C'était avant tout une belle, solide, harmonieuse et efficace journée de travail : la reprise la veille avait permis d'établir une liste de tout ce qui était devant être fait, et de s'attaquer au plus pressé, et là j'y voyais clair et peu à peu j'avançais. Avec juste ce qu'il fallait de clients pour ne pas s'inquiéter.
Mais je sais que ça ne restera pas, précisément parce que tout était normal, tout fonctionnait.
Ce qui tiendra à la mémoire sera, ce joli SMS avec une proposition pour dîner reçu dans la matinée et combien j'étais contente de cet imprévu joyeux, et comme ce dîner dans un bel appartement, tranquille, à quatre, fut un moment de paix, de trêve dans cette période chargée après des vacances sabotées.
J'ai l'impression après avoir travaillé dans le XVIème arrondissement puis dans le Val d'Oise, avec du travail en partie les week-ends, de rentrer d'un exil. Je savoure les retrouvailles.
Ce qui tiendra à la mémoire sera hélas, une fois de plus un attentat. À Barcelone cette fois et c'est la seule chose que j'en ai su avant de quitter le travail, ce nom capté brièvement sur FIP au flash d'info et me demander si (1), et puis en fait hélas oui et ne l'apprendre vraiment que par un SMS de l'ami pour la famille duquel on commençait à s'inquiéter si jamais. C'est sans doute la moins pire des manières pour apprendre le pire : par le message qui indique que des personnes qui nous tiennent à cœur sont hors de danger. Et précisément alors qu'on songeait peut-être soi-même à envoyer un message pour s'enquérir, tout en hésitant de peur de peser (2). Alors recevoir les mots qui disaient que tout allait bien pour sa famille et en cet instant précis était du plus grand réconfort. Ça n'empêche pas de se sentir triste pour les victimes et leurs proches, tous ceux qui se retrouvent ce soir avec leurs existences sinon abrégées du moins chamboulées.
Me restera peut-être aussi le souvenir de la marche douce dans la nuit vers le métro, une ville dans laquelle je n'étais pas venue depuis qu'elle avait été proche du lieu de travail de l'homme de la maison. Il faisait humide mais presque chaud, les immeubles sont plutôt bas de ce côté là et ça accordait comme une plus grande respiration.
Moins drôle, me restera d'avoir appris que lors d'un accident de la circulation, la victime aussi voit testée son alcoolémie ... et peut, de fait, alors que les torts sont pour l'autre, hériter de sérieux ennuis pour conduite en état d'ivresse.
Plus tard être surprise par le nombre de personnes de ma connaissance répondant au Safety Check de Barcelone. À l'heure à laquelle j'écris, ne persiste qu'une inquiétude pour Mathias.
Constater, c'est terrible, que l'on finirait presque par s'habituer, par avoir une routine : apprendre la nouvelle, interrompre ses activités, joindre ceux que l'on connaît de plus proches potentiellement concernés, aller voir le Safety Check, tenter de contacter ceux qui n'y apparaissent pas. Il y a déjà une routine (c'est effarant).
Traces d'une journée douce dans un monde dur.
(1) Avoir pleinement intégré que de nos jours si l'on entend mentionner au cours d'un flash d'infos le nom d'une grande ville occidentale alors que rien de particulier (manifestation sportive, colloque, manifestation tout court, sommet diplomatique ...) n'y était prévu, c'est qu'il y a eu un attentat.
(2) Pour avoir été concernée pour un ami dans l'un des cas, je sais que c'est compliqué : recevoir des mots de personnes qui s'inquiètent fait qu'on se sent soutenus mais en même temps quand on en est à chercher des nouvelles désespérément chaque signal de message ou d'appel entrant provoque un élancement. Et le temps d'y répondre on craint de manquer l'information qui mettrait fin à l'incertitude.