Les conséquences persistantes

 

    Ça fera trois ans en janvier l'attentat contre Charlie Hebdo, cette journée entière passée entre espoir et attente d'une mauvaise nouvelle, et de toutes façons déjà fracassée par ce qui s'était passé quand bien même l'ami, le camarade, lui s'en sortirait. La journée de boulot accomplie malgré tout (comment ai-je tenu ?), l'errance le soir à Répu, croiser les gens qui grelottaient, se rendre compte alors que moi si sensible au froid j'étais anesthésiée, après la mauvaise nouvelle, finir la soirée chez l'amie commune, bien plus que moi touchée. 
Ça faisait du bien de parler.

Le retour à Vélib en criant mon chagrin.
J'ignorais qu'un coup sordide m'attendrait le lendemain. Et que Simone me sauverait du vacillement compréhensible face à une réalité qui dépassait l'entendement. 

Les soirées passées avec les amis, notre seule façon de tenir. Mais combien ce fut efficace.
La grande manif du 11, qui nous donna la force, après de continuer.

Et pour moi : l'absence de ressenti intérieur du froid, et qu'elle perdure. J'en avais tant souffert, du froid perçu jusqu'aux tréfonds des os, c'était comme un cadeau. 
L'absence aussi de "frisson dans le dos". D'où que Poutine ne me faisait plus peur, alors qu'une simple photo de cet homme déclenchait jadis chez moi une réaction épidermique - de proie potentielle sur le qui-vive devant un prédateur -.

D'où que je ne percevais plus ni les regards sur moi, ni les présences derrière moi.

Quelque chose est resté débranché depuis tout ce temps-là. Je m'efforce de me préparer à une éventuelle réversibilité, mais j'en suis de moins en moins persuadée.

Ça change encore mon quotidien.

Je dois veiller intellectuellement à ne pas me mettre dans un froid persistant, car si je perçois moins le froid, mon corps en est traversé, l'absence d'alerte ne signifie pas l'absence de symptômes. Je m'enrhume davantage (1).  

J'ai dû m'habituer à cette sensation si nouvelle pour moi : avoir chaud. D'accord j'avais chaud par temps de canicule ou après le sport au sauna, mais c'était pour moi si rare, je savourais. J'apprécie encore, à ce titre l'été dernier m'a terriblement frustrée, à peine quelques jours à frétiller pleine de l'énergie reçue. Pour le reste grisaille et être habillée comme en demi-saison.
Ce matin encore en arrivant à la BNF, quelques secondes pour comprendre : ah oui, j'ai chaud là. C'est chauffé [chez nous toujours pas, seulement à partir du 15 octobre je crois]. Et je me souviens alors qu'en ces lieux la température est maintenue constante, j'y portais l'été des pulls légers et à partir d'octobre des pulls épais ou des gilets, tout en me disant C'est sympa les lieux publics mais ça n'est pas très chauffé et la clim l'été quelle plaie ! On a froid. En vrai : c'est tempéré, stable, et plutôt bien réglé. 

Ce matin aussi : ne pas avoir sentir sur l'escalator que quelqu'un me talonnait - du coup avoir failli, de surprise quand je l'ai constaté, foncer dans la personne immobile sur l'escalier qui me précédait (2) -. Avoir laissé se rabattre une porte au nez de quelqu'un d'autre : comme j'étais un peu pressée j'avais omis le coup d'œil de vérification avant de la tenir ou non. Je me souviens très bien d'un temps où je n'avais pas besoin de regarder, je percevais si quelqu'un me suivait. 
Combien de fois sur les trottoirs des trottinettes me frôlent, leur pilote persuadés que je les ai sentis venir et fais ma mauvaise tête mais vais m'écarter. Si l'engin est silencieux et leur coup de propulsion, je ne me rends pas du tout compte de leur présence. 
Et quand je suis perdue dans mes pensées ou que le #jukeboxfou de dedans ma tête me passe une musique assez fort, je n'entends même pas ce qui serait audible. Du coup dans la foule, je bouscule ou me fais bousculer, j'ignore des présences, j'écrase parfois des pieds.

Étrange héritage qui me met à la fois à l'abri enfin, et aussi en (léger) danger.

 

(1) Même processus avec l'ivresse : l'absence de signes doit être compensée par une vigilance accrue - ne pas dépasser certaines quantités -.  
(2) C'est l'ennui de ces longs escalators mono-voie. Si quelqu'un s'arrête tout le monde est bloqué.


Une certaine absence d'étanchéité (petit mystère de fonctionnement des réseaux sociaux)

Capture d’écran 2017-03-16 à 10.11.32

Souvent je lis pendant mes trajets des nouvelles des amis ou des infos sur les réseaux sociaux. Je suis donc sur mon smartphone, modèle de ceux "offerts" par les opérateur, écran de taille raisonnable. 

Du coup je tape parfois à côté de l'option visée, sans parler des fantaisies que me rajoute l'autocorrect qui est assez imaginatif pour un outil.

Hier, il s'est passé un petit truc que je n'ai pas compris, même en admettant la fausse manip. 

Sur FB je vois cette photo de Didier da Silva qui me touche : c'est le genre d'image que j'aime à tenter. Et je suis le genre de personne capable d'attendre avec mon appareil en main que la lune soit pile dans l'axe. Il a réussi la photo parfaite. 

Je like et crois cliquer sur partager. Normalement s'affiche alors sur le mur FB de qui a ainsi cliqué l'image ou le lien avec la mention "a partagé la publication de". Et d'ailleurs ça a bien fonctionné.

Seulement peu après j'ai vu passer dans mes mentions twitter, donc sur un autre réseau, un commentaire d'un de mes amis,  Capture d’écran 2017-03-16 à 10.34.22

et il m'a fallu un temps pour comprendre qu'il se référait à la photo que j'avais cru partager sur FB. J'ai été encore plus surprise de constater que non seulement elle apparaissait sur Twitter, sans que je n'aie rien fait de volontaire pour qu'elle bascule d'un réseau l'autre, mais qu'en plus elle y apparaissait comme si je l'y avais directement publié comme l'une des miennes 

Capture d’écran 2017-03-16 à 10.38.29Je n'ai pas compris comment ça avait été possible (1).  J'étais en mouvement, me suis dit, Je regarderai ça de plus près une fois au calme.

On est le lendemain, je suis enfin tranquille, j'ai pris le temps de regarder la mémoire de mon téléphone (pas trace de la photo donc l'hypothèse téléchargement involontaire, touitage par le biais d'automatismes / galerie du téléphone, est à exclure), de faire différentes "fausses" manips volontaires pour voir jusqu'où elles conduisent, je n'ai pas trouvé le moyen de reperdre l'étanchéité entre les deux réseaux (sur tél. : les deux applis). J'ai même regardé ce que ça donnait sur l'ordi mais rien.

J'ai aussitôt émis un correctif, et présente toutes mes excuses à Didier. Il n'empêche que j'aimerais bien piger comment ça a pu se passer.

Si quelqu'un a l'ombre du début d'une explication je suis preneuse. Y aurait-il quelque part une option par défaut à décocher ? Suis-je tombée dans un bug insoupçonné ?
Et donc je répète : ce que j'ai cru, voulu faire et fait (ça s'est bien effectué), c'était liker une photo d'un ami sur FB et la partager sur mon mur avec toutes les indications de sa provenance. Ce que je ne comprends pas : comment elle s'est retrouvée sur ma TL twitter et de plus sans plus aucune mention de qui l'avait faite et publiée.

Ça a beau n'avoir rien à voir, je trouve ça un peu flippant, un peu comme quand le virus de la grippe aviaire bondit des oiseaux aux humains. Je sais qu'il existe des options de publications simultanées mais comme je n'aime pas ça - pour moi les différents réseaux correspondent à différentes communications - je ne les ai pas activées. Alors ce manque d'étanchéité entre eux me semble inquiétant. Et qu'aussi on puisse si facilement involontairement publier quelque part quelque chose à notre insu.

Si l'ami Joachim n'avait eu la bonne idée de commenter l'image, jamais je ne me serais rendue compte de cette publication qui semble directe. Ce qui rajoute un cran dans ce qui semble inquiétant : n'est-ce pas déjà à nouveau survenu ?

Merci à lui en tout cas.

 

(1) Au passage, charmante mention Translate from french 


Une bizarrerie (mes neurones en parallèle)


    Ainsi donc c'est la troisième fois que mon cerveau me fait le coup de disposer de toutes les infos nécessaires pour établir l'évidente connexion entre une personne que je connais et une autre que je connaissais ou un travail d'elle-même qu'elle avait fait et que je connaissais. Un lien qui aurait dû me sembler évident dès la rencontre elle-même et qui pourtant aura mis entre 8 et 24 mois pour s'établir enfin. Et le plus souvent de façon fortuite. Ou plutôt par une conséquence logique mais involontaire.

Pourtant dans la vie, je suis celle qui, délivrée du poids des enfants petits, assoiffée d'apprendre, en perpétuel appétit de bons moments (et les soirées en librairies, ou voir un bon film, le sont) et donc sortant beaucoup, pratiquant aussi l'internet dans sa version chaleureuse de contacts et d'échanges, fait souvent le lien entre les uns et les autres. Avec une vista pour les collaborations fructueuses et autres affinités dont j'aimerais qu'elle puisse un jour s'appliquer à ma propre vie - mais on dirait qu'hélas je suis moi-même exclue du champ de mes propres capacités ; ou bien ma capacité est celle-ci et rien d'autre : présenter les uns aux autres afin qu'ensemble ils puissent progresser -.

Il m'est donc particulièrement troublant de constater à quel point mes neurones ou tout autres éléments impliqués dans les processus de pensée fonctionnent pour moi-même en parallèles sans jamais spontanément se croiser et pour le collectif en très efficace toile qui relie les autres.

Je reste très émue de ce que je viens d'apprendre. Un lien entre un ami relativement récent et d'autres qui datent du temps où je venais de faire la rencontre décisive qui allait bouleverser ma vie. Et une foule d'éléments incompréhensibles isolément prennent harmonieusement place. Dont le fait que je me sente à ce point affectée par la mort de Patrice Chéreau alors que je n'ai fait que parfois le croiser - et apprécier ses travaux, certes, mais d'ordinaire ça ne suffit pas pour avoir du chagrin comme ça -. 

Émue et heureuse de ce que j'ai enfin appris,  mais troublée par mes sortes de micro-aveuglements, voire d'amnésies. Comme un sortilège. Ou un enchantement.

 


Il y a deux ans - Make it short

nb. : Ce texte a été écrit bien avant le 7 janvier 2015 et le message autopromotionnel reçu de ta part le 8. À la réflexion j'ai décidé de le maintenir à la date que j'avais prévue. Il est une bonne mesure du chemin parcouru, de l'incidence qu'un acte de terrorisme même s'il ne nous touche pas physiquement, peut avoir dans nos vies, nos façons d'aimer, de penser, de percevoir le monde. À l'instar de Marie, je me suis longtemps demandé, surtout pour ma part devant les faiblesses que j'avais : Peut-on changer ? Je sais désormais que la réponse est oui. 

 

Capture d’écran 2014-11-04 à 18.03.12Il y a deux ans, à la même heure, je vendais "L'histoire d'Alice [...]". Le patron et moi étions efficaces.
J'étais heureuse et fière.

Puis tu m'as dit Va-t-en.

Je n'ai pas su vendre le roman suivant.

 

141104 1838

 

  

 


Un autre micro-mystère


Je ne sais pas pourquoi j'y repense plus fréquemment ces temps-ci - peut-être à cause d'un collègue indirect de ma vie antérieure, retrouvé sur le mode Vingt ans après, lors du réveillon et la conscience aigüe que Paris n'est pas si grand - mais le fait m'intrigue :

après que #MonAssassinPréféré m'avait quittée, il était resté fréquent que l'on se recroise. Ça n'était pas volontaire de ma part. Ça n'était pas non plus extraordinaire puisque j'étais en cours sans le mesurer tout à fait de reconversion vers le même milieu professionnel que celui où il exerce et qu'effectivement on se revoyait dans des circonstances sociales collectives rassemblantes. Cela dit on se croisait aussi dans des moments plus surprenants (ainsi lors d'une Nuit des Musées au musée de l'immigration encore en chantier et c'est le chantier que je venais visiter).

Ce qui est curieux c'est qu'après la rencontre avec ex- #MaGrandeDiva ces croisements fortuits ont cessés tout à fait. La tendance s'est même de façon absolue renversée, à savoir que dans des circonstances collectives où tout laissait supposer que #MonAssassinPréféré pouvait aussi se trouver, il n'y était pas.

À présent il n'y a dans ma vie plus personne d'extrêmement proche comme le furent à titres divers ces deux-là, et je ne les recroise pas. C'est sans doute plus simple comme ça.

Pendant ce temps, je n'ai pas cessé de tomber sur des amis ou connaissances lors de mes déplacements y compris en vélib ; c'est resté constant et très agréable, cette part-là. Celle qui fait que j'ai toujours un peu de mal à comprendre ceux qui se plaignent dans la grande ville de son anonymat.  


Parfois la vie nous envoie des messages


P5072815Seulement même si on les voit, sur le moment on les interprète mal (j'avais songé, oh oui, dis-le moi). 

Je pêche toujours par naïveté.

Longtemps après, et compte tenu des développements ultérieurs, P5072812ils prennent une tout autre couleur.

[photos mardi 7 mai 2013, à Livre Sterling et dans le quartier ; la première a désormais un titre ("Pendant ce temps il obéissait")]


La fin de la grande bafouillation

 

En réécoutant pour le partager avec une amie l'interview téléphonique de Patrick Modiano juste au moment de son prix, je me suis soudain souvenu combien il n'était pas si aisé pour moi de prendre la parole à voix haute (en dehors du cercle familial ou amical, car j'ai cependant toujours aimé faire marrer, y compris et surtout à mes dépends) jusqu'à l'époque où j'ai fait partie du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun. Et qu'alors j'étais souvent sollicitée en tant que non-journaliste (j'étais en ce temps-là employée dans une banque) et non-relation personnelle de la journaliste, bref quand il fallait incarner le soutien populaire (1). Que c'était très flippant parce qu'il ne fallait rien dire qui risquât de fâcher les décideurs en présence, des intermédiaires probables aux preneurs d'otages, mais que si une bribe parvenait aux prisonniers elle devait être réconfortante. Alors j'ai fait de mon mieux, à chaque fois qu'il le fallait. Et cet effort a déchiré comme une sorte de rideau intérieur qui gênait ma parole orale, quelque chose dans l'organisation du cerveau, ou plutôt comme on ouvre le rideau de scène au théâtre et soudain il n'y a pas le bout de scène juste devant mais toute la profondeur et comme j'avais une raison supérieure d'y parvenir et les amis qui m'encougeraient, me disaient que c'était très bien en fait, alors voilà soudain j'ai eu l'entière possession de mes capacités de prise de parole.

Le temps du comité a passé mais cette compétence est restée, au point que je rêve de faire de la radio pour parler de films ou de livres. Et que façon de parler hein, simplement à mon niveau, c'est comme si j'avais pendant 40 ans ressemblé à Modiano et que d'un seul coup je m'apercevais que je ressemblais à Pivot, je veux dire dans l'expression orale. Ç'en était fini pour moi de la grande bafouillation.

Ça reste et restera toujours très étrange pour moi tout le bien que m'a fait l'existence de ce comité de soutien et d'en être, alors qu'il s'agissait d'un malheur. Et combien c'est bizarre de devoir du bon de sa propre vie et en tout cas de grands progrès personnels à un coup dur qui aurait pu virer à la tragédie. Le paradoxe que c'est de devoir sa chance à une malchance.

 

 

(1) La première fois que j'ai pris la parole c'était place de la République il faisait moins quelque chose j'étais congelée, un journaliste de télé ou radio (2) passait le long des manifestants et désespérait de trouver quelqu'un qui accepte de parler et ne soit pas un collègue, Y a-t-il quelqu'un qui ne soit pas journaliste ? demandait-il en vain alors j'ai dit Oui, moi, parce que je pensais que lui aussi devait avoir super-froid et que plus vite il trouvait plus vite il pourrait rentrer au chaud. Et à peine après l'avoir dit je me suis traitée de dingue en mon fort intérieur, je savais que causer officiellement n'était pas mon truc, écrire, oui, mais causer, non.

(2) En l'écrivant ça m'est revenu c'était pour France 3 les infos régionales.


"Je ne pensais pas du tout avoir ... cette chose ..."

Parfois, les prix tombent sur les bonnes personnes. Parfois les bonnes personnes sont précisément celles qui ne correspondent pas aux normes. Souvent les écrivains le sont parce que leur mode d'expression est l'écrit, absolument. Patrick Modiano en est l'exemple même.


Je suis d'autant plus touchée que je fus comme lui (pour ce qui est de bafouiller, hélas pas tant d'écrire). Puis j'ai participé au comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun où je me suis trouvée à répondre souvent en tant que non-journaliste non-amie directe de l'otage. Il fallait faire très attention à ce qu'on disait car les ravisseurs pouvaient en prendre ombrage. Cet étrange stage de formation m'a rendue à l'aise avec la prise de parole car plus rien de ce sur quoi je pourrais être sollicitée n'a autant d'enjeu (1). Et c'est tellement jouissif d'être facile sur un exercice qui nous était avant difficile à surmonter que j'aimerais désormais animer une émission de radio ou une rubrique d'une émission, afin de parler des livres ou de cinéma.

Je peux dire aussi que ce n'est pas parce qu'on s'exprime à voix haute de façon embrouillée et confuse que les pensées le sont. Ça coince seulement au moment de leur expression. C'est comme si les mots devaient passer par une sorte d'entonnoir. L'effort pour verbaliser pompe trop d'énergie ou de disponibilité neuronale (appelons ça comme ça) ce qui fait qu'il ne reste dans l'instant plus rien pour travailler à la cohérence et à la clarté. Ce prix me fait plaisir comme tout. Il va à quelqu'un qui ne courait pas après. Quelqu'un de discret. Mais qui a produit une œuvre. (et qui par dessus le marché a donc un petit-fils suédois ... ;-) )

 

(1) Du moins je l'espère.

 

PS : Le billet correspondant de François Morel est finalement un ton en dessous du vrai. C'est d'autant plus touchant et drôle.

PS' : En l'écoutant lui peut-être comprendrez-vous pourquoi je ne suis pas capable d'écrire sans mettre sans arrêt des notes de bas de page. C'est la pensée qui ouvre des parenthèses sans arrêt.


Le meilleur moyen pour vous débarrasser de moi (à part me tuer, ce que je vous déconseille)

Je fais partie de votre vie et vous en avez un peu marre qu'on se voie, ou qu'on s'écrive. Je crois que ma stabilité fait qu'au bout d'un moment je lasse et mon indécrotable franchise vient à bout des plus faibles susceptibilités. Sans compter les éclipses dues aux moments où le travail et les ennuis de santé familiaux remplissent la vie à ras bord et me vident de toute l'énergie, alors je ne suis plus là ou sous forme de fantôme triste. Des choses de ce genre. Quant aux amours il y a toujours une belle blonde qui surgit et qui fait que je suis celle de trop. D'ailleurs n'essayez plus le "J'ai rencontré quelqu'un" on me l'a fait une fois de trop et désormais je ne suis pas certaine de ne pas réagir avec une violence qui me semblerait à force d'avoir tant encaissé légitime. De même qu'un "Ce serait mieux qu'on ne se voie plus" assené sans qu'il n'y ait aucune cause apparente, aucune raison compréhensible. Et donc à part ces deux techniques devenues très risquées d'avoir été par quelques prédécesseurs sans précautions manipulées, restent : 

- devenir raciste et toutes ses variantes (misogyne, homophobe, antisémite, négationiste ...) ; bref tout ce qui tient un autre en rejet, mépris ou haine du fait de caractéristiques qu'il possède de naissance et contre ou pour lesquelles il ne peut strictement rien.

Vous pouvez être certain(e)s que sans demander mon reste je sortirai de vos vies, incapable que je suis de maintenir un lien affective avec qui que ce soit qui vit dans le rejet mécanique d'une altérité.

- être frappé(e) soudain d'un élan mystique quel(s) que soi(en)t le ou les dieux révélés, religion officielle ou secte déclarée ; parce que j'ai l'impression que la personne qu'auparavant j'aimais ou j'appréciais ne dispose plus de son cerveau, qu'il est désormais comme un disque dur d'ordinateur infesté par un virus, que ce n'est plus son utilisateur qui en maîtrise les fonctions. Et puis ça rejoint le premier point car le plus souvent les religions conduisent tôt ou tard à considérer celui qui croit ailleurs comme un impie qu'on peut (qu'on doit) tuer afin d'accéder plus facilement à un ultérieur paradis. C'est donc au bout du compte une forme de racisme aussi. C'est alors moi qui ne suis plus capable de maintenir le contact. Parce que je ne sais plus si je m'adresse à la vraie personne ou à une sorte de robot téléguidé par des préceptes intrus.
Ça vaut aussi pour des extrêmismes politiques, lesquels fonctionnent selon un schéma proche : l'admiration pour un leader obère toute capacité de raisonnement. 
Je peux en revanche rester proche de ceux qui ont toujours eu des convictions modérées, qui ne les laissent pas sans esprit critique, ne les équipent pas d'une haine de l'incroyant, ni d'une hiérarchisation entre humains et qui s'abstiennent de tout prosélytisme. Je comprends parfaitement qu'on se sente mieux avec la compagnie imaginaire d'un grand horloger et des rituels à respecter histoire d'oublier qu'on peut mourir à la seconde d'après et qu'ensuite il n'y a plus rien que les souvenirs diffus qu'aux autres on a laissés ou quelques trucs qui servent encore un paquet de temps après, il y a un peu de Thomas Edison dans mon usage ce soir d'un appareil électrique (par exemple) pour partager trois mots.

En revanche, tenter de m'éloigner en ce mettant aux abonnées absents est une stratégie infructueuse. La plupart du temps j'ai si peu de marge dans ma vie quotidienne que je ne me rends compte de l'absence (sauf s'il s'agit d'un(e) très proche) qu'au bout d'un temps assez long que je ne sais pas estimer : j'enchaîne les jours comme autant d'obstacles à franchir malgré l'épuisement, ils forment une continuité de fatigue, ça masque le reste. Et comme je ne sais pas interpréter le silence je viens et reviens aux nouvelles, puisque par dessus le marché je suis du genre à m'inquiéter dès que ma propre existence me permet de souffler.

Si j'écris ce soir ce billet c'est parce qu'après une semaine sauvée in-extremis par Modiano et les jurés du prix Nobel de littérature, mais qui a failli être engloutie par le succès d'un provocateur réactionnaire (1), je me rends compte d'à quel point ces dernières années, les uns se réfugient dans la haine d'un ou plusieurs boucs émissaires ou (inclusif) l'amour d'un dieu. Et que j'en ressens comme le souffle d'une épidémie qui s'attaquerait aussi à ceux que j'aimais, la famille d'origine, les amours, les amis. Et que je manque d'une force qui me rendrait capable de maintenir un lien avec ceux qui sont atteints. 

 

(1) Être libraire c'est encore de nos jours se trouver en première ligne face à certains phénomènes, et c'est parfois flippant.