Photo d'autrefois

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Cette photo, retrouvée dans les affaires de mon père quand j'ai rangé trié déménagé la maison de mes parents, me fascine. L'homme à gauche est mon père jeune, la photo date probablement des années 50 à Paris. Elle n'était pas dans un album, il n'y avait pas de noms, je ne sais rien de plus et plus personne n'est là pour pouvoir expliquer.

En fait j'ai l'impression qu'elle pourrait s'intituler : 

Mon père et des ami·e·s dans un roman de Modiano

ou peut-être 

The no-name café 

Je m'aperçois que je ne sais rien, ou très peu, des amis de jeunesse de mes parents.

Quelques bribes du côté de ma mère car nous avons gardé un lien fort avec La Haye du Puits où elle a grandi. Une de ses amies d'enfance est même venue à ses obsèques et je lui en sais gré.

Des anecdotes du côté de mon père qui me racontait dans ses bons jours volontiers "Quand j'étais petit" ou "Quand je venais d'arriver à Paris". Seulement mon père faisait comme je le fais quand je relate un épisode qui implique des tiers, il ne les nommait pas, ne divulguait d'elles ou eux que ce qui avait un sens pour l'histoire qu'il avait envie de raconter. Ou alors il donnait les surnoms, car en Italie avec l'usage des diminutifs sur les prénoms, c'est courant. Donc il y avait le copain qui était une armoire à glace mais était tombé KO au premier coup de poings (bagarres de fin de bal musette), l'autre pote qui était "une force de la nature", et ses exploits horticoles et athlétiques, en plus de son boulot d'usine, etc., toutes  personnes sans autre désignation. Des prostituées d'un hôtel où il logea un temps près de la porte maillot et qu'il semblait tenir en estime et réciproquement quand il avait installé sur le WC collectif à la turque un système rabattant et la plomberie qu'il fallait pour les transformer en douche quand on le souhaitait. Il s'empressait de préciser qu'il n'était pas client, et que contrairement à d'autres il les respectait. Il racontait que son dispositif avait eu un inconvénient par ricochet : parfois les toilettes étaient longuement occupées par quelqu'un qui se lavait. C'était l'après guerre en France et les installations sanitaires laissaient à désirer. 

Un nom demeure car il s'agissait d'un couple que mes parents ont fréquenté durant mes petites années : Peppino ; je crois me rappeler qu'ils étaient plus aisés que mes parents. Et que par ailleurs lui était mort, car plus âgé (mais pas tant que cela ?), que c'était pour ça qu'ils ne se voyaient plus. Ou parce que d'autres avaient vers la fin ses faveurs ?

De loin en loin nous allions chez des collègues de mon pères ou eux venaient à la maison. Mais ma mère manquait d'enthousiasme, au fil des ans ce type de fréquentations s'est effiloché. J'y ai sans doute involontairement contribué car on m'avait fait croire que j'avais peur des chiens. Alors quand on allait quelque part où il y avait un chien, ses maîtres l'enfermaient à cause de moi et ça me rendait malheureuse, le chien pleurait derrière une porte, tout ça devait plomber l'ambiance. Après la naissance de ma sœur je pense que ma mère refusait les déplacements du dimanche. S'est alors ouverte la période, tout le monde en voiture et on se promène en voiture, l'usage de la voiture comme une fin en soi, on est heureux d'en posséder une, tout le monde n'en possède pas (1) ; avec éventuellement trois pas dehors dans un joli endroit (L'Isle Adam, le château de Compiègne, Chantilly ...).

Voilà pourquoi je n'ai aucune idée de qui sont les personnes sur la photo, probablement des fréquentations de mon père entre son arrivée d'Italie et le moment où il rencontra ma mère, dans le bus pour aller au travail, qu'ils empruntaient régulièrement vers Nanterre aux mêmes heures, avant que le travail pour lui, puis pour elle, ne migre à Poissy (2).

Il y eut bien sûr des fréquentations de voisinage - je me souviens des noms des voisins à Chambourcy alors que nous en sommes partis quand je n'avais que 5 ans 1/2 -, des fréquentations de parents d'élève - la famille Duval dont la petite Hélène était une grande amie de ma petite sœur, dont je me suis souvent demandée ce qu'ils étaient devenus -, des fréquentations via des activités, sportives en particulier, que ma mère pratiquait. Tout ça eut lieu plus tard, et peu de fêtes, sauf de famille avaient lieu à la maison. Les dimanche étaient de bricolage pour mon père, de sports dehors ou d'heures studieuses pour moi, ma sœur sortait peu et ma mère avait toujours quelque chose à faire. C'étaient des vies de travail, week-ends compris. La détente c'était : regarder la télé. Et donc personne ne venant qui aurait correspondu pour l'un ou l'autre de mes parents, aux années d'avant. 

Sur cette photo, qui sont les gens ? Quel(s) étai(en)t leur(s) lien(s) ?
Et où était ce café (potentiellement à Paris vers le XVIIème arrondissement) ? 

 

(1) rien à voir avec l'écologie ou le fait que les transports en commun suffisent. Tout à voir avec l'argent qu'il faut pour en acheter une. Le vélo est encore un moyen de transport comme un autre, mais qu'on rêve de laisser tomber pour l'auto ou, si l'on est encore jeune mobylette ou moto. Les scooters en France sont rares, mais en Italie très courants. 

(2) aux usines Simca  


It didn't seem so long ago


    Je profite d'une journée à la BNF pour compulser les archives de l'internet à la recherche de blogs disparus. Au départ à la recherche d'un billet pour m'en rafraîchir le souvenir, puis dans le même mouvement qui autrefois enfant me faisait disparaître des heures dans le dictionnaire, de lien en lien vers de plus en plus de retrouvailles.

Dans ces cas-là tôt ou tard, je finis ou je commence toujours par retomber sur le blog de La fille aux craies. Il faut dire aussi qu'elle n'a pas cessé, jamais, de me manquer et que certains de ses billets emblématiques, me sont restés. Je ne peux pas ne pas penser à elle lorsque j'ai une serviette rêche entre les mains, ni songer "levrette" dès que je lis le mot "missionnaire" et rigoler in petto bêtement, en mode adolescent, et ça c'est d'elle que je le tiens (1). 
Pour qui ne l'a pas connu il faut savoir qu'elle souffrait de mucoviscidose, qu'elle a subi une opération pour une greffe à l'été 2011 et qu'elle n'a pas repris connaissance. Elle avait pris soin de nous relier ses ami-e-s plus lointain-e-s aux plus proches avant de partir à l'hôpital et je lui en reste infiniment reconnaissante.

Dès lors son blog s'arrête là : 2011. Fin juin.

Pour d'autres l'activité de blogage s'est arrêtée comme suite à certains événements, moins dramatiques, de la vie, combinés à l'avènement des réseaux sociaux et à la conscience que tout ce qu'on pouvait laisser comme traces écrites, audio, vidéo ou photographiques pouvaient se retourner contre nous.

Parmi d'autres, le blog d'un ami, pas revu depuis trop longtemps : dernier billet 2015.

Et c'est intéressant. Au delà de la part affective. 

Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve ou non à une époque différente ?


Les écrits de 2015, c'est du presque maintenant. Ce qui est raconté, du moins ce que ce qui est raconté laisse percevoir de la ville, de la société, des rapports entre les gens, ça pourrait être au printemps dernier, ou à l'automne qui a précédé. Ils ont encore une couleur, une qualité actuelle. Y compris ceux, ancrés dans leur date, concernant les attentats à Paris cette année là.

Les écrits de 2011, c'est déjà un autre temps. Pourtant sont déjà là les téléphones et les ordis et l'internet répandu, et les réseaux sociaux ; certes des événements politiques importants ont secoué le monde : les révolutions du printemps méditerranéen, les attentats en France (et pas seulement là), l'élection de Trump, le Brexit ... mais ils n'avaient pas d'influence si directe sur la vie d'une personne de la classe moyenne en France. Et puis ça vaudrait pour 2015 aussi pour certains événements et d'autres aussi. 

Ça n'est pas non plus un prisme personnel : en 2011 j'avais déjà entamé la reconversion qui est la mienne aujourd'hui. Je n'applique donc pas un filtre "Ma nouvelle vie" à ce que je lis. J'étais déjà dans l'idée de me mettre au triathlon, seul a changé le passage de l'idée à la mise en œuvre. Ma vie amoureuse n'a pas tant évolué. Il y a eu des deuils, des disparitions. Mais pas au point de devoir considérer "un après / un avant". Sauf pour l'assassinat d'Honoré parmi ses collègues. Même si ce fut, comme le fut 9/11 et mondialement une sacré commotion. Seulement je ne crois pas que ça ait changé les choses pour tout le monde à ce point-là. 

Au point que des écrits quotidiens personnels de 2011 semblent d'un autre temps, un temps d'avant quand ceux de 2015 restent pour l'instant de l'ordre de Comment ça trois ans ? Qu'est-ce que ça passe vite !

De quoi est faite la sensation d'époque révolue ?
J'aimerais pouvoir en discuter avec les ami-e-s disparu-e-s. 

 

(1) Bien d'autres choses encore. 


Des romans et des rêves

 

    D'emblée lisant "Camille mon envolée" j'ai su que Sophie Daull ferait partie des auteures qui compteraient. Son travail se poursuit qui ne fait que me le confirmer. 

Elle sait mêler comme personne, fiction, réalité et réflexion sur le travail d'écrire, tout en restant très abordable, du moins pour qui aime lire.

Son nouveau livre sous forme d'épreuves non corrigées nous [libraires] a été remis la semaine passée et depuis j'aspirais à un moment calme pour pouvoir m'y plonger. Mon corps me l'a accordé aujourd'hui, je crois que j'avais trop forcé sur le sport, en plus du travail, ces jours-ci. Alors je me suis souvenue que mon dimanche est le lundi et qu'un jour par semaine j'ai droit de repos.

Je suis restée un peu sceptique quant aux pensées d'un ancien assassin présent dans ce roman-ci. Il est presque sympathique, sincèrement repentant. Or si je peux croire que certains crimes commis par les hommes relèvent du pétage de câble, d'un truc qui leur revient d'un temps animal ancien et qu'ils ne peuvent contrôler, que ça n'en fait pas des monstres ni nécessairement des récidivistes, je reste persuadée que la plupart d'entre ceux-là s'en sort avec sa conscience par un splendide déni, ou des idées de légitime défense que les humains s'accordent. Ils réinventent l'histoire. S'estiment provoqués. Omettent en leur propre mémoire ce qu'eux-mêmes ont dit ou fait.

Pour un qui n'était pas un assassin direct mais tendait tel Ted Hughes à pousser au désespoir ses conquêtes successives, j'ai pu lire la réécriture tout en ayant encore les originaux. Il y a de quoi douter. De tout. De la réalité.
Quant à la parole donnée, c'est clair : chez la plupart des humains, elle ne vaut (presque) rien.

Bref, peut-être qu'une bonne personne n'est pas tout à fait capable d'incarner quelqu'un qui ne l'est que rarement.

Pour autant j'ai été embarquée et émue comme toute les fois d'avant. Et j'ai chéri la reconstitution du quotidien des jardiniers de la collectivité et de celui des libraires et de celui des écrivain-e-s et leurs voyages en train. That's it. Once and again.

Ce qui faisait que j'ai pu et dû rester chez moi à lire à également fait que je me suis endormie. 
Qu'il y a eu un rêve, dont je suis sortie sous l'effet de l'émotion, du réconfort, et du trouble qu'il me faisait éprouver.

J'étais à mon tour romancière.  Moi aussi je voyageais, devisais et signais. 
Et il y avait ce moment, dans une librairie de Roubaix, non loin de La Piscine où l'on ne va plus nager, où venaient parmi les lectrices et quelques lecteurs qui en étaient les habitués, tous ceux et les quelques celles qui avaient envers moi quelque chose d'un peu solide à se faire pardonner. Certains étaient des morts revenus pour l'occasion, dans leur vêtements d'antan. Leur présence semblait naturelle, fût leur air démodé. D'autres étaient des personnes dont je n'avais jamais soupçonné le forfait, mais qui correspondaient à des revirements de tiers que je n'avais pas compris (1). Et étaient venu-e-s les deux ou trois qui m'ont vraiment mise en danger. Échaudée, je me méfiais d'un calcul de leur part, sans notoriété qui pouvait servir la leur ou donner du poids à d'éventuelles révélations, ils seraient restés dans le confort égoïste de nos histoires par eux réécrites. Je savais qu'il ne me serait plus possible de croire en eux à nouveau. Seulement leur geste m'apaisait, me sortait du rôle de la serpillière après usage balancée, me remettait d'équerre, à égalité. 

À la fin de la file, ma grand-mère maternelle. Elle n'avait la pauvre strictement rien à se reprocher. Était en noir et blanc, un peu floue après tant d'années hors la planète. Trop d'espace-temps nous séparait pour que nous puissions nous parler, mais elle me tendait le livre avec un sourire réconforté. J'avais en signant l'impression que tout rentrait dans l'ordre. 


Je me suis réveillée la fièvre était tombée. Ces présences et ces pardons m'avaient rassérénée.

Je n'ai pas de haine ni de rancœurs, seulement de la tristesse, une souffrance des absences, et une intranquillité tant que je n'ai pas compris ce qui a pu pousser certain-e-s à agir comme ils ou elle l'ont fait. Je pouvais à présent espérer faire quelque chose de ma soirée, au moins m'occuper des lessives, du dîner, d'un peu ranger. 

Je pense que c'est à l'influence positive du roman de Sophie Daull que je dois ce regain. Ça ne sera pas la première fois que lire son travail me fait du bien.
Merci à elle, grand merci.

 

(1) Un changement de décision, ou d'attitude induits. Manœuvres ou médisances. Délations infondées ayant trouvé échos. 
PS : Il m'est réellement arrivé lors d'un pot de départ du temps de l'"Usine" de recueillir confidences et excuses de la part d'un hiérarchique qui dans une affaire confuse - on m'avait mise sur une mission puis reprochée de m'y être consacrée, je n'en voulais à personne tellement je n'avais rien compris, en étais venue à supposer qu'on avait dû me dire un jour quelque chose que je n'avais pas entendu -, laquelle relevait de luttes d'influences intestines dont j'avais en toute innocence fait les frais ne m'avait donc absolument pas défendue. J'en ai surtout retenu l'intense soulagement de 1/ Soudain tout s'explique 
2/ Je n'avais donc rien à me reprocher, rien raté. Le songe d'un peu de fièvre m'a fait revivre ça.

PS' : Et sinon dans mon rêve s'intercalaient des images de la video amateur qui tournait sur les réseaux de l'homme sportif et courageux, Mamoudou Gassama, sauvant l'enfant imprudent. Mon admiration pour le sauveteur a eu le temps de s'exprimer, alors revenait une absolue perplexité : comment l'enfant a-t-il fait son compte pour se retrouver dans la position ou il était ? Q'avait-il diable voulu tenter de faire ?


MPdPEP (Méga Problème de Pas Encore Privilégiée)

L'appellation de départ est d'origine @tellinestory controlée 

 

Détenir une maison "de campagne" alors qu'on est d'invétérés citadins c'est découvrir un peu chaque mois de nouveaux impôts. Ainsi cet "assainissement" dont nous ignorions l'existence et qui se rappelle à notre bon souvenir. N'empêche que tu te dis j'ai payé l'eau, le gaz, l'électricité, tutto bene et bim voilà l'assainissement. 
Globalement je reste impressionnée par le nombre de choses à payer. J'ai l'impression (fausse, j'en suis consciente) d'un fourmillement de factures. 

C'est apprendre aussi qu'il n'y a pas de service d'enlèvement des encombrants, chacun étant supposé disposer d'un tracteur et d'une remorque, I presume. C'est intéressant cette histoire d'encombrants aka monstres : 

À Paris tu appelles un service qui te donne un numéro que tu fixes sur les objets que tu déposes sur le trottoir et un service ad-hoc passe dans la demi-journée.
À Clichy c'est un soir par semaine. Tu déposes ton bazar et au matin plus rien (soit qu'il ait intéressé des récupérateurs en maraude soit que le camion du service officiel l'ait embarqué à l'aube)
Dans le Val d'Oise il y a un calendrier avec un passage une fois par mois et le droit de déposer la veille des objets, mais à la condition expresse que ça soit des encombrants qui n'encombrent pas trop.
Dans la Manche, tu as juste le droit d'apporter toi-même tes gros meubles ou objets périmés à la déchetterie, mon interlocutrice a eu du mal à comprendre ma question tellement un passage collectif organisé n'entrait pas dans ses habitudes. 

Je me suis inscrite sur donons.org afin de distribuer les meubles que nous ne pouvons pas garder. J'espère que ça fonctionnera. Ça va être une course contre la montre, malgré tout le travail que j'ai entrepris depuis mars dernier et que la maison était fort bien rangée - moins, le grenier -.

Ça n'est pas une surprise mais je m'aperçois que ce dont je ne sais me séparer ce sont les meubles faits maison (mon père était un bricoleur averti), ou aménagés maison, tout ce qui comporte des traces écrites de la main des défunts, et les objets qui ont une histoire - par exemple ce lustre que je ne trouve pas beau mais dont j'ai le souvenir précis de l'achat en Italie et qui venait d'un oncle par alliance qui les vendait ; je me souviens du dialogue des grands qui marchandaient, je me souviens que je comprenais ce qui se tramait -. 

Quand toute cette onde de choc sera absorbée, et les meubles et les objets casés, je me consacrerai à notre appartement qui n'en peut plus d'absorber les flux successifs d'affaires liées aux fins d'emplois et fins de vies. Et il faudra que je règle mon problème de livres. Ils sont beaucoup trop nombreux pour le volume de l'appartement. Un nombre important me tiennent à cœur. Mais certains n'étaient que des lectures d'un temps donné, il n'y a pas de raisons particulières de les conserver. 

 

 


Les conséquences persistantes

 

    Ça fera trois ans en janvier l'attentat contre Charlie Hebdo, cette journée entière passée entre espoir et attente d'une mauvaise nouvelle, et de toutes façons déjà fracassée par ce qui s'était passé quand bien même l'ami, le camarade, lui s'en sortirait. La journée de boulot accomplie malgré tout (comment ai-je tenu ?), l'errance le soir à Répu, croiser les gens qui grelottaient, se rendre compte alors que moi si sensible au froid j'étais anesthésiée, après la mauvaise nouvelle, finir la soirée chez l'amie commune, bien plus que moi touchée. 
Ça faisait du bien de parler.

Le retour à Vélib en criant mon chagrin.
J'ignorais qu'un coup sordide m'attendrait le lendemain. Et que Simone me sauverait du vacillement compréhensible face à une réalité qui dépassait l'entendement. 

Les soirées passées avec les amis, notre seule façon de tenir. Mais combien ce fut efficace.
La grande manif du 11, qui nous donna la force, après de continuer.

Et pour moi : l'absence de ressenti intérieur du froid, et qu'elle perdure. J'en avais tant souffert, du froid perçu jusqu'aux tréfonds des os, c'était comme un cadeau. 
L'absence aussi de "frisson dans le dos". D'où que Poutine ne me faisait plus peur, alors qu'une simple photo de cet homme déclenchait jadis chez moi une réaction épidermique - de proie potentielle sur le qui-vive devant un prédateur -.

D'où que je ne percevais plus ni les regards sur moi, ni les présences derrière moi.

Quelque chose est resté débranché depuis tout ce temps-là. Je m'efforce de me préparer à une éventuelle réversibilité, mais j'en suis de moins en moins persuadée.

Ça change encore mon quotidien.

Je dois veiller intellectuellement à ne pas me mettre dans un froid persistant, car si je perçois moins le froid, mon corps en est traversé, l'absence d'alerte ne signifie pas l'absence de symptômes. Je m'enrhume davantage (1).  

J'ai dû m'habituer à cette sensation si nouvelle pour moi : avoir chaud. D'accord j'avais chaud par temps de canicule ou après le sport au sauna, mais c'était pour moi si rare, je savourais. J'apprécie encore, à ce titre l'été dernier m'a terriblement frustrée, à peine quelques jours à frétiller pleine de l'énergie reçue. Pour le reste grisaille et être habillée comme en demi-saison.
Ce matin encore en arrivant à la BNF, quelques secondes pour comprendre : ah oui, j'ai chaud là. C'est chauffé [chez nous toujours pas, seulement à partir du 15 octobre je crois]. Et je me souviens alors qu'en ces lieux la température est maintenue constante, j'y portais l'été des pulls légers et à partir d'octobre des pulls épais ou des gilets, tout en me disant C'est sympa les lieux publics mais ça n'est pas très chauffé et la clim l'été quelle plaie ! On a froid. En vrai : c'est tempéré, stable, et plutôt bien réglé. 

Ce matin aussi : ne pas avoir sentir sur l'escalator que quelqu'un me talonnait - du coup avoir failli, de surprise quand je l'ai constaté, foncer dans la personne immobile sur l'escalier qui me précédait (2) -. Avoir laissé se rabattre une porte au nez de quelqu'un d'autre : comme j'étais un peu pressée j'avais omis le coup d'œil de vérification avant de la tenir ou non. Je me souviens très bien d'un temps où je n'avais pas besoin de regarder, je percevais si quelqu'un me suivait. 
Combien de fois sur les trottoirs des trottinettes me frôlent, leur pilote persuadés que je les ai sentis venir et fais ma mauvaise tête mais vais m'écarter. Si l'engin est silencieux et leur coup de propulsion, je ne me rends pas du tout compte de leur présence. 
Et quand je suis perdue dans mes pensées ou que le #jukeboxfou de dedans ma tête me passe une musique assez fort, je n'entends même pas ce qui serait audible. Du coup dans la foule, je bouscule ou me fais bousculer, j'ignore des présences, j'écrase parfois des pieds.

Étrange héritage qui me met à la fois à l'abri enfin, et aussi en (léger) danger.

 

(1) Même processus avec l'ivresse : l'absence de signes doit être compensée par une vigilance accrue - ne pas dépasser certaines quantités -.  
(2) C'est l'ennui de ces longs escalators mono-voie. Si quelqu'un s'arrête tout le monde est bloqué.


Un peu de Prévert

    20161003_201104     Il y a dix ans je postais ici un billet souvenir, un peu stupéfaite par l'attention que la moi de quatorze ans avait pu prêter à l'annonce de la mort d'un vieux monsieur poète. Mieux formulé : impressionnée par le fait que pour une gosse de banlieue dans les années 70, connaître Prévert, au moins un peu de son travail, allait de soi.

"En écoutant voiture radio su que Prévert mort"

(Mon diario n'était ni a visée littéraire ni réellement journal intime, plutôt, comme ici ?, un journal de bord).

Ce qui m'épate à présent c'est aussi d'avoir via le blog une mémoire rafraichie de dix ans (et plus). 

PS : Quarante ans plus tard le "Regardé télé avec feu Malraux" me semble quand même un tantinet mystérieux.

[photo personnelle, 3 octobre 2016] 


Les soins du Paradis

Honoré courait à mes côté, retapé et affûté comme il ne l'avait jamais été, il m'expliquait qu'au paradis il y avait des soins médicaux, qu'on l'y avait opéré et soigné de ses multiples blessures, comme ses copains de Charlie, mais que niveau diète et bonne santé ça rigolait pas et que donc en contrepartie il avait dû se mettre au sport. Qu'il avait pris la course à pied c'était ce qui le faisait le moins chier, mais que la pression pour le foot était forte : ils avaient des équipes à constituer. Qu'à présent que c'était fait, il aimait plutôt bien en fait. Et qu'il en profitait pour venir accompagner les vivants qui en faisaient. Il concluait en disant, rigolard, Tu te rends compte, mort, je fais marathonien !

J'ai rêvé que le paradis existait, mais qu'au fond il n'était autre qu'une sorte de seconde chance médicale avec une obligation d'éternelle bonne santé. C'est parce qu'ils s'ennuient un tantinet que les morts reviennent visiter les vivants - en étant le plus souvent bienveillants -. Au moment même du songe tout me semblait extrêmement réel, et logique et cohérent. 
J'ai un peu tendance, parce qu'il me va fort bien, que grâce à mon nouveau boulot, je suis "guérie", je vais mieux, que du deuil réel et principal je vais mieux. Ce rêve me rappelle que ça n'est pas si simple. Oui je vais mieux, beaucoup mieux. Non, je ne suis pas sortie du deuil, loin s'en faut.