Dr Caso a publié ce billet dans lequel elle nous interroge sur Quand on a su, à quel moment on s'est rendu compte que le Covid_19 allait changer nos vies.
Je m'apprêtais à répondre en commentaires puis je me suis rendue compte que ce commentaire n'en finirait pas. Ça serait plus courtois d'écrire un billet.
D'abord, comme je lis beaucoup d'une façon générale, et qu'il y avait déjà eu un certain nombre d'alertes (comme le SARS de 2003), je savais qu'un jour ou l'autre ça adviendrait. En particulier "La constellation du chien" de Peter Heller, et "Station Eleven" d'Emily St. John Mandel. Je suis certaine que les amateurs et amatrices de SF ou romans d'anticipation connaissent bien d'autres exemples peut-être plus frappants. En tout cas grâce au héros de Peter Heller j'avais déjà mentalement vécu au temps d'une épidémie qui atteint des gens que l'on aime. Je m'étais suffisamment identifiée à lui pour avoir déjà une trace mentale de l'effet que ça fait. Joint à quelques paroles rares de mes parents évoquant les temps durant lesquels la poliommyélite et la tuberculose faisaient des ravages, j'étais en quelque sorte "préparée" à ce qui est advenu.
Ce n'est pas forcément confortable parce qu'on aborde le cas réel sans la petite besace d'illusions initiales qui au départ protège l'esprit humain de se manger frontalement l'ampleur du problème. Ainsi, je savais déjà pertinemment qu'un virus n'a pas d'état d'âmes : il s'attaque à tous les organismes dès lors qu'il les croise. C'est après qu'il peut réagir différemment (ou plutôt : engendrer une réaction différente selon l'organisme attaqué). Mais il n'a ni âme ni indulgence et il ne se montrera pas plus clément envers un bouquet de joueurs de pétanque du dimanche qui n'auront pas su différer leur sacro-sainte partie, ou des croyants qui se rassemblent pour prier, même si le dieu invoqué trouve cet effort méritoire, qu'envers des gens qui iront danser entassés en boîte de nuit (du moins avant qu'elles ne ferment).
Le moment où j'ai compris que c'était du lourd, était en janvier, en suivant les infos internationales, et j'avais pensé, leur sorte de pneumonie, à Wuhan, ça a l'air sévère. Mais j'avais l'illusion que si on contrôlait la circulation des gens, en particulier les passagers des avions, qu'ils soient testés, ça resterait en Asie, un peu comme le SRAS l'avait fait.
Le moment où j'ai compris que l'humanité était dans son ensemble mal barrée c'est le jour de l'annonce de la mort du docteur Li Wenliang, le 8 février 2020.
(extrait de mon billet)
D'un point de vue rationnel il me semble évident :
Que pour l'instant du moins (ça peut changer très vite, je m'en doute) en France le risque de chopper la grippe classique est bien plus élevé (2) que d'attraper le 2019-nCov ;
Que si l'épidémie se répand à Paris, on aura beau faire, nous risquons d'être en contact avec le virus que nous le voulions ou non ; et tant que nous devrons les uns ou les autres aller travailler, nous n'aurons pas la possibilité de rester confinés. Sans même parler des courses à faire. Dès lors est vaine toute stratégie d'évitement. Qui vivra verra (3).
Il me semble que cette approche calme aura peut-être pris fin ce matin.
Dès le 11 février, dans un billet dont ce n'est pas le sujet principal - la vie suivait son cours, je cherchais du travail et en attendant me débatais avec Pôle Emploi afin de faire reconnaître mon plus récent CDD qui suivait un CDI dont j'avais démissionné en période d'essai -, conscience des perspectives d'un confinement, je notais ceci :
Des personnes sont en quarantaine dans des paquebots géants où quelques cas se sont déclarés - dont un au Japon, tout le monde confiné dans sa cabine et des tours de promenade réglementés pour ceux qui en ont des toutes petites sans hublots -.
Conséquences sur lesquelles j'avais lu des articles mais qui commencent à concerner des gens que je connais : toutes nos belles industries, dont celles du luxe, qui avaient délocalisé tout ou partie de leur production en Chine, commencent à sentir la pénurie. Dans certains cas pour des éléments précis, mais dont l'absence est bloquante.
Et les mêmes industries habiles à délocaliser sont aussi celles qui ont recours aux prestataires extérieurs : chute du chiffre d'affaires ou de la production, résiliation immédiate des contrats. Un ami m'a parlé de connaissances qui s'étaient vu notifier par SMS, de ne pas revenir pour l'instant et que le contrat était suspendu en attendant retour à jours meilleurs.
J'avoue que je ne pensais pas que les conséquences économiques se feraient si vite ressentir. Je supposais encore à l'ancienne, qu'elles ne précéderaient pas la vague épidémique par chez nous.
Ma difficulté à me projeter dans le futur, trop d'éléments barrant la route, dont mon absence de perspectives rémunératrices immédiates, et la conscience que des tas d'autres problèmes de santé peuvent survenir avant ça, font que je ne parviens pas à m'inquiéter plus que ça. La perspective d'un confinement général ne m'effraie même pas : j'ai de quoi m'occuper avec tout le travail de rangement de l'appartement pendant des mois. Et puis, dans la série À quelque chose malheur est bon, ça pourrait être l'occasion d'écrire à bride abattue.
Les implications de la pandémie jusqu'en France ne me semblent encore ni inévitables ni si directement périlleuses. Je crois que j'ai encore l'illusion d'une possible traçabilité, d'un isolement efficace des cas contacts.
C'est le 21 et le 22 février 2020 qu'en regardant Rai News 24 dont je viens de m'offrir l'accès avec quelques autres chaînes italiennes qui chez notre opérateur internet constitue un "bouquet" payant, et qui passe un temps en mode "couverture d'une actualité brûlante en direct permanent", que je comprends que ça y est les carottes sont cuites et c'est la fin des haricots, que nos vies, en France aussi, seront menacées et bouleversées.
Un foyer d'infection fait des ravages à Codogno, une petite ville italienne sans histoire et dont le possiblement patient zéro n'a rien à voir d'immédiat avec la Chine, ce qui signifie que ça y est le virus a pris pied en Europe, on ne peut plus faire semblant de croire qu'en interrompant les échanges aériens et en imposant une quarantaine aux voyageurs on passera entre les gouttes.
Voici ce que je notais le 22 février 2020 :
J'avais entendu un flash d'info sur France Cul au matin, et qui parlait d'un bond soudain de l'épidémie en Italie. Je savais donc à quoi m'attendre. Seulement la réalité quand elle est moche dépasse (presque) toujours ce à quoi on s'attendait : je suis arrivée (entre autre sur Rai News 24) en plein direct quasi non-stop sur le coronavirus, comme s'il y avait eu un attentat.
Le contraste avec les chaînes d'infos française qui tartinaient à loisir sur le thème de Président Macron est depuis 9h au salon de l'agriculture porte de Versailles à Paris, était saisissant.
J'en ai fait sur le moment un petit LT. Et puis comme en France on faisait toujours un peu semblant de Oh mais ça ne nous concerne pas, le virus se détournera de notre beau pays comme l'avait fait le nuage de Tchernobyl, je me suis attelée à la tâche de touiter la partie la plus importante des infos italiennes que désormais chaque soir je suivais.
C'est donc le vendredi 21 février 2020 que j'ai su que non seulement nos vies seraient impactées mais que nous allions être toutes, tous et chacun d'entre nous en danger et que notre quotidien allait être pour un long moment bizarre, risqué et compliqué, et qu'une fois l'expansion du virus maîtrisée ou des vaccins ou des protocoles de soins efficaces mis au point, il y aurait une longue et terrible crise économique qui s'ensuivrait, laquelle, couplée avec les conséquences de plus en plus menaçantes du réchauffement climatique, risquait de marquer le début d'une époque très sombre pour l'ensemble de l'humanité.
Et à ma petite échelle, j'ai enclenchée le mode Faisons ce qu'on peut et sauve que pourra ... et commandé quelques masques en tissus.
Ce blog est alors devenu une sorte de journal d'une vie quelconque quotidienne au temps d'une pandémie, car j'obéissais désormais à aux mêmes motivations que celles décrites par Dr Caso dans son billet Il faudrait écrire ce qu'on vit ; une impérieuse nécessité de témoigner et partager pour s'entraider à tenir.