Drame en trois dates (ou peu s'en faut)

Père Lachaise, hier

PICT0016 C'est une inscription longue qui attire mon regard, en plus de cette convention à mes yeux insupportable, d'attribuer à une femme jusqu'au prénom de son mari. Se rappeler d'en faire, dans mon cas, à l'occasion, un pseudo rigolo.

Assez vite je comprends : cette dame qui vécu 100 ans fut veuve puis remariée. Comme elle portait déjà un double patronyme, voilà que sur sa tombe figurent quatre noms.

Je lève les yeux. PICT0017

Son premier homme, le Maurice, est mort à 35 ans, pour la France nous dit-on (quoi qu'en 1919 - suite de blessures ? grippe espagnole sur un corps affaibli ? -, "légion d'honneur" du temps où ça avait un sens et que les breloques se méritaient souvent confronté au danger).

Sa Jeanne alors avait 28 ans. La Grande Guerre, la Der des Der (cette bonne blague) les aura donc cueilli dans le meilleur de l'âge et elle aura souhaité 72 ans et une autre guerre plus tard, rejoindre en sépulture son premier bien-aimé. Quelques mots officiels, sans syntaxe ni affects, quelques dates dévoilées parfois en disent long. J'espère que le bon Roger, plus qu'éternel second, second pour l'éternité, n'en fut pas trop chagriné.

On ignore si les uns ou les autres purent avoir des enfants. [photos : in situ]




Un bel incontro (un conte d'automne - enfin presque -)

Père Lachaise, aujourd'hui

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(à lire en s'équipant d'un tendre, très tendre et doux second degré - sauf pour l'admiration politique qui est des plus sérieuse -)

Dans mon absence de religion tout à fait personnelle, les morts sont courtois, secourables et présents ; comme dans Uncle Boonme d'Apichatpong Weerasethakul . Il convient donc de les tenir un peu au courant de nos aléas de vivants, ça les distrait, ils aiment bien ça. Les pouvoirs que leur confère leur absence d'état font que généralement ils savent tout déjà. Mais ils apprécient qu'on fasse la démarche de les prévenir personnellement. J'ai donc profité de ce beau dimanche pour aller présenter une petite bonne nouvelle à deux ou trois de ceux qui ont comptés pour moi et dont le dernier domicile connu de la carcasse se trouve au Père Lachaise. Après la mort chacun n'est plus présent qu'en bribes de souvenirs dans les mémoires de ceux qu'il croisa vivant ou qui pensent bien fort à lui, même s'ils ne l'ont pas connu, et donc flotte parfois à plusieurs endroits au même instant. Pour donner des nouvelles à nos chers disparus le plus simple est donc de laisser une pensée s'épanouir vers leur lieu de sépulture ou d'incinération. En moins de 140 éléments c'est mieux, comme ça, ils peuvent se la retouiter. Aux vivants d'être pragmatiques pour (d)eux.

Je m'efforce également de passer quelques instants auprès du mur dédié aux victimes de la Commune. Nous d'en bas leur devons.

Mon devoir filial, admiratif, et amical accompli, je me suis promenée au long des allées au prétexte d'une pellicule argentique à terminer. Mais si je l'ignorais, j'avais un rendez-vous.

Avec un turinois de 25 ans, au détour d'une des discrètes allées qui ne font pas partie des circuits touristiques, pas même un jour du patrimoine et de personnes munies d'un questionnaire en forme de jeu de piste (1)(2). Doux cimetière du Père Lachaise où l'on entend des discussions vives et des rires éclatants.


Je ne comprends pas comment il se fait que nous ne nous soyons pas déjà croisés. Ou alors comme pour un certain poète, lui bien vivant, qu'à présent je connais, j'avais lu plusieurs fois son nom sans hélas me le rappeler, ce qui permet une nouvelle chance de première rencontre.

Je viens donc d'apprendre pour la première fois en solide et l'existence et la mort en 1926 d'un militant antifascite turinois, Piero Gobetti, et dont le fils Paolo eut aussi une vie intéressante et utile.

La tombe du premier est bien entretenue et fleurie (3), preuve que tout le monde n'a pas perdu la mémoire, contrairement à ce que certains politiciens croient.

Je me rends compte qu'en me déplaçant au Père Lachaise aujourd'hui j'étais sans doute venue chercher précisément ce réconfort-là.

Sans doute également une forme de rappel à l'ordre :

je ne dois pas laisser tomber les "Récits italiens" entrepris en 2004 / 2005, poursuivis en 2006 malgré l'effondrement qu'il y eut dans ma vie, mais devenus trop noirs, trop sombres, ce qui n'était pas leur couleur d'origine, et de là par chagrin mis de côté. Je dois reprendre la tâche interrompue. Il faut parler de l'Italie des années 30 dans la France d'aujourd'hui. J'ai peut-être perdu la mémoire de l'amour, pas celle de la documentation dans laquelle je m'étais plongée afin d'étayer ces chroniques de vie quotidienne que le projet contenait.

Il faut cesser de pleurer et à sa mesure, lutter. Je peux, je dois, tenter de transmettre ce que je sais. Ceux du temps d'antan n'avaient pas craint de tout risquer, écrire n'est pas grand-chose, il faut au moins le faire.


(1) Les seuls moments ou je regrette de ne pas mentir, même pour rire, et où je suis si je pouvais être crédible fort tentée d'envoyer les admirateurs de Jim sur la tombe de Marcel, ceux de Marcel chez Oscar et certain(e)s chez des anonymes dont je sais qu'ils apprécieraient d'avoir enfin un brin de visites.

(2) Je serais curieuse de savoir quel était l'enjeu, car si jouaient aujourd'hui des enfants, des petites familles, se trouvaient aussi investigateurs et interrogatifs des adultes sans petits pour les accompagner.

(3) Celle du second j'espère aussi mais je la suppose à Torino et je n'en sais rien.

PS : à propos du film d'Apichatpong Weerasethakul quelques mots de Zvezdo


[photo : détail de la tombe

traduction approximative maison

"Turin 1901 - Paris 1926

A Piero Gobetti exilé en France, en souvenir de son défi solitaire envers le fascisme et de sa leçon d'intransigeance éthique et politique

Le comité national pour le centenaire de sa naissance"

 




Les Laze du comte d'Orgel

aujourd'hui au Père Lachaise et puis un peu après

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J'aurais tellement voulu que Wytejczk puisse nous rejoindre au rendez-vous collectif de ce dimanche d'été qui venait de s'achever, qu'au moment de rentrer je m'en sentis incapable.

Besoin de marcher, de penser une fois de plus à ce qui avait bien pu arriver, de voir le Père Lachaise, voisin, à la belle saison, ce que je croyais n'avoir jamais fait.

Le hasard des pas pensifs me conduisit au chevet de Raymond Radiguet. Depuis les mois que j'arpente ces lieux où mon père il y a trois ans a été incinéré, c'était la première fois que je croisais l'endroit de l'auteur du "Diable au corps"  et "Du bal ..." " du bal ..." , du bal de qui déjà ?

Influencée par un récent article d'un blog que j'aime à lire     j'ai songé "Bal des Laze" et après j'étais foutue. Impossible de me souvenir du titre de l'ouvrage qui pourtant m'avait tant marquée.

Je sais d'expérience que dans ces cas-là mieux vaut ne pas insister, que le nom reviendra par mégarde, déjouant les pièges dans lesquels le cerveau veut le canaliser.

Je continuais ma promenade, réfléchissais à d'autres sujets, m'étonnais de la vitalité des baisers à Oscar Wilde puis comme l'heure de la fermeture approchait, sortis du côté d'une librairie que je connais un peu et qui se situe dans la même rue qu'une autre qui organise lectures et rencontres où j'aime aller. 

Et qui s'appelle ... qui s'appelle ... Le nom ne venait pas et il était temps de remonter vers Gambetta.

Accablée par l'état dans lequel les épreuves cumulées et mon manque de résistance à leur encontre m'ont plongée, cette mémoire qui défaille désormais non seulement pour les choses fastidieuses mais également pour mes passions premières, je rangeais l'appareil photo, pris le métro, saisis mon bouquin du jour ; "Le paradis perdu de Mercury" de Brad Watson, et qui s'ouvrit Dieu seul sait pourquoi et encore même pas puisqu'il n'existe pas, page 254 (1)

"Le merle moqueur chante avec tant d'éclat qu'elle en devient aveugle, comme si elle traversait son chant pour entrer dans le rien."

"Merle moqueur" c'était ça ! Le nom de la librairie amie. Je tentais d'ouvrir au hasard une autre page, pleine d'espoir pour résoudre Radiguet d'aussi jolie manière. Mais le procédé refusa obstinément de récidiver.

Il me fallut donc rentrer à Clichy avant de retrouver le titre qui me tracassait,

"Le bal du comte d'Orgel".

Je me souvins du bonheur de lecture que ça avait été, malgré un style trop dense de beautés caloriques, du regret infini que cet homme fût mort si jeune avant d'avoir pu donner le meilleur de son métier.

Soulagée de l'énigme crevée, je me couchai de bonne heure et plutôt rapidement.

 

(1) j'en étais alors à la 82.

[photo : Père Lachaise, tombe de Raymond Radiguet]

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Les anges absents

dimanche 14 janvier 2007 , en début d’après-midi

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La lumière était parfaite, la piscine Michel Thermos fermée, le temps si doux, si agréable pour un janvier ; je prends mes appareils photos et je file au Père Lachaise.

Las, quelque chose n’allait pas.

Les anges n’étaient pas là. Ou distraits. Je ne sais pas, ou ça venait de moi. Ils n’accrochaient pas la lumière. Je ne trouvais pas les angles. Peut-être encore étais-je de trop ? M’attendait-on ailleurs sans m’avoir avertie ?

 

J’avais éteint l’Olympus, les autres équipements étaient déjà rangés, je sais reconnaître quand il faut renoncer, se garder d’insister de peur d’indisposer ceux qui à l’habitude nous aident et nous inspirent. Ils peuvent ne pas vouloir, pour une fois. C'est leur droit.

 

Afin de n’être pas venue si loin pour rien, je me résigne à une simple promenade, les mains dans les poches ou les bras ballants. Je médite sur les fragilités relatives de l’écriture et la photographie, du poids des jours où « ça veut pas » et qui est si lourd à supporter quand par nécessité on subit un métier qui nous mange tant d’autres journées. Je suppose qu’il en est de même pour les musiciens, quand ils souhaitent composer.

J’en suis là, à la musique, quand le type sur la gauche me dépasse. Il porte une sur-chemise épaisse et canadienne, sans doute un peu trop chaude pour le climat du jour, une casquette USaméricaine ridicule, parle sans discontinuer et puisque je suis à sa portée, sans préambule mais non sans conviction me lance :

- A Roubaix, vous savez, le château est très beau.

Sur le même ton je réponds : - Je ne savais pas qu’il y avait de château, là-bas. Ça fait, vous savez, fort longtemps que je n’y suis pas allée.

   

Par bonheur l’existence d’une réponse et sa teneur, non contradictoire et je crois, j’ai tenté, respectueuse, semble le combler d’aise. Il reprend donc sa foulée plus rapide que la mienne ainsi que son soliloque. Il a eu sa petite dose d’interlocution, à présent il peut à nouveau s’autosuffire.

- Si je n’épouse pas Monique Guérin avant la fin de l’année, ça va mal aller.

Je me demande vaguement qui ou quoi voire pour qui (elle ou lui ?) ça ira mal, mais il a déjà épuisé toute mes capacités de conversation alors je laisse filer.

   Trois jeunes femmes me croisent. Plus des gamines mais pas encore mères, quelque chose dans leur façon d’être, si détendues, sans cette once d’inquiétude qui perdure quand on est jeune parent pour une fois loin de ses enfants, me le fait supposer, elles devisent au gré de leurs pas.

- Vous savez que les fleurs artificielles sont apparues pour la première fois dans les années cinquante ? affirme l’une des trois.

De ses compagnes, une répond oui et l’autre non.

Je commence à trouver ma balade instructive (1) et la prolonge un peu.

Je lis sur une tombe la détresse d’une famille que la proximité d’un caveau de star fréquenté finit par excéder et m’étonne d’une colère qui atteint l’autre monde. Elle s’exprime mal, je leur propose donc mentalement (2) une plus simple alternance :

« Ce n’est pas ici bas la tombe de quelqu’un

Ne lui faites pas de mal, ne lui empruntez rien

O fans de la voisine qui si souvent venez,

Respectez l’anonyme, elle ne vous a rien fait.

(de son vivant) »

  Ce devoir accompli, je suis enfin rentrée.

[photo : in situ, same day same place]

  (1) Cela dit je ne sais pas s’il existe réellement un château à Roubaix. Et autant il est facile sur l’internet de se documenter sur ce qui existe autant l’absence ou l’improbabilité de référence ne suffisent pas à attester d’une irréalité (il pourrait y avoir un château mais privé et méconnu).

(2) Je n’aurais pas l’outrecuidance de le faire in situ par écrit et puis à la tournure de leurs phrases je n’ai pas senti l’humour très présent. On percevait de la douleur.

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"Que devient le rêve quand le rêve est fini"

    
Père Lachaise, dimanche 30 octobre 2005, en milieu ou fin d'après-midi avec le changement d'heure on savait plus trop.
 
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Ils sont deux ; de l'âge de Stéphanot. Je suis seule et sans lui.
    
Le cimetière parisien du Père Lachaise est mon jardin de recueillement. J'y viens en solitaire, de préférence aux dimanches froids d'hiver. Quand l'air glacial et transparent enserre les sépultures, momifie les habitants et raréfie les promeneurs.
   
Je rencontre en ces lieux les anges oubliés ; ils m'évoquent les défunts qu'ils veillent. Je recueille leurs confidences ainsi que quelques portraits, témoins d'existences passées et parfois de l'histoire.
   
Les deux enfants sont bien vivants, et curieux et joyeux. Ils soignent les fantômes sans même le savoir.
      
L'un d'eux crie à l'autre, " - C'est beau ça "Que devient le rêve quand le rêve est fini".
puis il s'arrête et réfléchit, - Tu comprends ça comment, toi ?
l'autre, déjà éloigné, se retourne et demande, - Quoi ?
- Ca veut dire quoi : "Que devient le rêve quand le rêve est fini ?"
Celui qu'on interroge, hausse les épaules, à mi-chemin entre qu'importe et qu'est-ce que j'en sais, puis il se décide :
- Je sais pas bien, mais c'est beau."
   
Je prends rapidement la photo pour y réfléchir au calme de ma cuisine.
   
De retour à la maison, je la montre à Stéphanot qui remarque d'emblée, on dirait un danseur. Il consent à se pencher sur le texte, dont il conclut qu'on ne peut pas savoir, parce qu'un rêve une fois terminé peut laisser une impression bonne ou bien une mauvaise et qu'il est très difficile de le déterminer à l'avance et une fois pour toute.
Perché à gauche de l'écran, Eugène observe d'un air approbateur. Je crois avoir décelé de sa part un signe d'assentiment.
      
Aurais-je jamais le temps de finir le rêve que je n'osais pas faire ? et : que deviendront-ils Sans moi ?