Tout à l'heure en rentrant,
- C'est bizarre de se dire qu'on ne reverra pas Le Capitaine avant bien longtemps.
- C'est bizarre de se dire que pendant que ce soir je dégustais ma première gorgée de bière, le fils d'une amie rendait peut-être son dernier soupir ; que je n'y pouvais strictement rien, que c'était ainsi.
- C'est bizarre de parler à un ami qui face à la confusion d'une visiteuse explique en riant que non, son frère et lui ne sont pas jumeaux, qu'ils ont même plusieurs années d'écart et de lire juste après dans le métro :
"Non ce n'est pas Paul mais il s'en est fallu d'un cheveu. Les deux frères se ressemblent tellement. Même stature [...], même moustache en brosse, même voix qui s'entend à des kilomètres. Rien de plus, rien de moins. Quelqu'un qui ne les aurait pas connus s'exclamerait : ils sont jumeaux ?
- Pas du tout, ils ont quatre ans de différence.
- Incroyable ! Et ... qui est l'aîné ?"
Colette Cambier, "Un jeudi à Ostende", page 100.
Joli Zahir, non ?
- C'est bizarre en sortant du même métro de voir un type menotté, entouré de policiers, coffre d'une voiture qu'on peut supposer sienne (ou par lui volée) ouvert, et qui proteste (mais sans insulter), quelques badauds attroupés, et de ne rien se dire d'autre que :
- en voilà un qui ce soir ne dormira pas chez lui ;
- finalement on n'est pas encore dans une dictature (sinon les gens en pareil cas s'empresseraient de filer) ;
- c'est la deuxième en deux jours, soit je suis toujours là quand ça se passe, soit ça n'arrête pas.
- C'est bizarre en France de se dire qu'on va mourir de froid alors qu'on n'est qu'en septembre (et qu'on a un toit).
- C'est bizarre de voir le supermarché où au temps des enfants petits et musiciens on a passé tant de minutes comptées entre deux allers-retours au conservatoire être en train de se faire entièrement chambouler. Se dire encore quelque chose de ton temps qui disparaît. Que bientôt il n'y aura plus aucune preuve que nous avons ensemble existé. Et pour moi plus aucun repère de souvenir (tiens, l'allée où mon téléphone avait sonné quand tu m'avais appelée pour m'annoncer que ça y était, tu avais ...).
- C'est bizarre, au même jour où l'on s'est enfin débarrassé des textos spammants de notre opérateur par une options qu'il convenait de chercher dans un coin pour la désactiver, et où pour une triste raison on tressaute au moindre appel (de tout type) d'être victime de faux SMS d'une (forcément) belle Sandra qui tenterait de m'aguicher. A croire que mon opérateur cherche bassement à se venger de mon barrage efficace.
Pas de bol "Sandra" je suis une femme et pas du genre à me laisser séduire par n'importe quoi. Non mais.
- C'est bizarre de se dire, exactement comme l'an passé, finalement c'est pas plus mal de n'avoir pas eu le temps de ranger les chaussures d'hiver (variante : les vêtements).
- C'est bizarre de retrouver 3 ans après, parce que ranger quand même un peu on essaie, mais sans l'avoir cherché, le doux tissu qui aurait dû servir de bandeau aux géants, et qu'on avait réservé pour t'offrir ainsi qu'à Florence un chemisier unique comme un souvenir discret.
- C'est bizarre d'avoir rêvé qu'on s'installait à Marseille, précisément aux jours où la Belgique reprend en moi sa place favorite.
- C'est bizarre d'être tellement traumatisée par le rejet de qui m'avait écrit "Gilda, tu n'encombres jamais", que je ne peux plus vous écrire sans arrière-pensées. Ce qui en ces jours où les mauvaises nouvelles se vendangent à la pelle, équivaut à me bloquer.
- C'est bizarre d'avoir égaré une partition de la messe en Si. Pourtant elles sont épaisses et chez moi la musique bien rangée (contrairement au reste).
- C'est bizarre de t'aimer toujours, comme une soeur jumelle dont on ne pourrait jamais réellement être séparée, tout en ayant conscience que n'importe qui estimerait sans doute à raison que c'est un bon bourre-pif que tu mériterais.
- C'est bizarre de ne pas retrouver dans sa bibliothèque de sons le CD de Billie Holiday qu'on était persuadé d'y avoir sauvegarder, mais Goldman à la place.
- C'est bizarre fors la mort qui est grave, de n'être plus capable de rien hiérarchiser. Est-ce qu'au moins quelque chose compte ?
- C'est bizarre d'être secouée de sanglots en écrivant au point de devoir à arrêter pour reprendre les yeux secs et aussi à respirer, en éprouvant pour autant une forme d'infinie reconnaissance pour vous qui m'avez poussée dans cette voie escarpée. Je sais le quitte ou double et que si je m'en sors, alors je serai enfin sauvée. Pas persuadée, seule, d'y arriver.
- C'est bizarre d'être capable d'écrire en dormant. Même mal.
[photo : le supermarché en travaux]