Un peu de Prévert

    20161003_201104     Il y a dix ans je postais ici un billet souvenir, un peu stupéfaite par l'attention que la moi de quatorze ans avait pu prêter à l'annonce de la mort d'un vieux monsieur poète. Mieux formulé : impressionnée par le fait que pour une gosse de banlieue dans les années 70, connaître Prévert, au moins un peu de son travail, allait de soi.

"En écoutant voiture radio su que Prévert mort"

(Mon diario n'était ni a visée littéraire ni réellement journal intime, plutôt, comme ici ?, un journal de bord).

Ce qui m'épate à présent c'est aussi d'avoir via le blog une mémoire rafraichie de dix ans (et plus). 

PS : Quarante ans plus tard le "Regardé télé avec feu Malraux" me semble quand même un tantinet mystérieux.

[photo personnelle, 3 octobre 2016] 


Retrouvailles de mémoires (le contraire d'un trou, quoi) : 32 fois sans


Capture d’écran 2015-06-08 à 21.39.32

Capture d’écran 2015-06-08 à 21.39.49 C'est ce matin en assistant à une présentation de rentrée littéraire jeunesse (1), que tu as appris ce qui était à tes yeux une belle nouvelle : C'était le "Jacob Jacob" de Valérie Zenatti qui avait emporté le prix du livre Inter.

Un des romans qui t'avait le plus émue à l'automne. Quelque chose qui disait la fragilité d'une vie, les liens familiaux et leurs ambivalences, les vies simples, déjà dures en temps de paix et que les guerres savaient compliquer. Et qu'aussi une bonne personne ne se laisse pas si facilement oublier, qu'elle peut influencer vers le mieux la vie de ceux qui lui survivent ; encore longtemps après. 

Tu t'es souvenue avec joie de cette soirée à l'Attrape-Cœurs, il y a déjà plusieurs mois, alors que l'homme d'ici craignait soudain de perdre son emploi et que l'auteure invitée était si chaleureuse et partageait si bien ce qui touchait à son travail y compris dans sa part affective, que nous en étions repartis avec une intelligence agrandie.

Une fois livrée à toi même, ça retombe assez vite, tu retrouves tes limites, mais pendant quelques heures d'un soir tu as l'illusion d'être de ceux qui comprennent. La descente est moins douloureuse que celle d'après avoir cru que tu étais éligible à l'amour. Et contrairement à cette dernière l'illusion de l'intelligence laisse toujours quelques bribes de réflexions qui font grandir.

C'est pour toi ces derniers mois une période d'épuisement. Au point que tu attends les congés d'été pour savoir si tu dois où non vraiment t'en inquiéter parce que si à leur occasion tu ne récupères pas ça risque d'être signe que quelque chose quelque part ne va vraiment pas. Donc tu es rentrée de ta journée, le temps de prendre une douche, de croire ouvrir un livre et direct tu dormais.

C'est au réveil, après un frugal dîner gentiment préparé par l'homme en rentrant du boulot (2) que ta mémoire a soudain eu deux rouages qui se sont emboités et que t'es réapparu évident que tu "connaissais" Valérie Zénatti d'avant. Certes d'avoir aussi lu certains de ces romans jeunesse, qui sont d'une qualité d'écriture aussi nette, mais qu'elle avait participé au livre "Cent jours sans" publié du temps du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun. Et la mémoire en est d'autant plus vive que tu avais participé aux relectures techniques (3) et qu'entre tous ce texte-là t'avais marquée. Parce qu'il était tonique et plein d'espoir mais sans se voiler la face. Tu te revois ce jour-là, ensoleillé, la matinée chez le notaire à Sannois pour la succession de ton père mort six mois plus tôt et la tristesse de ce moment-là où l'on mesure ce que l'administration considère qu'il reste de la vie d'un homme honnête qui avait su sortir de la pauvreté mais pas très riche pour autant - "et vous souvenez-vous si à la date du décès vous aviez ou non déjà réglé la facture d'électricité ?" fut-il demandé à ma mère, entre autres incongruités ; Quelle est la valeur de votre voiture ? (une vieille que mon père entretenait avec soin et dont le souvenir du prix d'achat n'était d'aucune utilité) - et juste débarquer gare du Nord par le train de banlieue, passer vite fait au marché couvert acheter une bouteille, passer par la rue de Paradis pour le bon augure, monter chez Marie qui t'attendait. Caroline était là, Lucie aussi brièvement, avec une de ses amies. Les heures studieuses sur la grande table, le repas sur le pouce préparé par Marie, et qu'en fin d'après-midi tout était fait. Et combien tu te sentais utile, et que tu n'en demandais pas plus, enfin si que les otages rentrent et en bon état. "Ces phrases qu'on voudrait entendre très vite."

 

C'est fou, il aura fallu le prix du livre Inter et une sieste à l'heure de l'apéritif pour que ça te revienne. D'heureuses (4) retrouvailles de mémoire, soudain, dix ans après. 

 

PS : "Cent jours sans" était un livre de cent textes courts écrits par différents auteurs, certains du comité, d'autres sympathisants, paru le 13 avril 2005 (à la mémoire, je peux me tromper de quelques jours), et vendu au profit du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun. Sophie Calle et Marie Desplechin avaient rassemblé les contributeurs puis leurs contributions, Actes Sud avait pris en charge l'impression. Je me souviens d'un mercredi après-midi de fous d'envoi des cartons pleins des livres aux libraires de toute la France. Le fiston était là, volontaire, qui avait aidé comme un grand. S'il n'y avait eu le péril qui menaçait ceux que l'on tentait d'aider, c'est un de mes plus beaux souvenirs : quand le travail s'organise collectivement avec efficacité, qu'on est assez pour ce qu'il y a à faire, quand on peut croire à nos capacités.
Et Solange Richard qui coordonnait tout et abattait un boulot impressionnant.

PS' : En prime t'est revenu le slogan qu'avait trouvé le fiston (alors 10 ans) "Les soutenir c'est l'avenir". 

PS" : Je prends conscience que si l'attentat contre Charlie Hebdo m'a mise à ce point à terre, c'est en plus de la part de deuil personnel sans doute aussi ça : n'avoir rien pu faire, rien, tout s'est joué d'un seul coup en ce sale jour là. Dix ans plus tôt très exactement, la mauvaise nouvelle n'était pas définitive, on pouvait tenter de lutter, agir, se rassembler, aussi dérisoire que ça puisse paraître dans un premier temps.

PS"" : Ce billet c'est n'importe quoi, je ne suis pas parvenue à stabiliser le je le tu le nous, le présent, le passé, je suis partie sur tout autre chose que ce que je voulais expliquer (mon lapsus sur twitter entre "Joseph" et "Jacob", effectivement issu de ma retrouvaille de mémoire) et surtout un grand bravo que je voulais écrire pour Valérie Zenatti et ce prix du livre Inter qu'elle vient de recevoir.

Voilà le genre de choses qui arrivent lorsqu'on n'a pas assez de temps pour écrire, ça part dans tous les sens, on ne canalise pas (et voilà un zeste de "on" pour la peine).

 

(1) Actes Sud, Rouergue, Hélium entre autres

(2) En fait tu comptais te reposer un quart d'heure puis préparer à manger. Tu as probablement dormi deux heures et d'un seul trait. 

(3) Il n'était pas question de corriger les textes, seulement les coquilles éventuelles ou de malencontreux copier-coller, des répétitions intempestives et des problèmes de veuves et orphelines dans la mise en page du premier jet.

(4) Puisque comme dans les films hollywoodiens, et contrairement au reste de la vie, tout s'est bien fini.

[copies d'écran personnelles des pages de "Cent jours sans" écrites par Valérie Zenatti pour Florence Aubenas il y a dix ans de cela ; j'espère que ça ne pose pas de problèmes de les citer]