Quand on prend conscience qu'une de nos compétences implique des responsabilités
17 août 2013
La marée aujourd'hui était en fin d'après-midi, ici pas question de plaisanter avec son horaire car lorsque la mer se retire même lors de coefficients moyens c'est comme vouloir faire l'amour avec un homme qu'on n'attire pas.
Le temps, mitigé. On aura eu de lundi à jeudi des jours d'été formidables, dont un merveilleux jeudi. Je suis même parvenue à passer une journée en robe d'été. Mais depuis hier, c'est le retour du classique temps d'été d'ici, variable au gré des marées avec un fond frais. Cette région possède la clim et elle fonctionne presque sans arrêt.
J'avais quand même envie d'aller nager. J'en éprouve un besoin vital, il faut qu'il pleuve très fort ou que le drapeau rouge soit mis, ou que je me sente vraiment trop mal pour m'y faire renoncer.
Cependant j'hésitai. J'avais du sport de la veille des douleurs musculaires résiduelles, n'étais pas certaine de n'être pas saisie de froid si le soleil n'aidait pas, craignais une absence, un malaise. Chaque bain dans la mer est peut-être le dernier.
Mais l'appel de l'eau a été le plus fort, il y avait un peu de monde à nager (1), ce qui m'a rassurée. Et puis comme toujours Elle est froide au début et puis quand on est dedans elle est bonne. J'arrive généralement à y croire jusqu'à ce que je ne sente plus mes bras en dessous des coudes et que mes pieds ne sont plus qu'un lointain souvenir mais dont je suppose puisque j'avance encore un peu qu'ils remplissent bravement leur office de petites palmes.
J'étais donc en plein moment de bonheur entre l'effort d'acclimatation des premiers instants et la victoire du froid sur le chauffage corporel, crawlant allègrement à contre courant, lorsqu'il m'a semblé entendre des voix. Pas comme Jeanne, non, plutôt des éclats.
Je sors donc la tête de l'eau, avec un temps de regret. J'aperçois un peu surprise une jeune femme qui brassait à quelques encablure, visant visiblement une bouée non loin de là. Elle ne semblait pas crier mais poursuivre sa petite idée avec sérénité et dont j'étais prête à parier qu'elle était de rejoindre une des bouées assez proche de délimitation.
J'ai cru entendre à nouveau quelques cris, ce n'était pas articulé, ça pouvait ressembler à l'appel de balle d'un joueur à un partenaire. Et surtout, je constatais quelque chose dont on m'avait parlé ou que j'avais lu : la voix humaine sur mer, il est très difficile de la localiser elle perd ses qualités directionnelles.
Il se trouve que je suis légèrement myope et pas au point d'avoir jamais investi dans des lunettes de nage correctrices. Je voyais donc au loin sur la plage la tache coloré de celui qui m'accompagnait (son boulot étant de surveiller mon parcours et d'aller tapoter sur l'épaule du maître nageur (ou de la, mais maîtresse nageuse ça fait bizarre) si jamais il me perd de vue trop longtemps, ce dont il s'acquitte correctement tant qu'une ou deux nymphettes locales, ne passent pas dans son champ visuel, auquel cas un malaise me serait fatal) car je m'efforce quand je pars nager loin de savoir exactement dans quelle direction le trouver, la tache orangée de qui surveillait la baignade, et quelques barboteurs de bord trop loin pour que je puisse les entendre s'ils criaient. Le vent venait du sud et non de l'intérieur des terres il était donc exclu que leur voix vers moi à ce point portât. J'ai regardé autour de moi : n'était toujours visible que la jeune femme et sa brasse régulière mais tête hors de l'eau ce qui à mes yeux n'est pas un signe de très haut niveau. J'ai donc opté pour la suivre à distance de portée de voix, pour le cas où, par une sorte de précaution solidaire mais sans chercher à gagner la bouée parce qu'on ne s'amuse pas quand les conditions météo et de températures sont moyennes à s'y risquer si l'on n'espère pas en tirer satisfaction. Or celle-ci serait moindre si n'importe quelle autre dame en faisait tranquillou autant. J'ai estimé sa vitesse de progression compatible avec ma vitesse de refroidissement, que je pouvais rester le temps de voir si elle atteignait son but et en repartait sans se prendre les pieds dans la chaîne (2) ni subir la renverse de marée (il était déjà l'heure de marée max passée).
Quelque chose venait de m'alerter, quelque chose sans un bruit : un nouveau regard circulaire m'a fait prendre conscience que les barboteurs n'y étaient plus, ni la tâche orange du surveillant de baignade.
En revanche l'homme de la maison n'avait pas bougé de nos tapis de sol, je n'étais donc pas plus inquiète que ça, mais parfaitement consciente que l'autre nageuse et moi étions un peu loin de tout le monde.
Le courant restait relativement porteur pour revenir vers la rive. Et toujours à bonne distance l'une de l'autre nous sommes retournées vers le sable sans encombre. Pour moi il était temps, j'en étais aux coudes d'engourdissement, il ne faut pas aller plus loin, ça devient risqué.
C'est alors que j'ai vus ceux qui devaient être sa famille qui venaient au devant d'elle avec une serviette et un peu de précipitation. Bizarre, en plus qu'ils avaient dû voir qu'il y avait quelqu'un d'autre sur zone. Puis j'ai aperçu le drapeau vert tout descendu de sa hampe - me suis dit, Ça alors, les heures de surveillance seraient donc si réduites -. Puis j'ai vu que le compagnon n'avait certes pas bougé d'un pouce mais que sa tête était tournée dans une direction, que dans cette direction il y avait un attroupement, ce qui expliquait l'absence d'humains alentour et qu'il ne soit pas lui à me regarder quitter les flots telle une James Bond girl aux jambes moins interminables mais tellement plus musclées (3). Et voilà qu'au centre de l'attroupement assez large (comme quoi les gens quoique grégaires peuvent rester sensés) on voyait la silhouette d'un homme sur lesquels les sauveteurs se penchaient.
Rejoint, l'homme de la maison m'expliqua que le nageur venait d'assez loin qu'il était apparu dans son champ de vision au delà des bouées, qu'il avait agité les bras que ça avait duré longtemps que des gens à côté de lui sur la plage s'étaient demandé s'il ne s'agissait pas d'un exercice.
Mais là avec le gars à terre ça n'y ressemblait plus.
Et je me suis sentie très mal : les cris perçus étaient des appels, j'étais sans doute avec la jeune femme la moins éloignée de leur provenance, si j'avais mieux vu (ou regardé vers le large plutôt que vers la plage ?), mieux perçu d'où ils provenaient, j'aurais pu au moins contribuer à secourir. Et en répondant à celui qui me disait Mais c'est un homme (implicite : il semble assez fort), tu n'aurais pas pu faire grand chose, j'ai pris conscience qu'à moins de quelqu'un de très corpulent, très paniqué, ou d'une mer particulièrement démontée et de courants insurmontables, je serais effectivement à même d'aider quelqu'un. Et que cette compétence-même implique une forme de responsabilité.
Plus tard, alors que j'avais pris ma douche d'eau douce froide et m'étais changée, alors que j'étais aux prises avec mon inévitable onglée - mais sans la tête qui tourne je commence à être ammarinée -, et que nous repartions, il m'a semblé voir l'homme que j'avais entraperçu de loin étendu, sortir du poste de secours. On n'avait pas vu d'ambulance ni les pompiers, ni du matériel de réanimation. J'ai donc supposé qu'il s'en était bien tiré, l'hypothèse d'un exercice n'étant d'ailleurs pas totalement exclue. Je me suis sentie soulagée. Ayant entendu les cris, j'avais besoin de croire qu'il s'en était sorti.
[photo : marée basse]
(1) Mon gros problème est d'être la seule nageuse de la famille in fine. Le fiston promettait bien mais il a tout laissé tomber et de toutes façons trouvait cette eau trop froide. Si je décide de faire le tour des bouées qui délimittent la baignade surveillée, je ne peux compter que sur ma propre compagnie.
(2) Elle était précisément en train de commettre cette erreur des débutants à savoir aller jusqu'à la bouée et s'y accrocher. Or il convient de les contourner à distance raisonnable : elles ont une chaîne qui peut jouer de sales tours.
(3) pour les moins de vingt ans, allusion à cette scène aujourd'hui kitschissime en son temps mythique (ça alors Ursula Andress n'est pas plus grande que moi apprends-je au passage sur wikipédia)