J'ai grandi dans un monde étrange

(J'en ai déjà parlé du moins en partie, mais les derniers développements me poussent à reprendre ma besace de déjà un peu vieille dame qui a connu autre chose que les haines de maintenant)

 

 

J'ai grandi dans un monde étrange où les racismes n'existaient pas, bien sûr quelques vieux hommes l'étaient encore, quelques pères de famille qui avaient "fait l'Algérie", mais c'était un peu comme si on considérait que, pauvres hommes, ça les avait rendus fous. Se montraient racistes aussi une petite poignée de gens très bêtes qu'il fallait bien qu'ils se persuadent que d'autres l'étaient plus qu'eux sinon l'étendue sans plancher de leur stupidité les aurait conduits au suicide. La banlieue où j'ai grandi commençait à être assez sérieusement multicolore, et ça se passait bien. Je crois qu'il est devenu important de le rappeler. On peut vivre en bonne intelligence tous autant qu'on est.

Il devait bien y avoir quelques sales cons à mépriser l'un ou l'autre pour des histoires de venir de loin et plus récemment que ses propres ancêtres, mais il était si minoritaires qu'il était tout à fait possible de ne jamais croiser leur chemin. Il y avait des questions maladroites, j'étais moi-même un peu d'une étrangère, mais ça n'allait jamais jusqu'à un sens du rejet, c'était plutôt souligner un Tu n'es pas tout à fait comme nous (mais on t'aime bien quand même).

L'homophobie n'existait pas mais pour une mauvaise raison : l'homosexualité était censée ne pas exister (et il est vrai que, prudentes, les personnes concernées se faisaient d'une discrétion absolue).  Quand elle n'était pas dissimulable (de bons voisins de mes parents avaient un fils alors jeune adulte qui aurait pu servir d'inspiration pour "La cage aux folles") elle était considérée comme un handicap, au même titre que la trisomie 21 (1). C'était plus compassionnel que méprisant et jamais agressif. Je ne dis pas que c'était correct.

C'était un monde sans femmes voilées, je n'ai su que très tard qu'il en existait. Des camarades de classe étaient musulmans, mais leur islam progressiste et discret. Les mères de famille s'étaient empressée d'adopter une allure qui ne les distinguait pas d'autres mères de famille du quartier. Ceux qui suivaient le ramadan n'en pipaient mot. Je me souviens vaguement au lycée d'avoir supposé qu'un camarade n'allait pas à la cantine à un moment donné parce que ses parents devaient avoir des ennuis d'argent. Et que personne ne posait de question puisqu'au mieux on aurait pu l'inviter à prendre un café Chez Mimi, chacun comptait chaque sous. Et qu'on voulait lui éviter l'humiliation d'une réponse chagrinée. Lui trouvant mauvaise mine sur la période, j'imaginais que c'était parce que les soucis familiaux le minaient. Ces films qu'on se fait ...

Personne n'était ramenard sur la religion, pas même les catholiques, que l'on remarquait seulement par leur absence une journée (celle de la "retraite") l'année de leur communion. Et leur montre neuve au poignet le week-end d'après l'événement. Qu'il était de bon ton de traverser comme une corvée consentie pour faire plaisir à Papa et Maman, ou plus généralement une grand-mère. La même qui plus tard servira d'alibi pour un mariage à l'église avec tout le tralala. 

Les seuls à conserver une apparence liée à leur groupe d'origine étaient ceux qu'on appelait en ce temps-là les bohémiens, quand ils avaient manèges ou cirques les forains (ceux-là, estimés et vaguement craints au même titre que ceux qui sur d'autres terrains faisaient service d'ordre de la CGT (!)), et qui venaient de loin en loin s'installer sur l'un ou l'autre terrain disponible de la ville ou des terrains vagues un peu plus loin (dans la banlieue en pleine mutation les terrains vagues ne manquaient pas). Envers eux, globalement une méfiance - ne pas partir en laissant une fenêtre ouverte au rez-de-chaussée, un vélo sans antivol, une porte d'entrée non fermée à clef (3) dans les périodes à caravanes proches -, mais rien à voir avec l'hostilité et le rejet actuel. Les femmes aux jupes longues proposaient des paniers, qui je crois me souvenir leur étaient achetés volontiers - c'était une période de relative opulence, jusqu'en 1975, où comme me le faisait remarquer une amie l'autre jour, on a pris conscience que le chômage, ou du moins son risque pour chacun d'entre nous, ben ça allait durer -. Ils rempaillaient les chaises aussi.
Je me souviens d'avoir plus d'une fois été en classe auprès d'une enfant de passage. Je pense que les instits les mettaient à côté de moi parce qu'étant bonne élève, assez liante et toujours prête à aider, je pouvais effectivement être qui il fallait pour mettre l'autre en confiance. Mais je ne faisais jamais cadeau de ce que je prêtais, il aurait fallu ensuite que je justifie la disparition de la fourniture, ma mère aurait dû redemander une rallonge à mon père, lequel se serait mis en colère, et tout ça aurait été de ma faute. Donc j'étais accueillante mais sans générosité. 

C'était souvent, j'y repense à présent, qu'on me confiait les nouveaux venus, je veux dire qui qu'ils soient, d'où qu'ils viennent et si c'était définitif ou passager, les arrivées d'en cours d'année. Je n'ai quand même pas l'impression que c'est parce qu'auprès d'autres enfants il y aurait eu des difficultés.  Nous n'étions ni pires ni meilleurs bougres que les gamin(e)s de maintenant, les mêmes rivalités, bagarres, mensonges, magouilles et mesquineries, petites histoires comme dans tout lot humain, un peu moins de tricheries en classe peut-être (moins de matos, il faut dire), et pas de racket puisque personne n'avait rien qui attirât la convoitise. Mais il n'y avait pas d'hostilité d'appartenance liée à des communautés d'origines. Seulement des hostilités d'affinités. Et les bagarres c'était à la loyale, à mains nues. Je n'ai non plus jamais assisté à des phénomènes de type exclusion de l'un ou l'autre pour en faire un souffre-douleur - ce qui ne veut pas dire que ça n'existait pas -. Mais pas dans les classes où je me suis trouvée. L'atmosphère était plutôt à l'entraide. Ça m'est resté.

Je n'ai le souvenir que d'une seule mauvaise tête en primaire, un gars qui trafiquait des gommes parce qu'il les remplissait de colle ou je ne sais quelle manip qui faisait qu'il lui en fallait d'autres et ses parents refusaient de fournir tant de matériel (!). Ce gars-là était globalement hostile au monde entier et donc plus particulièrement aux personnes de passage aux nouveaux arrivants. J'ai lu son nom quinze ou vingt ans après sur une liste locale du Front National. Déçue, mais pas surprise. 

L'éducation à l'histoire, je ne saurais dire quand elle fut faite. Je crois que ça m'a fait comme pour l'éducation sexuelle, j'avais pigé un morceau de choses toute seule, entre observer, écouter (en particulier les adultes lors des occasions de se rassembler), et glaner des lectures sans chercher (4). Ce qui fut dit en classe servit ensuite à appréhender les pièces du puzzle qui manquaient, et replacer correctement celles qui avaient été dans un premier temps placées de façon un peu hasardeuse ou forcée.

Je me souviens qu'on nous avait projeté "Nuits et Brouillard" d'Alain Resnais, mais je ne sais plus quand ; peut-être en 5ème (ou en 4ème). Que j'avais été effarée que même les enfants, même les bébés, mais pour le reste il ne s'agissait pas d'une révélation. Et que déjà horriblement ingénieure dans ma tête j'avais pensé que le gaz, puisque barbarie il y avait, était probablement la moins pire des méthodes ; qu'une mort rapide, j'espérais indolore, et collective était moins pire que chacun sa petite guillotine (5). Mais grâce à des confidences de mon père, qui me racontait parfois "Quand j'étais petit ...", j'en savais déjà long sur les dictateurs, les dictatures, leur folie, et comment ça pouvait entraîner les gens, ceux qui suivaient parce qu'ils perdaient leur capacité de raisonner, ceux, les plus nombreux qui suivaient par trouille. Donc mon idée d'enfant était qu'il y avait eu des fous furieux au pouvoir en Allemagne quand mes parents étaient enfants et que tout le monde (ou presque) leur avait obéi de peur d'être à leur tour envoyés à la douche ou au moins dans des camps qui étaient comme des sortes de prisons de vacances et où l'hiver de froid et tout le temps de faim on mourait. En revanche, j'ai longtemps ignoré qu'il y avait eu des lois raciales en Italie car pour moi Mussolini était une sorte d'équivalent Hitler sans l'efficacité ni la folie de la haine des juifs.

Et il allait de soi pour tout le monde que ces types et ceux qui leurs obéissaient étaient des fous furieux, l'idée que des êtres humains sains d'esprit puissent admirer leurs idées, adopter leur idéologie n'était tout simplement pas même envisageable. Il était également clair que les Allemands dans leur ensemble n'étaient pas responsables de tout ce bazar-là, qu'il avaient collectivement à un moment donné fait confiance au mauvais bonhomme, et qu'ensuite de toutes façons tous s'étaient trouvés prisonniers d'une dictature implacable. Ma mère m'avait raconté pour Pétain (elle était alors petite fille) qu'elle avait vu des portraits de lui dans les maisons et qu'il allait sauver la France comme en 14, que les bonnes gens y croyaient, mais que pas très longtemps plus tard, tous les portraits avaient été décrochés, qu'elle n'avait pas trop compris pourquoi - en ce temps-là aux enfants on n'expliquait pas -, et qu'à l'école on ne chantait plus "Maréchal nous voilà". Donc j'imaginais qu'Hitler pour son peuple avait été perçu comme plus tard Pétain en France, un type que les petites gens qui ne s'en sortent pas voient comme un sauveur qui les en sortira sauf qu'après il n'est pas bougeable celui-là et s'ils ne sont pas contents il les fait tous tuer alors que Pétain non. C'était ma rubrique, l'histoire comprise (ou pas) par des enfants encore pas très grands.

Il ne serait venu à l'esprit de personne de contester la véracité de ce qui nous était exposé, pourtant c'était un temps où si l'on n'était pas d'accord, on le disait, l'ambiance était globalement assez à la contestation - mais directement entre élèves et professeurs, sans le truchement des parents qui alors respectaient l'école et ne se mêlaient en rien du contenu des enseignements, on aurait d'ailleurs eu honte, c'était pas leurs oignons -.

Il semble que depuis un moment déjà ça ne soit plus le cas (entretien entre Olivier Monod et Sophie Ernst pour l'Express), je veux dire en ce qui concerne l'enseignement de la shoah, qu'on n'appelle je crois d'ailleurs plus comme ça. On disait aussi l'holocauste. Une série était passée à la télévision. Beaucoup avaient regardé, choqués. Le "Shoah" de Claude Lanzmann n'était pas encore sorti. Globalement, on savait, la guerre était encore fraîche, des parents ou des grands-parents avaient parlé. Mais ça restait effarant, difficile à croire, que ça ait été à ce point-là. Il y avait beaucoup d'empathie. Et peu de culpabilité puisqu'en ces années là (début des 70) la France dans son entier se voulait un passé d'avoir glorieusement résisté, sauf quelques femmes qui avaient eu la faiblesse, mais ce n'étaient que des femmes, n'est-ce pas, de fauter (le terme s'employait). Mais si de tels mots étaient prononcés dans une assemblée comportant quelques femmes, c'était motif de se fâcher. Les femmes aussi avaient été d'héroïques résistantes, et les enfants et même les nouveaux-nés. La milice, la quoi ? Les délations n'étaient jamais mentionnées, je n'ai appris leur existence que très très tard, en lisant. Et en croyant sincèrement qu'il s'agissait de rares exceptions, de malheureux et pitoyables Lacombe Lucien. 

Quand je vois à quel point on a collectivement régressé, sauf sur le féminisme (encore que, le sexisme soit resplendissant), maintenant, les uns méprisant les autres, ces derniers haïssant les suivants et des espèces d'échelles de valeurs moisies escaladées pour opposer les uns aux autres (et implicitement marquer la supprématie censée soudain être redevenue incontestable du mâle hétérosexuel catholique et blanc), je me dis que j'ai grandi dans un pays disparu, un monde étrange et respectueux.

Je ne pense pas que ça soit un hasard qu'il ait correspondu à un des rares moments où presque tout le monde du moins en Europe (alors dite "de l'Ouest") parvenait à bénéficier d'un brin de la prospérité des pays industrialisés (6). On se contentait de peu. On avait assez. On parvenait à partager et à se passer de boucs émissaires pour ce qu'on constatait qui mal allait. 

 

 


Nuit et brouillard - Alain Resnais - 1955... par sourigo

 (je n'ai pas trouvé la suite, seulement la fin ; y aurait-il malgré le côté pédagogique et le temps écoulé, des problèmes de droits ?)

 PS : Attention, je ne prétends pas que c'était pareil partout en France dans les années 70. Je ne parle que de ce que j'ai pu observer, entre classe moyenne inférieure et milieu ouvrier, grande banlieue de Paris cité pavillonaire et les établissements scolaires publics correspondants sans dérogation au quartier. Nous ne disposions pas de tous les médias actuels, je lisais des magazines d'informations que je subtilisais à mon père avant qu'il ne rentre du travail, entrevoyais parfois un journal télévisé, entendais des flashs d'infos à la radio mais pas systématiquement. D'où que si je n'avais jamais croisé personne d'ouvertement raciste, je pouvais présupposer que le pays entier était depuis la seconde guerre mondiale décontaminé. De plus dans ma famille d'origine à l'époque personne ne l'était. Je n'avais pas pris garde à l'antisémitisme rampant de ma mère (7), qu'elle se gardait à l'époque d'afficher, alors qu'une de mes cousines plus âgée l'avait détecté et le lui avait reproché. Mais j'étais trop jeune, pas encore assez instruite, ou une sorte de loyauté filiale m'aveuglait.

 

(1) Je n'établis pas la comparaison en l'air, d'autres voisins avaient une fille, alors adolescente, et trisomique et l'attitude de mes parents et de la plupart des adultes était la même envers les parents de l'une et de l'autre et envers les personnes elles-mêmes. Un très maladroit On est gentils parce qu'on vous plaint. Mon père un peu moins qui en tant qu'étranger savait ce qu'était d'incarner le "pas pareil". Et le jeune homme se faisait excessivement discret, je le soupçonne d'avoir parfois attendu que la voie soit libre pour sortir. Et jamais je ne l'ai vu au jardin (2).

(2) Ces petits pavillons presque tous pareils avaient des petits jardins tous attenants et dans les premières années peu pourvus d'arbres et d'arbustes prêts à protéger les intimités. Descendre au jardin s'était donc inévitablement s'exposer à faire au moins un brin de causette avec celui des voisins qui tondait sa mini-pelouse, taillait ses trois rosiers ou arosait son arbre.

(3) En ce temps là on ne fermait pas toujours tout, ni non plus systématiquement les voitures, il n'y avait pas d'alarmes dans les maisons, on ne fermait jamais la porte d'entrée à clef si l'on était là - et ça reste quelque chose que j'ai du mal à faire, du moins quand je suis ailleurs que dans l'appartement où en raison du type de serrure la question ne se pose pas -. Des cambriolages existaient mais ils restaient relativement rares, du moins avant que l'un des enfants du quartier devenu grand ne sombre dans l'usage de drogues dures et n'attire sur zone ses mauvaises fréquentations.  

(4) Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Absolument tout. Que je ne m'étonne pas qu'avec l'internet je me sente comme un poisson dans l'eau. Cette soif reste intacte.

(5) Je devais avoir 11 ans, cet âge où l'on peut si facilement devenir d'impitoyables soldats, assez grands pour être efficaces mais pas assez pour avoir éprouvé l'amour, la profondeur des sentiments, tout est alors dans le raisonnement.

(6) À l'époque moins basée qu'aujourd'hui sur l'exploitation des autres et le chômage des siens. Le mouvement de mondialisation capitalistique et marchand prenait alors simplement son élan.

(7) qui n'est pas un antisémitisme de haine, mais celui très franchouillard et néanmoins lui aussi détestable, qui consiste à dire "Tu sais ma voisine qui est juive, mais très gentille, je l'aime beaucoup", ou à dire "De toutes façons tu ne pourras jamais publier de livre, on n'est pas juifs", ou à tenir d'ajouter si jamais le sujet des déportations vient à passer, "Oui mais quand même, il n'y avait pas que les juifs".


Comment j'ai pu craindre un instant d'avoir changé de sexe mais non j'ai seulement rajeuni

 

Dans le cadre de mon opération hebdomadaire anti-sunday evening five o'clock blues, entre la cinquième vision de "ma" comédie croate (1) et une soirée télé (2), je parcourais les blogs que je sais amusants et suis, chez Christophe Lhomme arrivée sur ce billet : 

à 53 ans j'ai changé de sexe

Je me suis précipitée pour vérifier que je n'avais pas subi le même sort (2013 a été pour l'instant si peu clémente pour moi, je n'aurais pas été surprise)

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Ouf ! Ils se sont contentés de me rajeunir, si tant est qu'on considère que cette appellation ringarde et insupportable (3) est aussi signe d'âge.

 

(1) Je suis en train de perdre mes derniers grands amis à force de les en gaver, mais voilà j'essaie simplement de ne pas leur faire manquer un chef d'œuvre, un futur film-culte, qu'ils soient fiers ensuite d'avoir été parmi les premiers à pouvoir le faire découvrir à d'autres.

(2) J'en vois qui sursautent, ça fait plus de huit ans que je ne la regarde plus du moins vraiment, mais il s'agit de rendre hommage à Georges Lautner en revoyant ses Tontons Flingueurs. 

(3) À moins d'un usage symétrique pour les hommes censé indiquer également leur célibat.


La courte vies des (sacs) Papillons

 

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Quand je travaillais à Livre Sterling, qui n'avait pas encore fermé, nous utilisions pour emballer les grands formats les solides sacs Papillons de l'École des Loisirs. Il se trouvait souvent des dames (1) pour refuser poliment, l'environnement blabla prêtes à se compliquer la vie à porter un livre dans un autre paquet mal conçu pour ou à la main.

Je leur expliquais alors que ces sacs étaient oxo-biodégradables, qu'au bout de quelques mois ils se fragmentaient, qu'elles pouvaient les utiliser la conscience tranquille. L'explication complète, inscrite sur ces sacs est précisément : "Ce sac est oxo-biodégradable. Sa durée de vie est limitée dans le temps car après fragmentation il devient biodégradable". Certaines se laissaient convaincre, d'autres non, mais toutes étaient sceptiques et je les comprends : ses sacs semblent d'un plastique à toute épreuve. 

Seulement voilà, pas celle du temps et c'est fait pour et pour une fois il ne s'agit pas d'une publicité mensongère. 

Il se trouve qu'aujourd'hui l'un des derniers sacs que j'ai rapportés de la librairie, fin juillet, peut-être celui qui contenait le portrait de Jerome Charyn en grand séducteur que le patron m'avait offert lorsque nous avions effectués les presque ultimes rangements, s'est fragmenté. J'en ai connu de plus spectaculaires, des fragmentations, (comme par hasard l'un d'eux dans lequel j'avais glissé tes messages amoureux des papiers administratifs sérieux et qui s'étaient trouvés tout étalés par terre) mais cependant le processus à l'œuvre y est clairement visible :

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Je tiens à préciser que la photo n'est pas retouchée et que le sac était gentiment posé dans un coin, qu'il n'a subi aucun outrage qui justifierait son nouvel état. 

Voilà donc une maison d'édition qui soigne son image et respecte ses clients et l'environnement. 

Pour un peu on en viendrait presque à regretter l'efficacité de l'oxo-biodégradation annoncée : ces sacs sont si beaux. 

 

(1) Je n'y peux rien, ne fais que constater : les messieurs très rarement. Certains même me demandaient de les doubler car ils ne me croyaient guère quand je leur certifiais que ces sacs pouvaient contenir des livres très lourds. Bizarrement, si le patron leur affirmait la même chose ils se laissaient convaincre. 

J'en connais d'ailleurs un qui, entré avec un sac publicitaire pour Marc Lévy, s'était laissé équiper d'un autre de l'École avant que je ne le raccompagne à son hôtel voisin.


Le signe indien (vaincre)

Cette aprème en dormant, bien à contre-coeur

 

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Trop d'absents, trop de disparitions sinon subites du moins subies ces deux trois dernières années.
Certains n'y sont pour rien. Rattrapés par la mort ils n'ont pas eu le choix.

La plupart d'auxquels je pense pour leur part sont en vie, de la santé d'une seule d'entre elles je m'inquiète concrètement. Des autres les plus récentes nouvelles glanées étaient plutôt bonnes.

Dans le sommeil étrange et désolé d'un dimanche après-midi comateux d'épuisements, mon cerveau à mon insu réfléchissait en produisant par ailleurs du rêve sombre et troublant.

Je sais que j'ai été pesante et pénible aux proches d'entre les proches quand ma fille est tombée malade, il y a deux automnes de ça.

Mais pour autant comment expliquer tant de désaffections et d'éloignements. Je me suis longtemps cru coupable de quelque chose, seulement à part certaines dangereuses potentialités dont je n'imaginais pas même faire usage (1), je ne vois finalement pas quelle menace je constituais, ni quelles offenses j'ai pu commettre.

C'est alors qu'au réveil est arrivée l'Idée, le point commun, la clef de l'énigme :
tous les absents ou les plus loins,
avaient visité les Indes dans l'année qui avait précédé leur mystérieuse évaporation. Ils en étaient revenus sans exception enchantés (au sens littéral) et pourvus du solide espoir d'y retourner.

En remontant jusqu'aux années anciennes où j'étais pour les autres l'élément stable et où leur absence car je n'étais vraiment pas seule me rendait tout au plus nostalgique de bons moments partagés, j'ai compté jusqu'à neuf cas confirmant le phénomène, soit les neuf douzièmes des voyageurs que je connaissais et qui y sont allés.

J'exclus de la statistique ceux qui connaissaient le sous-continent avant qu'on fasse connaissance, surtout s'ils font pas mal de maths, peut-être que la pratique assidue des sciences exactes protège de l'étrange enchantement.
Apparemment le phénomène ne concerne que ceux qui faisaient partie de mes proches AVANT leur première expédition.

Il se développe de la façon suivante : j'entends parler avec un enthousiasme qui me ravit du périple prévu, la personne part et sur place ne donne aucune nouvelle ou au mieux une fois. A son retour, elle devient plus rare, n'excluant pas une phase de délicate remise en route et retard professionnel à écluser, je prends patience volontiers. Nous parvenons quand même à nous fixer rendez-vous (2). Elle me raconte avec les yeux brillants des épisodes et des ambiances.
Je me laisse entraîner sans retenue, contrairement à ce que mes destinations des 18 dernières années semblent prouver (3), j'adore les voyages. 
Le déjeuner, dîner, goûter ou apéritif, s'achève bien trop vite. On se quitte en se promettant une revoyure prochaine.

Et celle-ci n'arrive pas. Pas de réponse au message suivant. Téléphoner je n'ose pas et sais mal trouver les heures civilisées. Eventuellement un autre rendez-vous est pris mais qui se décommande.

Et l'éloignement se produit, insidieux et comme irrémédiable. Il ne s'agit pas forcément de rupture. Des occasions de retrouvailles ultérieures se présentent et qui sont honorées. Mais l'intimité n'y est plus. Une barrière invisible semble empêcher toute confidence.

Serais-je Indo-incompatible ? Serait-ce un phénomène plus général : une paroi de verre entre ceux qui y sont allés et les non-initiés ?

Qu'est-ce qu'on leur fait fumer là-bas et qui effacerait les anciennes amitiés ?

Ressemblerais-je de façon frappante à une déesse malfaisante d'une des mythologies locales et qui à leur retour rendrait ma présence difficile à supporter ?

Faut-il que j'y parte à mon tour pour rompre le cercle silencieux ?

addenda :

Ma malédiction comporte pour l'instant une remarquable exception, je prie tous les ciels et les dieux disponibles ou Personne si c'est Personne le Tout-Puissant, pour qu'elle demeure telle aussi longtemps qu'elle le souhaitera.

Je tiens à préciser que j'exclus des silencieux l'ami qui se sentant au bord d'en faire partie a pris soin de m'en avertir, m'exonérer par avance de toute responsabilité dans sa phase de replis et aussi qu'il reviendrait dés qu'il le pourrait. De toutes façons et que je sache il n'est pas allé en Inde depuis moins d'un an.


(1) comme de mettre les photos de quelqu'un sur l'internet sans lui demander son avis.

(2) deux exceptions à ce jour :

- disparition coeur, corps et âme dans un cas dés le retour même (alors qu'il fut question à la veille du départ de présents rapportés) ;

- disparition après un second voyage à un an d'intervalle dans un autre cas.

(3) à l'exception de voyages brefs pour retrouver des personnes bien-aimées et de quelques déplacements para-professionnels,

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[photo : idée !]

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