Un très ancien passé

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Pour cause de recherche d'emploi, me voici retournée dans une ville de mon très lointain passé : j'ai grandi tout près mes premières années, c'était la grande ville voisine où ma mère et moi allions en voiture lorsque mon père ne la prenait pas (une Aronde) pour aller à son travail à l'usine qui à l'époque était Simca. 

J'y suis très peu retournée depuis, dont une fois en 2006 mais alors en état de choc, sous l'effet d'une rupture d'amitié subie pour moi incompréhensible. J'y étais allée pour une consultation médicale, laquelle m'avait bien aidée même si sur le moment je me sentais plus désemparée que jamais. Je me souviens d'avoir téléphoné à une amie qui m'avait aidée à reprendre mon souffle, puis d'être allée achever de reprendre mes esprits à l'abbatiale, dont je me souvenais. Puis j'avais repris le train (ou le RER). Autant dire que je n'avais pas vraiment revu la ville, si ce n'est l'usine au loin par la fenêtre du cabinet médical.

J'avais également retraversée la ville lors de différents trajets et j'avais déjà remarqué que je me souvenais des axes de circulation, que je n'y avais pas perdu l'orientation.

Cette fois-ci comme j'étais un peu à l'avance et que malgré le froid, après l'entretien également, j'ai souhaité revoir la ville, j'ai davantage redécouvert de lieux. Il y a beaucoup plus d'habitations, d'anciennes bâtisses ont disparu. Le centre ville a conservé une bonne partie de lui-même, une foule de petits souvenirs sont venus me rejoindre, la poste, la mairie, un square (où sans doute je faisais du toboggan), certains immeubles bas, neufs alors, vieux maintenant, où nous passions ou dans les boutiques de rez-de-chaussée desquels nous faisions quelques emplettes (1). Je me suis souvenue de la boulangerie dans laquelle, comme une récompense, ma mère s'achetait un gâteau et pour moi un pain au chocolat. C'était un grand luxe, ressenti comme tel, et j'avais compris qu'il valait mieux ne pas, sous peine de tempête conjugale, en parler à Papa. 

Pendant pas mal d'années, plus tard, nous repassions par là : un usage de l'usine permettait aux veilles de ponts ou week-end prolongés, de bénéficier "gratuitement" d'une demi-journée de congé sous réserve qu'un hiérarchique accord un "bon de sortie". Alors ma mère, de Taverny où nous habitions alors, nous emmenait ma sœur et moi jusqu'à l'usine d'où mon père sortait et qui prenait le volant jusqu'à Normandie ou Bretagne où nous allions retrouver la famille. Treffpunkt Poissy. 
Cette ville avait pour moi une aura de l'anticipation des retrouvailles avec mes cousins - cousines (2).

Enfin j'ai un souvenir vif d'une "opération portes ouvertes" alors que je devais avoir une dizaine ou douzaine d'années : nous avions pu enfin, nous les petites familles, visiter l'usine, une belle et instructive visite guidée. M'en était resté une indulgence infinie pour mon père - comme une prison mais tu n'as rien fait de mal -, et des impressions fracassantes : le bruit assourdissant des presses et l'odeur suffocante de l'atelier peinture, pourtant délicieusement spectaculaire (des carcasses de voitures avançaient dans une cuve et en ressortaient toutes teintes ; aux êtres humains les finissions). Je me souvenais d'un bâtiment en brique tandis que tous les autres étaient des hangars métalliques.

En repartant, via le RER A, je l'ai entrevu, ainsi que l'ensemble de l'usine, son impressionnante étendue, et le château d'eau si particulier qui la rendait repérable de loin. Songé avec émotion aux années de souffrance de mon père, qui était parvenu à force de travail à s'extraire des ateliers, mais cependant y se faisait violence de s'y tenir, d'y aller. Fullsizeoutput_19b4 

Être amenée à travailler dans cette ville, dans un métier que j'aime, alors que je m'approche de la fin de ma vie professionnelle, aurait pour moi un sens. Quelque chose qui dirait que le sacrifice de mon père d'avoir enfermé ses meilleures années, n'aurait pas été vain.

 

 

(1) Un supermarché, un des premiers en France venait de s'ouvrir en bas de la colline à Chambourcy mais nous y allions, me semblait-il, avec circonspection. Ma mère (et de fait moi) fréquentait encore majoritairement des boutiques où l'on entrait et où l'on demandait ce qu'il nous fallait sans toucher à rien qu'on ne nous ait donné parce que nous l'avions payé. En tant que petite fille que mettaient terriblement mal à l'aise les amabilités forcées des grands, inutile de dire que ma préférence allait tout droit au supermarché, en plus que c'était comme un tour de manège d'être perchée dans le chariot.  

(2) Curieusement, un de mes cousins m'a téléphoné alors que j'étais en chemin, comme s'il maintenait ainsi une vieille tradition. 

 


Que sont-ils devenus ? (the double-deckers)

 

C'est l'ami François qui avec en publiant ce statut m'a remis en mémoire ce feuilleton que je suivais enfant.

Et comme je suis en jour de récupération, ça m'a pris soudainement de perdre délicatement mon temps en tentant de voir ce qu'elles et ils étaient devenu·e·s. Dans mon souvenir, tou·te·s jouaient très mal, mais c'était sans doute un effet du doublage.

Dans l'ordre d'apparition du générique : 

Peter Firth est devenu un acteur confirmé ; il avait même connu la reconnaissance avec son rôle dans Equus et continue encore à jouer (mais plutôt pour la télé)

Brinsley Forde est resté un temps acteur mais s'est surtout fait connaître par le biais d'un groupe de reggae, Aswad. Il a récolté des Grammy Awards avec celui-ci et par ailleurs fait de la radio. Un joli résumé de sa vie peut à l'heure où j'écris ce billet être vu par ici.  

Gillian Bailey est restée un peu actrice, elle semble avoir pu en vivre et peut-être est-elle connue en Angleterre, mais ça n'a pas vraiment décollé. Alors elle est devenue enseignante (pour le théâtre). Il y a une ITW d'elle sur le site de la série.

Michael Audreson, passé les âges d'enfant et de jeune acteur, est passé à la réalisation puis à la production. Il avait fondé en 1996 un centre de soins pour les personnes atteintes d'addictions aux drogues et alcool. On l'entend ici dans une ITW radio postée sur Youtube en 2007 

Douglas Simmonds est mort en 2011. Il n'était pas resté acteur mais avait fait de la recherche en médecine et physique. Lui qui jouait le rôle du bêta sympa était en fait l'intellectuel du lot. Sur le site de la série, un hommage lui est rendu.

Bruce Clark n'est pas resté visible, on trouve simplement une trace de ses participations comme acteur sur IMDB. Il possède de nombreux homonymes ce qui ne facilite pas les recherches. Je découvre au passage qu'il est Américain alors que tous les autres enfants étaient anglais. Même sur le site de la série, il y a peu sur lui. On peut cependant l'entendre ici toujours sur Youtube dans la série d'entretiens publiés en 2007. L'enregistrement ressemble à un long distance call d'autrefois.

Debbie Russ qui interprétait Tigrette n'est pas restée enfant actrice longtemps. Elle est devenue présentatrice de radio pour la BBC.

 

Je pensais que les un·e·s et les autres avaient mon âge mais en fait le temps que le feuilleton traverse la Manche, ils avaient déjà cessé d'y jouer. Et donc même Debbie au personnage de laquelle je m'intéressais peu puisqu'elle était "la petite" est plus âgée que moi. Mon souvenir est que ce feuilleton lors de sa probablement première diffusion présentait un jalon dans mes mercredi après-midi studieux. Je regardais ça me faisait une pause, ça me redonnait la pêche. J'adorais le mécanisme d'ouverture de la porte. Il y avait un épisode avec un de leurs amis coincé dans une armure qui m'avait tant fait marrer que son souvenir m'en est resté. 

Merci François, de m'avoir fourni une très agréable activité procrastinatoire. 

Bonus Track : The cool cavalier


Première punition


    Je lis chez Oncle Tom un billet sur [Sa] première heure de colle, pour un motif qu'il n'avait pas vraiment compris. Le monde des adultes avait décidé qu'un passe-temps discret au collège était interdit, le puni et ses amis n'en savaient rien sur qui la foudre de l'autorité s'est abattue leur donnant, puisqu'ils n'avaient pas été avertis que c'était interdit, un sentiment d'injustice, de ceux qui changent une vie, ou au moins une façon de voir les choses.

C'est amusant car en lisant des articles sur l'obligations désormais de la scolarité à 3 ans, j'avais repensé, moi aussi, à ma première punition. C'était en maternelle et je devais avoir ça comme âge, 3 ans ou 3 ans 1/2. Ma mère comme j'étais de la fin de l'année avait sans doute procédé à mon inscription en cours de celle-ci car à 2 ans 1/2 j'étais trop petite je crois. Je débarquais dans un monde inconnu où les adultes criaient des ordres, où l'on nous demandait de faire des choses bêtes et où j'avais du mal à comprendre le parler-enfants de mes petits camarades. On n'apprenait pas à lire, rien de tout ces trucs de grands que j'entrevoyais quand la famille avec les cousins et cousines plus âgé·e·s venaient à la maison ou qu'on allait chez eux. On nous demandait de dessiner des choses obligées, par exemple une châtaigne, un marron. Moi, j'avais envie de dessiner ce qui me plaisait. 
Et voilà que très vite ma première punition (je crois qu'il fallait aller au coin le dos tourné à la classe) m'était tombée dessus : j'avais bavardé.
Or, j'ignorais totalement que ce fût interdit. Peut-être parce que j'arrivais en cours de route, personne ne m'avait dit : ici quand on fait le dessin obligé, on se tait, je n'avais pas de grand frère ou grande sœur pour me tenir au courant de la discipline scolaire, les parents ne m'avaient pas briefée autrement qu'en me disant Sois sage. Visiblement le Être sage de l'école n'était pas celui de la maison. 

Je garde de cette punition à mes yeux inexplicable le sentiment que l'ordre de ceux qui décide n'est pas forcément le bon, une sorte d'inquiétude diffuse qui ne m'a jamais lâchée (Est-ce qu'on devient bête en devenant grand ? Remplacée plus tard par "en devenant vieux" ?), tant il était évident à mes yeux que l'institutrice avait tort, et qu'on dessinait beaucoup mieux en parlant.

Et puis de toutes façons une école où l'on n'apprenait pas à lire, qui était, je l'avais saisi LE secret magique des grands, c'était nul. 

Bonne rentrée ou la moins mauvaise possible à toutes celles et tous ceux que le rythme scolaire concerne et qui redémarrent cette semaine.  

 


La ville escamotée

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C'est en retournant y courir par le chemin que nous connaissions bien que j'y ai repensé : voilà, la ville dans laquelle ma sœur et moi avons grandi, dans laquelle mes parents auront vécu une cinquantaine d'années (un peu moins pour mon père, bien malgré lui) n'est plus rien pour la famille, ou n'en a plus trace, plus rien. 

Ma sœur se souvenait que ma mère souhaitait être enterrée dans sa petite ville normande d'origine ; l'urne des cendres de mon père qui avait souhaité être incinéré était dans un cimetière de la petite ville du Val d'Oise mais pas le cimetière historique, un cimetière récent que je ne parvenais pas à correctement situer - pour penser à mon père j'allais au Père Lachaise, lieu de son incinération -. De façon logique mais follement dispendieuse nous avons fait transporter et l'urne et le cercueil jusqu'en Normandie. 

De fait, le charmant petit cimetière normand regroupe à présent une grande partie de ma famille maternelle, d'ailleurs je ne serais pas contre y avoir mon futur emplacement, et comme j'ai conservé la petite maison que ma mère y avait, qui la tenait de ses propres parents, tout ça est bel et bon. Je fais partie des gens qui trouvent réconfortant le fait de disposer d'un lieu de recueillement. De plus ma sœur habite dans la région ce qui lui permet de passer si elle en éprouve le devoir ou la nécessité. 

Il faut juste éviter qu'un incident ou accident dans cette région hautement nucléarisée la rende inaccessible, ou que la montée des eaux consécutive au réchauffement climatique ne la submerge.

Le pavillon que mes parents possédaient dans la petite ville du Val d'Oise a dû être vendu : nous n'avions ni ma sœur ni moi la surface financière pour le maintenir sans usage d'y habiter, et pas non plus de raison d'y loger - trop loin pour nous pour le travail, généralement plus proche de Paris, ou qui peut bouger mais que notre logis tout contre la capitale nous permettra d'assurer -, et ne nous sentions pas l'âme de loueuses de maison (1). J'ai fait faire les travaux nécessaires pour le rendre attractif malgré son ancienneté et un jeune couple en a fait son logis. Les circonstances contraignaient à cette option. Nous aurons au moins fait des heureux, du moins nous l'espérons.

Dès lors, il ne reste plus traces de tant d'années vécues en cette petite ville, qui avait son charme, qui porte nos souvenirs, qui est celle de la vie d'adulte de nos parents, dont ils avaient fait leur chez-eux. Quelques poèmes de ma mère à la médiathèque ? Des camarades du club de tennis qui se souviennent d'elle ? 

Je n'ai plus d'amis directs dans la ville, je ne crois pas ; je n'y connais plus que quelques rares personnes. Les voisins que je connaissais, primo-habitants du quartier, de La Cité, sont morts ou ont déménagé.  

Le rôle qu'a joué cette petite ville dans l'histoire familiale, tout important pour nous et durable qu'il fut, est à présent gommé.

Je n'ai pas de regrets, qu'aurions-nous pu faire d'autre ? Seulement je trouve ça étrange, une étape si importante, pour l'ensemble d'une unité familiale, dont il ne reste plus rien, nada, niente, que tchi, du moins sur le terrain.

 

 

(1) Je me résoudrais peut-être à contrecœur à louer notre actuel appartement si nos vieux jours à petites retraites, en admettant que nous tiendrons jusque-là, nous contraignent à le faire pour complément de revenus. Mais pour un appartement les frais de grands travaux sont au pire des côte-parts ; et ceux-ci peuvent être organisés par d'autres.

PS : À l'inverse, les parents de l'homme de la maison sont enterrés dans un caveau que mon beau-père avait acquis à la mort de sa femme au cimetière de la ville de grande banlieue où son travail l'avait amené vers sa quarantaine. Zéro attache dans le coin. Sa femme décède à la fin des années 80, lui-même tombe gravement malade fin 1994 et ensuite ne revient plus jamais vivre dans l'appartement qu'il louait. Voilà donc leurs dépouilles dans un endroit qui n'est proche d'aucun de leur proches et où ils ne firent eux-mêmes que passer, et des années non significatives - pas celles des premiers temps, pas celles qui virent grandir leurs enfants, juste ils étaient là pour le travail quand la mort ou la maladie les y a saisis -. L'homme s'efforce certes d'y passer régulièrement, ça n'est pas si loin de notre domicile, ça va pour l'instant. Mais ensuite ? 

 


La maladie de l'encre

    Capture d’écran 2018-12-23 à 21.59.21C'est un touite de Matoo qui a attiré mon attention sur un autre, de Métaninja que je ne connaissais pas et voilà que j'apprends que la forêt de Montmorency, composée à 70 % de châtaigniers voit cette espèce atteinte par la maladie de l'encre qui est d'autant plus redoutable que des périodes pluvieuses ont précédé des périodes de sécheresse. Pas de traitement connu à ce jour alors c'est un excellent prétexte, sous couvert de tenter de borner les zones contaminées et de sécurité (ça se conçoit, les arbres fragilisés aux racines peuvent tomber) pour procéder aux abattages et exploiter le bois.

Le communiqué de presse de l'ONF peut être consulté en suivant le lien de cet article.

Je l'avoue je commençais à croire à un projet immobilier monstrueux - il y avait bien un projet de centre commercial géant Europacity, qui même s'il semble être abandonné peut renaître ailleurs pas loin - et à une surexploitation forestière éhontée. Je reste un brin dubitative quant à l'ampleur des abattages. 

Une forêt qui se meurt c'est toujours triste. Il se trouve que c'est ma forêt d'enfance et d'adolescence, que j'avais retrouvée avec bonheur en 2016 par le double biais d'un joli emploi à Montmorency et de la pratique de la course à pied. Comme pour Taverny, ça n'aura été des retrouvailles que pour une forme d'adieu. 

Grand merci à Matoo et Métaninja pour l'info. C'est toujours mieux même en très triste de connaître une explication. 

Les arbres, les abeilles et les papillons se meurent et pas seulement ici. Les soubresauts politiques si sombres et violents soient-ils ne sont peut-être que secondaire face à un péril d'avenir qui semble se préciser. Corneilles, on compte sur vous qui êtes capables de raisonnements combinés

 


Le jardin d'acclimatation d'autrefois

 

    C'était LA grande sortie du dimanche de mon enfance, pas très souvent, car il fallait venir de la banlieue exprès et que ça coûtait cher (chaque manège, chaque attraction sauf le Guignol si mes souvenirs sont bons était payante séparément en plus d'un ticket d'entrée qui lui était modique).

Je me souviens fort bien des manèges représentés, moins des ours. Il y avait aussi des poneys que l'on pouvait monter, c'était ça mon bonheur. Les toboggans étaient en bois, c'était mieux d'être en pantalon, gare aux échardes sinon. Il y avait aussi un labyrinthe de glaces.

Le hic c'est que quand j'ai eu l'âge enfin de participer aux "vraies" attractions (comme les voitures que l'on voit avec des pré-adolescents), nous avions cessé d'y aller, la sortie étant devenue trop coûteuse et ma petite sœur moins intéressée que moi à son âge.

Je me souviens d'y être retournée en 1988 avec mes enfants via une organisation du Comité d'Entreprise de la banque, à l'occasion d'une éclipse de soleil qui tombait un midi de semaine. Nous n'avions pas vus grand chose car le temps était nuageux, mais un moment de quasi-nuit et le silence soudain des oiseaux, et puis d'être brièvement avec les enfants au lieu d'au travail, c'était bien.


Jeter vite

 

    À force de ranger, à force de trier, je me suis rendue compte de quelques petites choses. Les voici 

(à compléter)

Le syndrome du souvenir personnel manuscrit

Je suis incapable de jeter toute trace d'écriture manuscrite de quelqu'un qui a disparu (mort ou rupture à caractère définitif). C'est curieux mais c'est comme ça. Ainsi de notes retrouvées écrites par mes parents, de celles qu'on prend pour soi, un relevé de cotes en bricolage, une liste de courses restées dans une poche de manteau. 
Du coup j'ai entrepris un grand ménage de mes propres gribouillis histoire de n'alourdir personne quand je serais partie en admettant que la descendance ait hérité de ce syndrome.

- Je suis peu capable de jeter une correspondance manuscrite. C'est mon côté vieille école. Je garde vos cartes postales. 
Pour la correspondance dont j'ai hérité, c'est pire (cumul des deux syndromes)

 

Le syndrome de la relique sociologique

Pour des tas de papiers, documents plus ou moins administratifs, je jette dès qu'il n'y a pas de délai de conservation légal à observer.
Sauf que.
Parfois le boulot n'a pas été fait dans le droit fil du temps.
Et du coup.
Ce ticket d'achat d'un équipement sportif, retrouvé quinze ans après s'est transformé en signe sensible de ta reprise d'une activité qui t'a menée un peu loin.
Difficile à jeter.
Cette addition de restaurant, sans grand intérêt sur le moment, encore lisible car manuelle est devenue souvenir d'une des dernières sorties faite à deux l'esprit libre, sans tracas de baby-sitting, avant la venue des enfants.
Ce billet de train d'un temps où tu le prenais souvent s'est insidieusement transformé en vestige d'un temps révolu.
Et d'une façon plus générale, diverses factures à l'encre persistante deviennent des traces d'anciens modes de consommation, de prix pratiqués qui paraissent incroyables tant les tarifs se sont élevés, de pratiques disparues (développements de photos argentiques, si courantes en leur temps, si rares à présent). 
Dès lors alors que je les aurais jetés sans hésiter en leurs temps, les voilà pourvus d'un intérêt "historique" et plus difficilement éligibles au recyclage.

C'est même totalement impossible pour certains documents concernant les parents, d'anciennes quittances de loyer, factures de gaz ou d'électricité, sans même parler des feuilles de paie ou de certains relevés de prestations sociales : parfois écrites à la main, sur des bristols couleurs cartons pâles (1) voire orangés, ils ressemblent désormais à des pièces de musée. Je ne peux que les garder, bien archivés.

Moralité : pour toutes les paperoles qui même en notre temps de dématérialisation nous échoient, il convient de prendre une décision rapidement, conserver si nécessaire (garanties, assurances, justificatifs requis) mais sinon jeter, et jeter vite. Avant que le temps ne les équipent d'un air injetable d'autrefois.

 

(1) Était-ce leur couleur d'origine ou un blanc cassé qui a évolué ?

 


Sixties reconstituées

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Les meubles au mur avaient été conservés par mes parents de leur ancienne cuisine, celle de Chambourcy, là où avec eux j'ai vécu mes premières années, et fixés pour servir de cuisine à la petite maison de Normandie.

Les meubles du pavillon de banlieue une fois récupérés, je n'ai pas su que faire d'autre si ce n'est reconstituer la cuisine de mon enfance telle qu'elle était.

Jusqu'à la pendule même, que j'ai fait réparer. Elle y a hélas perdu ses belles aiguilles vintage. 


Après nos fins

 

    À l'occasion d'heureuses (oui, heureuses, les uns et les autres vous vous aimez bien et c'est l'emprise de la vie quotidienne qui vous a éloignés tandis que les kilomètres qui séparent vos villes de résidence n'arrangeaient rien ; il y a aussi qu'avec l'Internet tu as cessé de téléphoner et qu'eux n'étaient pas des internautes, tes aînés) retrouvailles, vous découvrez ce par quoi vous en êtes passés, des maladies graves des enfants, des ruptures, des contextes professionnels pas tout à fait que ce que vous croyiez savoir ...

Tu sais avoir une bonne mémoire jusqu'à présent, du moins pour les choses affectives, alors tu es persuadée que ce que tu découvres à présent, c'est que tu ne l'as pas su, ou alors en mode totalement hors de proportion avec ce qui se tramait (La petite x... , elle n'est pas très en forme en ce moment, par exemple, pour dire une maladie qui rétrécit l'avenir de qui l'a développée). En fait la génération du dessus, qui détenait les nouvelles et que chacun supposait avoir fait le boulot de mettre au courant ses propres enfants (1) n'a rien transmis. L'une n'a pas dit, ou l'autre n'a pas redit. J'imagine bien ma mère nous voyant aux prises avec nos propres problèmes, de boulot, de maladies chroniques, d'argent malgré de bosser dur et de dépenser peu, a peut-être préféré ne pas nous alourdir, sachant combien j'aimais mes cousin-e-s, et s'est tue. Peut-être aussi n'avait-elle tout simplement pas su.  

Depuis février, à chaque personne que nous revoyons (2) c'est une trentaine d'années d'historique qu'on se mange au rattrapage. Pas que du triste, il y a des choses bien. Notamment les femmes qui ont réussi de belles choses d'un point de vue professionnel et ne s'en sont pas vanté et personne n'a eu la bonne idée de colporter.

Ce sont aussi des éléments de l'histoire familiale qui se révèlent pourvus d'autant de versions que d'issus de survivants. Ainsi la mort de ma grand-mère maternelle en Normandie quelques mois après le débarquement et de celles d'un petit garçon qu'elle venait de mettre au monde a autant de versions qu'il y avait d'enfants grands qui avaient survécu. Le point commun étant : tomber malades et ne pouvoir être soignés, du fait des circonstances. Ils se meurent quand tout le monde festoie. Les médecins et même les prêtres sont avec les soldats. Les maisons sont des courants d'air qui n'ont pas ou plus de toits.

Aucune version n'est plus ou moins glorieuse ou dramatique qu'une autre, c'est la maladie qui change ou même (dans mon cas) l'ordre des décès. Le fait est que ma mère ou ses sœurs n'en parlaient jamais, les très rares fois ou elles faisaient l'effort - généralement pour répondre à nos questions d'adolescent-e-s - leur mémoire avait peut-être enfoui les précisions. Nous portons de fait toutes, nous les filles de la génération suivante, le poids de la mort prématurée de cette grand-mère remarquable, dont toutes les traces restantes nous laissent à penser qu'elle fut une femme d'une force de caractère hors du commun. Nous portons également une succession d'enfants grandissants qui n'eurent pas lieu, chaque génération soumise à des impératifs de guerres, maladies, morts, nécessités économiques. Ça se paie un jour, inévitablement.

Mon naturel optimiste (que je tiens peut-être de cette femme, sa force de combat, ou d'une belle part de fantaisie venue de mon côté d'Italie, salut Enzo !) fait que je persiste à penser que nous ne nous en sommes pas si mal tirées.

De façon plus contemporaine, il y a aussi que depuis 1994 nous avons perdu un rendez-vous annuel chez l'oncle et la tante qui avaient une maison assez grande et un immense jardin. Personne n'avait les moyens, ne seraient-ce que géographiques, de prendre la relève.

Il y a également que chacun a pu supposer que l'autre avait été mis au courant, s'était peut-être désolé du manque de solidarité, de soutien. Et que, passé le pire, ceux qui étaient concernés n'avaient pas envie d'en reparler (3), ce qui fait qu'à l'occasion suivante, rien n'avait filtré des épreuves traversées.

D'autant plus qu'on n'a pas envie d'être définis par sa maladie ou ce qui peut handicaper.
D'autant plus que ces dernières années nous ne nous sommes croisés le plus souvent qu'à des enterrements. Ce ne sont les bons moments ni pour confier des ennuis ni pour se vanter.
D'autant plus que le capitalisme sans opposition puissante, qui est depuis plusieurs décennies le système économique prévalant, génère une concurrence permanente sur tout tout le temps. La maladie qui commençait tout juste à n'être plus honteuse (4) devient facteur d'exclusion même après rémission. Alors on la tait.

En attendant, nous avons perdu beaucoup de temps à rester éloignés, écopant chacun dans notre coin, tentant de nous en sortir. Le regret de n'avoir rien su et donc été absente est chez moi tempéré par le fait que j'étais toujours trop prise par mes propres combats pour pouvoir réellement assurer une présence aux autres. J'espère que nous parviendrons à retisser les liens, à présent qu'on sait que l'on ne savait pas.

Je vais désormais essayer, si le travail et les santés des uns et des autres m'en laissent la disponibilité, de venir aux nouvelles et aussi d'en donner. Qu'elles soient mauvaises ou bonnes, sans dramatiser ni exagérer.

Et je retiens la belle idée de ma marraine d'une fête pour remercier un jour tous ceux qui lors des différentes épreuves m'ont aidée. Restera à trouver un moment favorable, un endroit, un budget. Elle sera aussi la fête des fêtes que l'on n'a pas faites.

 

 (1) On s'amuse rarement à prendre soi-même le téléphone ou le stylo pour annoncer à toute la famille l'annonce d'une grave maladie ; au mieux, on appelle une fois le pire passé, pour dire qu'il y a eu ça, mais qu'on s'en est pour l'instant tiré. 
(2) Elle semble avoir eu lieu dans les deux sens, la non circulation de l'information.
(3) Surtout à ceux qui, ignorant tout, ne s'étaient pas fendus du moindre mot, de la moindre visite à l'hôpital, par exemple. 
(4) Je n'ai jamais compris que l'on use de périphrases pour désigner des cancers, a priori ni contagieux ni liés (à part le cancer du poumon et fumer) directement à une activité précise.


Quitter une maison


    Pour moi c'était fait depuis longtemps, je suis de la génération qui filait fière de son indépendance dès venue la majorité. Les parents aidaient à mesure de leur moyen pour des logements étudiants peu coûteux (pas non plus exactement luxueux) et on faisait des petits boulots et des stages ou des jobs d'été l'été pour financer le quotidien. On s'endettait aussi (un peu) (1).

Mais voilà, à présent que mes parents sont tous deux morts, il s'agit de la vendre, cette maison où ma sœur et moi avons grandi. Il s'agira ensuite de ne plus y retourner, une fois les nouveaux propriétaires installés.

J'étais suffisamment ancrée dans ma propre vie, qui ne manque pas d'intensité, jamais (2), pour avoir perdu la plupart des automatismes. Ma chambre d'enfant puis de jeune fille avait été débarrassée en mon absence par ma mère qui en a eu besoin pour son propre usage, ce qui fait que je n'avais pas eu le temps d'organiser mon départ - et longtemps cru que l'essentiel de mes papiers personnels non officiels avait été jeté, et mes livres égarés (3) -.

L'homme venu ce matin relever les compteurs d'électricité nous a d'ailleurs trouvé hésitants sur où étaient lesquels, c'était sans doute pour lui un peu amusant.

Pour autant c'est bien maintenant, ou dans quelques mois, que la maison et nous [la famille, les descendants] on se quitte et pour de bon cette fois. Sans doute que les nouveaux occupants souhaiteront opérer quelques restructurations, les conceptions ont changé depuis cinquante ans et mes parents avaient pour leur part respecté l'endroit, n'y apportant que de subtiles améliorations comme de rendre le grenier accessible. Et la conception de base était rationnelle, et plutôt agréable pour une petite famille avec deux enfants (4). 

J'ai de la peine pour les arbres, je crains que ne soit abattu le vieux cerisier au tronc boursouflé mais aux cerises délicieuses. 

Les souvenirs ne seront plus que des souvenirs, il n'y aura plus de lieux pour les ressourcer. 
Une page va se tourner, non sans férocité.
Je regrette sans doute en partie de n'avoir pas eu les moyens financiers pour éviter cette dispersion, ou du moins de n'avoir pas réellement d'autre choix, qu'il s'impose de cette façon-là. 
Seuls les riches peuvent s'accorder le luxe d'une maison de famille en indivision.

Je vais être habitée par deux maisons à la fois (ou trois).

 

PS : une pensée pour l'ami Gilsoub qui traverse la même étape, même si le contexte, c'est très heureux pour eux, est nettement plus porteur.

 

(1) Rien à voir avec les coût de scolarité actuels. Et des bourses accessibles existaient.
(2) Pourtant je n'ai pas le sentiment d'aller au devant des événements mouvementés. Ça doit être mon côté Forrest Gump, une fois de plus
(3) J'ai en fait tout retrouvé mais dans différents endroits et cartons. Il aura fallu ça : le moment du tri pour débarrasser la maison.
(4) Je crois que je suis pile à la génération charnière où, pour les français moyens, on est passé dans les logements de une chambre pour les parents et une pour les enfants quel que soit leur nombre - ce qui était déjà un super progrès par rapport à : tout le monde dans une salle commune -, à une chambre pour les adultes et une pour chaque enfant ou deux maximum s'ils sont de mêmes âges et sexes. 
(Puis il y a eu le même phénomène pour les télés, puis pour les ordis).
Il m'en est resté qu'être enfin seule, réellement seule, physiquement, est un luxe (et ses corollaires : ne pas risquer d'être interrompue dans ses pensées ou ce qu'on fait, ne pas être obligée d'émettre des sons, de parler). 
Pendant ce temps les lieux de travail ont opéré l'évol