Someone young

 

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Troublant de retrouver cette photo de jeunesse parmi les clichés ressurgis. J'en sais la provenance : lors des rangements qu'à la faveur de ma période de chômage j'ai entrepris, j'ai croisé mon premier passeport. J'avais fourni à l'époque ma seule photo "officielle" [faite chez un photographe, précisément pour ces usages] et qui datait, je crois de 1978 (ou 1979), alors que j'étais en 3ème ou en seconde, coiffure fait-maison par souci d'économie, par ma maman (1).

Du coup j'ai repris en photo la photo, pressentant sans doute que la lecture du nouveau roman d'Annie Ernaux ("Mémoire de fille") me ferait beaucoup réfléchir sur la relation que l'on a avec nos "moi" d'avant ; qui suis-je par rapport à cette jeune fille d'un autre milieu social et d'un autre temps ?, cette gamine qui se pensait vouée à la recherche en physique nucléaire et quantique et comptait s'y dévouer corps et âme, persuadée que c'était là son rôle et se demandant comment faire pour aller jusqu'à lui. Je croyais devoir être chercheuse je suis devenue ingénieure, je pensais devoir me résoudre à être écrivaine, je suis devenue libraire, au fond, il y a une logique dans la démarche, y compris aussi dans ma vie affective où amoureuse je deviens l'amie. On ne pourra pas me reprocher de ne pas systématiquement tenter ma chance et retomber sur mes pieds (quoiqu'un tantinet à côté).

Je n'en reviens en tout cas toujours pas, si longtemps après et avec la santé fragile qui était la mienne, d'être encore là et plutôt plus en forme, plus solide, résistante et dynamique qu'autrefois. Puisse ce privilège m'être accordé encore quelques années. Je n'en ai pas fini avec ce qui me semble devant être fait.

PS : C'était quand même mieux lorsqu'on pouvait avoir sur son passeport des vraies photos de soi et non des images bizarres, sans notre allure habituelle, strictement (stristement ?) dictées par la loi, les cheveux qui ne dépassent pas.

 

(1) Ce qui explique que désormais, j'attende d'avoir quelque argent pour aller voir ma coiffeuse, une excellente professionnelle et que je préfère laisser pousser la tignasse lorsque les finances sont faibles. 


The flavour of the day

Donc voilà tu es gamine, pré-ado puis ado et ça se frite dans les discussions entre les tenants du vrai rock (les Stones, les Who) et ceux d'un truc qui fait plutôt figure de pré-boys bands (mais on ne sait pas encore que ça existera (les boys bands)) qui est les Beatles et autres copieurs, quoi que Sergent Pepper's ait bluffé tout le monde et que le Floyd ce ne soit pas honteux. Et puis il faut bien se démarquer des goûts des grands frères, déboulent les Bee Gees, et ça lamine tout et ceux qui n'aiment pas, mais alors pas du tout, se réfugient dans le Punk et personnellement tu ne t'y retrouve plus. Alors tu écoutes ton bon vieux Bach et par ailleurs de la musique à danser (Michael Jackson apparaît ; Imagination c'est pas mal non plus, il y a Fame et puis Flashdance et déjà on est d'ailleurs dix ans après).

Sortir de l'enfance c'est prendre conscience de l'impermanence des choses : tu as donc pigé qu'un groupe rock, un vrai, ça n'est pas fait pour durer, entre les overdoses, les vies de famille (ben oui, même les rockeurs se font un jour rattraper), les pétages de plomb dû au fait d'être devenus riches (très jeune tu as remarqué que la richesse et le pouvoir esquintent, qu'il faut être sacrément costaud ou de qualité supérieur pour ne pas fondre un fusible quand ça te revient).

Par ailleurs le monde dans lequel tu grandis c'est : Il y a les Russes que c'est les méchants et les Américains qui sont des méchants un peu gentils, ils nous ont sauvé en 44, et il y a de la liberté chez eux si tu as de l'argent mais de toutes façons quand tu es pauvre, où que tu vives c'est la galère. T'es juste plus ou moins crevant la dalle plus ou moins en prison pour avoir crier que tu n'en pouvais plus ou tenté de te procurer ce qui te manquait et que tu ne parvenais pas à obtenir par un autre biais.
C'est un monde dans lequel une guerre nucléaire peut péter d'un instant à l'autre. On en est conscients, adultes comme enfants, un peu comme quelqu'un qui est atteint d'une maladie à crises : ça va, ça va et tout d'un coup, paf, la crise survient. Il y a des points de démarrages possibles pour la Grande et Définitive Fâcherie. Le Vietnam d'un côté, Cuba de l'autre, en 1973 le Chili. En fait chaque fois qu'il se passe un truc grave, on se dit C'est foutu, ça y est. Il y a aussi Israël et la Palestine mais en tant qu'enfant en Europe, tout ce que tu comprends, et tes camarades de classe c'est pareil, c'est que tu n'y comprends rien, que c'est super compliqué et que les adultes ont pourtant souvent des opinions très tranchées, et s'engueulent facilement sur le sujet mais que personne n'arrive vraiment à expliquer. Les Russes et les Américains, au moins c'est simple.

Il y a un type que tout le monde admire chez les jeunes, les grands frères, les cousins, il est sur les tee-shirts, il s'appelle Che Guevara. Et c'est vrai que sur la photo il a une bonne tête. Un jour tu comprends au vol d'une conversation entre jeunes plus grands qu'il n'y a qu'une photo (!) parce que cet homme est mort, il est mort en aidant des gens à faire leur révolution mais ça n'a pas marché, alors que ça avait marché la fois d'avant, à Cuba, justement.

Tu comprends que révolutionnaires et rockeurs sont des boulots à forte mortalité et que quand tu ne meurs pas à un moment de toutes façons tu es trop vieux pour continuer. C'est des jobs de jeunes.

Un jour tu lis (probablement dans un article de l'Express puis du Nouvel Obs que tu piques le vendredi à ton père pour le lire en loucedé avant qu'il ne rentre de l'usine (une vraie)) la date de naissance du monsieur sur les tee-shirts tu t'aperçois que c'est la même année que ton père, qu'en fait s'il n'était pas mort il serait un vieux qui engueule sa femme et ses gosses, parce que le dîner n'est pas prêt ou les notes pas aussi excellente qu'il ne le faudrait.
Un (début de) mythe s'effondre.

Comme tu fais allemand première langue, parce que les bons élèves font allemand première langue et c'est comme ça, et d'ailleurs c'est intéressant cette langue mathématique avec des déclinaisons comme ça chaque mot dans la phrase dit à quoi il sert (mais à apprendre, ce que c'est casse-pied), que tu as fait le voyage scolaire vers Hanovre, vu la frontière, lu des livres, rencontré des gens super sympas aux familles coupées, tu sais l'Est, l'Ouest, la frontière, que ça rigole pas. Avec tes camarades de classe tu as vu les miradors, le no man's land, les chiens patrouilleurs et leurs maîtres. Tu t'es dit que ça n'allait pas, mais qu'il y avait un sacré boulot pour changer ça, que ça allait être la tache principale de ta génération, ça et la pollution qui commence à devenir inquiétante (1).

Quarante ans plus tard, la planète est plus en danger que jamais il est peut-être déjà trop tard, des blattes et des robots capables d'apprendre survivront peut-être, mais pour l'humanité ça semble plié. L'argent roi, la course au profit a triomphé dans le monde entier, des garde-fous n'existent plus que de façon locale, les démocraties ne sont plus que des façades, les multinationales se moquent des frontières (s'en moquaient déjà mais avant l'internet et qu'on puisse soi-même causer directement avec des inconnus à l'autre bout du rond du monde, on en était moins conscients). Au mieux votre environnement ressemblera au village dans "Le prisonnier" au pire à l'enfer sans trompe l'œil. On a atteint le point où les idéologies clef en main qui quarante ans plus tôt vendaient certes des délires, mais plutôt pacifiques, poussent les gens vers la mort rendue attractive et d'y entraîner un maximum d'autres gens. Les marchands d'armes se frottent les mains.

Et voilà que tout soudain, les gars d'antan qui auraient logiquement dû mourir chacun quinze fois au vu des excès accomplis, ou se séparer vingt fois, sont toujours là et plutôt fringants (si à 72 ans je peux encore gigoter comme Mick maintenant, je signe tout de suite), et se produisent là où c'était très exactement inimaginable quelques décennies avant. 

Alors OK c'est burlesque et par là dessous une question de gros sous, mais il n'empêche que ça laisse assez bien supposer que TOUT EST POSSIBLE.

Même (surtout ?) de façon totalement farfelue.

Tout espoir n'est pas perdu. La survie sera bizarre.

The flavour of the day is strawberry.  

(Reste que : des morts et des disparus qui va nous consoler ?)

 

(1) On ne parle en ce temps là pas encore de réchauffement climatique dans les classes populaires, je suppose qu'à l'époque des scientifiques savent déjà mais pas le grand public, seulement il y a eu Seveso et avant cela Minamata, tu as vu à la télé des reportages (documents INA). En ce temps-là la télé se veut plus pédagogique que vendeuse de temps de cerveau disponible. Seveso t'a marquée car vous habitez près d'une usine de fabrication de scotch (entre autres) et certains jours l'air est bizarre (mais on ne sait pas si ça vient de là)


The no more secret diary of Gilda F. aged 12¾


    Parfois je suis fière de moi. Ou plutôt de la moi que j'étais (la moi du présent étant généralement gluante de fatigue et empêtrée dans diverses difficultés). Ce soir je suis extrêmement fière de la gamine de 12 ans 3/4 qui tenait un journal pas intime, mais très précis, un vrai carnet de bord, avec durant les congés scolaire un soin méticuleux (1).

En vue d'un de mes chantiers d'écriture, que j'espère avoir enfin le temps de lancer si je parviens à arbitrer décemment entre emmerdes de fric et boulots rémunérés à devoir accepter pour faire face aux premières, je relis le diario de l'été 1976 et ainsi : 

  • Retrouve la description pas mal rédigée du tout des conditions de casernement du bataillon de Joinville où l'un de mes cousins effectuait son service militaire ; lequel cousin en m'offrant un livre illustré sur les atomes et ce qu'on en savait alors m'embarqua dans une vocation qui me tint de 13 à 19 pour la physique nucléaire et quantique et qui reste comme quelque chose de fondateur, une sorte de socle stable de moi ; 
  • Réapprends que le vainqueur du Tour de France cette année-là fut Van Impe suivi par Zoetemelk. Le troisième était Raymond Poulidor que j'appelle Poupou, on disait tous Poupou. Et alors que je n'écris quasiment que des faits, sans aucun affect sauf quand il s'agit de supporter l'ASSE, je prends la peine de préciser "C'était le dernier tour de Poupou - il a 40 ans -."
  • Constate que conformément à la mémoire que j'en conservais, je regardais tous les jours les J.O. de Montréal, avalant toutes les disciplines que les retransmissions nous proposaient. Et c'est ainsi qu'en toute logique : 
            Jeudi 22 juillet par un temps variable et alors que nous disposions de la voiture (2)
    Je note que j'ai écrit au magazine de fooball "Onze" (3) Puis j'ai été poster la lettre et acheter du pain. Comme d'habitude, j'ai passé la première partie de l'après-midi à jouer avec Valérie (ici) et à regarder "Au cœur du temps" et puis la deuxième partie à regarder les J.O. - Nadia Comaneci est médaille d'or au concours général de gym avec 10 aux barres asymétriques et 10 à la poutre -. Ce soir nous avons attendu jusqu'à 22 heures 25 pour voir 5 mn des J-O dont nous n'avons rien vu. (écrit le 23-7-76 à 9 heures 25)

La dernière phrase peut sembler bizarre mais il convient de savoir ou se souvenir qu'en ce temps là les magnétoscopes n'existaient que chez les riches et l'internet restait à inventer (ou commençait de l'être mais bien loin d'atteindre le grand public). Si nous voulions revoir Nadia il nous fallait attendre un résumé du jour ou la part sport d'un journal télévisé. C'est visiblement ce que nous avions tenté de faire - en vain. J'en rajoute un peu dans la formulation, c'est mon côté pince-sans-rire lequel n'a pas bougé et qui chez mon fils s'est trouvé dupliqué. 

L'autre élément notable est que tous les autres jours je consigne uniquement le fait que nous regardons les J.O. sans rien en détailler, fors une fois une "scène" (on disait faire une scène en ce temps-là) faite par ma petite sœur qui prétendait du haut de ses six ans se coucher aussi tard que moi qui en avait le double et à qui l'on permettait visiblement de regarder la télé un peu tard pendant les congés scolaire et s'il s'agissait de sport. Donc la mention des 10 de Nadia est significative. Quarante ans plus tard ou peu s'en faut, j'ai souvenir de l'éblouissement, d'être restée bouche bée. D'autant plus éperdue d'admiration que j'avais un réel handicap de coordination pour la gym (Quant à la danse c'était pour moi un mystère absolu, pourquoi les êtres humains se secouent-ils en rythme ? Comment fait-on pour suivre un rythme ?) qui m'avait valu dans l'année scolaire un déshonorant 5/20 malgré d'immenses efforts. Je mesurais donc parfaitement la portée de l'exploit.

 

 

 

(1) Et une écriture en pattes de mouche assez effrayante. Je crois que j'économisais le papier et suivais peut-être une forme de protection contre les intrusions. 

(2) Il faudra un jour que je décrive le co-voiturage précurseur qu'avaient mis en place mon père et trois de ses collègues pour aller de leur banlieue pavillonnaire à l'usine, située à 30 km de là. C'est typique d'une époque. Ce système permettait aux épouses de disposer du véhicule familial trois semaines sur quatre. Et donc aux enfants de ne pas toujours circuler en vélo sur des distances de 2 à 3 km (collège, lieux pour faire les courses familiales, centre d'entraînements des activités sportives ou conservatoires de musique)

(3) D'une façon totalement adrianmolesque. 

 

nb. : Bien sûr le titre est une allusion à celui de Sue Townsend 

L'intégrale de la compétition ici : Et le prélude en mars, sur fond de Abba l'air de rien : Quarante ans plus tard je souris en pensant que si on m'avait dit qu'un jour je publierai une nouvelle dans laquelle les conséquences de ma lettre ou la suivante au magazine de foot interviendraient, je recoudrai lors d'un salon du livre un bouton de manche de chemise de l'un, et que je croiserai la troisième sur les réseaux sociaux - concept alors à peine imaginable -, j'aurais alors traité le messager de fou rigolo. Ça va pas la tête ! Complètement gaga. La vie est dure mais elle sait être drôle aussi. D'autres extraits par là même si le documentaire porte sur Nelly Kim

Par ici le début d'un documentaire intéressant (avec les deux passages aux barres asymétriques dont celui avec la sortie par l'avant qui quarante ans plus tard m'épate encore tant)

Enfin au tout début (ce que dit Nadia Comaneci) et par bribes au cœur de ce documentaire par ailleurs un peu pesant, quelques éléments intéressants. 


Au gré d'une recherche orthographique

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Nous ne voulons pas être triste
C'est trop facile
C'est trop bête
C'est trop commode
On a trop souvent l'occasion
C'est pas malin
Tout le monde est triste

Nous ne voulons plus être tristes

Blaise Cendrars
(Feuilles de routes) 

Au gré d'une recherche orthographique je retombe sur LA chanson que je braillais en boucle durant l'été de mes sept ans - mes parents soudain remontent dans mon estime, les pauvres, ils ont dû en baver, on n'avait pas encore d'autoradio dans la voiture pour couvrir les chants hasardeux des enfants, on en faisait des kilomètres pour aller jusqu'en Italie et là-bas circuler, et je la chantais sans arrêt -. 

Sauf certains morceaux de couplets, je savais tout par cœur, à l'oreille, en comprenant qu'il s'agissait de profiter quand ça pouvait d'être heureux, comme sur un petit bateau qui vogue au fil de l'eau et que ça parlait aussi de la fable de cigale et la fourmi (pas mal, pour quelqu'un qui ne parle pas la langue, je suis fière de mon moi enfantin, mais peut-être que les cousines avaient donné un coup de main pour tenter d'expliquer ?).

 

Plus de quarante ans plus tard, la mémoire enfantine se réactive instantanément et je la sais encore, c'est presque effrayant.

Je me demande si le fait d'avoir des chansonnettes de tous pays enregistrées dans la cervelle, le plus souvent à notre insu, et qui peuvent ressurgir n'importe quand (1) est une pathologie dûment identifiée et possédant un nom. En tout cas je sais que c'est héréditaire : en a hérité le fiston.

PS : Pas certaine d'avoir envie de me soigner, c'est quand même plutôt marrant, ce fut utile à la chorale (je mémorise aussi les chants plus sérieux sans trop savoir comment (2)), et ça dépanne parfois les amies ;-) 

PS' : Et si vous n'êtes pas sages, je vous chante le sirop Typhon (je décline toute responsabilité si vous cliquez sur ce lien et vous retrouvez avec cette rengaine scotchée) dont on me signale à l'instant dans l'oreillette la V.O. 

 

(1) Là, ça va, ça revient parce que je l'ai retrouvée, mais parfois une chanson me réveille la nuit et j'ignore totalement ce qui me l'a rappelée.

(2) Inconvénient : ça fait de moi une piètre déchiffreuse.


Le soir où je découvris que j'étais diariste depuis 39 ans 11 mois et 6 jours

 

Tout est parti d'un courage de rangement que l'homme a eu en fin de journée, lequel m'a donné l'élan de m'attaquer à mes propres tas. 

Telle Frances Ha, "Je ne suis pas bordélique, j'ai mieux à faire". Et contrairement à elle, je ne dispose pas d'une belle énergie. Depuis l'automne dernier, moment des premiers froids je ne suis pas parvenue à dégager assez de force pour autre chose que le travail et mes activités de santé (les différents entraînements sportifs, le kiné ...) et l'écriture quotidienne, les photos. La tenue de la maison, déjà fortement compromise par les aventures précédentes, de l'inondation montante (2008 ?) au changement de vie (janvier 2009) et à cette étrange inclinaison que je semble avoir pour collectionner les chagrins puissants (tout le contraire de mes ... non, rien), est carrément partie à vau-l'eau et comme le faisait remarquer le fiston, Notre appartement, dans le fond, c'est comme un cagibi géant.

D'ordinaire j'utilise l'été et l'énergie que le soleil m'accorde pour remettre un minimum les choses en ordre de marche. Cette année les circonstances subies m'ont rendue de ce point de vue peu opérationnelle.  Et donc voilà, aujourd'hui nous nous sommes attaqués chacun pour sa propre paperasse à 9 à 10 mois d'arriérés empilés.

J'ai soudain retrouvé deux agendas 2013, dont un qui ne me laisse aucun souvenir - je le soupçonne d'être un cadeau (mais offert par qui ?) de clientèle, ou que quelqu'un qui en disposait gratuitement m'aura dit en début d'année Tu en veux, je te le donne -. Je m'amuse à en faire un touite, histoire de faire sourire les amis qui le lundi soir de reprise ont un peu de blues rémanent. @annbaclene me répond alors, qu'elle utilise cette année un agenda de 1974 retrouvé inutilisé et dont les jours de la semaine coïncident avec 2013. @matoo repense alors à l'agenda 1946 de sa grand-tante, lequel est d'un modèle similaire à ceux que j'usais dans les années 80, j'envoie donc une photo avec le hashtag #avantlesblogs et alors il a cette idée qui va ensoleiller ma soirée : 

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Parce que soudain je suis rattrapée par l'envie d'aller y voir aussi dans mes documents anciens. Quand ai-je commencé ? Par quoi ? Je me souviens que dès le CE2 j'ai été marquée par la fuite du temps et l'imperfection de la mémoire, que mes premières velléités de lutter contre doivent dater du CM1 (grâce à Madame Banissi, mon institutrice inoubliable, et à Marcel Pagnol et ses souvenirs d'enfance qu'elle nous fit découvrir). Et ce que je retrouve assez vite c'est un agenda de l'année 1973/1974, uno diario car je les achetais ou on me les offrait lors du voyage annuel familial en Italie.

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J'ai dû choisir celui-là parce que j'aimais les animaux, totalement inconsciente du fait qu'il s'agissait de signes du zodiaque. J'ai déjà dans l'idée d'y tenir un carnet de bord mais écrire est long quand on a dix ans et les journées d'école puis les devoirs puis le piano puis de devoir apaiser l'inévitable dispute quotidienne des parents (quand la soirée n'est pas perturbée par l'irruption de la voisine que son mari alcoolique battait) (et sauf les soirs de matchs : mon père s'installe devant SA télé, ma mère fuit le foot, ma petite sœur se couche tôt et moi je vaque à ma petite vie jusqu'à l'âge où je parviens à obtenir le droit de regarder "le début", puis "allez, la première mi-temps, je vais me coucher à la mi-temps" puis grâce à Saint-Étienne le droit de me coucher tard les soirs de football (mais seulement ceux-là)) tout ça remplit en entier le temps. Difficile d'écrire (déjà le même problème) (et toujours pas de solution).

Il me faut donc un fait divers pour me décider, et pas n'importe lequel : 

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Ce n'est pas très lisible mais en date du "giovedi 20 settembre" j'avais écrit en soulignant certains mots "3h du matin : essence volé à la mille". 

Et est-ce parce que j'avais noté, je m'en souviens très bien : en pleine nuit la police qui sonne, est-elle à vous cette voiture (il s'agissait d'une vieille Simca Mille dont ma mère disposait pour les trajets quotidiens, dont ceux de conduite à l'école, laquelle était à environ 2 km de la maison) ? et à la réponse de mon père par l'affirmative, on nous avait appris que des gars venaient d'être pris en flagrant délit de siphonage (1). On sut assez vite qu'il s'agissait du fils d'un voisin, lequel vint plus tard présenter excuses et offres de remboursement. Je me souviens des discussions, celles-ci constructives, entre mes parents, l'un comme l'autre s'interrogeaient sincèrement sur la conduite à tenir quant à un éventuel dépot de plaintes, et mon père, se sentant sans doute un peu l'étranger et considérant que sa femme devait être plus au fait de ce qui se faisait ou non, pour une fois ne considérait pas que c'était l'homme qui savait. En fait ils étaient un peu soulagés : depuis quelques temps ils trouvaient que la voiture consommait vraiment beaucoup, envisageaient de s'en séparer, et voilà que la mécanique n'était plus en cause, mais un ado en manque d'argent. J'ignore ce que fut leur décision finale : en ce temps-là on renvoyait les enfants à leurs affaires lorsqu'ils posaient trop de question sur la vie des grands.

Le surlendemain de cette aventure - être réveillés par la police en pleine nuit ça n'était pas rien - je note que je mesure 1,31 m et ma petite sœur 98 cm -.

Ma première entrée conséquente concerne un remaniement scolaire, avec noms et schéma. Ça devait sans doute être très important pour moi.  P8265779

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le reste des notes concerne : les anniversaires, nombreux, auxquels j'étais invitée, ce qui devait poser, je n'y songe qu'à présent, de petits problèmes budgétaires à force, un relevé de notes  P8265785

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On découvre aussi la naissance d'une vocation :

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et la fin d'une autre, par décret parental (ce que, déjà méfiante quant à des regards intrusifs potentiels sur mon agenda, à l'époque je ne précise pas, tout mon chagrin est dans le "Nathalie continue", atténué par le fait que je suis contente pour qu'elle, contente qu'elle au moins puisse continuer)

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Si mes parents n'avaient pas été aussi étriqués, je serais peut-être une grande actrice à l'heure qu'il est - je garde un souvenir ébloui de ma période d'essai, en gros jusqu'au jour où on m'a dit, si tu veux continuer il te faut l'autorisation de tes parents (et sans doute aussi un peu une cotisation) -. Ma mère, qui pourtant dans sa jeunesse avait fait du théâtre amateur, n'avait rien voulu savoir. Et mon père pensait que faire du théâtre n'était pas convenable, en admettant que jeune fille je continue.

Il y a aussi plein d'entrées qui se résument à ça : 

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ce qui eut pour conséquence l'année suivante la fin de ma vocation de nageuse. Celle-ci me tenait tant que j'ai noté en les numérotant toutes mes séances d'entraînement. À 10 ans.

Il est troublant de remarquer que déjà à cet âge, je n'arrêtais rien par moi-même, subissant les fins. Quand quelque chose ou quelqu'un me plait c'est très stable et je m'y tiens, mais interviennent toujours des éléments extérieurs pour mettre fin à ce qui pour moi était heureux, satisfaisant ou prometteur. Il me faut apprendre à voir l'aspect positif de cet état de faits : je sais reconnaître ce qui me convient, aimer de tout mon cœur et une fois la décision prise m'y tiens jusqu'à ce que vents et marées soient plus forts que moi. Et au besoin, comme pour la natation ou récemment pour le football, j'y reviens dès que la voie est libre. Avec cet esprit de compétition très développé mais particulier (2) : en toutes choses tenter de devenir le meilleur de soi-même, d'aller jusqu'au maximum que ce que nous permettent les circonstances et nos capacités. Peu importe si le voisin est meilleur ou moins bon, de toutes façons il ne partait pas avec les mêmes handicaps et atouts. Ça fait presque un peu peur d'avoir si peu changé.

Mais j'aimais quand même assez bien avoir congé aussi :

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Merci encore à Matoo pour l'idée de retrouver les premiers carnets, c'était amusant et très instructif. Réconfortant aussi.

PS : J'ai peut-être déjà publié un billet sur ce même sujet, mais ne l'ai pas retrouvé. Peut-être était-il resté à l'état d'intention.

 

(1) Je crois qu'à l'époque les réservoirs des petites voitures ne fermaient pas même à clefs. Les ceintures de sécurité venaient tout juste en France d'être rendues obligatoires (à l'avant) et les appui-têtes n'existaient que sur certains modèles.

(2) Sans doute celui de tous ceux qui ne sont pas nés de tout à fait pleine santé


Le sac spécial Thons

 

C'était je dirais au début des années soixante-dix. Les fins de mois avaient cessées d'être épouvantables pour mes parents et mon père n'était plus rendu fou de fatigue du cumul de deux boulots, c'était ces années où l'inflation n'était pas de pure hostilité envers les salariés dont les rémunérations étaient pour partie indexées - du moins en France (1), ça n'a pas duré -. 

D'Italie, une de mes tantes ou cousine aînée (2) avait demandé puisque nous avions ce privilège inouï d'habiter Paris, ville si prestigieuse, si nous pouvions pour elle acheter un sac Vuitton, que bien sûr elle rembourserait. 

Le premier réflexe de mon père avait été de dire Je te l'offrirai. Il n'a pas insisté quand plus tard il a vu le prix stupéfiant de l'objet.

Le premier réflexe de ma mère a été de dire : - Un sac quoi ?

Le mien de me demander quel sorte de sac ça pouvait bien être : je connaissais les sacs à mains, les sacs à dos, les sacs de couchages, les sacs à patates, mais que diable pouvait bien être un sac vui-thon ? J'imaginais aussitôt un sac à provision particulier, d'une absolue étanchéité et destiné aux jours d'aller chez le poissonier, histoire que la ménagère ne sente pas le merlan sur le chemin de retour au bercail.

Mon père a alors expliqué : - C'est une marque. Elle m'a dit qu'ils avaient un magasin sur les Champs-Élysées.

Puis avait décolé une de leurs sempiternelles disputes sur le thème Tu vas à Paris tout le temps dilapider l'argent du ménage (3), tu peux bien y aller pour rendre service. Ma mère protestant qu'elle n'était pas là pour satisfaire les caprices de snobisme des autres, et comment on va faire, avancer l'argent ? Ça va être hors de prix. Et puis comment savoir où c'est ?

Il est vrai qu'en ce temps-là, pas d'internet, pas même encore de minitel, j'ai l'impression que mes parents ignoraient l'existence d'un service de renseignements téléphoniques (ou la connaissaient mais craignaient qu'y faire appel ne fût horriblement coûteux) et les annuaires de la maison ne couvraient que le Val d'Oise où nous vivions. 

Je crois m'être proposée pour aller chercher dans les annuaires de la poste. Le sac devait être pour quelqu'un que j'aimais bien, et je souhaitais couper court à la dispute. Comme d'habitude j'avais brillamment réussi à détourner les deux colères sur ma personne. Un moindre mal. 

Ma mère, agacée a consenti à accepter, ajoutant un dédaigneux, Je demanderai à mes amies, qui aurait pu remettre le feu aux poudres étant donné qu'un autre grief paternel était que son épouse se prenne pour une bourgeoise et via ses activités sportives de femme au foyer fréquentât quelques dames d'un milieu social inconvenant pour une femme d'à peine plus qu'ouvrier.

Mais mon père s'était dit que l'essentiel était dans l'achat consenti et avait poursuivi sa colère sur un autre sujet, une fois la tempête lancée, il n'était pas immédiat de l'apaiser. Dans ces moments-là même ma petite sœur pouvait tomber dans le collimateur. Je tiens à préciser que mon père n'était jamais violent physiquement, il ne frappait pas, mais sa force présentait une menace, le fait de sentir qu'il se retenait au prix d'un grand effort, et ses colères des ouragans. Persuadée que je devais protéger ma pauvre petite sœur de la dynamique destructrice des parents j'étais la seule à m'opposer frontalement lorsque vraiment ils dépassaient les bornes. Et je me réfugiais dans le travail scolaire à outrance, c'était ce qui dépendait de moi, ce qu'ils respectaient, mon havre de paix. Il faut parfois se méfier d'une forme d'excellence scolaire, qui crie une détresse.


J'espérais vaguement que l'achat du sac serait l'occasion d'une expédition collective : ma mère, ma sœur et moi ; l'opportunité de découvrir un quartier que je n'avais fait que très rarement croiser. Seulement ma mère, comme pour compenser le dérangement, avait profité de la bénédiction du mari pour s'accorder un jour de liberté alors que nous avions classe. Je me souviens vaguement d'avoir pressenti quelque chose à la voir en semaine habillée en dimanche de ceux où quelqu'un vient - fête de famille, plus rarement collègue du père -. Elle avait dû se dire, non sans raison, que si elle entrait dans une boutique de luxe avec ses vêtements quotidiens on ne la prendrait pas pour la cliente que les circonstances faisait d'elle. Elle ignorait qu'il n'est plus fort marqueur de décalage social que le fait d'avoir l'air endimanché. Je l'ignorais aussi à l'époque et nous croyais sincèrement plus beaux avec nos "beaux" habits, lesquels de toutes façons devaient sembler minables à qui s'y connaissait. 

Au soir la mère était de retour, le dîner de retard, mais l'excuse de marbre, Je suis allée chercher le sac pour xxx, mon père n'avait pas crié ; ma mère avait raconté son périple, les vendeuses méprisantes et surmenées, l'agitation, certains clients qui faisaient des achats énormes entre lesquels il fallait parvenir à s'intercaler, les prix qui stupéfiaient et qu'elle n'avait pas eu le courage de demander un paquet - mais après tout ce n'était pas un cadeau -. Elle avait ajouté qu'elle ne comprenait vraiment pas ce que tout ces gens à ces sacs-là trouvaient.

- Mais qu'est-ce qu'ils ont de spécial, ces sacs ? Je souhaitais comprendre, ma petite sœur, vive et curieuse de tout, voulait voir, alors ma mère avait précautionneusement entrouvert l'emballage, si soigné qu'il ressemblait en tant que tel à un paquet pour un cadeau, et nous avions découvert cette texture granuleuse, ce marron à nos yeux quelconque et les lettres enchassées dont je trouvais qu'elles gâchaient plutôt l'ensemble qu'autre chose.

- Mais, on dirait même pas du cuir !

Je ne sais plus qui de mon père ou moi avait poussé l'exclamation. Nous qui étions habitués aux doux contact des objets (sacs ou chaussures) de maroquinerie italienne et que nous rapportions de nos vacances, si agréables au toucher, si souples, étions incapables de comprendre que les Italiens apprécient cette texture granuleuse, lointaine et piètre imitation du matériau que nous trouvions beau.

Ma cousine ou ma tante avait été si heureuse de son achat par notre intermédiaire qu'il y eut d'autres demandes, pour d'autres personnes de la parentée ou de proches amies. Il y eut donc d'autres expéditions. Un jour la mode a tourné ou bien ma mère est parvenue à faire entendre que vraiment ça devenait trop ou mon père s'est rendu compte qu'ils n'avaient pas les moyens de faire les avances nécessaires - tout en ayant trop de fierté pour réclamer paiement préalable -, bref, un jour les expéditions Vuitton ont cessé.

M'est restée de l'expérience, le souvenir d'une dispute de plus, une solide indifférence des marques, pour moi définitivement rangées au rayon "on dirait des gosses à la récré qui veulent faire leur crâneurs" et complètement inutiles, sauf pour les stylos plumes (4), certains cahiers (5), les raquettes de tennis (6) ou les chaussures de foot (7). 

J'avais oublié cet épisode pourtant symbolique d'un monde en train de basculer vers le consumérisme alors qu'en dehors des marques de voitures, il nous était longtemps resté totalement étranger, tout juste si on remarquait que telle lessive par rapport à telle autre avait un "meilleur" parfum. Pour le reste, on s'en foutait, l'essentiel était le produit ou l'objet et qu'il remplisse convenablement sa fonction. 

Ce sont les commentaires après une photo de Nawal, celle dont la fin du monde est formidable, qui m'ont soudain fait revenir ce souvenir du sac en cuir qui n'y ressemblait pas.

 

 

(1) Je crois me rappeler qu'en Italie ils avaient quelque chose que les adultes appelaient "la scala mobile" et voyais bien chaque année qu'alors que nous nous enfoncions dans une nouvelle période très serrée, la famille prospérait.

(2) Phénomène courant dans les familles nombreuses et celle de mon père l'était : entre les enfants de mes oncles les plus âgés et ma sœur ou moi - filles tardives d'un puîné - , il existait presque une génération d'écart.

(3) C'était archi-faux. En plus que la plupart des expéditions de la lointaine banlieue vers Paris avait pour but ... de nous habiller chez Tati. Et le grand luxe alors était de faire escale le midi afin de manger un croque-monsieur dans une brasserie. Le deuxième grand luxe étant de prendre de l'eau gazeuse pour accompagner au lieu de l'eau du robinet.

(4) Entre Parker, Waterman et les ancêtres des jetables aux couleurs joyeuses, mon cœur oscillait. Je m'en faisais offrir certains jolis aux grandes occasions, qu'on me volait au collège ou au lycées dans ces moments où il nous fallait laisser nos cartables dans tel ou tel endroit sans pouvoir les surveiller.

(5) Gauchère qui souffrait d'être obligée d'écrire dans le mauvais sens, j'avais trouvé dans les Clairefontaine et leur glisse inhabituelle pour l'époque, un précieux allié. Grâce à eux je pouvais écrire aussi vite qu'un droitier dont le cahier grattait.

(5) Si tu as la raquette de Björn Borg, tu joueras aussi bien (peut-être ?).

(7) Certaines chaussures courent plus vite que d'autres, ce n'est pas Gilles qui me contredira.

 


Nono

 

1976_cours du collège

 

C'est arrivé comme ça, je crois. On était sur le terrain de foot de la Zone (1). Il était assez grand pour permettre à plusieurs groupes de gosses de jouer en parallèle et généralement, un accord tacite nous répartissait par âges. Jouer avec des petits n'était pas rigolo, on avait peur de leur faire mal, non tant par bonté d'âme que parce que ç'eût été source d'ennuis.

Mais bon voilà, parfois on était moins que deux fois onze, alors on demandait à quelques petits qui jouaient à côté, les plus dégourdis, de se joindre à nous pour compléter. 

Et pour Nono, c'est sans doute comme ça que ça a marché, peut-être aussi que l'un d'entre nous avait dit, Le petit, là, il joue bien en fait. 

Alors oui, il était petit et en plus petit pour son âge, mais voilà, comme Laurent (3) - qui jouait en équipe première de sa catégorie au Cosmo et donc rarement avec nous -, ou le plus lointain Richard Prodhomme, ou le plus rare Richard Sarfati - sérieux et studieux, traînait peu -, il faisait partie de ceux qui avaient la balle qui leur collait au pied. 

Très vite, Nono eut sa place parmi nous, les grands. En plus qu'il ne disait pas grand chose, ne se plaignait jamais - certains qu'il agaçait n'étaient pas tendres -, et jouait avec une redoutable efficacité. Lors des répartitions d'équipe, de petit qu'il était, on le choisissait parmi les premiers, sa présence auprès des uns ou des autres pouvait faire gagner.

J'admirais son endurance à la course et la façon qu'avait le ballon de lui obéir.

Puis il y eut cette période durant laquelle les copains partirent tous en club, je n'ai plus vu Nono d'un moment. Quand nos parties du dimanche ont repris, quelques années après, Nono avait été frappé d'adolescence, soufflé par le vent punk, et s'il revenait parfois, accueilli en héros, si sa touche de balle restait un peu magique, sa condition physique laissait à désirer. Et le petit lutin qui courait vite et longtemps, était devenu un gaillard de taille moyenne qui s'essouflait plus facilement. 

La punkitude se marie mal au sport de haut niveau.

Je me demande parfois ce qu'il est devenu. Mais il n'avait, je crois pas de frère (peut-être une petite sœur ? mais qui ne jouait pas), et je ne l'ai jamais connu autrement que par son surnom, Nono, et que tout le monde l'appelait comme ça et qu'il habitait par là (geste vague en direction d'une des parties du lotissement) et qu'ils avaient emménagé sur le tard, sa famille et lui, par rapport au gros de la bande dont les parents étaient des primo-habitants de cette cité alors à peine finie.

Son passage parmi nous m'avait appris quelques trucs, que parfois on peut avoir l'air de ne pas présenter les qualités requises et pour autant être super-bons, que la condition physique est quelque chose qui n'est pas acquise définitivement et que parfois l'adolescence, en les rendant pesants, joue de sales tours aux gens pourvus d'une forme de grâce initiale.

 

 

 

Voilà, c'est le but d'Ibra qui m'a fait repenser à lui, tout d'un coup.

Mais il faudrait aussi qu'un jour j'écrive au sujet de Tom Foot (Fimpen pour les Suédois (2)), des ballons interdits qu'on remplaçait par des balles de tennis dans la cour du collège - jusqu'à ce que les autorités se rendent compte qu'on cassait encore mieux une vitre avec une balle de tennis qu'avec un ballon -, et puis j'ai une nouvelle à finir d'écrire sur un match France - Eire, et puis ...

 

(1) Zone Verte de son vrai nom, des terrains vagues attenant à la cité de pavillons et que la volontés de quelques pères de famille dont M Sciuto envers lequel je suis reconnaissante, avait permis de transformer en aire de jeux, football, pétanque et promenade. Mais bon on disait J'vais à la Zone, un point c'est tout.

(2) Satsuki, clique sur le lien tu ne le regretteras pas.

(3) En chemise claire au centre sur la photo - prise en 1976 en attendant dans la cour du collège un ou des cars qui devaient nous emmener visiter Chartres -.


Une sorte de stupéfaction attristée teintée d'admiration

Ce soir, dans ma cuisine

 

 

Alors qu'en surfant sur le web comme on disait au siècle dernier, je distrayais un blues diffus, quoique déjà bien atténué par une fin d'après-midi heureuse et partagée, une brève m'est tombée dessus : l'homme qui avait marché sur la lune venait de mourir.

Il a eu le bon goût de s'acquitter de l'ultime corvée à un âge avancé, et il a pu partir avec le sentiment du devoir accompli. Pour réussir ce que ses collègues et lui ont fait il fallait être sacrément solide, et courageux et intelligent et même un peu fou.

Est-ce de l'admiration, est-ce parce qu'enfant en voyant ce moment, ces images transmises en même temps partout dans le monde (1) j'avais été saisie d'un mélanger d'espoir et de crainte, et de ne plus jamais regarder la lune pareil après et de soulagement aussi parce que de l'expédition mon papa ne faisait pas parti (2), toujours est-il que l'annonce de ce décès pourtant fort prévisible m'a laissée émue, attristée, touchée, exactement comme si cet homme m'avait directement concernée et qu'il avait été un grand-père ou un oncle éloigné.

Je dois à ce moment d'être restée attentive à ce qui se passe dans l'espace (3), et ma joie à la réussite d'une récente mission martienne n'était pas étrangère à ce premier enthousiasme enfantin.

Me reste encore le souvenir de mon père m'expliquant pourquoi ces messieurs sautillaient, et moi ne comprenant pas tout mais retenant que précisément il y avait là beaucoup de choses fascinantes et qui ne demandaient qu'à être apprises. 

Et des souvenirs des missions d'après, l'insoutenable suspens pour Apollo 13, le sautillement presque enfantin de l'astronaute d'Apollo 14 (à 7'22" de la video). Et puis longtemps plus tard, une scène inoubliable du film "Georgia" ("Four friends") d'Arthur Penn.  

Il n'empêche que le premier, celui qui compte, qui ouvre la voie, c'était Neil Armstrong.

Et je ne parviens pas à me défaire de cette stupéfaction, voilà que j'ai dix ans de plus qu'il n'en avait à l'époque, et il est pour mes petits pas aussi stupéfiants d'avoir survécu jusqu'à aujourd'hui que pour l'humanité d'être parvenue à aller se balader sur son satellite.

 

PS : Deux billets plus ancien sur le sujet : 

Dans la lune

Recevoir la lune

Si je suis ce soir un peu triste, c'est que le sujet me tient à cœur. Et donc son héros premier.

Et un bel article dans le Nouvel Obs (mais hélas non signé. AFP ?)


 

(1) Je crois que le fait d'y avoir assisté alors me rend incapable d'attraper le moindre doute quant aux théories du complot diverses et variées. La lune on y était et c'était pour de vrai et même que les messieurs là-haut si leur oxygène s'arrêtait ils mourraient.

(2) À l'âge très enfantin que j'avais alors je préférais mon père en protecteur présent qu'en héros parti

(3) Le vrai, pas "L'espace détente", "L'espace billeterie" ou "L'espace pain" (traduction : boulangerie)


Les frères Gibb et le Continent (souvenir décalé)

Ce matin, maison 


P5216050

 

C'est @virgile_ qui m'aura avertie d'une mort annoncée et en me faisant sourire ce qui est un exploit, car si je ne fais pas partie des fans éplorés je suis de ceux que cette nouvelle rend plutôt triste, ne serait-ce que comme marque du temps écoulé.

  

Mon souvenir personnel des Bee Gees est comme qui dirait un tantinet ... décalé.

  

J'ai onze ans, peut-être douze, en tout cas dix au moins.

  

Un hypermarché vient de s'ouvrir dans la ville de banlieue voisine. Deux ou trois kilomètres à pied. Par leur mère ou des conversations captées, certains copains du quartier ont entendu dire qu'à cette occasion il y aurait fête, des tas de trucs à gagner et même peut-être un goûter. 

  

Eux qui ont peu de liberté ont obtenue celle de pour une fois quitter le quartier. Je demande la permission à mon tour. Il y a intérêt que je l'obtienne car ils ont annoncé haut et fort que j'en étais - je suis une fille et bonne élève, je sers de caution morale -. À l'inverse ma mère n'est pas ravie que je parte en expédition aussi loin avec ma bande de traîne-la-rue. Néanmoins elle consent.

Il va de soi que je serai rentrée avant le retour du père afin d'éviter toute complication.


Une condition de notre escapade est aussi de n'y pas aller en vélo. Il y aura en effet au delà de notre petite ville et de celle qui voisine, une ou deux méchantes artères à passer dont une en tournant à gauche à l'aller, pour les mères, trop de danger. On se laisse faire : c'est une époque où dès tout gosse, ne serait-ce que pour aller à l'école, on est habitués à marcher et puis il faut bien dire que là-bas on connaît pas les bandes, alors les vélos on a peur de se les faire chourer. On s'efforce de décourager quelques petits (1) par le nombre lointain de kilomètres et puis enfin c'est parti.

  

Il y a là-bas des animations. On ne nous avait pas menti. C'était pas une blague, c'était pour de vrai.

   

La consigne qu'on s'est donnés est de ne surtout pas faire d'âneries, rien voler. Au plus voyou d'entre nous on a intimé l'ordre de se contenter de faire du repérage. Tu ne vas pas nous faire virer dès le début (2). Et puis un hyper, on se disait vaguement que ça devait super pas rigoler si on se faisait poisser. Peut-être qu'ils risquaient direct d'appeler la police.

   

Je ne vole pas. Ce n'est pas de l'honnêteté, j'ai le sentiment que l'injustice est dans le fait de n'avoir jamais assez d'argent pour acheter le peu qu'on voudrait, c'est que j'ai fait vœu de ne jamais déformer, sauf dans des histoires ou sur une scène, la vérité. Or voler, c'est devoir tôt ou tard produire de véhémentes dénégations de ce qu'on a fait. 

  

Au début de la visite, je surveille un peu la petite troupe, en particulier Philippe, qui chez lui est tenu si fort qu'il tend à l'extérieur à parfois déconner. 

   


Mais très vite, je suis captivée par ce qui se passe sur un podium, où un animateur comme à la radio au jeu des mille francs pose des questions de culture générale, et offre des lots aux bons répondants. Parmi ceux-ci pas mal de nunucheries, seulement j'aperçois des livres. Alors j'y vais.

   


Petite foule qui se presse et moi alors un poids plume pour mon âge et pas bien grande non plus. Plusieurs bonnes réponses me passent sous le nez, je savais mais personne n'a vu que je levais la main.

   

Alors je me faufile. Il faut bien qu'il y ait quelque contrepartie à être petit(e).

  

Je parviens au ras d'une table sur laquelle sont entreposés les prix. Quand je dis au ras, c'est que mes yeux passent à peine au dessus du niveau du meuble, lui-même surrélevé du fait d'être sur le podium.

   

L'animateur a posé sa feuille avec les questions. Face à lui. Mais je sais lire à l'envers et écrire en miroir aussi. Alors je les lis à l'avance, en repère une à ma portée, attends qu'il l'ai posée et bondis si vite à me manifester pour répondre que puisque je suis sous ses yeux il ne peut m'éviter.

   

Je crois me souvenir d'une question historique, quelque chose en lien avec "Les trois mousquetaires" ou "Le conte de Monte-Cristo", que peut-être il s'agissait d'histoire mais qu'en ayant lu les livres et d'y croiser l'époque on savait.

   

Il m'accorde la parole avec la condescendance de Jacques Martin envers les gamins de l'école des fans, je donne la bonne réponse, il est un peu surpris - bref conciliabule avec la personne qui organise, le jeu n'est pas pour les enfants -, mais il a dû voir que je risquais de ne pas me laisser faire, qu'une bande de gosses soudain s'était rapprochée, et puis après tout.

   

Il me remet mon lot et je suis affligée : ce n'est pas un livre mais un disque.

  

Un disque avec des types chevelus dessus, un peu comme mes cousins.

  

Je n'ai rien contre la musique, j'aime bien quand ils m'en font écouter. Mais voilà, à la maison c'est un peu compliqué : mon père ne veut rien entendre d'autre que du classique, il est le maître absolu du grand tourne-disque suisse blanc (3). J'ai quant à moi un petit crin-crin du genre de cadeau de Noël d'entreprise aux enfants des salariés méritants, mieux que rien mais tout ce qu'il y a de plus mono et crachouillant. Alors un disque ne peut être écouté que pendant les heures où le paternel est au travail et la musique passée pas trop fort sur un appareil qui ne restitue le son que très imparfaitement.

  

Un livre que l'on peut déguster en silence et sans équipement intermédiaire c'est tellement mieux.  

 


Mais bon, voilà, moi c'est un disque que j'ai gagné et l'hésitation qu'ils ont eue à me le confier me fait clairement comprendre que je n'aurais rien du tout si je tente de négocier.

  

Les potes m'entourent. Ils ont été épatés que j'aie su répondre et me faire entendre parmi tous ces gens.

  

Plus tard à un jeu pour les gosses, nous gagnons des épées en plastique. Et puis je crois me souvenir aussi d'une distribution de sodas sucrés et de gâteaux industriels et que comme j'ai soif et faim j'en bois et j'en mange mais vaguement écœurée.

  

Après, il est temps de rentrer. 

  

Mon disque suscite davantage de moqueries que de convoitises, "The Bee Gees", c'est qui ces nuls ? Tu t'es fait avoir. 

  

Personne n'a jamais entendu ces noms-là, les mecs sur la photos sont de parfaits inconnus, le terme de déstockage n'a pas encore été inventé mais on pense bien qu'il s'agit de ça. À Continent ils sont pas fous, ils auront mis comme cadeaux des trucs dont personne ne voulait.

  

En même temps c'est pas mal : personne ne va tenter de me piquer mon trophée. Comme il est du genre fragile ça se serait forcément plutôt mal terminé. Alors que là, un jour, je pourrai l'écouter.

  

Ce jour viendra longtemps plus tard. Je reconnais un peu de Beatles en mal chanté (4). Il y a un morceau, alors intitulé "Morning", qui me plaît bien. Le reste me rappelle "California Dreamin''" ou les Beach Boys ; je me dis aussi qu'il faudrait que le chanteur travaille un peu sa voix.

  

Il le fera mais dans un sens qui surprendra, à l'instar des Rubettes qui cartonnent si fort en 1974-75 qu'on les entend dans le moindre supermarché entre un Johnny et un Cloclo. Je n'ai rien contre ces voix aiguës sauf que les copains qui sont en train de muer prennent un malin plaisir à les imiter et alors sauve qui peut.

  

Alors que je suis en 3ème, quelques années après, j'entends un jour une camarade de classe se moquer d'autres qui "en étaient restés au Beatles et ne connaissaient même pas les Bee Gees". Je mets un moment avant d'aller vérifier qu'il s'agit du même nom que sur la pochette du "disque de Continent". Il me restera un doute qu'il s'agit bien des mêmes, mais en ce temps-là comment vérifier, il n'est question d'aucun Bee Gees dans l'encyclopédie familiale en quatre volumes Quillet. Le Petit Larousse c'est même pas la peine d'aller regarder.
Parmi mes copains qu'ils soient des pro ou des anti- Bee Gees (5), de ceux que la fièvre du samedi soir a atteints ou fait rigoler, aucun ne sait assez de leur histoire pour me confirmer ou non qu'il s'agit bien d'eux. Comme on a peu vu les musiciens du film devenu culte, on ne peut même pas physiquement comparer et personne n'a le disque alors on ne peut même pas voir sur la pochette.

   

Le mystère restera si entier que je vais l'oublier. En ces années-là je ne suis pas très préoccupée de musique à danser et par ailleurs après le bac plutôt occupée (6). Il me faudra Fame, puis Flashdance avant de me réveiller. Ainsi qu'un petit jeune, beau comme un belge, qui déboulerait 5 ans après et mourrait tôt, déjà fantôme, avant de devenir vieux.

Ce n'est que très longtemps plus tard, rangement ou déménagement, et l'internet à proximité que j'aurais la clef de l'énigme, qu'il s'agissait des mêmes, mais avant le succès. 

 

 

(1) Certains parents étaient réticents à toute vraie sortie, c'est-à-dire en dehors de la cité, mais dès lors que la permission était accordée il était de bon ton que les aînés se chargent des petits. C'était sans doute façon de les lester et de les contraindre à agir en responsable. Ma petite sœur étant d'un tempéramment casanier, j'étais chanceuse.

(2) En ce temps-là le chapardage infantile était tenu pour ce qu'il était et donc on engueulait le gosse, s'il recommençait on appelait les parents - les pères d'alors étaient tenus de savoir manier le martinet - ce qui calmait bien des vocations. Celui qui piquait était repéré par les gardiens et fermement interdit de magasin. Il m'est arrivée de temps à autre d'accompagner un copain que sa mère avait envoyé en courses pour pouvoir les faire à sa place puis on revenait ensemble avec les achats et ainsi elle ne savait pas que son gosse était devenu à la supérette locale gamin non gratum.

(3) Le très peu d'objets auxquels je m'attache, on me les enlève. Celui-là a disparu, mon père a dû, de même que le vélo de mon grand-père, le donner à quelqu'un. Ma mère a jeté d'autres choses. Sans parler d'autres. Tout se passe comme si personne n'envisageait jamais que je tinsse à quoi que ce soit.

(4) Sur "Paperback writer" ou "Ticket to ride" ils sont, à un bref moment, faux.

(5) En gros le rock, le métal et le punk naissant, c'est un truc de mecs et de la vraie bonne [musique] et le disco un truc de filles ou à la rigueur pour draguer. L'absence de catégorisation homophobe étant dans ma banlieue et en ce temps là liée à un déni parfait : des hommes qui aiment les hommes ça ne peut tout simplement pas exister.

(6) article de Pascale Krémer "Les plaisirs de la classe prépa" 19 mai 2012

 

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Complément ("Anne, précisez les limites du temps")

Ça m'apprendra à jouer sur les allusions cryptiques avec des références datant d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaîtreuh , je m'aperçois que les choses comprises avec celles de maintenant prennent un fort autre sens.

Alors voilà, le titre du billet précédent n'a rien à voir avec la soupe vampirique qu'on sert de nos jours aux adolescents, mais tout avec une série américaine culte de la fin des années 50 / début des 60, et qui avec sa cousine moins connue "Le sixième sens" ("Perhaps you are, ESP") et une autre moins subtile (plus orientée films d'action) qui ne naviguait pas si loin, "Au cœur du temps" (un article du blog "souvenirs de notre enfance" et un extrait). N'hésitez pas à aller voir les extraits l'état d'hibernation contrôlé, les vecteurs temporels et le Titanic qui va couler mais seul Tony le sait, c'est quand même quelque chose. "Il peut aussi bien être avant-hier qu'après demain ou dans un million d'années". Et si nous aussi ?