Deux mars, vingt ans après

en réponse à une question de Richard, sur son blog

Le 2 mars 1991, j'ai dû comme chacun en France entendre l'annonce de la mort de Serge Gainsbourg. Je n'ai pas dû m'en sentir très touchée, je connais alors fort peu de lui en fait, certaines choses me plaisent, d'autres non, et je fais partie des petites gens que le voir cramer un billet de 500 (à l'époque : francs) à la télévision a éloignés : nous les 500 F on en aurait eu bien besoin, alors même si pour une part la provoc et l'humour noir, je suis pas contre, là ça coince un peu.

Ce n'est que plus tard, quand d'une certaine façon, grâce à l'écriture, je serai passée de l'autre côté de la barrière, que j'apprendrai à moins mal l'apprécier (1). Ainsi et surtout que Jane Birkin dont la non-voix en ce temps-là m'exaspérait.

Ma fille alors va sur ses 1 ans et même si elle nous fatigue le soir à ne jamais vouloir dormir, c'est un bonheur d'être ses parents. Nous sommes aussi très amoureux, du moins tout me porte à le croire.

Une amie vient la garder quand je suis au travail, et s'occupe un peu de la maison, ce sera la seule période de ma vie où je vivrais dans un appartement bien tenu. Comme mon salaire n'est pas élevé malgré des horaires lourds, nous l'employons 4 jours par semaine ce qui fait un bon 40 heures (je travaille au moins 9 h / jour et il y a 40 mn de trajet à chaque fois) et mes parents assurent le vendredi. Un dispositif d'allègement fiscal permet que je ne travaille pas à perte mais c'est tout juste. Je compte naïvement sur une promesse de promotion qu'on m'avait faite avant que je parte en congé de maternité et repoussée au motif  "vous comprenez par rapport à vos collègues qui auront fait l'année en entier" puis qui le fut au retour pour la même raison, puis perdue de vue puisque restructuration. J'espère qu'ensuite à nouveau malgré la paie que nous devons comme employeurs, mon travail rapportera quelque chose au budget du ménage. Pauvre naïve conne (dis-je à présent avec le recul et en ayant vu tant et tant de jeunes amis s'y laisser prendre à leur tour, surtout des amies).

J'ai repris le travail il y a quelques mois après un congé maternité long comme il en existait à l'époque dans les banques. Compte tenu de ma santé fragile, ça ne fut pas un luxe. Je suis en stage en centre d'affaires et même si l'analyse financière m'est assez étrangère, je m'entends bien avec les gens et j'ai l'impression (en fait fausse, je ferai les frais d'une restructuration et que finalement ceux qui semblaient contents de moi en apparence ne me défendront pas à l'heure des places devenues chères, mais en mars je n'en sais encore rien, on me complimente sur les compte-rendus de visite aux clients) que ça se passe bien. Je sais qu'un poste commercial est un passage obligé lorsqu'on est ingénieur et même si je ne souhaite pas éternellement y rester, tente de me conformer. Ma seule ambition est de gagner assez pour qu'on s'en sorte sans non plus y laisser toute ma vie. D'autant que jeune mère, j'ai envie qu'il me reste du temps de qualité auprès de mon enfant.

Avec son père c'est le début des vies parallèles : il bosse dur, rentre tard, ce n'est pas nouveau, mais plus qu'avant il fait des nocturnes, si pratiques pour arriver après la panique du soir baindubébérepasdubébépleursdelasoirée. C'est cette année-là que son salaire décollera vraiment par rapport au mien, nous poussant dans une spirale de priorité à son travail sur le mien, alors qu'au départ nous avions la même formation. En même temps, oui, la maternité m'a tenue loin du bureau pendant des mois.

C'est quelque chose de très courant, un piège qui aujourd'hui encore me semble inévitable, du moins pour des boulots de cadres où les heures ne se comptent pas.

Je ne sais pas comment nous aurions pu éviter ça. Et j'ai l'impression que c'est plus difficile encore pour les jeunes générations.

À l'époque nous vivons en HLM, petit loyer, proximité de Paris.

C'est sans doute entre mars et juin 1991 qu'au retour d'une bonne soirée cinéma nous trouverons dans la boîte aux lettres le courrier qui sonnera le glas de notre relative insouciance : un sur-loyer sera désormais appliqué à notre logements et avec nos deux salaires de cadres (que nous n'avions pas 3 ans plus tôt à l'emménagement) ça le fera doubler. L'appartement, premier étage sur rue large et gavée de circulation, était valable tant qu'il n'était pas cher, à deux fois plus, il ne vaut pas que nous continuyons à nous encrasser les poumons, en plus que nous espérons un jour avoir un deuxième enfant afin de ne pas laisser la petite toute seule. Le marché de la location pour un 3 pièces à Clichy est (alors ?) inexistant. Nous finirons par nous décider de tenter d'acheter.

Ce sera le début d'une période difficile, alors que l'appartement que nous trouverons était le bon, nous y vivons encore et finalement et financièrement ç'aura été la bonne décision mais payée par des années de tourments et pour moi de sacrifices.

Donc, oui, le 2 mars 1991, c'était sans doute un des derniers samedi de légèreté relative avant le début d'une ère sombre et de devoir lutter. Peut-être même que pendant la sieste du bébé son père et moi avions fait l'amour (2). Et que c'était bon.

 

(1) Ma défiance à son égard venait également de son alcoolisme affiché or avec mon mari nous avions l'un comme l'autre plus ou moins directement eu à subir des conséquences de ce mal. Envers ceux qui y sombraient j'éprouvais à l'époque une forme de colère qui ne s'est estompée qu'avec la compréhension des souffrances intimes que ça pouvait cacher.

Par ailleurs j'étais déjà amateure de whiskies et comme je ne rencontrais (ni d'ailleurs depuis) aucune difficulté à maîtriser ma consommation, j'étais d'autant plus intransigeante envers ceux qui dérapaient. Du haut de ma présomptueuse jeunesse, je considérais qu'il suffisait d'un peu de volonté.

J'étais dans cette logique toxique du Quand on veut on peut. Elle m'avait plutôt réussi puisqu'en me faisant violence j'étais parvenue à boucler des études que ni mon milieu social ni ma santé fragile n'auraient dû m'autoriser.

Quelle gamine ! Dans d'autres domaines, la vie s'est chargée de me remettre en place et apprendre l'humilité. La seule chose qu'on peut, c'est faire de son mieux. Et tenter de ne pas infliger aux autres ce qu'on a soi-même subi.

(2) Ma prof de danse préférée vivait alors aux États-Unis et en attendant son éventuel retour j'avais tenté de suivre les cours de Mia Frye au centre de danse du marais. Mais c'était trop cassant pour mon corps fatigué de grossesse et trop coûteux pour mon budget, j'ai dû sans doute vers juin (?) abandonner.

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Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, mourir me font (about Helen Folasade Adu and her group)

alternate title : My seetest taboo et la théorie de la musique de Mademoiselle Grégoire.

aujourd'hui, in my cosy but chaotic kitchen

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Je vais encore vous parler d'un temps que les moins de vingt trente ans ne peuveueunt pas connaîtreuuh.

Il était une fois un groupe de jeunes plus ou moins londoniens, qui grâce à un standardiste doux (1), avaient attrapés un brin de succès et comme la chanteuse avait de la grâce à revendre et une voix aux harmoniques à consoler les âmes, et que les musiciens n'étaient pas des plus mauvais, dans les années 80 (vous savez, ce vieux siècle dernier) ça avait marché du tonnerre de tous les dieux même ceux qui refusent d'exister.

En plus c'était dansant comme un rêve d'Astaire rénové, bref, on était un paquet à être tombés dedans.

Leur premier groupe s'appelait Pride ce qui autorisait quelques plaisanteries privées , citer ce titre en reste d'ailleurs une en soi.

Mais au marketing de la maison de disque ils avaient dû trouver ça un peu trop commun et puis, si j'avais bien suivi ils n'avaient pas recruté tous les anciens, alors quelqu'un dûment équipé ou non de références littéraires et libertines avait dit que ça serait bien Sade tout court, vu que la jolie chanteuse c'est Helen Folasade Adu qu'elle s'appelait.

Les gars, Stuart, Andrew et Paul avaient dû trouver ça cool, elle avait dû dire d'accord, et hop c'était parti.

Voilà pourquoi quand je lis quelque part ou j'écris "Sade", je pense à une douce voix plutôt qu'à un redoutable marquis, que pourtant je lus jadis chez une de mes amies plutôt oldschool. Le contraste probablement, et qu'elle en ait les titres, m'amusait.

Je crois bien être allée à tous les concerts parisiens, y compris un Olympia annulé. À l'époque une place de concert pour qui gagnait honnêtement sa vie avait un prix relativement abordable (24 de nos actuels euros, l'équivalent alors de deux livres 1/2 d'une collection blanche pas de poche). C'était très cher par rapport au ciné mais à l'époque celui-ci restait un loisir populaire et bon marché même sans encartage. 

En cherchant un vieux programme histoire de documenter un brin cette note, j'ai retrouvé un billet pour le Zénith du 6 juin 1986 à 20 heures - oh je devais être en train d'attendre le cœur battant le retour de mon bien-aimé -, aucun livret, mais je suppose que je les avais donnés à ma petite sœur qu'à l'époque j'invitais. Et puis dans le même tiroir dévolu à la musique, des cahiers où je prenais des notes de durées de morceaux afin d'optimiser les cassettes audio que je constituais (2) à grande patience de soirées et que souvent j'offrais, une boussole qui ne voulait plus indiquer le nord (3) et son mode d'emploi incompréhensible, ainsi qu'une antique théorie musicale questions et réponses séparées, laquelle avait appartenue à Melle Grégroire - imprimerie Chaix, rue Bergère 20, Paris, encre Lorilleux, 1896 et 1900 -.

Et dont j'ignore totalement comment elle est arrivée là. Mais dont la présence me réjouit.

"Qu'est-ce que la musique ?" demande le tome 1

"La musique est l'art des sons." répond le tome 2

La sérendipité de mes étagères est parfois réjouissante.





Merci à Janu dont une remarque amusée m'a fait écrire ce billet et donc entreprendre ces fouilles archéologiques.

PS : Non, ce n'est pas un billet sponsorisé, je ne gagne rien, j'ai payé la musique, et je ne connais ni la chanteuse, ni ses musiciens, ni personne de la prod. 

(1) Je joue les traducteurs automatiques, là. En vrai, bien sûr il s'agissait de ceci.

(2) Hé oui c'était avant d'avoir des ordinateurs chez soi, et les CD pour le grand public ne faisaient que commencer. C'était aussi un temps où l'on comptait ses sous avant de dépenser. Les crédits pièges et permanents n'existaient pas encore.

(3) À présent ça y est, à croire qu'elle souffrait du noir (?!). Existerait-il un Nord Lumineux ?

[photo : round up the usual suspects]

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L'idée qu'on se faisait d'un parc Japonais (ou même pas, ignorants qu'on était)

Parc de Sceaux, avril ou mai 1986

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Nous avions alors peu de temps pour nous-mêmes, n'imaginions même pas que ça serait bien pire une fois voguant dans la vie professionnelle et dûment pourvus de bébés.

Nous n'imaginions d'ailleurs pas grand-chose, tendus vers l'objectif du diplôme qui nous pendait au nez (juin 1986) et que j'étais incapable de tenir pour acquis alors qu'il s'agissait de contrôle continu et qu'un minimum de sérieux et d'assiduité en garantissait l'obtention.

Le service militaire du garçon nous obstruait l'horizon. Il n'avait aucune envie de faire le trouffion, ni moi qu'il le fasse et qu'on vive l'un et l'autre au rythme de ses permissions. Le choix de tenter un service en tant que coopérant a déjà été fait. J'ignore si au moment où la photo est prise nous avions déjà ou non envoyé le fax en réponse à l'école d'ingénieur inter état de Ouagadougou que sa candidature intéressait. Je me souviens de cet envoi avec une précision inouïe. Je sais très exactement en y participant (il fallait rédiger efficacement en peu de mots chacun d'entre eux coûtait une fortune de notre budget rachitique d'étudiants), que notre vie bascule en cet instant.

J'ignore également si je sais déjà où je vais travailler. Je crois que j'avais attendu mai pour envoyer 4 ou 5 lettres de candidatures avec un CV qui ferait sourire les jeunes diplômés d'à-présent. C'est qu'on tape encore à la machine. Seuls les plus fortunés d'entre nous et encore uniquement quelques fous passionnés ont un ordinateur, généralement un IBM avec une grande disquette molle qu'on doit nécessairement insérer. Je crois qu'elles font 16 Mo de mémoire et pas encore 32. Les imprimantes peu familiales utilisent des feuilles trouées sur le côté et liées en continu. Elles font un bruit de crécelle quand elles projettent un texte sur le papier.

En tout cas à l'époque un(e) jeune diplômé(e) d'études scientifiques n'avait aucun mal à trouver un CDI même si les salaires avaient accusé un coup d'arrêt par rapport à ceux de nos aînés. Certains camarades de promo comme on disait alors (1), avaient opté pour une année supplémentaire d'école de commerce afin d'y pallier. Endettés pour payer nos études, nous devions pour notre part à tout prix travailler sans tarder.

La possibilité d'accompagner mon homme dans son périple de coopérant s'exclut comme d'elle-même.

Issue d'un autre milieu social, j'aurais sans doute su que le début des remboursements était fort négociable (2), suivi mon amoureux, été fort heureuse en Afrique (j'ai adoré y aller dés que j'en avais l'opportunité) et sans doute écrit pour occuper une relative oisiveté.

Non pas que j'y songeasse à l'époque, mais parce que sans le savoir je m'y étais déjà collée naturellement 3 ans plus tôt comme par inadvertance à la suite d'un chagrin d'amour que j'avais cru perpétuel. Puis j'avais complètement oublié l'avoir fait (3). Cette impulsion, face à l'Afrique, serait revenue.

En attendant de se tromper de chemin mais d'en être extirpée, dieu merci, 13 ans plus tard, je suis simplement amoureuse, heureuse dés que les heures nous sont favorables et hors des temps contraints.

Nous tentons quand nous pouvons de profiter du printemps.

Le parc de Sceaux est tout proche de la cité universitaire délabrée où nous logeons avec bonheur,  alors dés qu'à nos

retour de week-ends

( nous les passons souvent, hélas, Cit_universitaire_antony_avril_ou_m

séparés, accaparés que nous sommes par contigences (je donne des cours particuliers de maths) et parents), où aux rares jours où l'école nous libère tôt, nous y filons pour profiter en amoureux du printemps qu'il nous offre.

En particulier dans ce coin, un peu à l'écart et qui lors de sa floraison nous fait penser à l'idée qu'on se fait d'un jardin japonais ...

(1) J'imagine que le terme de camarade qui nous était naturel, à ceux d'aujourd'hui ne l'est plus.

(2) de même que mon salaire d'embauche. J'aurais aussi su, ce que j'ignorais, que les heures supplémentaires des cadres, en France ne sont pas payées.

(3) Jusqu'au jour où des rangements de papiers personnels consécutifs à la mort de mon père m'ont permis de retrouver un cahier complet, mal écrit, mais non dépourvu d'intérêts.

[photo 1 : Au parc de Sceaux avril ou mai 1986 (publiée avec l'accord du principal intéressé)
photo 2 : Cité universitaire d'Antony, avril ou mai 1986, ce qu'on voyait de nos deux fenêtres]

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