Un drame dès que l'on cherche un peu
14 mai 2025
Les vies humaines sont tissées de drames plus que d'allégresses. Je viens une fois de plus de vérifier l'adage que dès qu'on tombe sur un drame dès que l'on cherche un peu.
Ainsi je regardais lundi soir la biographie de Jacques Froment-Meurice, le sculpteur auquel nous devons la statue de Frédéric Chopin, Parc Monceau, que j'aime bien, quand une indication a attisé ma curiosité :
"Ses parents Émile Froment-Meurice (1837-1913) et Rose Tassin de Moncourt (1839-1913) meurent tous deux dans l'écroulement de leur hôtel particulier, situé au numéro 46 de la rue d'Anjou à Paris."
Un écroulement d'hôtel particulier à Paris, avant l'une ou l'autre guerre mondiale, voilà qui n'était pas banal.
Après quelques recherches j'ai trouvé, très rapidement cette photo, partagée un peu partout et dont le photographe n'est pas cité.
Sur le site d'une galerie une photo de Maurice-Louis Branger est proposée à la vente.
Sur son compte Flickr Jean-Christophe Curtet partage cette même image ainsi qu'une autre et la retranscription du témoignage de Jules Venot, employé de maison rescapé :
Je venais de servir le troisième plat et je revenais dans la cuisine lorsque j'entendis un craquement; cela a fait comme un coup de fusil; un autre a suivi presque aussitôt, puis ce fut un grand bruit de tonnerre au milieu duquel j'entendis très distinctement les cris d'effroi de M. et Mme Froment-Meurice et de leur petit-fils. Je ne fis qu'un bond jusqu'à la cuisine et je dis à la cuisinière : «Marie, sauvons-nous ! La maison s'écroule !» Marie ne voulait pas s'en aller; je parvins cependant à l'entraîner, et par l'escalier de service nous avons pu descendre et gagner la rue.
Je me rappelle qu'en servant le dîner Mme Froment-Meurice manifestait de l'inquiétude. Elle disait : «Il y a depuis quelques jours des craquements étranges dans la maison. Je crains qu'elle ne s'effondre.» François Froment-Meurice fit cette observation : «Comment ! Vous avez de pareilles craintes et vous n'avez rien fait pour éviter un accident ? Il faut faire venir l'architecte !» Mme Froment-Meurice répondit : «Oui, je crois que cela serait prudent !» C'est deux ou trois minutes après que l'accident se produisit.
(Déclaration du domestique Jules Venot, rapportée par la presse)
Sur un blog spécialisé dans la joaillerie, figure la Une du Parisien du samedi 26 avril 1913 et la reproduction d'un article (1) dont il ressort que l'effondrement serait dû à des travaux d'excavation voisins, un immeuble devant être construit en lieu et place d'un garage.
Par ailleurs François Froment-Meurice, 20 ans, sans doute un neveu du sculpteur, a réchappé au drame, retrouvé presque indemne dans les gravats. Il s'y confirme que la cuisinière et l'homme de maison ont échappé de peu à l'écroulement. Ils se trouvaient à un instant près dans la partie non immédiatement effondrée et ont eu la présence d'esprit de vite s'enfuir par l'escalier de service.
Depuis l'effondrement d'un immeuble à Lille, en novembre 2022, et parce que je me souvenais d'immeubles en apparent bon état, ces faits m'intéressent davantage. Je pensais auparavant que des signes avant-coureurs avaient lieu, autrement sérieux que de simples fissures.
(1) Voici le détail pour qui s'intéresserait :
Une des familles les plus honorables et les plus distinguées de la haute société parisienne vient d'être cruellement frappée dans ses affections les plus chères. Hier dans la soirée, M. F. Froment-Meurice, conseiller municipal du quartier de la Madeleine, a eu la douleur de perdre à la fois son père et sa mère, écrasés sous l'éboulement d'une partie de leur hôtel, rue d'Anjou, 46, en plein centre de Paris. Sapée par les travaux des fondations d'un immeuble en construction, leur, maison s'est soudainement déchirée en deux. Et toute une aile s'est abattue, ensevelissant sous ses décombres les deux vieillards et leur petit-fils: M. Emile Froment-Meurice, âgé de soixante-seize ans; sa femme, née Berthe Thomas, âgée de soixante-quatorze ans; M. François Froment-Meurice, âgé de vingt ans. Ce dernier, seul, a échappé par miracle à la mort.
Voici dans quelles circonstances s'est produit ce lamentable événement.
Le conseiller municipal de la Madeleine et Mme Froment-Meurice, qui habitent rue Richard-Wagner, à Passy, dînaient chez des amis. Ils avaient envoyé leur fils, François passer la soirée rue d'Anjou, chez ses grands-parents. Et c'était pour ceux-ci une vraie fête que de recevoir cet enfant qu'ils adoraient. On s'était mis à table dans la salle à manger, située au troisième étage. Soudain un formidable craquement se produisit dans l'édifice. Un tiers de l'immeuble vint s'abîmer, dans une profonde excavation, creusée pour l'établissement des fondations d'une maison voisine un ancien garage d'automobiles où l'on édifiait un vaste immeuble.
A cet instant, deux domestiques, une vieille cuisinière, Marie Catte, et un valet de chambre, Jules Venot, qui, depuis deux jours seulement" remplaçait le valet de chambre appelé pour une période militaire, se trouvaient à l'office. Au bruit épouvantable qui venait de se produire ils accoururent. Marie Catte ouvrit la porte de la cuisine et poussa un cri d'effroi. Comme dans un changement de décor; au théâtre, la salle à manger avait disparu. A ses pieds, à cinquante centimètres d'elle, c'était le vide. En proie à une"inexprimable terreur, la cuisinière et le valet de chambre se sauvèrent, comme des fous, par l'es-, calier de service. Ils rencontrèrent le concierge de l'hôtel, qui fuyait lui aussi, et arrivèrent dans' la rue au moment où un chauffeur d'auto-taxi v'e-C nait fort heureusement de stopper devant la maison écroulée. Encore un peu et celui-ci était à son tour enseveli sous les poutres, pierres et meubles, effondrés pêle-mêle, dans un inextricable désordre.
Cependant des passants, des voisins, des agents étaient accourus. L'officier de paix fut prévenu. Il téléphona au poste central de la caserne de la Pépinière. Et peu après, des soldats du 28° régiment d'infanterie, précédés de M. Rajaud, commissaire de police du quartier de la Madeleine,"organisaient un service d'ordre, pendant que les pompiers, sous la conduite du colonel Cordier, explorant l'amas de décombres, s'efforçaient d'en arracher les victimes. L'opération était périlleuse. M Rajaud et Edouard George, ce dernier fonctionnaire à la préfecture de 'police, s'étaient aventurés jusqu'au centré de l'éboulement, lorsqu'ils" perçurent des gémissements et des cris. Un être vivant était là, enseveli sous, leurs pieds. Au bout de quelques minutes d'efforts, les pompiers de la caserne Blanche parvinrent à retirer le jeune François Froment-Meurice. Par une chance miraculeuse, le jeune homme, n'avait été blessé qu'au, bras droit et légèrement à la tète. Mais la commotion nerveuse avait été des plus fortes. On le transporta immédiatement à l'hôpital Beaujon et de là au domicile de son père, rue Richard-Wagner. Il ne put prononcer que quelques paroles, demandant à voir ses parents et suppliant qu'on allât bien vite à leur secours. Les recherches se poursuivirent. A 8 heures 50 au milieu des meubles pulvérisés, des tableaux anéantis, des tentures en loques et des lustres en miettes, Mme Emile Froment-Meurice était retrouvée. Ce n'était plus qu'un cadavre horriblement défiguré, écrasé sous une masse de pierres et de boiseries. Le corps de son mari fut découvert quelques instants plus tard, affreusement mutilé lui aussi. Unis dans la mort comme dans la vie, les deux vieillards furent transportés dans la cour d'une maison voisine et étendus sur des couvertures, tandis qu'arrivaient sur les lieux M Delanney, préfet de la Seine; Laurent, secrétaire général de là préfecture de police; Paoli; directeur du cabinet de M. Heinion; Touny, chef de la police.
Il est à noter au passage qu'à l'époque avoir plus de 70 ans nous plaçait dans la catégorie des vieillards.