Uniforme

 

    Quand je bénéficie d'un jour de congé ou de récupération (c'est souvent le cas, car les samedi travaillés sont normalement récupérés), c'est presque toujours pour faire quelque chose qui était devant être fait (il manque en français un temps du latin). Et voilà, aujourd'hui c'est Uniforme.
J'en écrirai peut-être quelque chose lorsque ça sera fait.

J'en profite pour aller vider les recyclables, sortir une lessive, caler une petite séance d'endurance fondamentale, et regarder les retransmissions sur France TV sport des Europe d'athlétisme. Dont la série du 1500 m pour laquelle celui que j'admire beaucoup, pour avoir suivi sa détermination au fil des ans, mais que je commence à trouver un brin trop arrogant - une légende se doit de faire preuve d'élégance, bon sang -, s'est littéralement baladé.
Sans compter que lorsqu'un athlète surclasse trop ses concurrents alors qu'eux-mêmes sont si solides, les soupçons deviennent inévitables. Et qu'en athlétisme le dopage mécanique n'existe guère (1).

J'en profite pour ne pas trop lire d'infos électorales, si ce n'est à travers les blogs amis, pour amortir l'inquiétude. Le résultat n'est d'aucune surprise, de toutes façons de chaque maladie les anticorps ou les vaccins ne font effet qu'un temps, avoir été tranquilles durant 80 ans avec les populismes basés sur le rejet d'une catégorie d'habitants érigée en bouc émissaire, sachant qu'en France le pouvoir en place depuis 2017 n'a fait qu'ouvrir un boulevard à cette tendance, c'est déjà pas mal. 
En revanche la décision de dissolution à moins d'un mois des J.O., semble confirmer que quelque chose ne tourne pas rond.

Après, c'est une poule-œuf story : le pouvoir n'attire-t-il que les personnes qui ont en elles un certain déséquilibre et qui les prédispose à perdre le sens commun, ou est-ce le pouvoir lui-même, le détenir et n'être plus entourés que par des personnes serviles, occupées à flatter le puissant pour en retirer avantages, qui rend fou et fait perdre contact avec la réalité ?

Je ne sais pas si collectivement on va fluctuat, mais on est bien partis pour satus mergere.
Comme l'écrit Mathilde des Écumes, Il s'agira d'exister très fort pour résister, inspirer, tenir bon et beau. 

Cette année 2024 est si mal engagée d'un point de vue mondial, avec les plus grands pouvoirs confiés aux plus grands va-t-en guerre, que l'urgence climatique passe au second plan : on est bien embarqués pour faire sauter nous-mêmes notre planète avant que celle-ci ne soit devenue invivable à coup de conditions météo extrêmes, fonte des glaces et catastrophes naturelles induites.

(1) ou tout le monde dispose du même, si l'on considère les plaques carbones comme une sorte d'assistance.

 


En triathlon de la vie


    Fin de semaine en forme de triathlon de la vie, je dois passer d'une épreuve l'autre avec à peine le temps d'effectuer les transitions. Le prochain moment où je pourrai me poser si tout va bien sera dimanche après-midi.
Entre temps, deux moments festifs (dont un professionnel, pas trop de possibilité d'y déroger ; et l'autre avec des personnes qui ont une force exceptionnelle pour me remonter le moral), un enterrement, un jour et demi de travail, un rendez-vous médical (pour le bras douloureux et ce soupçon de tendinite à l'épaule qui pourrait être la cause de cette douleur) et si possible deux séances de course à pied (c'est pas gagné).

Il me faut toute mon expérience de triathlète pour parvenir à enchaîner, sur fond de profond chagrin. Et les courses d'endurance où l'on lutte contre la douleur et la fatigue préparent aussi à ça. Je n'en avais que vaguement conscience jusque là, je le sens aujourd'hui. Si je tiens bon jusqu'à dimanche à l'heure de pouvoir enfin faire la sieste et pleurer ma peine en paix, ça sera bien grâce à ça.

La farandole des coïncidences jolies ne s'arrête pas avec les deuils. Elle se poursuit.
Ainsi le neveu par alliance qui est un ami d'enfance d'un des libraires avec lequel j'ai travaillé, l'ami prêtre d'une paroisse proche de là où la cérémonie avait lieu (localisation que j'ignorais jusqu'à avant-hier) et une des proches de l'amie défunte qui est la tante d'un ancien jeune tennisman auquel j'avais dans ma propre jeunesse demandé un autographe sur un cahier de brouillon de maths, sans savoir qui il était, ni rien de l'exploit accompli, simplement parce qu'il rayonnait de bonheur d'être sollicité par des personnes qui venaient le féliciter. Et puis le bonheur doux amer de faire ou refaire connaissance avec des personnes qu'auprès de celle qui n'est plus de ce monde nous avions croisées, ou dont elle nous avait parlé.

Et puis se trouver chaleureusement remerciée pour avoir été la personne qui avait rendu possible la communication par SMS. Ça risque de rester un élément de ma vie dont je tirerai jusqu'à ma propre mort une fierté démesurée.  

Indépendamment de ce mérite logistique, reste que je suis toujours en stupéfaction de découvrir que je tiens ou ai tenu, une place dans la vie d'autres personnes, alors que j'ai tant de difficultés à tenir ma propre place dans la mienne, en permanente survie et négociation face à la fatigue, l'épuisement.
Je suis toujours honorée de la confiance que l'on m'accorde.
C'est sans doute lié au fait que ce que j'aime le plus au monde, dans la mesure de mes limites physiques, c'est me rendre utile. Je me sens là pour ça.
Me rendre utile et faire rigoler. 

À présent il est l'heure de laisser faire calmement le chagrin et de penser aux heureux moments partagés.



Write, Forrest, write


    De cette période où tout s'enchaîne trop vite, et de profond chagrin (1), il ressort une évidence : je dois refaire place à l'écriture dans ma vie.
La retraite est dans trop longtemps, attendre est risqué.
Comme le disait l'amie Alice, ou l'écrivait je ne sais plus, c'est une illusion d'attendre des jours meilleurs pour se consacrer à quelque chose car ça n'est jamais calme, au fond (elle le disait mieux que ça, mais pas le temps de rechercher).

L'ami Olivier m'a donné un titre, et avant la terrible nouvelle du décès de la vieille amie (2), ça m'avait donné un élan. Retombé à l'annonce, bien évidemment.
En attendant j'ai commencé à ré-écrire un piètre polar qui est tombé d'une des piles qui encombrent l'appartement. Comme une sorte d'échauffement. Ou peut-être parce qu'après tout c'est ce pour quoi je suis faite : mettre de l'élégance dans l'écriture d'autrui. 

 

 

 

(1) Mort de la danseuse, et écrivaine Claude Pujade-Renaud
article de Philippe-Jean Catinchi dans Le Monde
Pour le moment je n'ai ni le temps, ni l'énergie, ni la force d'écrire pour elle un billet. Elle a pour moi tellement compté, m'a tant soutenue et encouragée. Aidée à tenir le coup.

(2) d'âge et de longue date


Varda in extremis

 

    Avec les camarades du vieux ciné-club dont je fais partie, je suis allée voir l'expo Varda à la cinémathèque la veille du dernier jour.
Je voulais écrire à ce sujet mais je n'en ai pas eu le temps dès en rentrant et à présent qu'il se fait tard, l'énergie me manque.
Bien des points n'étaient pour moi pas des nouveautés, j'appréciais Agnès Varda depuis fort longtemps, ainsi que son travail. Je connaissais ainsi son côté pionnier, et que les autres suivent mais qu'un "mouvement" n'est reconnu comme tel que lorsque les hommes s'y mettent à leur tour.
J'ai plusieurs fois été fort émue, malgré la foule - aller voir une exposition à Paris dans ces derniers jours est rarement à recommander ; seulement pour nous ça n'avait pas été possible avant -. Quand au dernier mur, en compagnie de Delphine Seyrig et Chantal Ackerman où elles expriment haut et fort combien les femmes manquent de place, il m'a profondément remuée. Ce qu'elles exprimaient c'était tellement ça. Le gag étant qu'alors que j'étais appuyée sans bouger au mur en face du mur écran, comme tout le monde le faisait, par deux fois des hommes ce sont littéralement collés devant moi sans même un regard à l'arrière. Au 2ème et comme j'étais encadrée par d'autres personnes qui m'empêchaient de me décaler, j'ai tapoté l'épaule avec un geste de Hé bah, lorsqu'il s'est retourné. 
- Oh pardon allez-y a-t-il déclaré contrit tout en se décalant, mais comme si j'avais demandé qu'il se pousse pour me mettre alors que je n'avais pas bougé.
C'était tellement typique de ce qui était dénoncé que j'ai échappé de peu au fou-rire.

Typique aussi la mauvaise humeur du Joueur de pétanque sur le trajet du retour, car pour une fois un samedi après-midi il ne jouait pas à la pétanque. Galvanisée par Agnès et ses sœurs de courage, je l'ai un tantinet recadré. D'autant plus qu'il avait apprécié l'expo et le déjeuner, même si par effet de groupe et de forte fréquentation de l'établissement (1) ce dernier avait duré longtemps.
Je n'étais responsable en rien de cet inconvénient, ni ne l'avais exhorté à venir.

Je n'oublierai jamais, concernant Agnès Varda, la tristesse des habitants de son quartier lorsqu'aux jours suivant sa mort j'effectuais un remplacement dans une librairie voisine de la rue Daguerre. Elle y avait ses habitudes. Une commande l'attendait encore et ça m'avait serré le cœur.
Quelqu'un dont le départ définitif rend les gens "proches non-proches" tristes à ce point, ne pouvait qu'être une personne formidable presque tout le temps et avec tout le monde. Je me souviens d'avoir songé que si j'avais été de la librairie la détentrice, je me serais permis d'ouvrir un registre de condoléances que j'aurais ensuite remis aux enfants de la réalisatrice. Tant de personnes parlaient d'elles si bien.

Bien sûr j'ai quitté l'expo avec une furieuse envie de revoir ses films ou voir ceux que je ne me souviens pas d'avoir vus (2) et de relire "Décor Daguerre", aussi.

(1) L'auberge aveyronnaise, dont l'aligot est fameux.
(2) Concernant "Le bonheur" j'ai un doute solide. Vu et grandement oublié, ou pas vu et connu pour certaines séquences ?


Nous sommes des gens de peu


    Une vie de gens de peu, n'est pas forcément caractérisée par la contrainte financière, l'aliénation au travail pour pouvoir se nourrir - laquelle laisse peu de liberté de réel choix -, le manque de culture - on peut être très cultivé, surtout dans une société où domine le rapport à l'argent -, mais plutôt par la répétition perpétuelle de ce schéma : on bosse dur, on stabilise un peu quelque chose puis survient un élément extérieur (d'une maladie grave à une guerre, en passant par toutes sortes de nuances ou de catastrophe dite naturelle, jusqu'à des choses plus petites telles qu'un employeur défaillant) qui remet le fragile équilibre en cause, et c'est reparti, passé le temps de l'épreuve elle-même, pour un tour de reconstruction.

Aux marges de mon emploi du temps rendu par le travail nourricier trop lourd, je lis "Retrouver Estelle Moufflarge" de Bastien François et comprend bien des choses.
Je me souviens aussi de la brève période où j'étais libraire à Montmorency, Au Connétable, et plutôt heureuse. La maladie puis la mort de ma mère, âgée mais qui aurait pu l'être bien plus car d'une constitution remarquable, étaient venues clore cette phase de ma vie et même si j'ai quitté suite à une proposition d'emploi qui ne pouvait guère se refuser, il m'est évident que je n'aurais pas pu rester bien longtemps sur les "lieux" (1) du deuil.

Être des gens de peu, c'est passer son existence à s'adapter et survivre face aux coups durs, plus rarement aux coups de chance, qui surviennent. C'est ne pas avoir les moyens de faire autrement.

 

(1) Mon travail était proche de l'hôpital d'Ermont dont sa prise en charge dépendait.


Shenanigans

 

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Il y a quelques mois notre portemanteau de l'entrée s'est effondré. Il est à demi tombé dans un angle et comme je ne suis pas en état de m'en occuper (je tiens le coup au travail, je tiens le cap de mes entraînements et pour le reste c'est sur le temps et l'énergie résiduels).

Tout à l'heure, au creux d'un samedi non travaillé, j'ai reçu un message indiquant qu'une livraison avait été déposée dans la boîte à lettres.

J'ai terminé ce que j'écrivais puis j'ai enfilé les premières chaussures qui traînaient dans l'entrée et le premier vêtement sur le porte-manteau, et j'ai descendu nos poubelles, vidé le verre et récupéré mon colis. 

Il se trouve que le vêtement attrapé au vol était mon vieux caban, probablement remis sur le dessus de la pile après l'écroulement. Poussiéreux, carrément.

J'ai mis les mains dans les poches, en pensant, Tiens, qu'est-ce qui peut traîner dans un manteau d'avant les confinements (1) ?
À ma plus grande surprise, c'était plein d'écrits. 
Ils dataient de 2008 et 2013 (?!?), un plan d'un salon du livre de Paris d'il y avait dix ans, et une invitation pour la fête de sortie d'un livre d'Edgar Hilsenrath dont je me souviens bien, un message d'invitation d'une amie perdue de vue qui nous rassemblait en l'honneur de Pablo (qui a disparu des réseaux sociaux, et ne donne plus de nouvelles, ce qui m'inquiète ; il fait partie de ceux grâce auxquels je me suis mise à la course à pied et j'aimerais le remercier). 

Engluée dans un quotidien métro boulot vélo dodo et sport aux marges, dans un ultime effort pour sauver une éventuelle retraite (si je survis), j'oublie parfois que j'ai eu une vie et qu'elle a été souvent bousculée (2) mais vraiment intéressante, et beaucoup plus que tout ce que j'aurais pu, vu mon genre et mon milieu d'origine raisonnablement espérer.

Retomber sur la time capsule de mon vieux caban, une time capsule d'il y a dix ans, m'a fait un bien fou.

 

 

(1) Clairement, depuis le Covid, ce qui traîne au fond des poches ce sont les masques et les mouchoirs. 
(2) Clairement, si ce caban était resté ainsi délaissé, c'était probablement comme suite à deux coups durs majeurs qui m'étaient tombés dessus en juin et juillet 2013 (dont : la fin de mon travail à la librairie Livre Sterling qui allait fermer)


Quatre jours de repos bien nécessaires


    Je le sens avec la soixantaine, je suis passée du côté inlassable de la force, tâche après tâche, heure après heure, jour après jour, je m'attelle sans (trop d')états d'âme à ce qui est devant être fait.

Et puis soudain, lorsque survient un brin de relâchement dans le Tenons bon ; parce que quatre jours de congés arrivent (1), parce qu'un de mes très proches a subi avec succès une petite intervention [chirurgicale] et nous informe que c'est bon c'est fait, tout va bien, parce que j'ai bossé dur y compris (mais pour la maisonnée) lors d'un jour récupéré pour le samedi récent travaillé ; il ne me reste plus la force de rien, même me lever pour aller manger une bricole à la cuisine est au dessus de mes forces alors que j'ai faim. 
La soirée m'appartient et qui passe comme de rien. Une décompression absolue. 

Je parviens à dépoter une ultime plus petite corvée (sortir une lessive et suspendre le linge afin qu'il sèche). 
Et c'est l'heure d'aller au lit. Pour dormir pour la nuit.

Le repos tombe à pic, j'étais arrivée au moment où un pas de plus n'est plus possible. 
Lire, si.
Tout n'est pas perdu.

Je pense aux otages relâchés à Gaza. Les jours à venir leur seront rudes. On ne pense pas forcément à la difficulté d'encaisser le relâchement après les tensions. Et leur cas est extrême, la survie était en jeu.

 

 

(1) Même s'ils sont déjà en quelque sorte pré-remplis. Entre autre par de la préparation ménagère à des travaux de plomberie (et quelques activités plus festives aussi).


Crash test (Covid K417N)


    Me voilà donc à peu près retapée, après 6 jours de maladie et d'incapacité de ne rien faire de suivi, tout juste ai-je pu lire aujourd'hui.

J'ai l'impression d'avoir subi un crash test, que toutes les fonctions du corps ont été testées par le virus qui semblait chercher une voie d'attaque définitive.
Peut-être que d'avoir été vaccinée autant de fois qu'il le fallait m'a protégé les poumons. Ils semblent les seuls à n'avoir pas été inquiétés férocement : il y a une toux pénible mais elle reste assez sèche, n'est pas "descendue", et je n'ai pas sentie une baisse de mes capacités respiratoires.
À confirmer dans un jour ou deux lorsque j'aurais pu reprendre la course à pied. C'est finalement la seule partie du corps qui semble avoir été relativement épargnée.

Le jour où la maladie s'est déclarée, c'était le mardi, elle m'est tombée dessus à mesure de la journée mais ressemblait fort à un début de rhume assez classique. J'ai eu un peu de mal à finir ma journée de boulot mais c'est aussi parce que c'est un job où il faut sans arrêt parler au téléphone et que gorge qui gratouille et nez qui coule ne font pas bon ménage avec la fonction.
J'étais parvenue à effectuer ma séance de CAP à la piste.

En revanche le mercredi matin, pas l'ombre d'un doute : impossible de travailler. Fièvre. Symptômes du rhume. Sorte de conjonctivite (les yeux douloureux et qui pleuraient) et une tension qui devait être dans les chaussettes : je me sentais incapable de me déplacer, aller du lit aux toilettes était une expédition.

De plus dans la nuit (du mardi au mercredi), j'avais dû me lever au moins cinq fois pour aller pisser, non sans une certaine perplexité : d'où provenait tout ce liquide ? Je n'avais pas particulièrement bu ni dans la journée ni dans la soirée.

Des membres douloureux, les articulations, les muscles.

Le jeudi, la tête tournait moins, j'ai pu marcher jusqu'au labo d'analyse et trouver la force de prendre rendez-vous avec un médecin.
En revanche une diarrhée violente, surgie de nulle part (depuis 24 h je ne mangeais presque rien). Le mal aux yeux toujours. Et des douleurs dans les os. Mal au dos.

Le vendredi, ça allait moins mal, la fièvre est tombée dans la matinée. Mais a déboulé un mal de tête inquiétant. Et depuis la veille j'avais des trous de mémoire permanent, qui s'ajoutait depuis le mercredi à des pensées dont je ne parvenais pas à garder le fil. Depuis février 2006 et d'avoir eu un jour le cœur brisé (comme dans cette émission), je sais faire face à ça, il faut se répéter ce qu'on doit faire comme tâche suivante jusqu'à son accomplissement ; à quelque chose malheur est bon. J'ai donc pu le vendredi, dûment masquée aller chez le médecin, à la pharmacie, acheter du pain, récupérer un colis, et retourner écluser l'épuisement au fond du lit. Il n'empêche que je sentais le cerveau en lutte contre quelque chose qui tentait de le mettre sous une couverture (1).

Le samedi les douleurs n'y étaient plus mais la fatigue était infinie. Celle du naufragé qui se réveille déposé par la mer sur une plage, ou du passant qui se prend un piano mal déménagé sur le corps.
Je ne pouvais quasiment pas lire depuis le mercredi. Un peu de capacité de lecture - concentration m'est revenue en soirée. Je crois être parvenue à suivre un match de rugby à la télé mais que ça nécessitait un effort. Comme si les règles du rugby étaient très compliquées. Je n'arrivais pas à fixer quel était le côté de quelle équipe (oui je sais ça change à la mi-temps, mais mon cerveau ne parvenait pas à stabiliser ces positions).

À un moment j'ai eu les oreilles douloureuses et j'ai quelques acouphènes (supportables) qui perdurent. 

Le dimanche j'ai presque pu lire. En m'arrêtant beaucoup. En revenant en arrière sur des phrases déjà parcourues. Mais n'empêche, j'avais l'impression de redevenir un peu moi-même.

Et puis ce lundi j'ai pu aller descendre les poubelles et relever le courrier, lire un roman policier et pour travailler le lendemain ça devrait aller, entre deux quintes de toux et la voix un peu incertaine.

J'en garde une incertitude de mémoire (j'ai passé beaucoup de temps à me demander où étaient mes lunettes ou mon téléphone ou mes mouchoirs), une capacité de concentration émoussée, et pas mal de tousserie.

Dès le premier jour et depuis ça n'a pas cessé, j'ai perdu mes cheveux par poignées.

La seule chose qui semble m'avoir été épargnée (pourvu que ça n'apparaisse pas après coup) fut la perte de l'odorat. 

Je suis reconnaissante à mon conjoint de s'être arrangé pour se mettre deux demi-journées en télétravail afin de rester près de moi (je crois que les deux ou trois premiers jours je faisais un peu peur).

Je suis reconnaissante à google street view d'exister : il y a eu des moments où la seule chose que j'étais capable de faire, quand je ne somnolais pas c'était de circuler ici ou là de la planète. J'étais incapable de suivre le fil d'un film, d'une série, ou de lire, alors voilà suivre une autoroute à Bakou ou explorer des villes de Corée (du Sud), je pouvais.

Je suis reconnaissante à Rhys Mclenaghan d'avoir emporté la médaille d'or aux championnats du monde de gymnastique à Anvers car c'était l'info réjouissante de cette sombre période ; elle m'accordait le droit de croire que le monde ne faisait pas que sombrer dans davantage de violence et de KO (2).

Je suis reconnaissante à Dominique Sylvain pour son "Mousson froide" qui a été impeccable pour me faire oublier, dès que j'ai pu à nouveau lire, mon épuisement et mes douleurs.


(1) En écrivant ça j'ai l'image des serins dans une cage que l'on recouvre afin qu'ils ne chantent pas à tel ou tel moment.
(2) Les jours qui viennent de se passer ont été terrible de ce point de vue, j'avais l'impression chaque fois que j'émergeais un peu et entrouvrais un fil d'infos de découvrir une nouvelle reprise de guerre, de violences, d'horreurs. 


L'absence de liberté


    Jamais je ne me suis sentie aussi libre dans ma vie que pendant le premier confinement, le en-dur, le vrai : un peu plus de 2 mois à être entièrement libre de mon temps, même si limitée dans mes déplacements. 
C'était être infiniment plus libre qu'au reste de mon quotidien habituel, où certes, des congés permettent parfois d'aller ici ou là, dans mon cas, rarement loin et de toutes façons (et aussi par conscience de l'état de la planète : pas de voyage de pur agrément) avec des choses à faire.

Depuis je suis à nouveau salariée avec un gros plein temps, charge de travail intense, je me sens enfermée.
Comme mes objectifs sont clairs - tenir jusqu'à une retraite qui permettrait de subvenir à des besoins modestes pour deux personnes -, je tiens le coup, finie la récré, le choix du métier (libraire, ça me convenait), la condition physique peut se détériorer, j'ai l'âge des fins possibles et quelqu'un dépendra toujours de moi dans le meilleur des cas, fini de plaisanter.

Je profite de ma légère aisance (comprendre : des fins de mois qui ne sont plus dans le rouge à chaque fois) pour aider celles et ceux qui tentent de persister dans leur vrai travail, de ceux qui dans notre société permettent rarement de joindre les deux bouts.
C'est OK pour moi comme ça, tant que ça va.

Et puis parfois une bouffée d'imagination me rattrape car l'écriture (et la photo et l'envie de faire des films et de la musique et le manque de la danse) est toujours là, contenue, tapie, mais qui bouillonne.
Ce matin je lisais ce billet sur le blog de Fanny Chiarello, avec laquelle j'ai un certain nombre d'affinités du moins dans la perception du monde, et la photo de son amie dans le café de la gare de Bangor, m'a soudain emportée dans un film, l'écriture du scénario du film dans lequel cette image serait fusait. C'était irrésistible.
Mais c'était l'heure d'aller travailler.
J'ai résisté. Il le fallait.
J'en ai pleuré. 

Bien sûr au retour ce soir, il ne restait rien de ce qui était en train de jaillir, quelques notes jetées en vrac en arrivant, dans le premier cahier qui m'est tombé sous la main, un enfant qui disait à l'un de ses frères, Regarde, je vais sauter [en longueur], attends, pousse-toi, mais pousse-toi ; un slogan Du temps pour tous ; une bribe de phrase : Au milieu des moments morts, il y avait des moments vivants ; une réflexion : qu'est-ce qui fait que l'on destine certains morceaux, tels La lettre à Élise, à se faire massacrer inlassablement par des débutants, quand d'autres non - j'imaginais peut-être que c'était l'un d'eux que Valentina Magaletti entendait dans ce buffet de gare -. Il y avait la vie des autres gens, celles et ceux que l'on entrevoit en arrière-plan et l'image en suivra certains un temps et puis finalement non, d'eux davantage on ne saura rien.  Ils n'étaient qu'en marge de ce qui survient.

Comme ma propre vie de ces années-ci.
Puisse du temps m'être accordé après.

 

(1) Je ne veux pas finir vieille dame à la charge de mes enfants. Mon emploi actuel est ma chance d'éviter ça et je n'en retrouverai pas d'autre facilement. De plus il est utile aux autres. 


 

 

 

 


La tenue du diario

    

        Disposant d'un miraculeux jour de RTT, et de quelques heures à ma main car notre dentiste traitant est absent puis sur-occupé et voilà donc un rendez-vous de réparation que j'espérais caler vite fait en cette journée reporté au 19 juin au plus tôt (!) (Vous avez mal ? Bah pour l'instant c'est supportable), je rattrape quelques retards de lectures chez des blogs amis.

Eux écrivent quand je me contente de jeter pêle-mêle les mots décrivants à plat ce que j'ai pu faire ou ne suis pas parvenue à faire dans une journée donnée. 
À nouveau je me dis qu'il serait temps que je prenne ou reprenne l'habitude ici d'une sorte de journal de ce qui est partageable en jetant un peu moins les mots n'importe comment ; avec l'élégance ou au moins l'effort de tendre vers l'élégance des amis Guillaume ou Thierry, ou, côté pro, Samovar (même si je ne compte pas parler du côté pro, confidentialité oblige, ou uniquement en creux en terme d'incidence sur ma vie personnelle).

En pratique, je ne sais comment faire : le plus souvent je parviens in extremis à jeter quelques lignes sur un carnet avant de tomber dans le sommeil. Et au matin, quand je ne cale pas un entraînement au lever, ce qui m'aide beaucoup à "faire passer" une journée, c'est que j'ai tout juste le temps de me préparer pour arriver à l'heure. Par ailleurs je me connais : me lever plus tôt pour écrire ne ferait qu'accentuer ma peine à devoir remiser ma vie au profit de ma vie salariée, au moment de raccrocher l'écriture pour le restant de la journée.

Cette question fait partie de la petite foule de choses que j'avais soigneusement mis sous le boisseau lorsqu'il fut question de tenter de sauver les finances de mes vieux jours en prenant un emploi stable à plein temps, alors que la retraite semblait un horizon possible dans un futur envisageable. À présent il faut que je repense à mon organisation, à comment tenir jusqu'au bout, comment ne pas renoncer, comment trouver le temps et l'énergie de ranger (1).

La seule réponse que je suis parvenue à trouver afin de contrer ce report à la Saint Glinglin (2) de ma libération, a été de m'inscrire pour un marathon à l'automne, 60 ans me paraissant la limite d'âge pour un premier. J'ai (re?)découvert ce matin (Étonnements du 03/06/23), non sans amusement et une jolie sensation d'encouragement, que Thierry à mon âge en avait fait autant. Ce qu'il écrit de ce qui était possible pour lui à 60 et l'est moins à 65 me conforte dans mon choix.
Run Forrest, run ! (3)

 

(1) Là aussi j'avais abdiqué temporairement en me disant, quand je serai enfin libre de mon temps je pourrai m'organiser ; sauf que cela adviendra sans doute trop tard par rapport à ma santé ou que j'aurais tout donné pour tenir jusqu'au bout et m'effondrerai après.
(2) Du moins perçu comme tel.
(3) J'ai toujours cette sensation que le film Forrest Gump raconte ma vie.