Une piscine de plus, un hôpital de moins - fotolog

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Alors bien sûr, recapter mon fotolog en particulier de ses débuts, me fait croiser des deuils déjà un peu anciens, des ruptures subies, la perte de confiance en la plus proche personne qui m'avait fait tant de mal - en même temps il est bon de mesurer combien l'on s'en remet, la résilience n'est pas un concert exagéré -. Mais il y a aussi des instants de grâce que je n'avais plus à l'esprit dont les photos ont été le témoin. Je suis alors heureuse d'avoir cette occasion que je ne me serais moi-même pas accordée (trop prise par le présent, trop affamée d'aller de l'avant) de les revisiter.

Ainsi celle-ci d'octobre 2004, ces plaques trouvées mises au rebut dans la rue et dont les slogans me réjouissent l'âme.


BDJ - Vingt-neuf CD retrouvés


20151229_215138C'est au moment de partir, alors que je venais de préparer un de ces objets que l'on emporte lorsque l'on va en Normandie dans la petite maison qui est sobrement équipée. À côté du casque audio que je saisissais, j'ai vu réapparaître un porte-CD, celui que j'emmenais en vacances du temps d'avant.

Je ne saurais trop dire avant quoi. Avant que la voiture achetée (été 2004) ne soit pourvue d'un lecteur dans lequel je glissais une sélection préparée (laquelle est restée figée peu ou prou en 2008-2009). Avant les mp3 et que j'écoute plutôt de la musique à l'ordi via l'appli qui y était pré-installée.  

Je n'avais pas conscience d'avoir égaré cet objet de rangement ni ce qu'il contenait. Il avait dû disparaître de ma vue en même temps que son usage. C'était une sélection de vacances ; certes établie selon mes goûts mais choisie aussi pour convenir à l'ensemble de ma petite famille, je ne risquais pas d'y retrouver quoi que ce fût du gars mort aujourd'hui (1) pourvu d'un âge qui me stupéfie.

Au calme de la petite maison réhabitée, une fois effectuées les petites activités domestiques de retrouvailles avec les lieux, le rituel salut à la mer en moins car la nuit tombe tôt, j'ai entrepris de refaire connaissance avec mes anciens goûts musicaux.

La sorte de trousse contenait vingt-neuf CD, vingt-quatre soigneusement glissés deux par deux dans des compartiments pochettes, les autres ajoutés empilés au bord. Preuve que je comptais les y laisser peu de temps (2), sans doute seulement celui du trajet de retour. Mais quelque chose avait dû survenir ou la reprise du travail être trop rude et je les avais négligés.

Le plus récent serait une messe en si de Bach, novembre 2006, peut-être ajouté lors d'un dernier voyage parce qu'à la chorale dont je faisais alors partie on le chantait.

La plupart datent des années 2003 à 2005, probablement la sélection était celle qui accompagna les congés d'août 2005, juste après le comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun, et l'hôtel des blogueurs. Je devais être un peu triste d'être sans nouvelles de ma plus proche amie, mais la savais prise par un tournage en Arménie. Je me disais aussi qu'il me fallait récupérer de la fatigue des premiers mois de l'année, cette double-vie étanche entre mon job alimentaire et le comité que j'avais menée, puis la période un peu folle de l'Hôtel, qui m'avait certes sauvée de la dépressurisation d'après un engagement fort juste avant une période où pour cause d'absences estivales, on ne revoit plus les gens que l'on a côtoyés si fort pendant un bon moment, mais qui m'avait épuisée ; pour suivre ce que les autres personnages entreprenaient, et comme dans mon boulot je n'avais pas la liberté d'aller consulter l'internet hors quelques utilisations para-professionnelles, je lisais la nuit. J'avais donc durant le mois de juillet peu dormi.

L'idée c'était à la rentrée de trouver enfin un rythme équilibré entre écriture et travail salarié, ce qui devait être possible, grâce au mi-temps que j'avais depuis mars obtenu. Le moins que l'on puisse dire c'est que ça ne s'était pas exactement passé comme prévu et que dix ans plus tard j'en suis revenue au même point, l'assurance d'un revenu en moins. À part la nécessité d'écrire que l'adversité et le contexte général défavorable ont transformée en rage de vaincre, je ne suis plus la même personne que la femme encore jeune de cet été-là, et à plus d'un titre. En revanche, en redécouvrant les disques, je souriais en songeant aux amis que je venais alors à peine de rencontrer et qui sont depuis sont devenus des proches. Sans eux je n'aurais pas pu faire face aux épreuves successives et si variées - à croire qu'un dieu de nos Olympes a craint que je puisse m'ennuyer -, je ne sais pas comment j'aurais fait.

J'ai dû faire des recherches pour retrouver certains CD, un "toute la musique des mots" hors commerce de l'édition Bouquins devenu mystérieux, une certaine Lynne Dawson dont le nom ne m'évoquait plus rien, le second CD d'une version précise de Rigoletto (et du coup une inquiétude légitime sur le sort du 1er, pourquoi les aurais-je séparés ?), deux volumes sur trois d'une compilation de musiques classiques dans les films, un CD correspondant au travail pour mes cours de chant (3), Figure 8 d'Elliott Smith dont à part le nom et une impression musicale favorable, j'avais tout oublié, mort incluse (4), et puis ce surprenant Encre fort intéressant à l'écoute et dont je ne savais plus rien. En (re?)découvrant qu'il est originaire de ma Normandie, je me prends à supposer que le disque avait peut-être été acheté ici, peut-être à Coutances dans la grande boutique de produits culturels et papeterie (du moins l'était-elle alors) du centre ville où j'effectuais à l'occasion quelques achats de découvertes.

Ce CD et celui d'Elliott Smith me laissent une sensation étrange, comme si quelqu'un les avaient déposés à mon insu parmi un lot dont les autres titres me sont encore familiers. Ainsi ce bel ouvrage de William Sheller, souvenir d'un concert de ce printemps 2005, j'écoutais tout en pensant à Florence Aubenas tout le temps, à la fois très présente et très absente au concert. passant un excellent moment mais le cœur étreint.

J'ai aimé cette chance qui m'est donnée de rejoindre celle que j'étais, une façon après bien des tourmentes de se dire, Ça y est, c'est bon, reprenons. Où est-ce qu'on en était ? J'aime les goûts de cette personne que j'étais il y a dix ans, même si quelques brins de variété italienne me font sourire à présent (5). En ces périodes d'afflux de réfugiés qui ont tout quitté pour sauver leur peau ou leur avenir, d'amis qui ont tout perdu dans des incendies (6), je mesure le privilège que c'est pour soutenir la mémoire et se reconstituer de disposer de ses archives personnelles et déjà vieux objets.

Et puis tout simplement : j'aime écouter ces disques. Belle petite sélection.

 

 

(1) Lemmy Kilmister de Motörhead.
(
2) Je suis généralement soigneuse des choses fragiles. Autant l'apparence m'importe relativement peu (tant pis si à le lire un livre que je n'ai pas à rendre s'abime d'usage, il reste lisible), autant les risques de ne plus pouvoir "faire usage" me rendent prudente. En l'occurrence qu'un CD entassé se retrouve avec des plages sautantes.
(3) abandonnés par la force des choses, quand j'ai quitté "l'Usine" dont mon inscription dépendait.
(4) En octobre 2003 je connaissais à peine les blogs, moi-même ne pratiquais pas, dommage, sinon j'aurais su si j'avais su. Ou si j'étais tout simplement passée au travers de l'information. Ou si j'ai découvert Figure 8 nettement plus tard, par exemple grâce à KMS
(
5) C'était pour soigner le mal du pays, à l'époque je supposais que ce ne serait l'affaire que de quelques années de n'avoir plus assez d'argent pour y aller. Douce illusion.
(6) On s'en rappellera de cette année 2015.

 

billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour

billet également publié sur Bella Cosa

 

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Le temps du rangement


    L'état de l'appartement est clairement dû à l'épuisement des deux plus âgés habitants, au fait que je lis énormément et souvent des livres que j'achète ou que l'on m'envoie donc ensuite ils restent, et à une première époque de dérangement lorsqu'il avait fallu récupérer les papiers, les dossiers, d'un père seul tombé gravement malade (1), deux ans plus tard le siège social de l'entreprise pour laquelle je travaillais brûlait et j'ai perdu toutes mes affaires, ce qui parce que je faisais office d'archiviste pour mon hiérarchique direct ("Au moins dans ton bureau c'est rangé") dont le bureau fit partie des zones épargnées m'a un temps rendue incapable de rangements. 

À partir de là les choses ont empiré à chaque coup dur, maladies, ruptures, ou périodes trop intenses pour mes capacités, reconversion professionnelle incluse. Sans parler des fuites d'eau qui engendrent des déplacements d'affaires dans l'urgence et font perdre le fil des emplacements. En particulier les recherches pour la fuite d'eau invisible nous ont fait bouger pas mal de choses de façon tout à fait désordonnée afin de chercher d'où diable ça venait (2).

Depuis le 7 janvier, je n'ai su faire qu'un minimum vital - le linge, les livres en cours et les documents administratifs d'usage immédiat -, je suis miraculeusement parvenue à payer à temps les factures, déclarer et payer à temps les impôts, nous n'avons eu d'incidents bancaires que par la suite d'ennuis dentaires dispendieux. Je comptais reprendre les choses en main lors de mes congés que je passais à la maison puisque les dates n'en étaient pas favorables pour partir (3), à quelque chose malheur est bon. Mais un pied blessé m'a gênée pour entreprendre quoi que ce soit. 

C'est seulement à présent, que je parviens à dégager du temps et enfin ranger malgré l'épuisement. 

Il se trouve que la dernière rupture subie remonte désormais à un an et demi. En retombant, lors du tri, inévitablement sur des livres dédicacés ou des copies de messages conservées car à l'époque ils me rendaient heureuse ou sur des vêtements achetés sur place (4), j'ai compris que sans l'avoir cherché, d'attendre j'avais bien fait.

La blessure est légèrement cicatrisée, suffisamment pour me permettre de reconsidérer les choses avec indulgence, même si la perplexité ne m'a pas quittée, accéder à nouveau à l'illusion, beaucoup moins difficile à accepter que l'idée d'une manipulation délibérée de sa part, qu'il a effectivement un temps cru à quelque chose et seulement plus tard, finalement non. Qu'il n'avait pas menti sur ses problèmes de santé, qu'il est allé mieux après ; la cruauté du sort a voulu qu'une autre en profite.

J'ai donc pu faire place nette, archiver ce qui le concernait, regrouper ses livres sans plus être tentée ni d'y replonger (souffrance inutile), ni de pleurer (le pire est passé), sans plus de ressentiment - non, il ne m'a pas volé cinq ou six ans de ma vie, d'abord parce qu'il ne l'occupait pas seul, ensuite parce qu'au vu des échanges que j'ai retrouvés, sans trop les relire d'ailleurs, simplement le nécessaire pour trier, quelque chose de très beau s'était noué. Il n'était alors ni fou ni niais. L'homme que je connaissais n'aurait pas commis d'auto-promotion égocentrée au lendemain d'un attentat majeur, et avec moi il n'aurait pas été poussé à produire quoi que ce soit de niais. Les circonstances, l'amour, l'auront changé. Je n'ai pas à souhaiter d'oublier ces années ni d'avoir eu un tendre ami. Il m'a fait du mal mais pas détruit ma vie. Je n'ai pas besoin de chercher à l'effacer, de chercher à effacer toute trace de ce qu'il fut, qui vaut mieux que ce qu'il est. Il convient désormais sauver de bons souvenirs et passer à la suite, qui de toutes façons ne devrait pas permettre le luxe des états d'âmes : financièrement on va en baver, il faudra que je travaille très vite si je veux que l'on ait une chance de s'en tirer ; que je sois au meilleur de ma forme. Encore une épreuve pour le vieil amour que les ans consolident.
Étonnante loterie que celle de la vie.

Le seul puissant chagrin est désormais la mort de l'ami Honoré.

 

(1) pas le mien (je précise pour le cas où des personnes qui connaissent ma famille d'origine liraient)

(2) Le moins qu'on puisse dire c'est que nos efforts furent doublement vains puisque le voisin a cru qu'on n'avait rien fait.

(3) Je n'avais pas envie de partir seule et les dates ne coïncidaient pas du tout avec celles de mon conjoint qui pour cause de fermeture générale de l'entreprise en août, n'avait pas le choix des siennes. Nous aurions pu partir une semaine début juillet mais elle ne me fut pas accordée.

(4) Généralement pas tant par élégance que pour faire face à une surprise climatique.


Interlude : petit tour de magie du dimanche matin



nb. : Celui qui joue le rôle de faire-valoir sur ce tour est pianiste à la base. Ce n'est pas neutre.

(merci à YouTube qui au lieu de me proposer inlassablement les One Direction au prétexte que j'ai cité une de leur video dans un lointain billet d'un de mes blogs annexes et que j'avais fait des recherches pour mes amies Sylvie et Erika en vue d'un concert auquel l'une allait et l'autre pas, m'a mis celle-ci à l'image après une autre, celle-là choisie)


Un livre que j'aimerais écrire

La biographie romancée (1) d'Ettore MajoranaO-MAJORANA.jpg

J'avais oublié cette idée, croisée du temps où je me croyais faite pour la recherche (en physique nucléaire et quantique), passion qu'il m'a tenue entre les âges de 13 et 19 ans. Un chagrin d'amour y avait mis fin et je crois que de toutes façons je n'avais ni assez d'intelligence (2) ni assez de santé.

Et puis voilà qu'une citation d'Étienne Klein reprise dans le blog de Karl Vanwelde, toujours si doux à l'âme, m'y ramène.

"Sur une trentaine de feuillets fragilisés par les années, je retrouve la même écriture régulière et constante que dans les Volumetti, mais cette fois il n'y a ni calculs ni équations. Je suis pour ainsi dire aimanté. L'écriture est la façon la plus palpable, la plus corporelle, qu'a un disparu de réapparaître. Un manuscrit autographe est comme une résurrection, un silence calligraphique qui dit presque tout."                                                                 Etienne Klein ("En cherchant Majorana" éd. Folio)

Que ne suis-je libre de mon temps pour pouvoir attaquer le sujet ! (3)

 

(1) Le sujet appelle le romanesque, c'est presque inévitable. Passionnant à creuser.

(2) J'étais capable d'aller assez haut dans les réflexions sur les sujets scientifiques en maths et en physique mais je retombais ensuite épuisée, comme si mes neurones (schématisons) faisaient du trampoline. Et l'éducation que j'avais reçue avait massacré une confiance en moi déjà assez moyenne au départ. 

(3) Le faire dans les conditions actuelles avec seulement au maximum un jour et demi d'efficace par semaine serait voué à l'échec. D'autres que moi, sans doute, y parviendraient. Mais je sais que je ne peux mener à bien une telle tâche qu'au titre de projet principal d'une période donnée. Et dûment pourvue de temps libre pour récupérer.


Bonté divine ! : un film culte

Hé les amis ! La comédie croate qui m'a aidée à survivre pendant le rude hiver de l'an passé est sortie en France en salle.

Le titre, au demeurant très bien trouvé, ne ressemblant pas à l'original ("The priest's children" en équivalent anglais), je ne l'avais pas su et je crains qu'il ne soit déjà trop tard, il ne passe à Paris qu'aux "Sept parnassiens" séance à 20h.

Courrez-y vite, j'ignore s'il passera plus loin que mercredi.

Bigots s'abstenir.

RECTIFICATIF : Je croyais être en retard et d'avoir raté la sortie pour cause de titre différent j'étais en fait en avance. Il s'agit ce soir seulement d'une avant-première (aux 7 Parnassiens donc). Le film sort mercredi en salles, il vous faudra peut-être vous dépêcher d'y aller (avant que d'aucuns qui ont pris goût aux manifs et que l'ennui guette ne se mettent en tête d'en faire une cible)

PS : Et ça alors, je découvre que ce film parce que Charb en avait préparé les illustrations, se retrouve associé à l'esprit Charlie. Ce n'est peut-être pas un pur hasard, who knows ? Quand je vous disais que c'était un bon film ... 
(après, c'est peut-être un tantinet réducteur, même s'il est subversif, on n'est pas dans la même gamme d'humour ; d'ailleurs c'est un film qui fera peut-être davantage sourire les femmes, et pleurer)

PS' : Pour ceux qui ne suivait pas à l'époque, quelques billets dans lesquels j'évoquais le film - pardon envers les amis qu'à l'époque j'ai tant bassiné, je le place juste après les "Tontons flingueurs" dans mon Panthéon personnel de films qui font rire mais pas que -

Le mauvais esprit
Ça passe crème
Parfois certaines personnes sont irremplaçables
Tiens ça faisait longtemps (que je ne vous avais pas embêtés avec ma comédie croate)
Comment j'ai pu craindre un instant d'avoir changé de sexe (mais non j'ai seulement rajeuni) 
Choses qu'on peut faire même quand on est tout raplaplatis

Sans compter deux ou trois billets dans lesquels je parle de Krešo Mikić, l'acteur principal.

Au passage je découvre que les ennuis de plomberie début décembre 2013, déjà étaient là. Le blog est parfois la mémoire que tu n'as pas (ou plus).

 

 


The real Joan (Clarke)

La réalité est souvent encore plus romanesque que la fiction. One more confirmation (if needed)

De retour d'une bonne séance de cinéma ("Imitation game", biopic plutôt réussi malgré ses travers Grand Public, dont le fait de faire de Turing un splendide Aspie qu'il n'était peut-être ou sans doute pas, juste un brin associal comme tous ceux qui sont dans des urgences professionnelles de haute volée) et curieuse de vérifier certains points (1), je suis tombée sur une image de la vraie Joan Clarke, et qui devenue vieille narrait avec humour cet épisode de sa vie, et donc cette romance qui n'en est pas une, un brin lourdingue dans le film, au point que j'ai cru que c'était monté de toutes pièces histoire qu'il y ait une jolie dame à l'affiche.

Contrairement à certains, je n'ai pas trouvé que le sexe dans le film manquait : quelle que soit l'orientation sexuelle qu'en ces temps-là on avait, la chose restait très discrète, on travaillait beaucoup, la part physique de l'amour avait toujours un parfum de péché, même les couples mariés en temps de guerre restaient parfois longtemps séparés et à moins d'être des époux officiels et désireux de croître et multiplier faire l'amour était toujours risqué. Je ne crois pas qu'il faille interpréter la chasteté apparente des personnages du film comme un signe d'homophobie. Leurs préoccupations à tous étaient ailleurs. Et si les humains n'étaient pas plus chastes, surtout en ces temps troublés, je suis persuadée qu'ils étaient beaucoup plus discrets (2).

Comme toujours j'ai regretté que les rôles titres soient confiés à des acteurs connus. J'aurais préféré de réelles ressemblances (3). Et qu'il y ait des vrais moments de maths pas nécessairement fait pour qu'on comprennent mais qu'on puisse toucher du doigt ce à quoi ils se confrontaient. Seulement voilà : un film fait selon mes goûts serait financièrement un flop parfait. On fabrique donc des héros beaux.

Ce n'est sans doute pas si mal, qu'enfin on le réhabilite et fasse mieux connaître ce qu'on lui doit, ainsi qu'à ceux et celles qui étaient sur les décryptages. 

À titre personnel, mes parents étant de deux pays qui furent ennemis, je ne suis que trop consciente qu'une issue plus tardive ou différente n'aurait pas permis la rencontre de ces deux-là. 

Sans parler de mon infinie reconnaissance envers tous ceux et toutes celles qui ont rendu l'informatique possible puis accessible ainsi que les connexions que de nos jours on a.

Il se trouve qu'Alan Turing est à la croisée de ces chemins-là.

 

(1) J'étais persuadée qu'une avancée décisive dans le pré-ordinateur mis au point par Turing et ses collègues venait d'une machine enigma récupérée sur une prise de guerre, navire ou sous-marin torpillé, et sur laquelle un codage était en cours ; en fait il semblerait que le "CIL" devenu CILLY dans le film fut la source du véritable "instant Eurêka" (cf. cryptanalyse d'Enigma sur wikipédia). Même si des captures de machines ont dû aider aussi (cf. § "Histoire d'Enigma" et les interceptions par les alliés)

(2) Au même moment je tombe sur ce billet d'un ami qui a 60 ans et que je crois assez significatif du silence qui pesait sur la chose dans la plupart des familles et de la société en Europe jusqu'à la fin des années 60.
Après, il se trouve aussi que j'ai l'impression, que j'espère fausse, qu'on est en la matière en train de régresser - à mesure d'un retour en force de l'obscurantisme, tous monothéismes confondus -. 

(3) Par exemple que l'acteur ressemble à ceci ou cela 

PS : Par ici un site très bien fait au sujet d'Alan Turing et de ses recherches. Et la page wikipédia sur le test de Turing


Et toi, lis-tu ?


Je suis assise dans l'une de ces cantines moderne, un fast-food qui se veut bio sur les bords (1), comme je devais déjeuner sur le pouce, c'était l'endroit parfait, quoiqu'un peu cher pour mon budget (2). Le bel homme qui était à ma gauche a cédé la place à un couple qui n'en est pas un à proprement parler (3) : deux collègues de bureau. Je ne les ai pas vus, j'étais le nez dans mon livre. Simplement c'était la perception que j'avais deux. Et qui fut confirmée.

Je pense que l'homme était tout jeune, stagiaire ou nouvel embauché, et la femme légèrement plus âgée et peut-être cheffe temporaire du plus jeune ou collègue encadrant.

Peut-être parce qu'ils me voient lire, ils se mettent à parler bouquins. Du moins elle. Qui observant qu'il fait assez peu rebondir la conversation, et après avoir parlé mais du coup sans trop s'attarder, de ses propres lectures lui demande comme si ça n'allait pas de soi : 

- Et toi, lis-tu ?

Et l'homme jeune de faire une réponse un tantinet modianicole "Oui mais euh non, mais enfin quand même" et d'avouer qu'il lit un peu des essais, mais que les romans, il en a, oui, mais n'ose pas s'y lancer.

Alors elle fait quelque chose qui m'a semblé très traditionnel féminin, elle minimise ce qui pourrait être perçu comme de sa part une supériorité : En même temps, moi, c'est particulier, j'ai longtemps en RER.

Il ne la laisse pas faire et répond qu'il a assez de transports en commun pour pouvoir lire, même si c'est souvent debout, mais qu'il manque de courage pour s'y mettre.

Elle a alors une réponse de celles qui allaient de soi au siècle dernier mais plus tant maintenant :

- Oh mais moi ce sont les livres qui me le donnent le courage. Par exemple il y a des matins je n'ai vraiment pas envie de venir, mais l'idée de retrouver dans le RER mon roman, ça m'aide. En fait j'ai hâte de retrouver mon roman.

Je ne sais plus ce qu'il a répondu, quelque chose comme, C'est vrai je devrai essayer, ou Oui c'est pas comme un jeu, c'est mieux. J'étais trop occupée à ne pas faire d'interférence avec l'émotion que je ressentais.

2015, je dois quoiqu'il advienne, ne pas me laisser détourner de mon boulot qui est de fournir à mon tour de ces trucs non chimiques qui aident les gens à tenir. Pas ceux qui sont trop élaborés, je n'aurais pas ce niveau, je ne crois pas, sauf moment de grâce, être capable d'extraire de ma mine une haute littérature, pas non plus ceux qui sont trop éloignés d'un certain savoir-faire (je suis trop vieille pour faire du sentimentalo-sexy-très-mal-écrit et ces jours-ci ultra consciente que le créneau est déjà pris), non juste ça : quelque chose qui fait que la personne en prenant son RER le matin n'y va pas à reculons, et que sa journée sera plus légère et qu'au soir le trajet de retour si elle peut lire sera un bon moment de la journée. Seulement pour y parvenir, il me faut, contrairement à ces dernières années, réussir à négocier le coup avec la fatigue et les difficultés de ma propre existence, et intégrer une fois pour toute qu'elles ne me lâcheront jamais (4).

Je n'ai pas vraiment vu le visage de cette femme. Je ne pourrais donc pas même la remercier pour avoir dit exactement ce qu'il fallait pour me remettre sur pied. Ou plutôt, à pied d'œuvre. 

 

(1) "Des ingrédients frais, préparés chaque jour sur place sans additifs ni conservateurs suspects"

(2) Mais tout est un peu cher pour mon budget, dès lors que je sors du sandwich préparé à l'avance à la maison.

(3) À moins de développements ultérieurs qu'il serait prématuré d'évoquer.

(4) "Alice" me l'a déjà dit, je sais qu'elle a raison. Il faut que je cesse de croire à une utopique période "normale". Mais j'aimerais tellement un temps où personne ne serait malade, où les comptes ne seraient pas dans un rouge inquiétant, où le travail de chaque personne de la maison serait une charge normale, à assumer mais sans angoisse délétère ni peur permanente du lendemain - ces dernières années à peine ça s'arrange pour l'un que ça se désagrège pour l'autre, il n'y aura eu que trois ou quatre mois relativement sereins -. Et qui me permettrait de me concentrer sur mes propres trucs sans que tout ne parte à vau-l'eau.