Poly orphelin et nous devenons vieux

Aujourd'hui aussi et quarante ans plus tôt (en gros)


J'en avais déjà parlé par ici, mais voilà, enfant j'étais une inconditionnelle des Poly de Cécile Aubry. Ça m'a quand même tenu de Poly au Portugal (dont je réapprends qu'il date de 1966) jusqu'à Poly en Tunisie que je regardais certes d'un œil plus critique mais quand même (1973 paraît-il). J'ai été même vers 8 ou 9 ans été capable de convaincre les différents adultes concernés de déplacer un horaire de cours de piano rien que pour ça (les magnétoscopes n'existaient pas). J'avais lu toutes les versions en livres, et d'une année sur l'autre j'attendais la nouvelle série d'une douzaine d'épisodes.

Me sont restés inoubliables "Au secours, Poly !" (le poney parvient à redonner courage d'essayer de marcher un petit Philippe qui ne tenait plus sur ses jambes) et "Poly à Venise" avec le coup du violon que le gamin sait en jouer tout seul, un père absent comme j'en rêvais, l'Italie, un aristocrate qui se laissait attendrir par son petit fils ignoré, un voyou au grand cœur qui soignait une morsure de serpent, deux amoureux en arrière plan comme à l'époque ma cousine préférée, bref, ce feuilleton racontait ma vie mais en mieux.

On remarquera qu'à part l'Italie et comme il était hors de question que j'approche un poney ailleurs qu'au jardin d'acclimatation pour faire un tour (et pas deux, attention), et que quand j'avais voulu faire du violon (mais je crois avant le feuilleton) on m'avait refourgué un piano, le "en mieux" portait une large marge.

Il y avait bien sûr les "Belle et Sébastien", mais comme j'aimais moins les chiens que les poneys, j'aimais vraiment mieux les Poly. Des chiens j'avais en fait peur  "grâce à" un incident de plage enfantin et ma mère qui nous imposait ses points de vue avec des notions de Bien et de Mal digne d'un discours de George W. Bush Jr après 9/11. Ma mère n'aimait pas les chiens, donc c'était des sales bêtes dont il fallait se méfier à tout crin. Elle n'aimait pas les chevaux non plus, mais le risque était moindre, nous en croisions peu ou de trait (1). D'ailleurs elle n'aimait pas Cécile Aubry pour une raison qui restait confuse et que je n'ai compris que bien après, tout juste concédait-elle que c'était "une pistonnée". Et puis elle n'aimait pas non plus le petit Mehdi, qui me laissait sympathiquement indifférente, je trouvais beaucoup plus beau mon petit fiancé d'en vrai, je n'allais quand même pas me laisser troubler par une pseudo-vedette de la télé ; en fait j'ai compris là aussi plus tard qu'elle n'aimait pas trop qu'il s'appelât Mehdi. Mais ce n'était jamais exprimé comme ça, plutôt des petites piques dépréciatives éparses quand elle passait dans la salle où je regardais et elle aussi parfois qui repassait.

De ce garçon, j'enviais qu'il fasse du cheval (surtout dans "Sébastien parmi les hommes" dont j'adorais le générique). Plus tard je n'avais pas aimé "Le jeune Fabre", mais pourtant l'avais suivi. Le côté "garage" et pouvoir travailler jeune (et donc être indépendant) me plaisait. Mais sinon, ça me paraissait si ridicule, ces histoires avec l'amour. Et je trouvais qu'en grandissant il s'était mis à jouer faux (1 bis).

En attendant, la marionnette Claire de "La séquence du jeune spectateur" nous proposait quand ce n'était pas les Poly, des "L'homme à la carabine" ou autres "Zorro" dont ma mère réprouvait la violence, alors les Poly tout "mal-pensants" et autopromotionnels qu'ils pouvaient lui sembler étaient un moindre mal. Elle exprimait une partie de son mépris mais me laissait regarder. Elle fit bien : je me serais sans hésiter (2) enfuie de chez moi si on m'en avait empêché.

Vu d'aujourd'hui les épisodes sembleraient sans doute bien naïfs et sucrés de bons sentiments, avec juste un zeste de subversion (3). J'y retenais surtout qu'en s'y mettant à tous à la fin on s'en sortait ; leçon qui m'a portée jusqu'à 43 ans et que je ne renie pas, même si je n'y crois plus tant. J'y apprenais aussi que les animaux pouvaient être aussi malins et bien plus secourables que les humains. Un autre truc que j'étais bien incapable de percevoir à l'époque, ça devait me paraître aller de soi mais en comparaison d'autres œuvres contemporaines c'était précurseur : les femmes et les filles n'étaient pas des nunuches, elles ne dépassaient pas certaines limites et faisaient la popote mais sur l'essentiel ne se laissaient pas faire néanmoins et manquaient de trouille.

Ce qui était remarquable aussi, c'est qu'on n'y prenait pas les enfants pour des idiots mais qu'on les considérait comme intelligents.

Pour tout ce vrac de raisons je me sens très redevable à la dame qui aujourd'hui a terminé sa vie. Je pense qu'une part de ma solidité devant l'adversité vient directement des histoires vues toute petite et qu'elle avait inventées.

J'aurais aimé lui dire merci.


(1) Hé oui dans le Val d'Oise, fin d'années 60, début des 70, persistaient des bribes fermières et pas toutes mécanisées.

(1 bis) Strictement aucune idée de si cette impression était fondée ou pas. Et très curieuse de quels pouvaient être à onze ans environ en la matière mes critères de qualité.

(2) Enfin si, un peu à partir de 1969 à cause de ma petite sœur bien-aimée.

(3) Les gosses désobéissent quand il s'agit de défendre une grande cause (qui peut être le poney), et au bout du compte on voit qu'ils avaient raison et plus personne n'ose les tancer.



Lire la suite "Poly orphelin et nous devenons vieux" »


La fille de James Stewart

C'est chez Fauvette et ça me parle, même si dans ma banlieue, brassage oblige, ça n'était pas tout à fait pareil puisque personne n'était vraiment là depuis très longtemps et que pour beaucoup on était d'heureux mécréants :

le caveau de famille

Je retrouve aussi cette réalité d'enfance des temps où l'on jouait dehors et que presque où qu'on aille on était menacés par un gardien probable. Les rares bois restants dans une banlieue qui se déruralisait nous étaient interdits par les parents pour cause de satyres (sic) potentiels - la pédophilie n'était pas encore à la mode -, et quand il y eut un terrain de sport - qu'on appelait La zone, en ce temps-là ça chichitait pas - certains autres parents n'aimaient pas qu'on y aille parce que jugé trop loin.

Donc être gamins c'était sans cesse être sur le qui-vive de gardiens, parents et autre confiscateurs de ballons. Ce n'est certes pas le sujet principal du billet de Fauvette, mais il me le rappelle bien.


Point de vue et sélections - billets du 14 avril 2/3

mercredi, vers 15 heures et puis au temps ancien


Un des charmes d'avancer en âge quand on n'a pas vécu que du dur, est que des petites remarques, des situations présentes, des gestes anodins peuvent vous rappeler soudain des moments enfouis et réouvrir des mondes.

Ma chance personnelle est que le plus souvent il s'agisse de choses douces, ou devenues telles par l'usure du temps, même si à l'époque elles me pesaient fort.

Il semble aussi parfois y avoir concordance mystérieuse d'éléments convergents. Ainsi tout à l'heure un touite réjoui de @tatianaderosnay, vous savez une de ces personnes qui a eu récemment l'outrecuidance de se prétendre française alors que l'administration un lot d'années après sa naissance tout soudain en doutait [lien à retrouver], m'a plongée dans un étonnement amusé et très peu après un billet de blog dans un lot de souvenirs similaires.

Alors "Point de vue - images du monde" c'était chez Le Docteur. Et "Sélections du reader's digest" chez Le Dentiste, à qui l'on disait aussi Bonjour Docteur et Merci Docteur par après.

De fait et ce qui peut sembler paradoxal, je profitais mieux des seconde que du premier. J'avais en effet cette chance de ne fréquenter le dentiste que pour des vérifications d'absence de caries et opérations d'accastillages adolescents. J'y étais donc en parfait état pour lire, quand chez Le Docteur des maladies j'allais généralement avec une fièvre épouvantable, un mal de gorge qui ne pouvait rien me laisser avaler, une toux qui sans arrêt m'interrompait. En ce temps-là faire venir Le Docteur à domicile était un luxe inouï, réservé aux cas de force très majeure. Un gosse grelottant de fièvre était donc posé sur un siège de voiture et transporté puis attendait en salle, redistribuant avec générosité ses microbes aux autres patients.

Me reste donc de "Point de vue - images du monde" des souvenirs kaléidoscopiques et confus de vêtures colorées, de personnages imaginaires (1). Leurs poses hiératiques étaient animées par ma perception que la fièvre troublait en même temps qu'elle leur inventait des histoires que les costumes appelaient. La fièvre et l'imagination ont un commerce étrange qui m'a joué des tours même adulte fort souvent.

Je crois qu'avant le touite d'hier, je n'avais plus repensé à ce magazine. Comme ça tombe que je ne l'ai pas recroisé, ou n'y ai pas prêté attention, il est probablement que si l'on m'avait demandé j'aurais peut-être mis jusqu'à son ancienne existence en doute, comme une sorte d'objet particulier qui faisait partie de la panoplie du médecin de famille presque au même titre que le stétoscope ; quelque chose que par prévenance il déposait dans la salle d'attente afin de faire diversion à nos maux et qui convenait pour petits et grands, mais qui sorti de cet espace réduit n'aurait eu aucune incarnation.

Des "Sélections du Reader's digest" j'avais une lecture beaucoup plus consciente et qui se délectait. J'étais aux âges où un bon livre c'est avant tout un livre qui raconte une histoire passionnante qu'on se douterait pas la fin, qu'on a envie de savoir vite, qu'on s'identifie à fond aux héros, bref, tout ce qui aujourd'hui délicatement m'indiffère - fors l'identification mais de façon bien plus subtile -. Je trouvais donc très judicieux de délester un roman ou un article long de toutes les scories qui gênaient la progression narrative. On pouvait comme ça en lire encore plus. C'était bath, vous comprenez ?

Mon sens critique n'allait guère plus loin que de trouver certaines histoires passablement nunuches. Je les appelais en mon fort intérieur "des histoires de poupées Barbies".

Le but du jeu consistait avant d'entamer une nouvelle lecture d'estimer correctement la coordination possible entre le temps d'attente restant et la fin de ses pages. Rien n'était moins supportable que d'être privée d'une fin au suspens insoutenable. J'ai comme ça un vague souvenir (réel ou recomposé ?) d'avoir négocié un jour que ma petite sœur passe avant moi et d'attendre mon tour en salle, le temps d'en achever une, s'il vous plaît (2). Et un autre d'avoir eu la bonne surprise qu'une fois entre deux rendez-vous les magazines n'aient pas été tant renouvelés et que j'y puisse lire la fin d'un récit interrompu quelques mois plus tôt. 

Enfin je ne saurais dire d'où ça vient, mais le resurgissement de ces souvenirs enfouis, tout à l'heure m'a fait du bien.

Merci donc à Tatiana de Rosnay et Nicolas Dickner pour ce qu'ils ont partagé de façon si synchronisée. Merci aussi à François Bon pour transmission du second lien.


(1) sauf la reine d'Angleterre que je savais exister pour de vrai, et les royaux d'Espagne que pour une raison ou une autre j'imaginais séquestrés par le général Franco et que je regardais avec la compassion qu'on accorde aux prisonniers. Je trouvais le roi des Belges particulièrement bien inventé et amusant. Leur peu de réalité m'était confirmée par la présence d'une actrice parmi eux (Grace Kelly qui après sa séance de pose s'en allait bien évidemment rejoindre son mari Gene - la fièvre n'entamait en rien ma logique impavide -), c'est donc bien qu'ils jouaient des rôles.

(2) ou à l'inverse de négocier de passer avant ma mère et ma sœur puis filer les attendre dans la salle et pourvu qu'elles en aient pour longtemps (pensée peu charitable si l'on y pense un peu).

160410 18.13


Recevoir la lune

(à nos mères irritées)

Il y a quarante ans, d'une banlieue parisienne.

Mon souvenir en est sans doute recomposé, puisque j'ai l'image d'un lever à l'aube quand c'est du soir français (me dit-on) qu'il s'agissait ; puis d'un père chuchotant quelque chose comme "Ça y est, ils sont arrivés".

Il ne s'agissait pas de mes cousins germains, que j'adorais, mais bien des cosmonautes (1) et qui alunissaient.

Que ça ait eu lieu un tard le soir et que papa me réveillait, ou un très tôt matin et que c'était elle par le bruit levée qui peinait à émerger, j'en garde forte impression d'irritation maternelle. Elle devait désapprouver une entorse à la régle rigide qui me voulait tôt couchée (2) ou bien de se croire obligée elle aussi de se lever alors qu'elle attendait un bébé tout bientôt à venir et qui lui pesait. Mémoire d'un été chaud (le fut-il ?) où elle souffrait et où de reproches justifiés (3) en réprimandes de principe (4) j'étais en train de perdre Mamamanbienaimée.

J'avais du mal à le croire, des êtres humains là-haut, dans cet astre étrange qu'on voyait certaines nuits, et les fusées comme des avions en pire. Souvenir précis des explications d'un père lui-même fasciné, et je dirais heureux, les étages successifs qui se détachaient et à la toute fin du périple le petit berlingot (5) qui tombait à la mer. Et ce sentiment d'injustice pour la période de quarantaine que ces grands voyageurs devaient subir après. Je les imaginais pères de famille avec des enfants éprouvés de ne pouvoir leur sauter dans les bras après déjà tant de jours et tant de grands dangers. J'étais si heureuse qu'il m'explique même si j'étais une fille et qu'il ne s'en tire pas avec l'esquive habituelle, Tu es trop petite (variante : Quand tu seras plus grande) que si souvent ma mère ou lui m'opposaient.

Il me reste aussi que la transmission du son me sidérait davantage que celle des images, allez savoir pourquoi. Peut-être parce qu'en ce temps là le téléphone était rare alors qu'envoyer des photos (d'accord sur papier, mais quand même) se faisait couramment.

Et une sorte de croyance populaire, naïve mais très ancrée : le progrès est si fort qu'il nous sauvera et puisqu'on est capables d'envoyer des humains là-bas on saura bien éviter cette foutue guerre nucléaire qui nous menace perpétuellement. Je ne crois pas que mon père l'ait dit mais je crois qu'il y croyait et se disait quelque chose comme puisqu'on a su faire, je ne connaîtrais pas, de mon vivant, de nouveaux bombardements et pas non plus mes enfants.

A ces bonheurs rares, se superposent quelques frustrations : que la phase entre le début de la retransmission et le premier pas ait été longue, si longue, bien trop longue. Qu'en revanche, après : bon, c'était fait, allez basta. Et pour cette part j'ignore si ce serait parce qu'on m'avait obligée à retourner dormir ou si c'était l'émission elle-même qui avait cessé. Et que j'aurais bien voulu revoir mais que ce fut une seule fois car pour cause de veto maternel je n'eus pas le droit jusqu'à un âge assez avancé de voir le moindre journal télévisé à cause des horreurs qu'il y avait. Et que bien sûr en ce temps-là les magnétoscopes s'ils existaient c'était pour la Nasa.

Et rétrospectivement je me rends compte combien c'était un privilège de grandir du bon côté de la planète dans un monde en progrès où tout irait de mieux en mieux. C'était l'évidence même. Rendez-vous compte, aller sur la lune, On l'a fait, rien ne pourra Nous résister.

Et ce sentiment, si gratifiant pour un petit enfant, d'avoir participé même si ce n'était que devant une télé à l'image vacillante, à Un Moment Historique, d'avoir comme les grands contribué.
 Fierté et émerveillement.


(1) Je sais qu'on dit astro- pour les USAméricains mais dans ma banlieue pourtant pas trop cosmopolite, on disait cosmo- pour tous. Et puis d'abord c'était logique vu qu'ils allaient dans le cosmos et non dans l'astros.

(2) Et que dés que j'ai su lire j'ai maladroitement détournée en attendant leur propre endormissement pour rallumer et bouquiner. Non mais.

(3) Je voulais apprendre à lire et on ne m'apprenait pas, du coup, comme j'ai vu longtemps plus tard dans "Pierrot le fou", je traînais dans ses pattes en litaniant "J'sais pas quoi faire", ou "J'm'ennuie" ; variante probable : je faisais des bêtises qui devaient l'excéder.

(4) Genre dans lequel mes parents excellaient.

(5) A l'époque le lait dans nos supermarchés naissants se vendait en berlingots et je trouvais que la forme ressemblait.