Que sont-ils devenus ? (the double-deckers)

 

C'est l'ami François qui avec en publiant ce statut m'a remis en mémoire ce feuilleton que je suivais enfant.

Et comme je suis en jour de récupération, ça m'a pris soudainement de perdre délicatement mon temps en tentant de voir ce qu'elles et ils étaient devenu·e·s. Dans mon souvenir, tou·te·s jouaient très mal, mais c'était sans doute un effet du doublage.

Dans l'ordre d'apparition du générique : 

Peter Firth est devenu un acteur confirmé ; il avait même connu la reconnaissance avec son rôle dans Equus et continue encore à jouer (mais plutôt pour la télé)

Brinsley Forde est resté un temps acteur mais s'est surtout fait connaître par le biais d'un groupe de reggae, Aswad. Il a récolté des Grammy Awards avec celui-ci et par ailleurs fait de la radio. Un joli résumé de sa vie peut à l'heure où j'écris ce billet être vu par ici.  

Gillian Bailey est restée un peu actrice, elle semble avoir pu en vivre et peut-être est-elle connue en Angleterre, mais ça n'a pas vraiment décollé. Alors elle est devenue enseignante (pour le théâtre). Il y a une ITW d'elle sur le site de la série.

Michael Audreson, passé les âges d'enfant et de jeune acteur, est passé à la réalisation puis à la production. Il avait fondé en 1996 un centre de soins pour les personnes atteintes d'addictions aux drogues et alcool. On l'entend ici dans une ITW radio postée sur Youtube en 2007 

Douglas Simmonds est mort en 2011. Il n'était pas resté acteur mais avait fait de la recherche en médecine et physique. Lui qui jouait le rôle du bêta sympa était en fait l'intellectuel du lot. Sur le site de la série, un hommage lui est rendu.

Bruce Clark n'est pas resté visible, on trouve simplement une trace de ses participations comme acteur sur IMDB. Il possède de nombreux homonymes ce qui ne facilite pas les recherches. Je découvre au passage qu'il est Américain alors que tous les autres enfants étaient anglais. Même sur le site de la série, il y a peu sur lui. On peut cependant l'entendre ici toujours sur Youtube dans la série d'entretiens publiés en 2007. L'enregistrement ressemble à un long distance call d'autrefois.

Debbie Russ qui interprétait Tigrette n'est pas restée enfant actrice longtemps. Elle est devenue présentatrice de radio pour la BBC.

 

Je pensais que les un·e·s et les autres avaient mon âge mais en fait le temps que le feuilleton traverse la Manche, ils avaient déjà cessé d'y jouer. Et donc même Debbie au personnage de laquelle je m'intéressais peu puisqu'elle était "la petite" est plus âgée que moi. Mon souvenir est que ce feuilleton lors de sa probablement première diffusion présentait un jalon dans mes mercredi après-midi studieux. Je regardais ça me faisait une pause, ça me redonnait la pêche. J'adorais le mécanisme d'ouverture de la porte. Il y avait un épisode avec un de leurs amis coincé dans une armure qui m'avait tant fait marrer que son souvenir m'en est resté. 

Merci François, de m'avoir fourni une très agréable activité procrastinatoire. 

Bonus Track : The cool cavalier


Bug

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Ce touite d'Atlas Obscura a été pépié pile à l'instant où je me délectais de la lecture du Nouveau dictionnaire Marabout de la Micro Informatique.

Je me suis donc fait un plaisir d'aller voir sa définition.

 

Bug 
en français Insecte ou vermine

C'est une erreur dans la programmation (tout programme au départ comporte toujours un certain nombre d'erreurs). Ce terme, devenu une interjection, vient des premiers "âges" de l'informatique où les ordinateurs étaient alimentés par des lampes qui attiraient les insectes. Ceux-ci engendraient des courts-circuits et des erreurs de programmation.
Ainsi, débugger est l'opération qui consiste à reprendre un programme pour en enlever les erreurs de programmation. On a proposé également les néologismes déboguer, déverminer, et plus récemment (Seymourt Papert) : désosser. Le plus français serait encore de chercher la bulle !
(voir aussi bogue)

Marrant ce qu'on en disait en 1991 (Il ne faudrait jamais inscrire "nouveau" sur la couverture d'un dictionnaire en papier)

 


Un peu de Prévert

    20161003_201104     Il y a dix ans je postais ici un billet souvenir, un peu stupéfaite par l'attention que la moi de quatorze ans avait pu prêter à l'annonce de la mort d'un vieux monsieur poète. Mieux formulé : impressionnée par le fait que pour une gosse de banlieue dans les années 70, connaître Prévert, au moins un peu de son travail, allait de soi.

"En écoutant voiture radio su que Prévert mort"

(Mon diario n'était ni a visée littéraire ni réellement journal intime, plutôt, comme ici ?, un journal de bord).

Ce qui m'épate à présent c'est aussi d'avoir via le blog une mémoire rafraichie de dix ans (et plus). 

PS : Quarante ans plus tard le "Regardé télé avec feu Malraux" me semble quand même un tantinet mystérieux.

[photo personnelle, 3 octobre 2016] 


BDJ : La révélation

 

    Ordonque tu mets des Italiens ensemble de quelques îles que ce soit, arrive s'ils ont plus de 20 ans 30 ans 40 ans toujours un moment dans la conversation où il vient question d'opéra, quand bien même le premier concert de l'un ou l'autre en amoureux fut Spandau Ballet. Ça n'a pas manqué et je me suis régalée. 

À un moment donné, Michela a alors fait remarquer que ceux de Mozart étaient plutôt sympas, qu'il y avait des morts mais c'était toujours des méchants qui l'avaient bien cherché, alors que les opéras italiens sauf chez [zut j'ai oublié son nom] n'étaient qu'une suite de féminicides, avec toutes les variantes possibles, en incluant le suicide après y avoir été acculées.

Je l'ai toujours su. Je ne l'avais jamais remarqué.

 

PS : Et au passage pour répondre à une question qui n'a pas été abordée frontalement, mais on s'en approchait : pourquoi les amoureux sont-ils toujours une soprano et un ténor ?

Lire la suite "BDJ : La révélation" »


Ange Pitou

 

    J'ai cette chance de n'avoir pas besoin de dispositif extérieur d'écoute pour me passer de la musique dans ma tête, chance parfois un peu pesante lorsque c'est un air que mon cerveau auto-diffuse qui me réveille le matin (1) et sans doute un peu risquée de nos jours où ceux qui font la manche viennent vous parler et s'offusquent d'une absence de réponse : de l'extérieur rien ne permet de voir que j'écoute un air d'opéra, une partita de Bach ou une petite chanson (2). 

Et parfois j'ai droit à une variante silencieuse, des mots qui déboulent, s'incrustent, insistent et si je dormais me réveillent. 

Ce matin je me suis sans doute redressée sur mon lit, mon cerveau me criait : 

Ange Pitou

Souvenir précis une fois l'ensemble des neurones réveillés, de l'avoir lu ado ou jeune, que ma mère l'avait dans cette édition populaire de grands classiques de la littérature, c'est elle qui me l'avait conseillé, doute sur l'auteur (Balzac ou Dumas ?) souvenir d'avoir aimé.

Ça m'a donné fichtre envie de le relire. 

Mais j'ai quand même été réveillée un peu trop en sursaut.

 

(1) Ainsi hier C'est Karma Chameleon qui m'a réveillée auquel Hey little girl a succédé. Plus tard dans la journée ce fut un air de Whitney Houston (alors que je n'ai aucun goût pour les chanteuses américaines à grosse voix, je préfère les harmoniques du jazz et tant qu'à mettre de la puissance l'opéra). Mais cette musique là au moins je savais pourquoi : elle venait du film Toni Erdmann vu dimanche au cinéma. 

(2) Sans compter que quand je lis un vrai bon livre je suis à l'intérieur. J'ai branché le module mental interne de surveillance de la prochaine station, et je m'absente pour le reste complètement. 


En suivant mon ch’min de petite bonne femme

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Réveillée par le son insistant des hélicoptères, qui me fait toujours depuis Genova en 2001 frémir en dedans (1), j'ai songé à mes 14 juillet.

Le livre "Féminine" d'Émilie Guillaumin prévu chez Fayard à la rentrée n'y est pas pour rien. Elle y évoque à un moment sa fascination enfantine pour les défilés, ceux-là en particulier. 

C'est quelque chose qui m'intéresse car je ne sais qu'éprouver une forme de panique sourde à voir des humains uniformisés ailleurs que sur les terrains de sport - où il est très utile qu'un coup d'œil périphérique suffise à repérer le coéquipier -. Et je crois que je ne suis capable d'apprécier l'obéissance à un rythme et un ensemble que dans le cadre d'une chorale ou d'un orchestre. Sans parler de la vue des armes que mon imagination ne sait que rendre mortelles. J'ai commencé ma vie par l'assassinat du président Kennedy, quelque chose de la panique des adultes m'est resté que le 9/11 a réactivée.

Bref, le 14 juillet, ça n'est pas mon truc.

Il n'en reste pas moins quelques bons souvenirs.

  • Un stage de chant au Moulin d'Andé et chanter Brassens dans la voiture que ma prof (peut-être allions-nous au ravitaillement ?) conduisait ;

  • Les matinées sur le toit de la Grande Arche grâce à Sacrip'Anne et comme le spectacle du défilé aérien, vu de là, était beau. Ce fou-rire la première année lorsque j'avais sorti mon bel appareil argentique pour l'occasion (2) et pris de la patrouille de France de splendides photos ... en noir et blanc (autant dire que leur beau panache bleu-blanc-rouge tombait dans un trois nuances de gris d'un patriotisme fort mesuré) ;
  • Un feu d'artifice une année près de Niort lié au mariage de nos amis Frédéric et Nathalie ; il y avait un peu de leurs familles respectives, des enfants, des cousins, une ambiance joyeuse, un air campagnard, des confidences. Je me souviens d'avoir été heureuse, tout simplement. Nous n'avions pas encore la responsabilité d'enfants, nos amours débutaient, nos trajectoires professionnelles aussi, le monde faisait encore semblant d'aller vers du mieux, c'était un moment de bon temps dans des vies très actives ; 
  • Deux 14 juillet au travail à la librairie vers le bas des Champs Élysées, une ambiance un peu particulière, des passants (très peu de lecteurs), l'impression de participer à quelque chose mais en marge. C'était marrant ;
  • Un vague souvenir d'une année où j'avais regardé le défilé à la télé pour une raison désormais obscure, de type quelqu'un que je connais, ou le conjoint de quelqu'un que je connais ou le fils ou le voisin y participe. Et en fait je regarde pour pouvoir dire ensuite à la personne concernée que j'ai bien regardé mais sans voir Machin (je suis sans aucune illusion de parvenir à reconnaître quelqu'un parmi les défilants), car la vie est ainsi lorsqu'on ne ment pas que ça colle quelques contraintes inattendues, parfois. Du moins lorsqu'on ne veut pas décevoir ceux qu'on apprécie ou qu'on aime. Et donc toujours cette perplexité face à l'exercice. Qui diable dans l'histoire de l'humanité a eu en premier cette étrange idée. De faire marcher les uns pour parader devant les autres. Faire savoir à un ennemi qu'on en a sous la semelle.
  • Un stage professionnel du temps de l'"Usine" avec les collègues de mon équipe, une formation technique mais qui avait lieu dans des locaux tout près des Champs Élysées (voire : donnant sur) et les passages assourdissants des avions. L'instructeur contraint de s'interrompre. J'aimais ces (trop) rares stages : j'ai toujours adoré apprendre quoi que ce soit, j'aimais être déchargée des responsabilités quotidiennes, personne pour venir nous persécuter (c'était avant l'hyperconnectabilité, absents nous n'étions pas joints sauf réelle urgence), et des horaires, la certitude à 17h30 ou 18h d'en avoir fini avec la part contrainte de la journée et de pouvoir retrouver enfin nos enfants ou (inclusif) du temps personnel. J'ai beaucoup souffert des journées de cadres qui en France ne sont pas, ne sont jamais bornées. Je n'avais pas un si gros salaire. Je me suis beaucoup fait exploiter.
  • Un souvenir oublié que la lecture du "Sulak" de Philippe Jaenada en 2013 a réactivé : le type fait un braquage de bijouterie à deux pas de là un jour de défilé très surveillé. Pas spécialement un 14 juillet, il s'agissait d'une visite officielle d'Helmut Kohl du temps où avec François Mitterrand ils faisaient de jolies photos pour l'histoire (et pas seulement), mais dans mon esprit c'est étiqueté "Pendant des cérémonies sur les Champs Élysées" et par association d'idée "14 juillet" ;
  • Une tentative d'assassinat ridicule contre Jacques Chirac en 2002 en marge des cérémonies. Je me souviens d'en avoir ri. C'était hélas sans doute le début de l'ère dans laquelle nous sommes à présent plongés : des types très quelconques de traviole dans leur tête s'inventent une destinée en devenant des tueurs (ou : tentant de devenir), Allah étant ces derniers temps un prétexte très tendance mais pas forcément nécessaire, pas seulement. L'idée de fond reste d'avoir soudain du poids sur le cours des choses même si c'est pour le rendre encore plus calamiteux (3). Ce qui était surprenant en l'occurrence c'est que Jacques Chirac était plutôt un président consensuel : il ne gouvernait pas en faisant se dresser les uns contre les autres, il restait plutôt logique par rapport à son programme, il faisait des bêtises marrantes (par exemple celle-ci), cette bouffée de violence à son égard stupéfiait.
    - des siestes grandioses devant le Tour de France, dont Pantani dans l'Alpes d'Huez (4), d'ailleurs tout à l'heure je vais peut-être me laisser tenter.

PS : Et un petit Bourvil pour la route (merci à Gilsoub et Richard Auger qui l'a posté sur son mur)

 

(1) C'est très étrange d'être secouée durablement par quelque chose où l'on n'était pas présent(e) ; mais les documentaires et les livres (dont celui de Roberto Ferrucci) ont fait pour moi de ces journées des moments d'action.

(2) Je fais partie de ces photographes amateurs qui commençaient pile à être enfin équipés dignement, lorsque le numérique a déboulé.

(3) C'est d'ailleurs un peu ce qui en effet collectif a donné le brexit. Prenez enfin en compte notre existence et notre mécontentement (peu importe qu'après ça soit pire).

(4) qui d'ailleurs m'avait réveillée et qui d'ailleurs n'était pas un 14 mais un 12 juillet, je m'en aperçois grâce à l'INA - souvenir de mon fils tout bébé, souvenir de me dire Même dopé, il faut le faire !)


Parfois longtemps plus tard la résolution d'une micro question


    Je me souviens qu'au début du succès intersidéral de Daft Punk, les entrevoyant avec leur casque sur un écran télé (sans doute dans un de ces cafés où des clips défilent sur un écran tandis que le fond sonore est différent), je m'étais dit que ça me rappelait quelque chose, mais sans me rappeler ce que ça me rappelait mais ça me rappelle quelque chose n'empêche.

J'avais quelques autres bricoles pour m'occuper l'esprit et je ne suis pas spécialement intéressée par ce style de musique (2), ça c'est mis dans un grenier du cerveau, dans le coin voisin de celui occupé par les questions enfantines (1).

Et puis voilà que je re-rencontre un gars qui parle de pochettes de disques, de Gagarine et de Didier Marouani et du groupe Space et puis ça m'est revenu (3), les casques sur la tête pendant le clip, c'était Space vers 1977, un peu avant quand même.

Bon, voilà un élément de moins dans le buffer des Ça-me-rappelle-quelque-chose-mais-quoi ?, basculé désormais dans l'endroit bien rangé des questions résolues qui ne changent rien au quotidien où il prendra paisiblement la poussière. Petit musée intime des connaissances inutiles.

J'aurais mis dans les vingt-cinq ans. Ça rend jubilatoire le moindre dénouement. Merci à celui qui sans connaître celle-ci de mes questions m'a mise pile sur la piste de sa résolution.

 


Space (Didier Marouani) - Magic Fly par scopitones

 

 

(1) Dans ma tête c'est un peu Les p'tits bateaux sans mollir malgré les ans.
(2) Gamine j'ai eu ma phase Kraftwerk et puis bon voilà.
(3) En fait peut-être qu'entre temps j'avais déjà fait la jonction mais à nouveau oublié ; car l'ensemble de la conversation avait par moment a sense of déjà-vu


Guillevic retrouvé

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Toujours en rangeant, retrouvé copie d'un message de juillet 2003. 

On se l'était envoyé pour s'encourager.


Never say never (Bernard Pivot, bon dimanche, François Mitterrand)


    Si l'on m'avait dit qu'un jour, je pourrais me dire face à un early sunday evening five o'clock blues, J'ai passé un bon dimanche grâce à François Mitterrand, et bien ri, je n'en aurais rien cru.
Si l'on m'avait en plus dit que ça serait grâce à Romain (Slocombe) dont j'apprécie tant les livres (pour certaine gamme de ses photos disons que je ne fais pas partie du ... cœur de cible), je serais restée incrédule : du temps de l'émission en question je vivais dans un monde où l'on pouvait ignorer que le métier de réalisateur de cinéma existait et où les écrivains étaient des martiens dont après de longs voyages certaines œuvres parvenaient jusqu'à nous. Du temps de l'émission en question, si du haut des mes quinze ans je remarquais qu'il y manquait les femmes, je me disais simplement qu'elles avaient eu mieux à faire qu'à passer à la télé, qu'elles n'avaient pas envie de jouer à ce genre de football - ça ne me venait pas à l'idée de songer que c'est peut-être qu'à part Duras leur présence n'avait pas été envisagée -. J'étais seulement capable de penser que l'imposant politicien ressemblait terriblement à mon père, surtout lorsqu'il évoquait ses années en pension et que l'homme bafouillant avait un charme fou.

En attendant, du fin fond d'un dimanche de novembre, solitaire, un peu triste, de la deuxième décennie du siècle suivant, je me suis régalée de les écoutant (1) et que j'ai bien ri. Il ne faut décidément jamais dire jamais.

 

(1) C'est sans doute une ré-écoute, je me rappelais trop bien certains propos ; or à 15 ans encore on m'obligeait à me coucher tôt. J'ai donc dû voir une rediffusion il y a quelques années.


Le héron


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LE HÉRON

 

   Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où 
   Le Héron au long bec emmanché d’un long cou. 
              Il côtoyait une rivière.
   L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ; 
   Ma commère la Carpe y faisait mille tours 
              Avec le Brochet son compère. 
   Le Héron en eût fait aisément son profit : 
   Tous approchaient du bord, l’Oiseau n’avait qu’à prendre ; 
              Mais il crut mieux faire d’attendre 
              Qu’il eût un peu plus d’appétit. 
   Il vivait de régime, et mangeait à ses heures. 
   Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau 
              S’approchant du bord vit sur l’eau 
   Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures. 
   Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux, 
              Et montrait un goût dédaigneux 
              Comme le Rat du bon Horace.
   Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse 
   Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? 
   La Tanche rebutée, il trouva du Goujon. 
   Du Goujon ! c’est bien là le dîné d’un Héron ! 
   J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise ! 
   Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon 
              Qu’il ne vit plus aucun Poisson. 
   La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise 
              De rencontrer un Limaçon. 
              Ne soyons pas si difficiles : 
   Les plus accommodants, ce sont les plus habiles : 
   On hasarde de perdre en voulant trop gagner. 
            Gardez-vous de rien dédaigner ; 
   Surtout quand vous avez à peu près votre compte. 
   Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons 
   Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ; 
   Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.

 

Ce que j'ignorais avant de rechercher cette fable après en avoir croisé le héron héros, c'est qu'elle était jointe à l'origine à une autre, qu'on ne nous enseignait pas. J'ose espérer que cette fable-ci a vieilli.

 

 

LA FILLE

 

            Certaine Fille, un peu trop fière 
            Prétendait trouver un mari 
   Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière, 
   Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci. 
            Cette Fille voulait aussi 
            Qu'il eût du bien, de la naissance, 
   De l'esprit, enfin tout ; mais qui peut tout avoir ? 
   Le destin se montra soigneux de la pourvoir : 
            Il vint des partis d'importance.  
   La Belle les trouva trop chétifs de moitié : 
   Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l'on radote, je pense. 
   A moi les proposer ! hélas ils font pitié . 
            Voyez un peu la belle espèce ! 
   L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse ; 
   L'autre avait le nez fait de cette façon-là ; 
            C'était ceci, c'était cela, 
            C'était tout ; car les précieuses 
            Font dessus tout les dédaigneuses. 
   Après les bons partis les médiocres gens 
            Vinrent se mettre sur les rangs. 
   Elle de se moquer.  Ah vraiment,  je suis bonne 
   De leur ouvrir la porte : ils pensent que je suis 
            Fort en peine de ma personne. 
            Grâce à Dieu je passe les nuits 
            Sans chagrin, quoique en solitude. 
   La Belle se sut gré de tous ces sentiments. 
   L'âge la fit déchoir ; adieu tous les amants. 
   Un an se passe et deux avec inquiétude. 
   Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour 
   Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour ; 
            Puis ses traits choquer et déplaire ; 
   Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire 
   Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron : 
            Les ruines d'une maison 
   Se peuvent réparer : que n'est cet avantage 
            Pour les ruines du visage ! 
   Sa préciosité changea lors de langage. 
   Son miroir lui disait : Prenez vite un mari. 
   Je ne sais quel désir le lui disait aussi ; 
   Le désir peut loger chez une précieuse. 
   Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru, 
   Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse 
           De rencontrer un malotru.

Jean de La Fontaine, Fables 

 

[photo : Parc des Impressionnistes, Clichy la Garenne, ce matin]