Scruter

Je me dis qu'il faut que je m'astreigne à un travail de diariste, même si ma vie en tant que telle présente un très moyen intérêt, que ça sera bien pour d'autres de trouver des traces terre-à-terre de ce moment pour le pays et l'Europe, important. Tant pis si c'est mal écrit (je suis crevée, je sors à peine d'une période de deuils, et par ailleurs tout se superpose, pas de période calme en vue avant juillet bien tassé). Alors donc en rase-mottes : 

    Après le travail, puis un beau retour en vélo dans un froid certain (pas le froid de l'hiver, certes, mais justement, il serait temps qu'on ait enfin un peu de printemps) et un crachin intermittent, avec un petit salut aux joueurs de pétanque au passage (qui participaient à un concours à Charly Pétanque), une douche et un repas bricolé avec ce qu'il y avait (du riz, un reste de burrata), je me suis, croyant lire profondément endormie. J'étais inquiète quant au vote, au résultat. Pas tant sur la victoire de Macron, ou alors seulement à cause du précédent "Trump", que sur un score serré qui légitimerait le renouveau du fascisme. 

Il se trouve que j'ai fait un rêve merveilleux. Pour garder une trace sans donner trop d'intime je tirais que j'y touchais un peu d'argent et en faisais bon usage ce qui me rendait une part de ma vie dont je me sens amputée tout en nous préservant, ma petite famille et moi, pour l'avenir (dans cinq ans, si tout se passe bien, aux futures élections). Ce qui m'a fait une sieste dont je me suis levée avec un bel élan. Je suis sans doute en train peu à peu de m'extirper du syndrome de George Bailey, au moins en rêves pour commencer. 

Je m'étais laissé volontiers recruter pour dépouiller, misant ainsi sur la tactique de l'œil du cyclone. L'avais fait par sens du devoir, aussi, ce qui avait rendu narquois #lefiston . Au bout du compte ce fut un plaisir. Sans suspens aucun puisque des cris de joie à 20h dans la rue ou par des fenêtres ouvertes de l'immeuble dans lequel l'école maternelle où se situait le bureau de vite est sise, nous ont clairement fait comprendre que le fascisme encore cette fois ne passerait pas. Et dans une belle ambiance, nous étions tous là comme des petits citoyens motivés et soucieux que la démocratie perdure, si imparfaite soit-elle. Je retrouvais un de mes voisins et son fils, encore à l'âge où l'on est curieux de participer au monde des grands. Il y avait à notre tablée une jeune électrice. Ça faisait du bien cette motivation là. Sur les deux centaines que nous avons eues à dépouiller Macron faisait 83 à 85 % des voix, et les blancs et nuls étaient plus importants que les votes Le Pen. Autant dire que nous sommes tous, sauf une dame dont le visage portait l'opinion (1), ressortis fiers de notre quartier. Il faut signaler qu'il est encore de forte mixité sociale, d'âges et d'origines et sans doute de confessions et qu'à quelques actes de petite délinquance urbaine près (2), tout se passe plutôt bien. Il n'y a pas de sentiment d'insécurité. Et puis après une belle action militante concertée une friche industrielle n'a pas donné lieu qu'à de la spéculation immobilière, nous avons désormais notre jardin public.

Les bulletins Le Pen étaient pour la plupart pliés en quatre ceux pour Macron en deux (fort 4 sur plus de 80). Peur d'un vote non républicain mal assumé ? Repli sur soi ? Paranoïa ? Je n'ai pas d'explication mais j'aurais pu facilement me faire passer pour un devin (3). 

Un instant j'ai imaginé nos glorieux aînés révolutionnaires faisant un petit tour dans leur futur, notre présent, et constatant émus que leur œuvre même si elle rencontrait quelques difficultés n'était pas morte, pas tout à fait, qu'un esprit perdurait, que le peuple pouvait certes se laisser berner, mais qu'une fois éduqués la plupart des gens savait raisonner. Nous étions les descendants de quelque chose. Les héritiers. 

J'éprouvais une immense gratitude envers les journalistes du Canard Enchaîné grâce auxquels nous avions échappé au second tour Fillon Le Pen qui en janvier semblait assuré. Bien sûr ils ont bénéficié de la complicité du principal intéressé. Et du refus de celui-ci de se retirer (4).

Après tout, ce jeune président tentera peut-être quelques trucs qui se révèleront pas si mal et peut-être qu'il respectera la démocratie. Certainement bien davantage que son adversaire ne l'aurait fait, de ça, on ne peut pas douter. Ce qui l'attend est difficile, je n'aimerais pas être à la place du nouvel élu. Lors de la soirée électorale il a semblé conscient de ce qui l'attendait. C'est déjà ça. 

Nous avons remonté l'avenue tous les trois, le voisin son fils et moi, en devisant paisiblement. Après une campagne longue et éprouvante, ce résultat électoral était un soulagement. Nous étions pour cette fois encore citoyens d'un pays libre et en paix. 

 

(1) Je me suis toujours demandé si le visage peu avenant de certains racistes était cause ou conséquence de leur haine de l'autre. Est-ce parce qu'ils semblent détester le monde entier qu'il leur arrive des trucs qui les confortent dans leurs idées ou est-ce à force de haïr que ça déforme leurs traits ?

(2) Nous en avons été victimes comme d'autres, une voiture qui était ouverte vitre fracturée régulièrement, jusqu'au vol d'une autoradio pourtant antique et dégradée (le bouton de syntonisation des fréquences était cassé et il fonctionnait à cassettes, et nous avons subi un bref cambriolage il y a plusieurs années, avec vol d'un violon que nous n'avons jamais pu remplacer car nous étions mal assurés et que j'ai manqué de ténacité administrative. Des vélos d'enfants ont aussi disparu du local commun (mais les enfants étaient devenus grands sans doute un habitant indélicat se les sera-t-il réappropriés). Je n'écris donc pas dans un esprit de Je ne me rends compte de rien. Je parle en connaissance de cause. 

(3) Je me suis trouvée être celle qui disait à voix haute les noms inscrits et je pouvais presque "prédire" les rares Le Pen avant même qu'ils ne soient dépliés. 
(4) Élu aux primaires à sa place, Juppé serait président à l'heure qu'il est. 


Le fail du jour d'il y a quinze jours et la tactique de l'œil du cyclone

 

    J'aimerais avoir la classe de David Meulemans pour raconter mes #failsdujour (1), en plus que "notre héroïne" ça sonne moins bien que "notre héros", et ça vous a un petit côté produit stupéfiant qui ôte toute crédibilité au propos. 

Mais donc voilà, il y a quinze jours, notre héroïne souhaitant fuir une soirée électorale et des estimations blabla etc. qui risquaient d'être pénibles et désespérantes, avait choisi d'aller au cinéma, impeccable, concentrée sur une histoire, lieu clos et noir, de quoi avoir la paix. Seulement voilà la personne à l'accueil écoutait ladite soirée électorale à fond et en plus il avait fallu patienter avant d'entrer. D'où que j'y avais encore moins échappé qu'en restant à la maison.

J'étais donc bien décidée pour la soirée de ce jour de second tour d'éviter de reproduire mon erreur. Par ailleurs je travaillais le matin, allait rentrer à vélo, l'Homme, lui, participait à un concours [de pétanque], et dans de tel cas qui sait à quelle heure il réapparaîtra (2). Pas de cinéma. Alors que je me demandais quoi faire - partir marcher, alors qu'on risque de croiser des gens exprimant leur dégoût ou leur liesse, et que le temps est à la pluie ne semblait pas une bonne idée -, voilà qu'on m'a proposé de participer au dépouillement. 

J'ai accepté sans barguigner. En effet, en quel endroit mieux que dans l'œil du cyclone a-t-on une chance, une petite chance, d'avoir la paix ?

 [cela dit, nos voisins Belges annoncent déjà l'estimation du résultat] (méfiance quand même) (et d'ailleurs, cela n'aura-t-il pas un effet disuassif ? Crari genre c'est plié je reste chez moi ?)

 

(1) Par ici les siens.

(2) En bon citoyen responsable, il est allé voter dès le matin. 


Veille


     18221749_10210703544637815_2462809358739027453_nComme Alice, je me dis qu'il faut continuer "à prendre des notes pour le futur, quand nous ne comprendrons plus ce qui c'est passé (si tant est que nous le comprenions maintenant, mais au moins nous le vivons)". 

On a réellement assisté à un basculement historique, le moment où après une vaccination de 70 ans opérée par la seconde guerre mondiale, les vieux démons sont revenus et le front républicain s'est fissuré. Nous verrons demain s'il tient encore assez. 

Il y a aussi que le capitalisme sans contre-poids ne s'est plus senti de limites : les petites gens sont pressurés. 
Et que la gauche de gouvernement les a laissé tomber. 
À cela ce sont ajoutées les conséquences migratoires des guerres au Proche Orient, la Syrie plus particulièrement, et la nouvelle vague d'attentats commise au nom d'un Islam dévoyé mais qui recrute très fort parmi les désespérés. Ce qui est nouveau par rapport aux séries d'attentats qui ont précédées dans la fin de l'autre siècle et le début de celui-ci est que les terroristes sont heureux de mourir pour leur cause, si incompréhensible soit-elle pour le reste du monde. Avant il suffisait de surveiller les "colis suspects", et veiller que le trafic d'armes ne concerne pas du trop lourd. À présent n'importe quel passant est potentiellement un type muni d'une ceinture d'explosif et prêt à se faire sauter. En fait n'importe quel type un tantinet exalté peut se monter le bourichon tout seul dans son coin et bondir avec un couteau sur n'importe qui tout en laissant des traces comme quoi il agissait au nom d'Allah. Ça en fait des potentiels dangers.

Cette campagne électorale aura été si folle que je peux comprendre, même si je ne l'éprouverai pas, ce qu'écrit fort joliment Philippe Ridet. Oui nous risquons un contre-coup collectif après cette hystérie. On s'était habitués à ces rebondissements perpétuels et permanents, jusqu'à cet open bar des fake news (l'expression est de @babils) des dernières 24 heures.

Je suis intranquille au point de m'être réveillée après un premier rendors. Plus inquiète de cette crainte générale que lorsque des échéances pénibles concernent ma petite vie only. Tant que je suis actrice de ce qui va avoir lieu, ça ne me perturbe pas : je ferai de mon mieux au moment venu et puis on verra (1). Quand ça concerne un de mes proches (par exemple : une opération prévue) je ne suis pas rassurée mais parviens à intégrer que je ne peux plus rien faire pour tenter d'améliorer l'issu de ce qui doit arriver. Pour un enjeu politique général s'est différent : j'y aurai ma part et ma part de responsabilité. Mais bien insuffisante pour que ça puisse grâce ou à cause de moi bien ou mal tourner. Et puis ce qui va se décider peut obérer l'avenir de millions de gens. 

La journée ? 

Normale : je travaillais à la librairie. Seule. Avec son lot d'étrangetés (la dame à qui le jazz sur FIP donnait la nausée, Vous comprenez je n'ai pas l'habitude d'écouter du jazz ; l'apprenti écrivain par ailleurs cadre sup qui est venu tenter de m'arracher un soutien, n'a eu que quelques conseils de bon sens, qui après tout peut-être lui serviront (2)). Je ferai un bon chiffre d'affaires in fine, mais sans tout à fait sortir d'une sorte de brouillard.
Je suis conscience qu'en ce jour de tension travailler me fait du bien. 

Une cliente achète le livre de chroniques de Roland Garros des années 80. Elle m'explique que son compagnon y était, qu'il avait fait un quart de finale face à Borg ; m'indique finalement son nom (j'ai posé la question sentant qu'elle semblait le souhaiter). Je passe ensuite un moment à chercher. En vain. Mais ça m'aura amusée et rappelé bien des souvenirs. 

Des travaux, prévus et nous étions prévenus, font qu'il n'y a pas un seul train sur la ligne H 

18222591_10210703400514212_6605780762019219278_nComme le bus qui de Montmorency va vers Ermont ne passe qu'à 19h37 et qu'il fait un temps de Toussaint, je décide de passer par Enghien puis marcher jusqu'au 128 ou au RER C station Saint Gratien. 

Je sais que je vais croiser quelqu'un. Mais je n'imaginais pas un seul instant trouver une camarade de ciné-club au bord du lac devant le casino. À faire le point sur des livres d'occasion qu'elle a dénichés en lieu et place d'être au ciné pour une séance qu'elle a de peu manquée. 

Je croise ensuite un couple de mariés qui posent devant le Fouquet's dont Claude m'a parlé la veille au soir.

David me fait rire avec son fail du jour (3)

J'arrive à l'endroit où je pourrais prendre le 138 pile quand le 138 aussi.

L'homme a préparé le dîner mais oublié notre anniversaire. Débouche une bonne bouteille pour se rattraper. Nous en buvons chacun un verre puis, sages, ou trop soucieux, la remettons au frais. Nous sommes trop fatigués, l'un comme l'autre pour profiter du bon.

Je regarde l'épisode 3 de la saison 1 de "Thirteen reasons why". Trop juvénile pour moi mais décidément bien foutue. Et puis ces visions qu'il a comme moi avec mes propres disparus ou morts. Je me sens moins seule. Je pense d'ailleurs beaucoup trop à l'#ancienneamie et #anotherTed en ce moment. La solitude est plus difficile à supporter en cette période tendue, chargée. J'ai même rêvé en marchant que je crosais Ariane Ascaride qui se prenait à m'aider, ne comprenant pas plus que moi ce qui s'était passé mais pigeant qu'il y avait là un versant sombre de quelqu'un qu'elle aimait et dont elle devrait elle aussi se méfier, à moins que d'élucidant le mystère m'y trouver une responsabilité. C'est peut-être elle que j'espérais voir en passant par le casino.

Il aura plu toute la journée ; la reco d'Enghien par mes amis triathlètes a même été annulée. Ainsi que mon retour à vélo. 

Je ne suis pas sujette aux crises d'angoisse, mais je m'y sens au bord. Au bord des larmes aussi. En permanence. 

Une députée s'est effondrée en plein meeting, la veille au soir, et elle est morte. Pourquoi est-ce qu'aux haineux ça n'arrive jamais ?

Je lis un peu (le nouveau livre d'Éric Vuillard et celui d'Ariane Bois). Retrouve trace d'un compte Twitter pour un ami qui s'est effacé peu à peu. Il n'est hélas plus mis à jour depuis quatre ans. Parmi les premiers internautes, et blogueurs, il semble avoir fui.

 

(1) Par chance il s'agit rarement de vie ou de mort.

(2) Et m'a fait découvrir un site d'autopublication au passage.

(3) Un homme qui portant son tuba dans le métro fait fuir involontairement les gens qui croient qu'il va jouer là.


Late


    Le réveil du téléfonino avait sonné, tu l'avais éteint sans tarder malgré un rêve fort prenant qu'il interrompait (1). Finalement malgré la fatigue [de la période surchargée] ça n'était pas si difficile de se lever. 

Au radio réveil tu croyais écouter la fin de Paso Doble (avec Bastien Vivès) ou François Angelier, mais c'était déjà Jacques Munier. Il était question des 100 jours de Trump qui faisait visiter le bureau ovale à tout va y compris à de vieux rockers racistes et Sarah Palin et qu'il s'amusait à appuyer sur le bouton rouge qui fait venir un majordome avec une bouteille de Coca. Tu t'es demandée si tu n'étais pas en train de dormir parce que quand même ça n'était pas très plausible tout ça. Mais tu avais déjà enfilé un jean et des chaussettes et tu vérifiais que dans ton sac de piscine le maillot y était. C'était un début de journée tout ce qu'il y a de plus normal en fait.

C'est quand tu as enfilé le porte-clefs de cou avec celles des antivols du VTT que tu savais en réalité vraie avoir laissé dormir dans la réserve de la librairie de Montmorency que tu t'es réveillée. Sortie de ce sommeil paradoxal dans lequel tu avais si parfaitement songé à ce que tu étais censée déjà avoir fait.

Le seul fait avéré était que tu avais scrupuleusement éteint le réveil du téléfonino.

[résultat : 30 minutes de retard sur un entraînement d'une heure, la honte]

 

(1) vague souvenir de sillonner la ville sur un double-decker bus sans doute par conjonction d'en avoir croisé un dans Paris récemment et qu'un membre de ta petite famille soit à Londres pour quelques jours.

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L'adresse de François Ruffin à Emmanuel Macron (et quelques autres trucs)

 

    "C’est sur cette base rikiki, sur cette légitimité fragile que vous comptez mener vos régressions à marche forcée ? Que ça passe ou ça casse ? Vous êtes haï, monsieur Macron, et je suis inquiet pour mon pays, moins pour ce dimanche soir que pour plus tard, pour dans cinq ans ou avant : que ça bascule vraiment, que la « fracture sociale » ne tourne au déchirement."

Je n'aime pas l'emploi du verbe haïr que je trouve excessif, mais je comprends ici son utilité, une réaction est souhaitée, c'est de bonne guerre d'amplifier. Pour le reste, ce qui est dit est important, fort juste, il ne faut vraiment pas s'il est effectivement élu que ce garçon fasse crari, man, les Français ont souhaité que je réforme la France, ils croient en moi et this kind of bullshit blabla. OK on va être, je l'espère, un gros méchant paquet à voter pour toi, mais ne nous fait pas ton Chirac 2002, c'est seulement parce que ton adversaire est un pur cauchemar pour le pays et pour tous ses gens (quoiqu'elle ait réussi à en persuader du contraire quelques millions et à rallier les plus immorales ambitions).

Bref, François Rufin dit tout ça mieux que moi : 

"Lettre ouverte à un futur président déjà haï

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Tentons d'en (sou)rire


    En cette période tendue et troublée, il reste quelques sages pour tenter de faire rire, ce qui permet de calmer les esprits et parfois trouver des solutions (1).

J'aime infiniment ce qu'à publié David ce soir, et qui résume si bien l'ambiance depuis le premier tour, chez les gens de bonne volonté. 

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(1) Une amie à qui ça faisait trop de mal l'idée de mettre dans l'urne un bulletin Macron s'est ainsi vu proposer par quelqu'un de prendre sa procuration, ce qu'elle a accepté.  


La fête est finie

 

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Je viens au salon du livre d'Arras qui se tient le 1er mai depuis 2006, moins quelques années (2011 à 2013) où je travaillais dans une librairie en bas des Champs Élysées et qui secteur touristique oblige, ouvrait.

Je l'ai connu près du musée des Beaux Arts, avec deux grands chapiteaux.

Les grands débats ou tables rondes avaient alors lieu au théâtre. Je me souviens d'y avoir appris la mort de Frédéric Fajardie que ses amis venaient d'apprendre aussi. J'y ai découvert les Pinçon - Charlot, qui m'ont ouvert les yeux sur pas mal de choses qui ne tournaient pas rond (1). J'y avais en 2006 entendu le rire de Florence Aubenas et c'était comme une victoire.

Je l'ai connu d'un côté du Beffroi (en 2014 je crois, ou bien 2015). Il est à présent sur la Grand Place, avec éditeurs et auteurs répartis dans plusieurs barnums moins importants. J'imagine que le coût est moindre.

Je l'ai connu par tous les temps. Freezing cold en 2006. Très joli temps l'an passé - boire un coup en fin d'après-midi à une terrasse de brasserie -. Aujourd'hui, du froid, une violente averse (au moins), du soleil très beau en fin de journée.

Je me souviens d'Honoré peut-être en 2007 ou 2008 quittant la gare avec quelques autres pour marcher vers le lieu du musée dans la cour duquel le grand chapiteau était installé. Il y avait un orchestre pour accueillir les auteurs. Je me souviens d'un coup de fil important. En 2008 ou 2009. J'étais près d'une fontaine et avec mon fiston. Je croyais le bonheur (à nouveau) possible.

Je me souviens du slam au café Philosoph' (existe-t-il encore ?) et d'une époque où la ville dans son ensemble semblait investie.

Depuis plusieurs années je m'y rends avec une amie et c'était de bons moments de rires. Tout en découvrant des livres intéressants. En écoutant des débats.

C'était la fête des éditions indépendantes, et militantes. Les échanges étaient vifs, parfois. 

Cette année, il y avait moins d'auteurs, moins d'éditeurs. Les débats étaient très intéressants, peut-être moins nombreux également. Ça ne rigolait pas. On croisait les mêmes personnes d'un lieu à l'autre ou auprès des débats. À part quelques personnes désireuses de monopoliser l'attention, il y avait peu d'interventions du public. Tout le monde semblait écrasé ; KO debout. Peut-être épuisé par des dissensions entre personnes pourtant proches d'opinion : Macron ou blanc (ou abstention) ?

L'extrême droite l'a emporté, qu'elle l'emporte ou non : tout le monde est désormais obligé de se placer en fonction de ses idées, des mots, des expressions complètes ne peuvent plus être utilisés sans donner l'impression de se référer à leurs idées. On compare les programmes comme s'il s'agissait de deux partis républicains (au vrai sens du terme) alors que l'un veut briser la démocratie. Les raisonnements spécieux se répandent ("De toutes façons on l'aura en 2022"). 

Alors aujourd'hui tout le monde se traînait et même si des invités disaient des choses admirables ; formidable Jérôme Leroy, par exemple. Et remarquables témoins engagés auprès des jeunes réfugiés et qui s'efforcent de poursuivre leur soutien malgré les conditions que leur font les politiciens - déjà à l'heure actuelle, alors qu'est-ce que ça sera ? -. Bravo à Olivier Favier à la parole si claire. Bravo à Rozenn Le Berr. 

Bien sûr ce fut réconfortant. 

Mais le fond de l'air est épouvantable. Le front républicain est fissuré. Et pour peu que de nouveaux attentats ne soient pas endigués et que le favoris se prenne allègrement deux ou trois fois de plus les pieds dans le tapis, ça pourrait mal tourner. Et la France partirait pour cinq ans de régime autoritaire, dangereux pour l'économie du pays et pour chacun d'entre nous à des titres divers aussi. Les classes populaires quant à elles ont déjà perdu. Aucun des deux candidats ne les défendra. Avec l'un cependant, la contestation devrait rester possible. Et aucun de nos amis n'être victimes de lois répressives selon ses origines, même si personne n'a le courage d'une politique d'accueil des réfugiés digne de ce nom.

Je suis rentrée triste. Une page se tourne. Plus personne ne croit en un monde meilleur. On tente seulement d'éviter le pire (ou même plus).

La fête est finie. 

Restera le plaisir de la bonne compagnie ; d'avoir revu quelques amis.

 

(1) Je les admire un peu moins ces jours-ci

PS : Deux établissements locaux que j'aimais bien ont depuis novembre refait leurs installations, l'un semble devenu un faux décor, l'autre une usine qui tourne à fond. Leur authenticité qui participait de leur charme s'en est allée. Peut-être que c'est à l'image de la nation. 


Subroutines


    Comme Alice je ressens cette nécessité de témoigner pour plus tard, d'autant plus que quel que soit le résultat la période restera dans l'Histoire comme le moment de bascule où la mémoire de la seconde guerre mondiale dont il restait pourtant des survivants et des personnes qui l'avaient traversée enfants, n'était plus suffisante à maintenir à distance les séductions du populisme d'extrême droite, entre nostalgiques (qui s'étaient longtemps tus) et plus jeunes qui pensaient qu'il s'agissait désormais d'autres choses et qu'on pouvait mettre sur le même plan racisme et options économiques, que ça n'était pas si grave d'être racistes (et antisémites ...) au fond. Le ralliement des ambitieux a déjà eu lieu et s'amplifie. 

Quant à l'argument (avancé par des personnes que ça navre, mais pas au point de tenter de faire cette fois barrage) "Elle va gagner en 2022" il semble très répandu. C'est curieux un peu comme si, puisqu'on doit y passer commençons tout de suite on en aura plus vite terminé. Sans tenir compte du fait qu'on pourrait en crever. Ni du fait que si on écarte le péril à présent tant de choses peuvent se passer qui feront que peut-être en 2022 on échappera même au fait de devoir se poser la question.

Je me dis qu'il faut que je raconte en mode terre à terre. L'effet fait pour quelqu'un qui vivait là une vie moyenne.

Alors une des choses que j'ai constatées dans mon cas, c'est que l'agitation politique est telle et le sens si fort du danger (1), qu'une sorte de sous-programme qui tourne en permanence dans mon cerveau en ce moment. Jusqu'à dimanche dernier il était très accès sur Bon sang mais dans cette confusion générale pour qui vais-je voter ?

Depuis je ne me pose plus de question, tant il me semble évident qu'il faut faire barrage au parti dangereux pour notre démocratie en votant Macron, quand bien même je n'aurais pas songer à le faire en dehors de ce cas précis. En revanche je m'en pose sur la mesure du danger, sur que faire si ?, sur ce qu'il adviendra du pays, sur comment ne pas fracasser des amitiés sur nos divergences apparues sur le fait de devoir faire comme en 2002 front républicain.

C'est pour moi une période de vie ultra remplie, alors il m'arrive d'avoir quelques heures à fond dans telle ou telle activité et donc d'oublier, mais c'est très bref, et je m'aperçois que mon cerveau continue à tourner.

L'autre sous-programme est intime : il concerne la mort de ma mère (début février) et ses conséquences. Beaucoup de boulot, et de deuil et tout court : il va falloir vendre sa maison, se répartir ses affaires, continuer à faire beaucoup de papiers avant que ça ne se calme. Et puis il y a eu des ricochets de conséquences comme d'être en première ligne face au cambriolage de la petite maison normande et la récidive (mais il n'y avait plus grand chose à voler ; déjà que). Alors je me rends bien compte qu'à part certains moments d'être totalement concentrée sur quelque chose, j'y pense d'une façon ou d'une autre, en basse continue, chagrin ou préoccupations consécutives concrètes, sans arrêt.

Par miracle j'ai en ce moment un troisième sous-programme fort stimulant puisque j'ai une perspective heureuse dans ma vie professionnelle, et qui me demandera beaucoup de travail. Parfois quand les débats politiques m'épuisent ou me désespèrent, je pourrais presque en venir à me dire qu'après tout je pourrais faire comme tant d'autres coquets du second tour (2) et me dire que j'ai bien assez à faire sans m'occuper de l'état du pays, qu'après tout je n'aurais pas trop de toute mon énergie pour faire tourner la baraque. 
Seulement voilà je crois que mon travail quoi qu'il advienne sera impacté. Et quand bien même ; je ne sais rester indifférente au bien commun, au sort de la cité.

Il y en a un quatrième, plus discret, celui-là c'est moi qui l'ai voulu et qui concerne le sport. Dans un mois puis deux je vais tenter mes premiers triathlons. Je n'ai pas pu m'entraîner ces derniers mois comme je l'aurais souhaité. Ça va être rude. Et puis je dois faire encore quelques efforts d'équipement.

J'avais donc bien assez à faire sans que la part politique ne prenne tant de place malgré moi, qui rêve de retrouver cette distance d'autrefois, quand on avait des Giscard - Mitterrand ou Mitterrand - Chirac et qu'on savait que ça serait plus ou moins rageant ou moche (selon sa situation personnelle ou ses convictions) mais rien de dangereux pour la nation en tout cas, qui serait gouvernée avec un même sens des responsabilités même si les options prises divergeraient. Et donc en étant alors un français moyen on pouvait poursuivre sa petite vie sans trop se préoccuper de ce que là-haut ils faisaient, si ça ne faisait pas partie de nos centres d'intérêt.

Si les choses s'étaient déroulées normalement sur tous les plans, je devrais être en train de me dégager l'esprit en vue de mon nouveau boulot, en train de me préparer pour les triathlons, et je suis en train de surmonter la perte de ma mère et la perte de sens collectif commun de mon pays.  

La tension liée aux élections est telle qu'il est difficile de faire des projets ; autour de moi je ne connais personne que la situation réjouisse (3). C'est sans doute la première élection où c'est réellement le cas. 

 

(1) que l'on se retrouve en dictature comme de rien. Ne serait-ce que par la grâce de l'article 16 de notre constitution, tombé entre de mauvaises mains, sans même parler de cet état d'urgence qui a été prolongé d'ores et déjà pour au delà de la fin du règne de François Hollande. 

(2) L'expression n'est pas de moi, je l'ai vue passer sur Twitter

(3) Je n'ai pas, à moins qu'ils n'avancent masqués, de lepénistes parmi mes amis et il se trouve qu'aucun d'entre eux n'est supporter de Macron first place, même si beaucoup ont déjà voté pour lui au premier tour (pensant déjà qu'il y avait urgence). Ce sont des votes "pour le moins pire". 

PS : Et un très beau texte d'André Markowicz , parmi tant d'autres.  


L'entre deux (mouvementé)

 

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Je me doutais bien que le front républicain ne se portait pas aussi bien qu'en 2002, qu'une partie du vote pour Mélanchon face à un candidat de la haute [finance] pouvait potentiellement se jeter dans les griffes du fascisme.

Je n'imaginais en revanche pas à quel point il était fissuré, ni l'ampleur de l'effet cosmétique réussi par Marine Le Pen, et qui visait à faire croire aux petites gens qu'on allait enfin se soucier d'eux. Racistes, nous ?
Oublié le groupuscule mené jadis par son père au bandeau. Oublié ses fondements idéologiques qui n'ont jamais été reniés. C'est juste qu'on n'en parle plus.

Je n'imaginais guère qu'à peine les résultats du premier tour sortis ça serait la foire d'empoigne. 

Ce dessin de Marc Dubuisson résume tout tout très bien. 

Comme Alice, je tente tant bien que mal de témoigner de "comment c'était", "comment c'est possible".

Elle a déjà fait une grande partie du boulot dans ce billet : 

 

Folie : la reprise

avec entre autres le thread de L'étagère qui est très marquant. 

Enfin ce soir via Kozlika j'ai retrouvé ce billet chez David Madore : 

Quelques remarques sur les pouvoirs du Président français

dans lequel j'ai appris bien des choses que j'ignorais, en particulier les "pouvoirs non formalisés" d'un-e Président-e de la République Française.

Et vraiment je les remercie tous d'avoir écrit ainsi.