C'était la seule consolation de cette situation
04 septembre 2017
(C'est un billet que j'avais écrit il y a un an ou deux, pas mis en ligne sur le moment, redécouvert aujourd'hui) (intéressant de voir ce qui entre temps a changé, ce qui n'a pas bougé) (et je mesure l'importance bienfaisante du triathlon dans ma vie, c'est comme si l'ensemble de mes capacités s'étaient élargies, en plus que je parviens enfin à penser un peu à moi, par le biais de l'attention nécessaire au corps)
C'était la seule consolation de cette situation, quand celui qui avait bien un peu fait semblant est parti, je n'ai plus vraiment eu, fors cas très particuliers très extrêmes, par exemple les différentes vagues d'attentats et de ne pas savoir qui risquait ou non d'avoir été là, à rester suspendue aux nouvelles de quelqu'un ou à leur absence. Lui était plutôt du genre régulier, ou alors il prévenait (cette semaine, j'écris), généralement de façon inutile (c'est lui qui m'envoyait un SMS, un mail), ou alors s'est parce qu'il était malade (auquel cas il réécrivait dès qu'il le pouvait, où envoyait un bref texto dès qu'il sortait de la fort fièvre). C'était plutôt moi l'irrégulière.
D'ailleurs je le suis hélas souvent avec la plupart de mes amis : il y a le travail, il y a ses prolongations (de belles soirées en librairies, des lectures pros), la petite famille, les entraînements sportifs, quelques sorties, et (pas suffisamment) l'écriture. Le sommeil prend tout ce qui reste. Souvent le soir lorsque je suis enfin devant l'ordi, je m'efforce de répondre à mes messageries (celles des réseaux, celle du vrai mail), et le sommeil déboule avant que j'aie fini. Je remets donc au prochain temps personnel libre, généralement le lendemain soir car le matin c'est debout-se préparer-filer et il n'est pas rare qu'un message reçu en début de semaine n'ait pas de réponse avant le week-end suivant. Comme désormais le week-end je travaille une fois sur deux (en gros), ça remet parfois d'une quinzaine, et je pense que mes interlocuteurs sont en droit de penser que je les ai oubliés (alors que non).
Il s'est trouvé que l'an passé parce que la bien-aimée d'un ami de longue date avait subi un dangereux problème soudain de santé, je m'étais par ricochet retrouvée dans la situation de l'attente dans l'inquiétude. Avertie du malheur, prévenue d'un silence le temps du plus fort du combat, j'ai passé près d'une semaine à penser à eux en permanence, une sorte de petit sous-programme que mettait en sourdine le travail et mes propres moments de ressources intensément utilisées (par exemple ce retour du travail à vélo sous une pluie battante, le problème n'étant pas tant la pluie qui en deux ou trois minutes m'avait rincée, plus rien n'était à craindre, que les multiples dangers induits de mes freins devenus incertains, aux dérapages possibles, aux voitures qui levaient des flaques, et à une moins bonne visibilité).
C'est alors que j'avais pris conscience d'être retombée dans ce travers d'autrefois, datant de mon premier amour, puis de la période du Burkina Faso (l'amoureux moins gêné que moi par la distance subie : il vivait une vie au parfum d'aventures du fait même de son expatriation, tandis que je me frottais aux dures lois du travail en grande entreprise pour lesquelles personne ou presque n'était moins adaptée que moi), puis de la période de grande intimité avec l'ancienne amie, puis de la période avec celui que j'appelais Another Ted après qu'il m'avait si brutalement quittée : je renouais avec ces heures et ces jours traversés dans une sorte d'équivalent humain du "mode sans erreur" des ordis, fonctionnant mais sans plus, plein de fonctions mises en veilleuse, incapable d'accéder à l'ensemble de mes capacités, pas tout à fait présente, en fait.
Et comme toujours le message (en l'occurrence un SMS) mettant fin à l'attente (d'autant plus qu'il apportait une bonne nouvelle, un intense soulagement), montra combien l'oppression avait été forte par le niveau instantanément d'énergie retrouvée et de présence au (reste du) monde.
Ça n'aurait constitué qu'un dégât très collatéral, mais j'avais été au bord de perdre le seul aspect consolant de ma situation de "rejected one".
PS : Cet épisode avait aussi été l'occasion de mesurer, comme l'évoquait Chris Marker dans "Le cœur net" la non sanctuarisation de l'amitié dans nos sociétés. Si je suis la sœur de mon grand ami, je peux éventuellement obtenir des informations par un tiers, c'est la famille. Je ne suis qu'une amie, quand bien même notre lien affectif de fraternité est très fort, pas moyen de savoir ce qu'il est advenu si le principal intéressé trop occupé ou accablé n'émet plus rien.
Ça avait été aussi l'occasion de prendre conscience d'un truc auquel je n'avais auparavant pas vraiment songé : la plupart de mes amis "d'avant", s'ils meurent sans que des amis communs ne relaient l'infos, je n'en saurais rien. Pour un certain nombre d'autres de mes amis de ma vie depuis l'internet (1), je sais que d'une manière ou d'une autre, par les réseaux ou les infos, je serais avertie si quelque chose survenait. Les temps ont bien changé.
(1) J'aimais beaucoup ce que disait au passage Samantdi sur ses amis d'avant et d'après. Valable aussi pour les miens (et moi)