C'était la seule consolation de cette situation

(C'est un billet que j'avais écrit il y a un an ou deux, pas mis en ligne sur le moment, redécouvert aujourd'hui) (intéressant de voir ce qui entre temps a changé, ce qui n'a pas bougé) (et je mesure l'importance bienfaisante du triathlon dans ma vie, c'est comme si l'ensemble de mes capacités s'étaient élargies, en plus que je parviens enfin à penser un peu à moi, par le biais de l'attention nécessaire au corps)

 
    C'était la seule consolation de cette situation, quand celui qui avait bien un peu fait semblant est parti, je n'ai plus vraiment eu, fors cas très particuliers très extrêmes, par exemple les différentes vagues d'attentats et de ne pas savoir qui risquait ou non d'avoir été là, à rester suspendue aux nouvelles de quelqu'un ou à leur absence. Lui était plutôt du genre régulier, ou alors il prévenait (cette semaine, j'écris), généralement de façon inutile (c'est lui qui m'envoyait un SMS, un mail), ou alors s'est parce qu'il était malade (auquel cas il réécrivait dès qu'il le pouvait, où envoyait un bref texto dès qu'il sortait de la fort fièvre). C'était plutôt moi l'irrégulière. 

D'ailleurs je le suis hélas souvent avec la plupart de mes amis : il y a le travail, il y a ses prolongations (de belles soirées en librairies, des lectures pros), la petite famille, les entraînements sportifs, quelques sorties, et (pas suffisamment) l'écriture. Le sommeil prend tout ce qui reste. Souvent le soir lorsque je suis enfin devant l'ordi, je m'efforce de répondre à mes messageries (celles des réseaux, celle du vrai mail), et le sommeil déboule avant que j'aie fini. Je remets donc au prochain temps personnel libre, généralement le lendemain soir car le matin c'est debout-se préparer-filer et il n'est pas rare qu'un message reçu en début de semaine n'ait pas de réponse avant le week-end suivant. Comme désormais le week-end je travaille une fois sur deux (en gros), ça remet parfois d'une quinzaine, et je pense que mes interlocuteurs sont en droit de penser que je les ai oubliés (alors que non).

Il s'est trouvé que l'an passé parce que la bien-aimée d'un ami de longue date avait subi un dangereux problème soudain de santé, je m'étais par ricochet retrouvée dans la situation de l'attente dans l'inquiétude. Avertie du malheur, prévenue d'un silence le temps du plus fort du combat, j'ai passé près d'une semaine à penser à eux en permanence, une sorte de petit sous-programme que mettait en sourdine le travail et mes propres moments de ressources intensément utilisées (par exemple ce retour du travail à vélo sous une pluie battante, le problème n'étant pas tant la pluie qui en deux ou trois minutes m'avait rincée, plus rien n'était à craindre, que les multiples dangers induits de mes freins devenus incertains, aux dérapages possibles, aux voitures qui levaient des flaques, et à une moins bonne visibilité).

C'est alors que j'avais pris conscience d'être retombée dans ce travers d'autrefois, datant de mon premier amour, puis de la période du Burkina Faso (l'amoureux moins gêné que moi par la distance subie : il vivait une vie au parfum d'aventures du fait même de son expatriation, tandis que je me frottais aux dures lois du travail en grande entreprise pour lesquelles personne ou presque n'était moins adaptée que moi), puis de la période de grande intimité avec l'ancienne amie, puis de la période avec celui que j'appelais Another Ted après qu'il m'avait si brutalement quittée : je renouais avec ces heures et ces jours traversés dans une sorte d'équivalent humain du "mode sans erreur" des ordis, fonctionnant mais sans plus, plein de fonctions mises en veilleuse, incapable d'accéder à l'ensemble de mes capacités, pas tout à fait présente, en fait.

Et comme toujours le message (en l'occurrence un SMS) mettant fin à l'attente (d'autant plus qu'il apportait une bonne nouvelle, un intense soulagement), montra combien l'oppression avait été forte par le niveau instantanément d'énergie retrouvée et de présence au (reste du) monde.

Ça n'aurait constitué qu'un dégât très collatéral, mais j'avais été au bord de perdre le seul aspect consolant de ma situation de "rejected one".

 

PS : Cet épisode avait aussi été l'occasion de mesurer, comme l'évoquait Chris Marker dans "Le cœur net" la non sanctuarisation de l'amitié dans nos sociétés. Si je suis la sœur de mon grand ami, je peux éventuellement obtenir des informations par un tiers, c'est la famille. Je ne suis qu'une amie, quand bien même notre lien affectif de fraternité est très fort, pas moyen de savoir ce qu'il est advenu si le principal intéressé trop occupé ou accablé n'émet plus rien.
Ça avait été aussi l'occasion de prendre conscience d'un truc auquel je n'avais auparavant pas vraiment songé : la plupart de mes amis "d'avant", s'ils meurent sans que des amis communs ne relaient l'infos, je n'en saurais rien. Pour un certain nombre d'autres de mes amis de ma vie depuis l'internet (1), je sais que d'une manière ou d'une autre, par les réseaux ou les infos, je serais avertie si quelque chose survenait. Les temps ont bien changé. 

(1) J'aimais beaucoup ce que disait au passage Samantdi sur ses amis d'avant et d'après. Valable aussi pour les miens (et moi)


Le bilan de l'an d'Éric Bonnargent

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L'an passé à même date, nous espérions avec cette espèce de pensée magique qui voudrait que les événements suivent l'une des humaines façons de repérer l'écoulement du temps qu'on allait enfin tourner le dos à une année 2015 qui s'était amorcée et achevée à Paris dans l'extrême violence. Pour les vœux, non sans humour, Éric Bonnargent avait constitué une forme de bilan et ironisé sur l'efficacité de nos Bonne Année ! du début 2015. 

Il a récidivé cette année, on ne change pas une équipe qui gagne, voici le bilan de l'an 2016 établi par ses soins et qui confirme ce dont on avait conscience tout en croyant que pas à ce point. 2016 fut une hécatombe d'artistes, pas tous vieux et d'une façon générale de personnes dont l'existence avait joué un rôle visible et important dans celle de leurs pairs. Je me permets de le reprendre ici, n'aurai pas fait mieux.

"2016

Janvier 
2 janvier : attaque contre l'ambassade saoudienne à Téhéran en Iran ; décès de Michel Delpech.
4 janvier : décès de Michel Galabru.
5 janvier : décès de Pierre Boulez.
7 janvier : décès d’André Courrèges.
8 janvier : décès d’Otis Clay.
10 janvier : décès de David Bowie.
12 janvier : attentat-suicide à Istanbul en Turquie.
14 janvier : attentat à Jakarta en Indonésie et décès d’Alan Rickman.
15 janvier : attentats de Ouagadougou au Burkina Faso.
18 janvier : décès de Michel Tournier et de Glenn Frey.
19 janvier : décès d’Ettore Scola.
20 janvier : décès d’Edmonde Charles-Roux.
23 janvier : décès de Jimmy Bain.
29 janvier : décès de Jacques Rivette.

Février
4 février : décès de Maurice White.
16 février : décès de Boutros Boutros-Ghali.
17 février : attentat à Ankara en Turquie et décès d’Andrzej Żuławski.
19 février : décès d’Umberto Eco et de Harper Lee.

Mars
7 mars : attaque de Ben Gardane en Tunisie.
13 mars : attentat en Côte d’Ivoire (18 morts).
19 mars : attentat à Istanbul en Turquie ; le vol 981 Flydubai s'écrase à Rostov-sur-le-Don en Russie.
22 mars : attentats à Bruxelles en Belgique (32 morts).
25 mars : décès de Johan Cruyff.
26 mars : décès de Jim Harrison.
27 mars : attentat à Lahore au Pakistan et décès d’Alain Decaux.
29 mars : décès de Jean-Pierre Coffe.
31 mars : décès d’Imre Kertész.

Avril
16 avril : un séisme de magnitude 7,8 frappe la province d'Esmeraldas en Équateur
21 avril : décès de Prince.
24 avril : décès de Billy Paul.
25 avril : décès de Martin Gray.

Mai
2 mai : décès d’Hubert Mounier.
5 mai : décès de Siné.
15 mai : décès d’André Brahic.

Juin
3 juin : décès de Mohamed Ali.
12 juin : une fusillade revendiquée par l'État islamique fait 49 morts dans une discothèque LGBT d'Orlando.
13 juin : Assassinat des deux policiers Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider.
16 juin : la députée britannique travailliste Jo Cox est assassinée.
20 juin : décès de Benoîte Groult et d’Edgar Pisani.
23 juin : Brexit.
25 juin : décès de Maurice G. Dantec.
27 juin : décès de Bud Spencer.
28 juin : attentat à l'aéroport d'Istanbul en Turquie.
30 juin : décès de Michael Cimino.

Juillet
1er juillet : fusillade à Dacca (Bangladesh) revendiquée par l'État islamique et décès d’Yves Bonnefoy.
2 juillet : décès de Michel Rocard et Elie Wiesel.
3 juillet : un attentat-suicide à Bagdad (Irak) revendiqué par l'État islamique fait au moins 341 morts et 246 blessés.
4 juillet : décès d’Abbas Kiarostami.
5 juillet : un attentat-suicide à Hassaké (Syrie), revendiqué par l'État islamique, fait au moins 25 morts et au moins 30 blessés.
14 juillet : un attentat à Nice en France, revendiqué par l'État islamique, fait 86 morts et plus de 200 blessés.
15 juillet : tentative de coup d'État en Turquie.
16 juillet : décès d’Alan Vega.
26 juillet : assassinat du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Août
1er août : raids américains sur les positions de l'État islamique à Syrte en Libye.
13 août : décès de Françoise Mallet-Joris.
24 août : un séisme de magnitude 6,2 frappe le centre de l'Italie, provoquant la mort de 298 personnes et décès de Michel Butor.
25 août : décès de Sonia Rykiel.
29 août : décès de Gene Wilder.

Septembre
28 septembre : décès de Shimon Peres.

Octobre
1er octobre-8 octobre : l'ouragan Matthew passe sur les Antilles et la Floride. Il cause la mort de près de 900 personnes notamment en Haïti.
8 octobre : décès de Pierre Tchernia.
9 octobre : décès d’Andrzej Wajda.
14 octobre : décès de Pierre Étaix.
17 octobre : début de la bataille de Mossoul en Irak.

Novembre
7 novembre : décès de Leonard Cohen.
8 novembre : Donald Trump est élu 45e président des États-Unis.
11 novembre : décès de Robert Vaughn.
25 novembre : décès de Fidel Castro.
28 novembre : le vol 2933 LaMia Airlines s'écrase en Colombie avec 77 personnes à bord, dont l'équipe de football de Chapecoense.

Décembre
1er décembre : décès d’Ousmane Sow.
4 décembre : décès de Marcel Gotlib.
8 décembre : décès de John Glenn.
13 décembre : chute d’Alep après 4 ans de guerre.
18 décembre : décès de Zsa Zsa Gábor et de Léo Marjane.
19 décembre : l'ambassadeur de Russie Andreï Karlov est assassiné à Ankara en Turquie ; attaque contre un marché de Noël à Berlin en Allemagne et décès de Philippe Becquelin (Mix et Remix).
20 décembre : décès de Michèle Morgan.
24 décembre : décès de Rick Parfitt.
25 décembre : crash d’un avion militaire russe : 92 morts dont une soixante de membres des chœurs de l’Armée Rouge ; décès de George Michael et de Vera Rubin.
27 décembre : décès de Carrie Fisher et Claude Gensac.
28 décembre : décès de Michel Déon, de Jean-Christophe Victor, de Debbie Reynolds et de Pierre Barouh.

5000 migrants environ sont morts en mer cette année."

Merci à lui. C'est sans doute quand même une façon de se dire, envers et contre tout, que Ça ira mieux demain. 

 

Un cynisme glaçant (mais au moins pas de réelle folie)

Tirée du sommeil ce matin par le radio-réveil sur la matinale de France-Culture, j'ai entendu avant les paroles apaisantes d'Ariane Mnouchkine, des infos concernant Trump qui annulait les expulsions de diplomates russes décidées par Obama et sans doute d'autres choses le concernant. 

Ce qui aura donné ce dernier rêve avant le réveil.

Journaliste ou consultante (?) je faisais partie d'une petite équipe "embedded" pour un temps limité (ouf) auprès de Donald Trump.  Nous constations qu'il menait le pays comme une entreprise avec un dynamisme fou - sans tenir compte de l'inertie d'immense cargo que peut avoir un pays d'où une tendance à tout enfoncer sur son passage et un risque d'échouage inouï - et zéro notion des relations historiques ni de la géopolitique préalable. Il n'était pas fou du tout, les trucs délirants qu'il disait c'était pour se faire élire puis aduler par les cons. Il faisait preuve d'un pragmatisme absolu comme s'il incarnait l'esprit même du capitalisme qui trouve à générer du profit (2) sur tout ce que produisent les mouvements mêmes de qui s'oppose à lui. J'étais rassurée - ça n'était pas un vrai cinglé, juste un cynique parfait exploitant le fait que le monde l'était, il risquait moins de faire pèter la planète que je ne l'aurais cru -, j'avais même un doute que tiens peut-être ça n'amènera pas que des horreurs : certains ennemis surpris et charmés de n'être plus considérés comme tels se montraient prêts à ne plus l'être. Mais on allait droit vers la fin des classes moyennes. Et pas parce qu'elles auraient eu accès au niveau supérieur.

(1) aux infos, pas Mnouchkine
(2) et donc se renforcer, accroître son emprise

Je préférais nettement quand je rêvais de Barack Obama.


Ce monde-là

    C'est dommage que la période soit si chahutée d'un point de vue familial entre une mère au bout du rouleau et un homme rendu fou chagriné par la conclusion de l'affaire de la fuite d'eau invisible (c'est ainsi : quand tu n'as pas une belle installation par manque d'argent et qu'un ennui survient parce que c'était vieux, tu dois payer pour retaper les belles installations des autres et mettre en conformité la tienne à tes frais), car les journée de boulot sont intenses et gratifiantes, d'autant plus que cette semaine je tiens seule la boutique ce qui dans un espace réduit est plus facile en fait (1). 

J'en repars fatiguée mais le plus souvent le cœur léger, avec le sentiment d'avoir été utile, je lis dans les transports et rêve encore un peu en marchant jusqu'à la maison.

J'étais au sein d'une de ses songeries déambulatoires, un rêve très tonique dans lequel à Uccle je retrouvais un bonheur possible, lorsque j'ai vu que les mendiants des feux rouges au bas du périph, ceux qui viennent là depuis des mois avec des pancartes "Famille Syrie", alors que la température extérieure voisinait le zéro n'étaient plus quelques-unes mais une petite foule d'hommes de femmes en noir et de petits enfants. Qu'ils soient vraiment Syriens où prétendant l'être ils ne méritaient pas d'être dehors à attendre par ce froid. Leur surnombre ôtait toute chance d'efficacité puisque par définition même un automobiliste compatissant et fortuné (2) n'aurait pu offrir assez. Et je suppose que nombre d'entre eux risquaient même en étant de bonne composition de se sentir agressés, par simple effet d'infériorité numérique. Il n'y avait rien que je pusse donner, la seule chose que j'avais d'abondance était des livres et encore à lire "pour le travail". Une fois de plus j'ai eu honte de mon impuissance. Je me dis que notre société a vraiment quelque chose qui ne va pas.

Plus tôt, attente du bus. Ils sont rares en cette période, et nous sommes plusieurs. Il y a une jeune femme bien en chair qui attend également un peu à l'écart. Un type avec un SUV de crâneur s'est arrêté, j'ai pensé à un parent venu la chercher, ou tout du moins quelqu'un qu'elle connaissait. Elle s'est approchée, ils ont échangé quelques mots, elle s'est reculée il est reparti sans s'arrêter auprès des autres personnes dont je faisais partie - et de toutes façons s'il s'agissait de demander son chemin il avait le genre d'engin qui sait tout ça tout seul -. Elle a finalement pris le bus avec le petit groupe que nous formions. Mais je me suis posée la question d'un trafic éventuel, de propositions crapuleuses, voire de prostitution. Le lieu semblait mal choisi. Mais ce que m'a appris la vie c'est qu'aucun lieu n'est plus totalement incongru. Un doute subsistera.

Nous vivons dans ce monde-là.

[mais c'est aussi un monde où la plupart des personnes croisées dans ces mêmes transports, bus de banlieue puis RER C, bouquinent, passent des coups de fils parfaitement anodins, traitent leurs enfants avec soin, saluent le chauffeur du bus et le remercient à l'arrivée ; il faudra se le rappeler lorsque tout va basculer]

 

(1) Question d'expérience, de n'avoir pas à faire gaffe à ce que fait l'autre en même temps, et aussi de ce léger handicap que je traîne depuis janvier 2015 et qui fait que je ne perçois plus les présences à l'arrière (ou latérales si en retrait). Alors je dois faire preuve pour compenser d'une vigilance accrue (ou sinon j'écrase des pieds, je bouscule) qui me fatigue davantage.  
(2) Auquel cas que ferait-il porte de Clichy en soirée ?

PS : Si je devais faire un sondage "sortie de caisse" en libraire je dirais que Macron et Mélenchon sont pour le printemps les grands favoris. Effet de microcosme ou bien tendance de fond ?


Une tape sur l'épaule

    C'est un des RER C du matin. Étrange période entre les fêtes où nous sommes quand même un bon petit nombre à nous en aller bosser (1). Pour le deuxième matin un train court est annoncé qui s'avère long en fait. 

Ce qui permet aux voyageurs d'être répartis, tranquilles et naturellement, un par lot de quatre sièges, dans cette sorte de bienséance qui veut que l'on évite de s'entasser s'il n'y a pas nécessité.

L'homme qui est assis aux quatre sièges juste devant le groupe que j'occupe, dort. Il a la tête appuyée sur la vitre. On pourrait imaginer l'entendre ronfler.

Arrivés aux Grésillons ou bien à Gennevilliers, un autre homme assis davantage vers l'avant, se lève plus tôt que nécessaire. Au lieu de se diriger vers la porte la plus proche il marche vers l'arrière. Alors qu'il parvient presque à ma hauteur il tape doucement sur l'épaule du dormeur. Un geste amical et chaleureux parfait qui m'émeut.

Le dormeur a une fraction de seconde un bref air éberlué, mais aussitôt se lève et lui emboîte le pas. 

Sans un mot.

J'ai d'abord pensé à deux collègues qui bossaient sur le même chantier (2). Ça m'a bien plu l'idée.

Seulement la façon dont celui qui dormait s'est trouvé immédiatement opérationnel, et leur silence bien rodé peut laisser place à bien des romans. Des soldats (sans uniforme) ? Des hommes effectuant une filature et s'apprêtant à utiliser la circulation à plusieurs issues des RER à étages pour plus de discrétion ? 

En terme de scénarisation de la vie quotidienne, ce geste et l'enchaînement de leurs mouvements était vraiment parfait. Je leur suis reconnaissante de m'avoir offert matière à romancer.

 

(1) Sinon quel intérêt de prendre un RER vers 8h ? Et qui s'éloigne de Paris et donc des gares importantes, des trains pour aller loin.

(2) Pourquoi un chantier ? Peut-être à cause du nombre de grues sur zone. Ou que j'aime à imaginer le travail qui s'y fait. Et qu'il se prête à de la camaderie.


"À quel âge sommes-nous nous-mêmes ?"

12717866_10207358391931088_7563836720802295213_nJe lis ceci sur le blog de Carl Vanwelde qui d'habitude m'est d'un grand réconfort, moins sur le billet  que je cite et dont la citation initiale me donne, pour des raisons affectives encore mal cicatrisées, la nausée. Mais il faut savoir faire la part des choses et la suite est fort intéressante : 
 
"Ils sont un vieux couple maintenant. Elle a perdu les jambes, il a perdu la tête. Il lui trouve une ressemblance avec sa femme, qu'il aimait tant. Elle lui dit qu'elle est sa femme, qu'il arrête donc de dire des bêtises. Elle en est triste, il en est contrarié. Il lui rétorque que sa femme était blonde, mince, avait la peau lisse et une voix douce, elle travaillait à l'Inno, il s'en souvient comme si c'était hier. Elle arrête de le convaincre, le laissant à ses fantômes. A quel âge sommes-nous nous-mêmes, avant de n'être plus qu'une image souvenir? En combien de personnes successives s'égrène notre existence, et où s'envolent celles que nous fûmes aux divers âges de la vie, dans quel ciel, dans quel récit, dans la mémoire de quel être cher? Y retrouvent-elles qui une fonction prestigieuse, qui un amour d'enfance, qui un enfant parti trop jeune? [...] Tout est vrai successivement. [...]"

Il se trouve que c'est une question que je me pose ces temps derniers bien souvent.

D'abord pour ma mère, dont le cerveau semble fonctionner encore parfaitement, du moins en ce sens qu'elle est égale à elle-même. Mais son enveloppe corporelle n'est plus qu'un squelette avec de la peau sur les os et un ventre gonflé pour lequel elle refuse le traitement pourtant logique qui la soulagerait. 
Je me dis que ce qui reste d'elle n'est pas la vraie elle-même. Cette femme sportive et dynamique qu'elle aura été durant l'essentiel de sa vie. Je pense d'ailleurs qu'elle n'est plus elle-même depuis certains propos xénophobes et racistes tenus ces dernières années. La vraie elle-même ne pouvait s'abaisser à de telles pensées.
 
Ensuite, pour moi aussi. J'ai traversé des années difficiles, en 2005/2006 puis 2013 j'ai eu le sentiment d'être expulsée de ma propre vie. Ça allait mieux depuis que j'avais retrouvé un emploi stable dans une librairie humaine avec des clients pour la plupart chaleureux et d'âme élégants. Le cumul de malheurs et tracas depuis l'été est sans doute en train de remettre cette relative accalmie en cause.
C'est un peu différent des périodes de malheurs précédentes : je ne suis pas exclue de ma vie, celle-ci suit son cours, en revanche la part personnelle en est réduite à presque rien. Mon temps est englouti et j'ai beau aimer mon métier et me sentir heureuse lorsque je travaille, entre hôpital, suites calamiteuses de l'affaire de la fuite d'eau invisible et horaires de travail complets, je me sens étouffer. Est-ce vraiment moi cette personne qui fait ce qu'elle a à faire mais sans moments apaisés, sans personne pour vraiment se soucier, sans temps pour écrire (à part, en désespoir de cause, ici) ? Je ne me retrouve qu'aux heures d'entraînements. Car cette décision de me mettre au triathlon c'est moi, vraiment. Seulement, entre Noël et jour de l'An, il n'y en a guère. 
 
À quel âge sommes-nous nous-mêmes ?

Je crois que je l'ai été en 2012, j'avais 49 ans, un boulot que j'aimais pour quelqu'un qui en valait la peine, je me croyais aimée, dans chaque interstice j'écrivais, et d'ailleurs un petit quelque chose avait été publié.
Cette photo (merci Douja) d'un soir d'octobre, alors que nous recevions Joël Dicker avant que sa "Vérité sur l'affaire Harry Québert" n'atteigne des sommets de succès, avant son premier prix remporté, marque un instant de ma vie où j'étais moi plus que jamais. Bonne Mascotte et heureuse de l'être. Et même mon grand ami, mon presque frère, était présent. 
 
Depuis mi 2013, ça n'est plus tout à fait ça. Je lutte sans arrêt pour limiter les dégâts. Plus encore que la fin de cette belle librairie cette année-là, et la rupture subie si violemment au même moment, même s'il y avait 320 km d'écart il y avait concordance des temps, ce sont les journées des 7, 8 et 9 janvier 2015 qui m'ont éloignée de moi-même. Mon visage, d'un seul coup, s'est affaissé. Je n'étais plus la même, plus tout à fait.

J'ai peur que 2017 apporte de si grands tourments collectifs que nous tomberons tous dans la simple survie. Que vais-je encore me faire arracher ? Et par qui ?
Peut-être que je [me] suis pour de bon perdue. Peut-être que le sport et le travail me permettront d'amortir la dégringolade [même] dans un monde en conflit. 

Est-il possible d'être soi-même lorsque tout se délite ?

 


Triste lundi


    La journée de librairie aura été toute douce : seules deux personnes pour des échanges de cadeaux (1) et sinon quelques clients paisibles et une jeune australienne. Les trajets se sont effectués sans tracas particuliers. 

Au retour j'avais décidé de me la jouer premier bus premier train. Ce qui m'a fait repasser par Paris.

Gare du Nord, les portiques avant l'accès aux Thalys sont plombants. Je me souviens d'avoir tant de fois accompagné les uns ou les autres jusqu'à leur train. Ça ne serait plus possible et ça me rend très triste.

Une amie semblait chez elle mais je n'ai pas osé la déranger. Salut, je bossais aujourd'hui, et là je rentre chez moi, ça me ferait plaisir qu'on se voie, on prend un café ? : Pas osé.
La raison voudrait que je lui envoie un mot pour lui proposer une revoyure un autre jour. Le hic c'est qu'en ce moment je ne peux rien prévoir. C'est effarant comme l'hospitalisation sans guérison possible d'un proche nous enserre, comme cela nous confisque le temps. 

Et puis il y a le travail avec des week-ends travaillés. En temps normal ça ne me pèse pas, le tout est de s'organiser. En ce moment, c'est compliqué.

C'est bizarre de ressentir comme si triste une journée qui s'est bien passée.

Mais elle est plombée par les conséquences de ce qui se trame ou s'est tramé.

L'affaire de la fuite d'eau invisible nous coûtera 6200 € (avant travaux). Il faut payer avant la fin de la semaine. Nous n'avons pas contesté en temps voulu une expertise écrite à charge et nous voilà considérés comme fautifs. Ni effectués assez vite des travaux de (re)mise aux normes.

Un blog que je lis d'habitude pour me remonter le moral citait une des œuvres de l'ex-bien-aimé et de sa dulcinée. Ça brûle encore. J'ai la sensation d'une spoliation. Que c'est avec moi qu'il aurait dû écrire. Je me dis que l'auteur du blog n'a sans doute pas la moindre idée de la façon dont son ami est capable de traiter une femme dès lors qu'il a trouvé mieux, ou du moins plus conforme aux désitérata masculins (2). J'ai eu cette pensée pour le moins curieuse que c'est probablement par lui que j'apprendrai sa mort. À tout le moins, c'est présomptueux. 

Pour autant ce blog reste intéressant, il ne faut pas tout mélanger. Et d'ailleurs les blogs que j'ai pu (re)lire aujourd'hui auront été réconfortants. Les réseaux sociaux ont presque tout phagocytés mais ceux qui perdurent sont de qualité.

Je me dis, comme Anne, que l'année 2016 aura été très très peu voyageuse : nouveau travail oblige, manque de congés et manque d'argent. Je ne pense pas que j'en aurais vraiment jamais, mon métier de libraire est un genre de sacerdoce qui maintient fauché-e. Mais si je parvenais à écrire et publier quelque chose peut-être serais-je ici ou là invitée (on peut toujours rêver).

Je me laisse parfois aller à imaginer ma vie si elle n'avait pas à deux reprises violemment été déviée. Il y a le parc (un parc) en commun. Les livres. Mais à part ça ?
Suis-je vraiment où je suis ? Est-ce que je n'ai pas une existence principale en train de se dérouler ailleurs, dans les progrès d'écriture, en bonne compagnie ? Comment peut-on être à ce point un pion entre les mains d'autrui ? Je te veux près de moi / Je ne te veux pas / Je suis si heureux que tu sois venue / J'ai rencontré quelqu'un / Tu n'encombres jamais / Ça serait mieux qu'on ne se voie plus

Les écrivains, sans doute plus que d'autres, une fois dans la vraie vie écrivent n'importe quoi.

Il y aura eu le réconfort en mettant à profit un moment calme de tomber sur un album illustré pour enfants écrit par un ami. Mais la tristesse associée de ne même plus se rappeler de la dernière fois que nous avons passé un peu de temps ensemble, tellement les mois ont défilé sans les moindres retrouvailles. Partant de là je me suis souvenue de tou-te-s les ami-e-s disparu-e-s. Des personnes qui ont cessé de donner de leurs nouvelles et d'en prendre. Des blogueurs, entre autre, qui ont cessé de bloguer, et dans le même mouvement, toutes relations avec leurs anciennes connaissances. J'aurais passé une partie non négligeable de mon temps à attendre en vain le retour de quelques-un(e)s. Leur volatilisation avait si peu de sens. Comment peut-on du jour au lendemain mettre quelqu'un à la poubelle, sans signe avant-coureur, sans conflit, sans rien ? Ils ou elles allaient revenir, forcément, dès qu'ils retrouveraient un moment. 

Écrire me manque, je ne le fais plus qu'ici depuis la mort de mon beau-père et la sur-occupation induite alors que je tentais péniblement de retrouver un rythme après l'été de permanence puis la rentrée (scolaire et littéraire) et quelques rencontres avec certain-e-s de mes auteur-e-s préféré-e-s. Il y aura eu le festival de cinéma d'Arras (et de l'écriture sur les films, jusqu'au jour de l'annonce de Trump élu, comme ça m'a coupé les pattes, ça), puis la dégradation de la santé de ma mère et depuis les circuits hosto-boulot et l'épuisement induit. D'autant qu'en décembre en librairie c'est du 7/7 ou quasi.
Reste qu'au moins je n'ai rien à me reprocher : il n'y a pas d'interstices dans lesquels je pourrais glisser cette part de mon travail. Tout est trop instable, trop perturbé. 

J'apprends par François Bon que la librairie Corti va fermer. Même si elle a des successeurs, ça ne sera plus pareil.

George Michael est mort. Je sais pertinemment que le sort (?) se contrefout du calendrier. Il n'en demeure pas moins que cette année 2016 aura été celle d'une hécatombe de personnes qui furent très créatives et reconnues dans leurs métiers. On pourrait presque croire qu'il y a quelque chose de l'ordre du : Vu ce qui se profile, on préfère partir avant.

Par dessus tout il y a cette question de l'hospitalisation à domicile de ma mère qui me tracasse. C'est elle qui le souhaite. Et l'hôpital qui veut libérer des lits : on ne peut pas leur en vouloir de ne pas vouloir garder une patiente en fin de vie qui refuse les soins. Mais l'idée de quelqu'un laissé seul qui ne peut quitter son lit me gêne. Tous sont à me dire que je m'en fais pour rien, que des passages sont prévus, et des systèmes d'appels (3). Mais ça me tracasse : être seul-e, étouffer, ne pouvoir appeler.

J'ai été malade hier soir, une sorte d'intoxication alimentaire, c'est seulement au cours de la journée que j'ai cessé d'avoir le corps douloureux. Il me semble que la fatigue des jours derniers et ces inquiétudes lancinantes, n'y étaient pas pour rien.
Il fera froid, les jours prochains.

 

(1) quel contraste avec le XVIème arrondissement et ses refourgueurs de cadeaux achetés sur amazon ou à la Fnac (étiquettes incluses)
(2) Merci à Anne Savelli pour ce lien édifiant.
(3) À une paire de jours de son retour, rien n'est installé, cependant.


Bordeaux is so trendy

    Le rush de fin d'année, lorsque l'ambiance est bonne et les clients de qualité, peut être l'occasion de franches rigolades et d'un lot conséquent de perplexités.

Il se confirme qu'en matière de paquets cadeaux les avis sur ce qui se fait ou non peuvent être diamétralement opposés, de ceux qui préfèrent que l'on laisse le plastique s'il y en avait un et tant pis si du coup le prix est visible et ceux qui répètent quatre fois Vous avez bien enlevé le prix ? [un exemple parmi plein], de ceux qui se scandalisent de l'utilisation de papier et bolduc à ceux qui réclament un paquet par objet même pour les mêmes personnes. Le plus drôle étant que chacun est persuadé de faire selon le bon usage.

Il y aura eu le mystère du cadeau oublié. En face de la caisse, là où un rebord permet de caler son sac, mais que côté tenancière on ne voit pas, quelqu'un avait oublié un petit sac contenant macarons et pâtes de fruits. Une jeune femme venait de partir et nous étions en train d'achever les paquets cadeaux pour un monsieur du genre hyper sérieux, pas rieur pour un sous. Nous avons cru que le sac était à la jeune femme, tenté en vain de la rattraper, le monsieur nous a entendu, a payé, pris ses cadeaux, est parti ... puis revenu alors que nous nous demandions que faire. Très pince sans rire, il a dit : - J'ai retrouvé la dame ! 
Et devant nos airs un peu surpris a déclaré très pince-sans-rire : C'était moi, puis saisi le paquet, dit Joyeuses fêtes et a filé.
J'ai trouvé la scène extraordinairement drôle jusqu'au moment où ma patronne a émis un doute solide quant à la légitimité de cette (ré?)appropriation.

Il y aura eu le coup d'humour burlesque du client triste. Buster Keaton réincarné. J'ai beaucoup ri.

L'habitué ami, que nous avons pour partie oublié de faire payer. Mais qui est revenu, réclamer de tout régler.
Toutes sortes de gags de personnes tentant de faire un cadeau discret pour quelqu'un mais qui revenait avant qu'il ne soit emballé. Ou l'inverse (des emballages bouclés trop vite pour quelqu'un qui voulait montrer à quelqu'un d'autre). 
Ceux qui, totalement oublieux du jour particulier téléphonaient pour des commandes scolaires, dont une pour un établissement (hier, certes, mais cependant). Ceux qui venus pour un seul ouvrage, sans doute séduits par l'ambiance, ou alléchés par la perspective de pouvoir déléguer tous leurs paquets, repartaient avec des présents pour une famille au complet.

Celui qui l'air de rien devait être une star locale : passé en trois fois, il retrouva une vieille connaissance à chaque fois. 

Et puis enfin, il y eu ce mystère de la mode : 

Un homme passé la veille avait acheté un roman courant puis demandé si nous n'avions pas un livre qui aurait été en lien avec la ville de Bordeaux. Je crois qu'il avait expliqué qu'il devait passer Noël par là-bas dans sa belle-famille, ce qui lui donnait pour (l'un d'entre) eux cette idée-là.
Une dame était alors entrée pour chercher un livre qu'elle avait commandé. 
- Votre nom ?
- Bordeaux
-  ... ?
- Oui, Bordeaux, madame Bordeaux. Comme la ville.

Après, nous avions dû expliquer à la dame, heureusement de bonne composition, d'où provenait notre hilarité.

Aujourd'hui un homme, plus jeune, entre et tout de go après nous avoir saluées nous demande : 
- Vous n'auriez pas un livre en rapport avec la ville de Bordeaux ?

Renseignement pris il n'avait, semblait-il aucun lien ni avec la dame ni avec notre Bordeaux buyer de la veille. 
And Bordeaux, suddenly became so trendy.

En quittant le travail, j'ai retrouvé mes tracas, les malheurs familiaux. Bosser avec intensité les avait remarquablement tenus à distance. J'ai failli tenter de marcher jusqu'à l'hôpital où survit ma mère. L'homme de la maison qui l'avait vue dans la journée m'en a par SMS dissuadée. Nous irons tous. Ensemble. Demain.

Dîner complet, mais sans excès. Cadeaux utiles. Je pense à ceux dont l'absence pèse. Je pense à celui qui partageait des photos de Noël si réjouies, il y a quelques années, qu'elles donnaient envie [de le rejoindre et sa famille aussi] et qui désormais a comme on dit "refait sa vie", et combien c'est bizarre vu de loin, ce bonheur si éclatant fané pour un autre.
Je pense que j'aurais infiniment aimé passer Noël à Turin, avec ma famille d'Italie. Mais il est impossible d'organiser un déplacement à la saison lorsqu'on travaille en librairie. Et l'état de santé de ma vieille mère empêche tout réel déplacement. 
C'est donc le boulot qui porte le bonheur. Du moins pour l'instant.
 

PS : Un grand merci à Julie dont ce post sur FB est d'un infini réconfort en plus qu'on est heureux / heureuses pour elle et pour ses fils. 


Heavy friday

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Il était prévu que ça soit l'une des journées de librairie les plus chargées de l'année. Ça l'a été. Mais les clients là-haut sont presque tous de grande qualité, jusqu'à proposer les uns aux autres à passer avant, alors la foule de veille de Noël n'est pas facteur de stress. C'est même assez stimulant.

Il était prévu que quelqu'un passe voir ma mère à l'hôpital puis me chercher au travail (1) sur sa proposition - je n'aurais pas pensé à le demander, la seule chose que j'avais demandé c'était s'il était possible que l'on passe chercher pour moi mes nouvelles lentilles de contact chez l'opticien car mes horaires jusqu'au 31 rendront cette démarche pour moi impossible -. Ça n'a pas eu lieu. L'affaire de la fuite d'eau invisible avait rebondi, je n'ai que vu la trace d'un mail que sur le téléphone je ne pouvais lire (l'important dans la pièce jointe) et je l'avais fait suivre quand ç'avait été possible. Nous avions aussi eu un passage d'huissier pour une notification d'ordonnance de référé (2), mais je l'ignorais. Ça aura suffi à tout désorganiser tandis que je bossais, relativement heureuse, car concentrée sur ce que je faisais et qui était assez utile aux autres. En effet aider les gens à préparer pour une fête quelques présents assez intelligents est plutôt gratifiant.

Je me suis mangé l'ensemble dans la gueule un joli lot complet au moment de clore la journée, en ne voyant personne venir et en tentant par SMS de me renseigner, craignant soudain que la malade n'ait sa santé un cran plus dégradée et que la visite ne se soit prolongée. Il n'en était rien. C'était simplement sous l'effet du stress une bouffée d'incapacité de celui qui aurait dû venir, sans qu'il n'ait su prévenir que qu'il ne pouvait plus assurer.

Alors j'ai dû me débrouiller pour rentrer sachant qu'en plus c'était un bout de soirée gâchée qui m'attendrait puisque le malheureux allait ressasser.

C'est là qu'on mesure les limites du militantisme écolo-responsable qui pousse à utiliser avant tout les transports en commun.

La journée devait avoir été trop riante jusque là : ça s'est encore gâté. Un bus était bien là et vite - tant mieux en prévision d'un retour en voiture je n'étais pas couverte comme quelqu'un qui doit attendre jusqu'à 20 minutes dehors -, seulement il m'a menée vers une gare où les trains étaient supprimés (3) du moins ceux qui allaient vers Ermont Eaubonne où j'espérais récupérer un RER C.

Finalement j'ai pu arriver gare du Nord et de là, bon an mal an, jusqu'à Satin Lazare. Compte tenu du changement, j'envisageai la ligne 13, mais un message "perturbations / colis suspect" était au même instant diffusé la concernant, alors je suis remontée vers les trains, mais la voie sur le premier prévu tardait à être affichée, la fin d'un message diffusé m'a fait comprendre qu'il était plus sage de tenter de prendre directement le suivant. 
Ceci me rappelle certains billets chez Alice

J'avais mis plus de deux heures pour rentrer. Contre environ trois quart d'heures espérés alors que je croyais encore un homme à peu près fiable, du moins dans ce genre de cas. Et que surtout il aurait prévenu s'il était arrivé quoi que ce soit. Ce qui n'avait pas été le cas.

Restait à me laver, dîner, écrire quelque mail concernant l'affaire - sachant que je n'aurai comme week-end que dimanche et qu'il faudrait aller à l'hôpital -, sortir la lessive, vider les poubelles, espérer que le fiston, parti se murger fêter le début de brèves vacances avec des amis ne rentre ni trop tard ni trop détruit. La journée s'achevait comme elle avait commencé, dans un brouillard épais. Mais pas tout à fait le même. 

Comme Samantdi en ce moment, je suis fort triste. Mais contrairement à elle, j'ai peur qu'à force ça ne se voie.

Heureusement restaient quelques bons moments de librairie, un petit salut sur l'une de mes photos, un bon repas le midi, la lecture de "Vie de ma voisine" (5) qui fait beaucoup de bien. Celle des blogs subsistants aussi. La livraison parfaitement ponctuelle de mon masque anti-pollution pour le vélo les jours de pics. La part, certes restreinte, que je maîtrise de ma propre vie, ce qui dépend essentiellement de moi, va, elle, plutôt bien. En attendant les grands malheurs et les grands tourments (3), c'est déjà ça. 

 

(1)  Compte tenu de la proximité relative de l'hôpital avec mon lieu de travail, c'était une démarche logique.
(2) Ce qui quoi qu'on puisse penser du reste est très étrange c'est qu'il y a eu plusieurs délibérations, quelque chose en septembre, une "ordonnance de référé" semble-t-il le 7 novembre, des trucs officiels qui nous concernaient, auxquels il eût sans doute fallu que nous fussions présents et que nous n'en ayons rien su. Ni courrier de papier, ni mails, ni trace du moindre appel. Juste un message vers mi-décembre de l'avocat de notre compagnie d'assurance qui nous présente la (lourde) facture. Y aurait-il eu un recommandé via la poste qui comme l'an passé [celui qui avait mis quinze jours avant de nous être présenté] se serait perdu ?
(2) gare du Nord, colis suspect ai-je cru comprendre à l'arrivée.
(3) Je songe à ce(ux) que voit venir Alice dans ce billet-là. Et partage ce qu'elle nomme si justement "notre impuissance et notre appréhension". 
(4) de Geneviève Brisac


C'est deux jours avant le soir de Noël

    Cette période est si étrange. Le travail me fait du bien mais arrivée au soir je tombe de fatigue. Presque tout ce que j'avais prévu de faire dans la maison m'est impossible, je n'ai plus la force. La chose positive (merci les années d'expériences, merci le début d'entraînement de triathlon) c'est que mon corps, contrairement à l'époque VIIIème ou XVIème (arrondissements), s'il est fatigué de retour chez moi n'est pas douloureux, tout va très bien, c'est merveilleux. 

Je pourrais même sans problème effectuer les trajets en vélo. J'ai d'ailleurs cru que ça serait possible (si le temps restait clément) dès la semaine prochaine (1). Seulement ma mère va devoir rester à l'hôpital encore quelques temps : tout n'est pas si bien organisé qu'on a voulu nous le faire croire (2) et l'association qui avait un partenariat prioritaire avec l'hôpital pour un retour en hospitalisation à domicile ... ne couvre pas la commune où ma mère habitait habite. 

Ça me rappelle les histoires d'assurances santé qui ne couvrent qu'une région dont il est question dans "Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose" de Roz Chast. Je suis éperdument reconnaissante envers Milky qui me l'a conseillé.  C'est d'un immense réconfort, on se sent moins seules dans le marigot des fins de vie parentales non préparées. On se sent moins seules de n'être ni dans une configuration de type chagrin insoutenable de perdre des parents qui nous ont tant soutenus et aimés, ni dans une configuration de haine, juste un accablement, beaucoup de compassion et la sensation persistante d'une erreur originelle de casting, mais qu'on se doit d'assumer.
Après, ce livre parle du merveilleux cas de figure dans lequel l'argent y est. Ce n'est pas le nôtre, dans lequel l'argent n'y est pas non plus totalement pas. Juste ce "pas assez" qui empêche à la fois des aides suffisantes et des possibilités d'accès. 
Nous allons néanmoins essayer. En ce qui me concerne ça tient du respect de ce qui ressemble déjà à des dernières volontés.

Mais j'ignore comment nous allons y arriver.

Au milieu de la dureté et de la peine il y a des petits îlots de bons moments. 

La beauté des lieux. Habiter Paris ou certains points de l'Île de France, y travailler, c'est côtoyer quoi qu'on en dise pas mal de beauté.
Le métier de libraire. Quand les clients sont des gens décents, voire dans pas mal de cas formidables et que les finances vont à peu près bien, c'est un travail qui apporte de belles satisfactions. La matinée de ce jeudi aura été magique. Avec de bien belles conversations (tout en paquetcadeautant). 
Un bon repas. Ça n'était pas plus prévu que ça, mais pour l'un entre deux démarches à l'hôpital, pour l'autre à sa pause déjeuner, voilà. L'Italien du haut de la colline s'appelle Sempre al Viccolo et l'on s'y régale pour un prix raisonnable. J'ai eu de l'énergie tout au long de l'après-midi d'avoir si bien mangé.
Un SP attendu, qu'on m'a envoyé par gentillesse - ça n'était pas le circuit officiel mais quelqu'un avec lequel on travaillait dans les librairies précédentes -, et à peine ouvert, j'avais les larmes aux yeux. J'en parlerai sans doute bientôt Côté papier. Bonheur corollaire : Antoine Volodine parmi les personnes remerciées. Je ne sais pas pourquoi mais ça me fait toujours chaud au cœur, et même au sens littéral, une réelle sensation de chaleur, lorsque deux personnes que je connais (qu'il s'agisse d'amis ou de personnes que j'ai croisées dans le milieu professionnel) et dont j'admire le travail et que j'apprécie se révèlent être de grand-e-s ami-e-s. 
La lecture dans les transports. Combien il est satisfaisant d'à la fois effectuer un déplacement, prendre plaisir à une activité que l'on fait en même temps (lire), et ne pas contribuer à alourdir (trop) la pollution.
Les racontes du fiston au sujet de son boulot. Il raconte en rendant drôle. Il apprécie ce qu'il fait. 
Le bonheur de ma fille rentrant ravie de son premier opéra (en tant que spectatrice).
Quelques souvenirs heureux ressurgis grâce au "ce jour-là" sur FB.
Quelques messages d'ami-e-s, aussi. Et comme ça aide dans des périodes compliquées comme celle-ci.

Encore deux jours de boulot très intenses puis je pourrai souffler une journée - qui risque d'être rude, mais peut-être que changer de fatigue est une façon comme une autre de récupérer -. 

 

 

(1) Tant que ma mère est à l'hôpital qui est à 6 ou 7 km de mon travail, je fais (en voiture) des trajets triangulaires domicile - hôpital - travail. Dès lors que ma mère sera chez elle - plus loin -, aller la voir ne sera possible qu'en cas d'urgence ou les jours non travaillés ou travaillés à temps très partiel. Je pourrai donc récupérer ma possibilité des trajets simples domicile - travail en vélo.

(2) Je ne suis pas surprise le moins du monde. Ni non plus par les frais qui ont déjà commencé à fleurir sur le terreau du "pris en charge" qu'on nous avait présenté. Je ne demande pas à ce que tout le soit, mais j'aimerai que les frais ne dépassent pas la pension de ma mère. Ce qui est pour moi particulièrement flippant c'est que mon salaire horaire est inférieur à celui d'un-e auxiliaire de vie. Alors j'ai cette sensation de l'endettement qui se profile - même si en pratique je ne suis pas censée prendre en charge tout ça avec mon salaire -