La poussette

 

Début d'après-midi en période de congés scolaires, même la ligne 13 et ses fréquences depuis un an ou deux renforcées, n'est pas surchargée. J'ai en queue de rame trouvé une place assise et je lis. 

Autour de moi tout est calme. 

Soudain à La Fourche, alors que retentit la sonnerie de fermeture des portes, une voix de femme : 

- Monsieur, votre poussette ! 

Alors que le métro repart et comme je suis installée en sens inverse de la marche, je vois un homme, tranquille, poser à terre une petite fille d'environ 2 ou 3 ans, le temps de poser un sac qu'il a à l'épaule et avoir les mains libres pour lui enfiler une veste, un petit manteau.

Il n'a pas l'air plus embêté que ça d'avoir probablement oublié derrière eux la poussette de l'enfant.

Alors que je descends à Satin Lazare, mes pas rapides rejoignent ceux d'un homme encore jeune, qui pousse un peu maladroit et hésitant une poussette-canne à laquelle était accroché un petit sac en tissu de quoi contenir un doudou, una merenda, mais dans laquelle il n'y avait pas d'enfant.

Je crois deviner qu'il s'agit de la poussette perdue, me prends à espérer qu'il est en train de chercher un guichet où la déposer, ce n'est de toutes façons pas un de ces engins de haute compétition comme de nos jours on en croise tant et qui serait revendable. Ça pourrait tout aussi bien être un mode ultime de trafic : qui pourrait soupçonner que l'accessoire de puériculture est truffé de drogues dans ses tubulures ?

Le soin tendre avec lequel l'homme à la station de plus haut sur la ligne prenait soin de la petite, me laisse croire que cette hypothèse n'est pas celle qui convient. Il n'empêche que j'ai assisté à quelque chose sans savoir réellement à quoi. Et que c'était presque curieux tout ce calme, cette tranquillité. Ou alors les deux hommes étaient ensemble et il était convenu que l'un remporte la poussette quand l'autre accompagnait quelque part l'enfant.

Le mystère restera.

 


La porte

 

Dans cette rame de la ligne 13, je suis un peu émue, perdue dans mes pensées : je vais à la maison du Danemark voir / écouter, entre autre Maj Sjöwall, j'espère qu'elle ira bien, c'est quelqu'un à qui je dois bien de belles nuits sans sommeil dans les années 80 et des jours "d'Usine" en tenant le coup alors que ça m'est pénible. 

La rame est d'un ancien modèle et ma place l'une du milieu dans l'un des groupes de six sièges qu'on a aux extrêmités. 

À ma gauche un homme plutôt massif mais qui ne déborde pas de son siège (j'apprécie) ; en face de lui un autre, plus jeune et plus fin, qui tient sur ses genoux un enfant aux cheveux courts, je dirais de trois ou quatre ans. Très sage. Je n'ai pas prêté attention aux autres passagers.

Je ne prêtais attention d'ailleurs à personne, plongée dans mes souvenirs de Martin Beck, que parfois menaçaient une bouffée de ce chagrin qui me tenaille depuis juin. 

Soudain, peu après La Fourche la porte de séparation entre les voitures s'est ouverte. Aucun signe avant-coureur, rien, elle s'est claquée ouverte, comme si poussée par un fantôme musclé. Vlan. L'homme à ma gauche a semblé demander des yeux une approbation à son voisin d'en face, lequel tenait de ses deux mains son enfant, et d'une efficace intervention l'a reclaquée fermée. Vlan. Son intervention avait été suffisamment solide pour qu'un loquet se soit réactivé. Il n'y a plus eu d'alerte.

Je n'éprouve plus ou peu de peur, et n'étais pas en première ligne. Il n'empêche que ce dysfonctionnement était un brin dangereux. Le père et l'enfant étaient demeurés d'un calme olympien, à croire qu'ils leur arrive tous les jours de fréquenter une porte qui train ou métro ou tram en marche s'ouvre sur la voie.

Des accidents semblent s'amuser parfois à survenir presque, et puis finalement pas. 

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Le parapluie

 

J'ignore si c'est le mauvais temps persistant qui l'a inspiré ou bien s'il importe à Paris une technique déjà fort usitée ailleurs mais du coup ses collègues du long couloir accès avec leur marchandise étalée sur des tissus prêts à être repliés en cas d'alerte font figure d'amateurs.

Lui, ce qu'il a pour vendre broches, magnets et autres accessoires, c'est un parapluie. Un parapluie tout noir, uni, sur lequel les couleurs des petits objets ressortent. Un parapluie perché sur un trépied d'appareil photo, qui doit être certes un peu plus compliqué à replier que les plaids des copains, mais à peine et puis il peut toujours s'évertuer à faire croire qu'il est un touriste avec un appareil photo bien équipé et un parapluie tunné, un peu comme on faisait dans le temps avec les sacs à dos et les écussons.

Il est évident qu'avec des DVD ça marcherait moins bien, mais de nos jours, qui en achète ? (du moins à la sauvette, sans garantie de qualité, alors qu'on peut lire en streaming, sans s'encombrer d'un objet).

Qu'il en ait le copyright ou qu'il l'ait imitée, j'ai en tout cas apprécié l'astuce. 

Et continue toutefois à me poser la même question que pour les revendeurs de roses à la sauvette le soir dans les cafés : comme personne ne semble jamais rien leur acheter, comment font-ils pour survivre ? Y a-t-il un trafic apparent étique qui masque d'autres trafics discrets autrement plus rémunérateurs ?

Je suis curieuse en tout cas de voir si la technique du parapluie va se répandre ou pas.

 

[pas de photo : je n'ai envie de compromettre personne et de toutes façons l'homme au parapluie semblait d'une aménité limitée]


On ne saura jamais

aujourd'hui, ligne 13

 

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On ne saura jamais si celui ou celle qui a opté pour mettre fin à ses jours ce matin à la station Gaîté, a agi dans une ultime tentative de faire preuve d'un sens de l'humour désespéré non dépourvu de panache, s'il n'en savait rien - j'imagine un étranger Auvergnat (1), issu d'une langue d'autre alphabet et fuyant un renvoi lui aussi mortel dans son pays de départ -, s'il s'en foutait complètement, au point où il en était ou si simplement il a pris cette station parce qu'encore dépourvue de portes pallières - encore que celles-ci ne sont pas insurmontable pour un suicidaire motivé -.

En revanche ce que je sais c'est que me poser de telles questions à la lecture de cette annonce, c'est que j'ai atteint un méchant niveau de cynisme, fatalisme et humour noir que plus rien n'effraie. Comment faire pour lutter ?

 

(1) J'ai cru comprendre que dorénavant il fallait dire Auvergnat :-(

[photo : je n'ai hélas rien inventé]


Le métro dont on ne descend pas

Aujourd'hui, ligne 13

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Sans doute qu'il avait dépassé la limite de vitesse, qu'il est amoureux, distrait, ou qu'il a de la famille en Norvège, mais voilà le conducteur, ou bien la rame qui fut défaillante, a foiré l'arrêt à Miromesnil, un peu secouant, décalé par rapport aux portes pallières et puis cette annonce curieuse : "Par suite d'un problème au freinage nous ne marqueront pas l'arrêt à Miromesnil". 

J'y avais une correspondance, ce fut comme qui dirait foiré. Heureusement que j'avais pris la précaution du "quart d'heure treize", partir par rapport à mon heure prévue, un quart d'heure avant. Il a été entièrement consommé par cette descente impossible et le demi-tour laborieux qu'elle a engendré.

Je ne fus bien sûr pas la seule concernée. En cette heure de début d'après-midi, en ce creux de l'été, les passagers furent d'un calme parfait, d'une courtoisie exemplaire, une dame a même commenté, l'arrêt raté ayant été brutal, "Ce qui compte c'est qu'on s'est pas fait mal".

Au retour du soir j'ai appris que quelque chose brûlait ligne 7 vers Chaussée d'Antin, qu'une évacuation a eu lieu, que la fumée s'épaississait. Le métro-qui-ne-s'arrêtait-pas était donc un moindre mal.

Mais surprenant.

 

[photo : dans Clichy ce matin]

 


Sur la ligne 13, on suit l'actualité

Station Satin-Lazare, cette nuit-même

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Je ne crois pas aux lendemains qui chanteraient, je sens même l'avenir sombre, en attendant j'ai aimé l'ambiance communicative et un brin exaltée que la révolution tunisienne glissait dans ma ville.

Ça fait toujours du bien même si c'est temporaire, de recouvrer sa dignité ; le peuple tunisien l'a fait.

[photo : dans un couloir du métro à Paris]


Treize étrange, décidément

Ce soir, vers 20 heures, ligne 13 toujours

 

Cette fois-ci je rentrais après une journée bien remplie entre différents lieux et travails (le pour les autres et le pour moi). J'avais certes un peu triché, empruntant pour remonter jusqu'à La Fourche un train destiné à Saint-Denis qui respectueux des traditions de saturation était moins chargé que ceux pour Asnières-Les Courtilles-Gennevilliers. Il n'avait pas tardé et à nouveau j'étais assise.

Deux fois dans la même journée, je ne suis pas certaine qu'en 22 ans de vie clichoise ça me soit déjà arrivé.

Mais j'ai dû à La Fourche abandonner et la rame et ce bref privilège, et peu après monter dans un wagon chargé. Je me suis calée avec sacs et livre encore ouvert contre la tranche d'un siège, restait peu de stations à mon parcours et peu de paragraphes au chapitre entamé, ça irait. C'est alors qu'un bel homme jeune et sportif d'allure m'a proposé sa place, lui qui était tranquillement calé contre l'une de celles qui se replient et tranquillement avec un pote ou un cousin (1) discutait. J'ai décliné, je n'allais pas loin, il m'a dit je descends à la prochaine, ça ne me dérange pas, Madame, vous savez, j'ai dit Je descends aussi à la prochaine ou à celle d'après (2), ce n'est pas la peine, mais vraiment merci.

Ce n'est pas la première fois qu'on m'offre un siège sur la ligne 13, quand je fus enceinte aux jours où ce n'était pas la presse infernale (3), il y avait presque toujours quelqu'un pour proposer, parfois je pense parce que j'étais pâle et fatiguée à faire peur.

Mais là j'allais bien, un chapeau couvrait mes cheveux donc on n'en voyait pas les blancs, j'étais vêtue sans style ni âge, et presque plutôt en forme, je crois que c'est simplement parce que je lisais debout en tentant de prendre quelques notes qu'il m'a proposé cet échange, avec en prime un sourire élégant.

Et aussi parce qu'il m'avait vue. Serais-je donc enfin en train de me défantômiser ? 

Ou était-ce aujourd'hui le seul jour de l'année où la ligne 13 devient enchantée, comme pour compenser les 364 autres qui nous voient transportés comme du bétail maltraité ?

 

(1) Ils avaient entre eux cette sorte de ressemblance inimitable qui n'est pas celle, généralement plus forte, de la fratrie.

(2) En temps passé avant d'arriver en nos pénates, en gros, ça se vaut.

(3) Dans ces cas-là on peut à peine respirer, alors de la à remarquer la présence d'un potentiel futur bébé ...


Une impression étrange de 4ème dimension

Ligne 13, ce matin peu après 8h30

 

Alors oui, c'est la semaine d'entre Noël et jour de l'An, alors oui pour la première fois depuis des jours il ne fait ni grand froid ni forte neige, alors oui c'est normal que ça fonctionne et qu'il y ait moins de chalands.

Pourtant déjà hier, ç'aurait dû être le cas et - presque même horaire - j'étais debout un peu coincée, pouvant difficilement bouquiner.

Ce matin, somptueux miracle : une arrivée rapide, et une place, une vraie, pas un fragile strapontin menacé d'affluence, une place, donc, assise.

Sur la ligne 13, dans le sens banlieue vers Paris, à une heure courante de départ au travail.

(Vous avez bien lu et je n'invente rien).

En cours de trajet aucun arrêt intempestif, à peine une légère temporisation à La Fourche, j'ai failli de surprise d'être arrivée si vite, oublier de descendre à Satin Lazare.

Me suis très sérieusement demandée si à force de mener une vie si bizarre, intense et désertée, je n'avais pas basculé dans une 4ème ou 5ème dimension, à moins qu'une guerre nucléaire ou catastrophe écologique n'ait eu lieu dans la nuit sans qu'on m'en ait prévenu.

Heureusement à la station de gare, les pousseurs étaient là, et un message (ô combien) familier : "Par suite d'un problème de signalisation, le trafic est ralenti en direction de Châtillon".

Tout rentrait donc dans l'habituel désordre. Ça tombait parfait, j'étais arrivée.


Évacuation

Gare Satin Lazare, 13 heures 40, today


En descendant vers la 14 d'un pas rapide et léger - j'ai aux pieds des escarpins qui me vont bien et suffisamment froid pour avoir envie de me hâter ; j'ai de plus rendez-vous avec la Grande Bibli - je perçois une annonce. Il y est question de la 13 qui est ralentie. À peine plus tard c'est la 14 qui est le sujet, mais pour un vague incident et la promesse d'une autre annonce à suivre.

Au même instant des hommes en uniformes bleu sombre et dont je ne sais reconnaître le sigle (les surveillants de la RATP ? des CRS allégés ?) abordent les vendeuses du petit kiosque de babioles sous la bulle, celui dont la forte fréquentation me plonge souvent dans la perplexité entre l'endroit malcommode où il est situé (plein passage très passant) et ce qui y est généralement proposé (Christophe Colomb offrant de la verroterie aux Indiens).

Ils sont rapides, efficaces et calmes. J'entends "falloir évacuer". Déjà les dames obtempèrent. Un autre groupe de la même compagnie, s'est dirigé vers les guichets, je n'ai pas besoin qu'on me fasse un dessin, c'est une alerte à la bombe, de celles qui fleurissent depuis qu'un des ministres a choisi ce thème récurrent afin de détourner l'attention du n'importe quoi concernant les populations des gens du voyage, laquelle stigmatisation était destinée à faire passer au second plan l'éloignement des retraires, lequel collait à l'affaire Woerth, laquelle faisait elle-même ...

Une dame que viennent de légèrement bousculer les personnes qui remontaient des quais de la 14 alors qu'elle s'apprêtait comme moi à y descendre me demande ce qui se passe. Je dis que la 14 semble interrompue, mais que je n'en sais pas vraiment plus.

En fait c'est mon air décidé qui a dû l'induire en erreur et lui faire croire que j'étais de ceux qui savaient, déterminée que j'étais à emprunter au plus vite la bribe de quai de 14 nécessaire pour filer prendre la 9 avant que tout ne soit bouclé.

 

J'y parviens. L'évacuation pourtant s'amorce au même instant mais dans le plus grand calme. On sent que ceux qui préviennent ont été formés à le faire, et que l'ensemble des gens a pris comme l'habitude - peu de touristes à cette heure-là -, un côté fin de guerre : on obéit aux alertes aériennes, d'accord, mais les abris on s'y rend tranquillement.

Les annonces arriveront après : je ne saurai qu'à Nation qu'il s'agissait bien d'une alerte au colis suspect.

Seules souffriront de mon détour des lettres de banque qu'à la poste je ne pourrai déposer : j'arriverai par la 6 et la poste proche est de l'autre côté.

Ces jours-ci à Paris il faut prévoir en permanence un itinéraire secondaire.

[aucune photo : quelque chose me dit que si j'avais sorti un appareil, si petit soit-il mon geste n'aurait pas été apprécié et à la BNF trois livres m'attendaient]

 

 

 

 


Je suis ligne 13 ascendant Les Courtilles

Entendu ce matin dans Paris, une femme à qui, je suppose, avait dû l'attendre :

"Il va falloir qu'on regarde dans mon thème astral comment j'arrive en retard même en partant à l'heure".

(Au ton employé et comme je ne la connais guère, j'étais incapable de déterminer si elle parlait sérieusement (!) ou bien pour plaisanter ; je ne faisais que passer et j'ignore la réponse de l'homme auquel elle s'adressait ; peut-être un simple sourire)