et qui prévoyait pour le 10 k un meneur à 1h10, ce qui fait que j'ai peu d'expérience de courir en leur compagnie, mais il me semble que celui de la vidéo pour les 1h40 de cette course est parfait et très pro, avec conseils et variations d'allures pour tenir compte des difficultés.
(1) Bulle d'aiR du cimetière Montmartre en hommage à Maryse Hache par l'aiR Nu
(2) Dans la mesure où mon courir est le trottinement des autres, je vous laisse imaginer la lenteur de compétition.
(3) Il y avait sans doute un sas élite mais pour le reste placement libre. Dans de tels cas je me place à vue de nez au début des gens que je suppose lents mais un peu moins que moi, histoire de ne pas avoir la voiture balais aux trousses dès les premiers kilomètres.
(4) En ce qui me concerne c'est une illusion, mais mon côté Forrest Gump est très fort pour contrebalancer.
(5) J'ai un corps légèrement douloureux de base, et l'effet de l'âge est qu'il y a toujours une petite douleur quelque part, pour tenir le coup dans la vie quotidienne, je sais bien "faire avec" et n'y pas prêter attention. Les petites douleurs et la fatigue ne deviennent des signaux pour moi qu'à un niveau déjà conséquent.