
Je n'étais ni fan ni méprisante, je savais sa relation forte avec le public et qu'aussi des artistes de quelque domaine que ce soit qui ne sombrent pas dans l'oubli une fois passé une vague de très grand succès, c'est qu'ils ont vraiment quelque chose de fort, en plus d'une capacité à bosser et se renouveler.
C'était une chorale qui accueillait les débutants, et après une période difficile, due à une maladie chronique sérieuse apparue pour un membre de la famille, alors que mes enfants étaient encore petits, j'avais éprouvé très fort l'urgence d'entreprendre une activité où puiser de la force afin de mieux tenir (1). Depuis l'enfance je souhaitais chanter mais étais souvent malade, enrhumée, enrouée. J'ai voulu malgré tout tenter. Et ce fut heureux : sans doute du fait de ce que ça nécessite de travail sur la respiration, j'ai été beaucoup moins atteinte.
À peine un an après mon inscription, cette chorale fut requise (2) pour participer aux concerts de Johnny Halliday au stade de France, en septembre.
Pour être sélectionné-e-s il convenait de ne pas souffrir du vertige. Il n'y avait pas de critère de beauté, ce qui m'avait bien arrangée. Je crois me souvenir que nous étions 250.
Je n'avais pas hésité, c'était l'occasion de travailler avec des pros, de voir l'envers du décor d'un de ces concerts usines, ceux faits pour les grandes foules.
C'était la première fois de ma vie qu'une proposition stimulante et un peu amusante m'advenait. Ma vie professionnelle était en ce temps-là d'un ennui surmené parfait.
Pour les répétitions qui s'étalèrent au Zénnith de Paris sur une semaine à dix jours, dont deux (ou trois ?) concerts avec un public sélectionné - des journalistes, des membres des fans-clubs, des gagnants de prix ("Vous assisterez aux répétitions") -, j'avais posé des congés.
Je m'en souviens comme de la plus heureuse période de ma vie : pendant une quinzaine, j'ai vécu une vie de musicienne professionnelle, sans le stress d'avoir à y gagner sa vie, mais avec le travail intense et intéressant et le bonheur de la musique, qui quelle qu'elle soit, est particulier. J'étais en pleine forme, ce qui m'arrive rarement.
Les fans étaient là, aux arrivées et tard aux moments des départs, leur vie s'organisaient autour de leur idole, je ne comprenais pas, j'ai parfois discuté, ils étaient très sympas, attachants. Je pense à eux aujourd'hui qui doivent se sentir fort orphelins.
L'artiste avait avec les plus anciens d'entre eux une relation particulière, il faisait arrêter sa voiture, échangeait quelques mots, prenait des nouvelles, connaissait le prénom de certains, serrait volontiers des mains, échangeait une plaisanterie. J'ai eu l'impression, comme pour Amélie Nothomb, que ça n'était pas qu'un comportement dicté, mais qu'y entrait une attention qui n'était pas factice, une part de sincérité.
Je me souviens d'un type qui bossait, reprenait autant de fois qu'il le fallait, je me souviens d'avoir pensé, on dirait un ouvrier qui règle la machine sur laquelle il doit travailler. C'était efficace, on pouvait percevoir des améliorations - tel réglage, telle proposition mise en œuvre et c'était mieux pour la chanson -.
En fait il y eu 3 concerts et demi. Car le premier au Stade de France fut annulé pour cause d'orage. Nous étions fins prêts dans les loges, et puis finalement non. Il fallait rentrer.
L'énergie que le public renvoie vers la scène est quelque chose qui ne s'oublie pas. Je m'étais sentie portée durant deux mois.
Ces concerts furent un déclic pour moi, et si j'ai fait ensuite des rencontres primordiales et qui m'ont aidée à sortir d'une vie grise et enfermée pour aller vers ce qui m'allait, ou du moins essayer, la prise de conscience date de là : il n'y a aucune raison pour que je ne fasse pas des choses intéressantes, aucune raison pour que je demeure dans une sorte d'esclavage des devoirs consentis dont aucun ne me correspond. Une sorte de droit à l'exaltation.
Alors ce matin, voilà, j'ai beau n'avoir aucun lien direct et n'être pas de ceux qui écoutent ses disques, sauf les lives des concerts, pour parfois y puiser un peu d'énergie, ce matin je suis émue. Le gars qui vient de mourir, et qui m'avait saluée poliment comme il l'avait fait avec chacun d'entre nous les petites voix de son grand spectacle, que je ne connais pas plus, j'aimerais lui dire merci.
Je crois qu'il a pu compter au delà même des fans, pour pas mal de gens. Et que ça n'est pas rien.
(1) Tout ce que j'ai entrepris dans ma vie à titre personnel tenait de ça, de ce qui semble le plus raisonnable au plus fou.
(2) J'ignore les coulisses de l'affaire
[photo prise lors d'un concert au Champs de Mars en l'an 2000, avec nous autres en arrière-plan]