Deux mars, vingt ans après
02 mars 2011
en réponse à une question de Richard, sur son blog
Le 2 mars 1991, j'ai dû comme chacun en France entendre l'annonce de la mort de Serge Gainsbourg. Je n'ai pas dû m'en sentir très touchée, je connais alors fort peu de lui en fait, certaines choses me plaisent, d'autres non, et je fais partie des petites gens que le voir cramer un billet de 500 (à l'époque : francs) à la télévision a éloignés : nous les 500 F on en aurait eu bien besoin, alors même si pour une part la provoc et l'humour noir, je suis pas contre, là ça coince un peu.
Ce n'est que plus tard, quand d'une certaine façon, grâce à l'écriture, je serai passée de l'autre côté de la barrière, que j'apprendrai à moins mal l'apprécier (1). Ainsi et surtout que Jane Birkin dont la non-voix en ce temps-là m'exaspérait.
Ma fille alors va sur ses 1 ans et même si elle nous fatigue le soir à ne jamais vouloir dormir, c'est un bonheur d'être ses parents. Nous sommes aussi très amoureux, du moins tout me porte à le croire.
Une amie vient la garder quand je suis au travail, et s'occupe un peu de la maison, ce sera la seule période de ma vie où je vivrais dans un appartement bien tenu. Comme mon salaire n'est pas élevé malgré des horaires lourds, nous l'employons 4 jours par semaine ce qui fait un bon 40 heures (je travaille au moins 9 h / jour et il y a 40 mn de trajet à chaque fois) et mes parents assurent le vendredi. Un dispositif d'allègement fiscal permet que je ne travaille pas à perte mais c'est tout juste. Je compte naïvement sur une promesse de promotion qu'on m'avait faite avant que je parte en congé de maternité et repoussée au motif "vous comprenez par rapport à vos collègues qui auront fait l'année en entier" puis qui le fut au retour pour la même raison, puis perdue de vue puisque restructuration. J'espère qu'ensuite à nouveau malgré la paie que nous devons comme employeurs, mon travail rapportera quelque chose au budget du ménage. Pauvre naïve conne (dis-je à présent avec le recul et en ayant vu tant et tant de jeunes amis s'y laisser prendre à leur tour, surtout des amies).
J'ai repris le travail il y a quelques mois après un congé maternité long comme il en existait à l'époque dans les banques. Compte tenu de ma santé fragile, ça ne fut pas un luxe. Je suis en stage en centre d'affaires et même si l'analyse financière m'est assez étrangère, je m'entends bien avec les gens et j'ai l'impression (en fait fausse, je ferai les frais d'une restructuration et que finalement ceux qui semblaient contents de moi en apparence ne me défendront pas à l'heure des places devenues chères, mais en mars je n'en sais encore rien, on me complimente sur les compte-rendus de visite aux clients) que ça se passe bien. Je sais qu'un poste commercial est un passage obligé lorsqu'on est ingénieur et même si je ne souhaite pas éternellement y rester, tente de me conformer. Ma seule ambition est de gagner assez pour qu'on s'en sorte sans non plus y laisser toute ma vie. D'autant que jeune mère, j'ai envie qu'il me reste du temps de qualité auprès de mon enfant.
Avec son père c'est le début des vies parallèles : il bosse dur, rentre tard, ce n'est pas nouveau, mais plus qu'avant il fait des nocturnes, si pratiques pour arriver après la panique du soir baindubébérepasdubébépleursdelasoirée. C'est cette année-là que son salaire décollera vraiment par rapport au mien, nous poussant dans une spirale de priorité à son travail sur le mien, alors qu'au départ nous avions la même formation. En même temps, oui, la maternité m'a tenue loin du bureau pendant des mois.
C'est quelque chose de très courant, un piège qui aujourd'hui encore me semble inévitable, du moins pour des boulots de cadres où les heures ne se comptent pas.
Je ne sais pas comment nous aurions pu éviter ça. Et j'ai l'impression que c'est plus difficile encore pour les jeunes générations.
À l'époque nous vivons en HLM, petit loyer, proximité de Paris.
C'est sans doute entre mars et juin 1991 qu'au retour d'une bonne soirée cinéma nous trouverons dans la boîte aux lettres le courrier qui sonnera le glas de notre relative insouciance : un sur-loyer sera désormais appliqué à notre logements et avec nos deux salaires de cadres (que nous n'avions pas 3 ans plus tôt à l'emménagement) ça le fera doubler. L'appartement, premier étage sur rue large et gavée de circulation, était valable tant qu'il n'était pas cher, à deux fois plus, il ne vaut pas que nous continuyons à nous encrasser les poumons, en plus que nous espérons un jour avoir un deuxième enfant afin de ne pas laisser la petite toute seule. Le marché de la location pour un 3 pièces à Clichy est (alors ?) inexistant. Nous finirons par nous décider de tenter d'acheter.
Ce sera le début d'une période difficile, alors que l'appartement que nous trouverons était le bon, nous y vivons encore et finalement et financièrement ç'aura été la bonne décision mais payée par des années de tourments et pour moi de sacrifices.
Donc, oui, le 2 mars 1991, c'était sans doute un des derniers samedi de légèreté relative avant le début d'une ère sombre et de devoir lutter. Peut-être même que pendant la sieste du bébé son père et moi avions fait l'amour (2). Et que c'était bon.
(1) Ma défiance à son égard venait également de son alcoolisme affiché or avec mon mari nous avions l'un comme l'autre plus ou moins directement eu à subir des conséquences de ce mal. Envers ceux qui y sombraient j'éprouvais à l'époque une forme de colère qui ne s'est estompée qu'avec la compréhension des souffrances intimes que ça pouvait cacher.
Par ailleurs j'étais déjà amateure de whiskies et comme je ne rencontrais (ni d'ailleurs depuis) aucune difficulté à maîtriser ma consommation, j'étais d'autant plus intransigeante envers ceux qui dérapaient. Du haut de ma présomptueuse jeunesse, je considérais qu'il suffisait d'un peu de volonté.
J'étais dans cette logique toxique du Quand on veut on peut. Elle m'avait plutôt réussi puisqu'en me faisant violence j'étais parvenue à boucler des études que ni mon milieu social ni ma santé fragile n'auraient dû m'autoriser.
Quelle gamine ! Dans d'autres domaines, la vie s'est chargée de me remettre en place et apprendre l'humilité. La seule chose qu'on peut, c'est faire de son mieux. Et tenter de ne pas infliger aux autres ce qu'on a soi-même subi.
(2) Ma prof de danse préférée vivait alors aux États-Unis et en attendant son éventuel retour j'avais tenté de suivre les cours de Mia Frye au centre de danse du marais. Mais c'était trop cassant pour mon corps fatigué de grossesse et trop coûteux pour mon budget, j'ai dû sans doute vers juin (?) abandonner.
1103062020
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