Désormais ce souvenir (impossible d'y échapper)

 

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J'avais pris cette photo une semaine plus tôt, remarquant pour la première fois, sur les quais près des salles du rez de chaussée, ces ensembles chaises et tables design, où l'on pouvait à défaut d'autres endroits plus calmes, moins fréquentés, se poser pour travailler.

J'ignorais que j'allais profiter des services de l'une d'elles, pas si longtemps après.

Pour recevoir un appel téléphonique qui m'avait fait une des plus fortes fausses-joies que j'aie pu éprouver - encore que, l'homme de la maison soit un expert, alors disons : que j'aie pu éprouver comme suite à un coup de fil -.

Je venais en effet, épuisée par les trois derniers mois (deux mois de pré-fêtes en librairie intenses puis un mois à faire l'inventaire tout en tenant boutique), et pressentant que Celui qui (1), après avoir eu quelque geste tendre lors d'une de nos rares rencontres à nouveau s'éloignait, qu'il avait sans doute une fois de plus "une amie" - mais que faut-il diable faire pour qu'il daigne honorer ? -, de poster un statut FB puéril car désespéré. Nos ennuis financiers empêchaient que je puisse me déplacer et je ne voyais pas le bout du tunnel : travailler à deux, vivre à quatre, ne plus avoir de traites à payer et pour autant ne pas boucler [les fins de mois]. J'aidais les autres très volontiers et c'était une rude période (des deuils, des chagrins, des ennuis professionnels chez les unes ou les uns), mais personne n'était là pour que je puisse parfois à mon tour poser les armes. Surchargé de travail et sans doute un peu las, mon grand frère électif n'était qu'aux abonnés intermittents.

Et voilà que j'avais pris en main mon téléphone (remisé dans un des sacs pour cause de passage au contrôle), et que comme souvent quand j'ai ce geste étrangement prémonitoire, il s'est mis à sonner. 

C'était toi. C'était lui.

J'ai eu le temps en décrochant d'éprouver une bouffée de bonheur : il avait compris aux messages de mes derniers jours, et à ce statut stupide, que j'allais mal, que j'avais besoin de lui, il appelait peut-être pour me proposer de passer enfin un week-end auprès de lui.

Las, c'était de travail qu'il s'agissait, il l'avait dit tout de suite "Je suis en réunion", un service à lui rendre, ainsi qu'à une auteure qu'il souhaitait promouvoir, rien de personnel au fond. Je m'étais alors assise à l'une de ces places songeant que j'allais avoir peut-être des infos à noter ou mon carnet d'adresses à sortir de mon sac. J'écoutais sa voix qui me servait une persuasion usuelle - le livre est exceptionnel, il faudrait une soirée littéraire -, j'écoutais ta voix sa voix, après tout assez rare, je me disais de profiter au moins de cela puisqu'au fond c'était tout ce qui m'était offert. Et puis il y eut cette phrase la condamnant à ses yeux, un "pas mon genre" vigoureux et que j'avais ressentie comme si elle me concernait moi, en quelque sorte la version habillée d'un très trivial, Pour des femmes comme vous (2) je ne banderai jamais.

Je m'étais cramponnée au positif de l'affaire, peut-être une occasion de se voir, avais indiqué quelques pistes, ne pouvant guère faire davantage : comment faire confiance à quelqu'un qui fait assez régulièrement faux bonds ?, et puis j'étais si peu pour lui, et il m'avait rendue malheureuse, ma vie sexuelle était tombée au fond d'un puits en partie à cause de lui, il n'était pas possible de trouver l'énergie pour faire des miracles et convaincre les gens. Il avait l'air content, mais j'ignorais de quoi. Peut-être parce que je n'avais pas prononcé le Vafan auquel il avait légitimement droit. De toutes façons dans aucune librairie je n'étais décisionnaire. Je ne pouvais que suggérer, tout en mettant en garde (qui diable paierait les frais ?).

 

Il m'avait fallu du temps ensuite pour m'installer au travail, être opérationnelle. Ce scénario était si courant dans ma vie : la femme qu'on néglige, qu'on ignore en tant que telle, voire qu'on blesse mais à laquelle on pense immédiatement lorsqu'il s'agit de demander un service, un travail non payé (ou très peu), celle que l'on considère trop gentille, et donc bien un peu bête, pour savoir dire non.

Sauf qu'à force d'être traitée mal, je ne pouvais plus en état d'aider quand bien même mon incurable gentillesse m'y poussait.

 

Dans l'après-midi, plus tard, j'avais pu travailler. Un "je t'embrasse" encore en tête, peu possible à enlever.

  

Les petites places de travail venaient d'être annexées par ce souvenir mitigé. Je savais parfaitement qu'en attendant le prochain amour ou la prochaine embellie de l'amour (3), ou d'être devenue trop vieille ou trop malade pour avoir envie d'y rêver, je ne pourrais plus croiser ces chaises sans penser à lui, sans entendre sa voix, les mots qu'il avait prononcés et les quintaux de non-dits qui alors subsistaient.

Heureusement, entre temps, les choses se sont (un peu) arrangées.

 

(1) Le copyright de cette appellation est il me semble pour Anne Savelli. 

(2) La personne concernée était du sud aussi.

(3) Je ne désespère jamais des amours précédents, c'est mon problème et ma qualité. 


Bad news for the BNF's books et deux lapins

 

J'ai tout de suite senti en arrivant à la BNF ce midi que quelque chose clochait. J'ai pensé à une grève comme celle du 21 juin dernier qui avait pour moi été à l'origine d'un password fail mémorable qui m'aura fait passer pour une lamentable divulgatrice. Mais tout était calme.

Calme et triste. 

À cause de mon passé professionnel (1) et de l'air sombre du temps j'ai songé à une tragédie survenue à l'un des salariés. Les gens avaient cette façon concernée-non concernée d'être plombés. Exactement quand on apprend une très mauvaise nouvelle mais rapportée à quelqu'un qu'on ne connaît que de loin. Donc on est triste parce que l'on a du cœur et que l'on est humain mais pas malheureux comme si l'on avait perdu personnellement quelqu'un.

Par ailleurs, j'ai bien vu que certaines salles étaient fermées mais comme les travaux sont relativement fréquents, je n'ai pas établi de lien. Je me suis seulement dit, Ah bon, tiens.

C'est en rentrant ce soir que j'ai appris le fin mot de l'histoire. Une inondation du dimanche (la fourbe !) et qui aura touché près de 10000 bouquins.

Fuite d'eau dans les magasins littérature et art

J'espère que des exemplaires uniques et par ailleurs introuvables n'auront pas (ou pas en trop grand nombre) été touchés. 

Moi qui me réjouissais de pouvoir faire un billet tout guilleret parce que dans l'après-midi j'ai enfin vu les lapins du bois intérieur. C'est raté.

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Toutes mes pensées et encouragements @cgenin et ses collègues. Sans compter que d'expérience, quand ce genre de mauvais coup (inondations, incendies, travaux en catastrophe ...) survient lors de périodes de restriction, ils sont l'occasion de renoncements subreptices assez imparables commis sous couvert de l'état d'urgence (2). 

 

(1) Étalés dans le temps, certes (sauf deux, qui ont eu un lien de cause à effet), mais quatre suicides dans les services là où je travaillais. 

(2) Mais bon, j'ai plutôt observé ce phénomène en entreprises privées. Peut-être que là ce sera différent ?

PS : La couleur des photos s'explique car prise au travers de baies vitrées par tout à fait transparentes.


Oloés veri

 

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Longtemps tu t'es levée de bonne heure pour aller pointer tu as surtout eu comme souci de trouver des QLQÉ. 

Lire ou écrire, ton problème, c'était Quand, plus que Où.

L'écriture t'était tombée dessus dans la nuit du 26 au 27 juin 2003, un truc marrant que tu voulais raconter à celle-ci de tes amies qui était écrivain. Tu ne sauras jamais pourquoi si ce n'est que ça sentait bon dans ta cuisine le gâteau qui cuisait pour l'anniversaire du fiston, mais ça t'était venu un texte au lieu d'un simple message. Une narration.

Elle avait commis l'erreur d'apprécier, alors tout l'été tu l'avais abreuvée d'un feuilleton mono-lectrice débile où tu racontais comment tu avais mis trois mois pour installer le home-cinema que tu avais gagné. Chaque épisode se concluait par le nombre précis du nombre de chaussettes orphelines et les kilos de repassage en retard. Tu n'auras jamais su concevoir l'écriture qu'un tantinet barrée. Et surtout tu avais l'intuition de la catastrophe ménagère à venir : écrire + travailler en tant que salariée = la fin d'un logement propret.

Le 7 novembre 2003, tu recevais le message qui allait foutre ta vie en l'air changer ton destin "N'as-tu jamais pensé à rassembler ce que tu écris ?", et tu n'avais jamais songé mais vu qui te le disais tu as plongé sans hésiter.

À l'époque tu bosses comme cadre en grosse entreprise, un faux temps partiel, 4/5 le mercredi pour les enfants, un salaire à 80 % mais le même boulot que si tu étais à temps plein. Alors c'est la nuit que tu écris, le problème n'est pas tant Où écrire que sempiternellement Quand.

Où, c'est alors dans ta cuisine tout simplement. Ordinateur portable. Peut-être pas tout de suite mais dès que les enfants auront besoin du vieux PC du salon.

La cuisine est grande, sur l'arrière de l'appartement. Au début c'est parfait. Tu ranges tout bien après chaque session.

Puis le travail d'écrire prend, te prend, gagne de l'ampleur, tu veux finir ce manuscrit pour un jour de février où vous devez la grande amie et toi vous voir, tu mets les bouchées doubles, la petite famille prend ses assiettes sur les genoux. 

Dur destin que celui des proches de qui écrit, quand on n'est pas logés trop grand, quand on n'a pas tant d'argent.

Un jour, tu ne sais plus quand tant l'évidence est grande à présent, tu rencontres Anne. C'est elle qui plus tôt que toi a su franchir le pas et se consacrer à écrire, ce que Franz Bartelt qui s'en sort reconnaît rétrospectivement dans son cas personnel comme un danger compliqué. Anne te parle des oloé. Le terme, c'est elle qui l'a inventé. Il est vrai qu'à Paris la Chambre à soi est une utopie.

Où Lire Où Écrire

Tu patauges toujours dans ton Quand. Et le Où se fait lieu non pas où s'installer pour l'acte d'écrire, mais l'endroit où déposer les textes. Les blogs, l'internet, très vite des camarades de "jeu" et des lecteurs, des échanges. Ta décision est prise : à l'occasion d'un plan social tu prendras un mi-temps, tu as grand besoin d'être à ton tour confrontée au Où aller. Où aller être en paix.

Mais ton existence refuse d'être apaisée, la traverse un décès, un comité de soutien. L'écriture se fait dans ta cuisine plus que jamais ; autour de minuit. Quand tu pourrais enfin grâce au temps partiel être à ton tour saisie par la quête de l'oloé, signe indéniable que ton écriture se serait professionnalisée, voilà que tu essuies une saison en enfer, tourbillon de tempêtes. Ta vie te tombe sur la tête, tout se met à mal aller en même temps.

*        *        *

La cuisine plus que jamais. Les librairies comme refuges, pour se sentir protégée par des livres, rencontrer des gens bienveillants. Je ne remercierai jamais assez ceux de cette sale époque qui ont fait preuve de chaleur humaine envers cette lectrice spectrale que j'étais. Désemparée. Lost without translation.

*        *        *

À cause de ton anémie et grâce à un compagnon finalement encore présent et d'une adorable tolérance à la lumière dont il fait preuve en dormant, lire se faisait au lit. 

Tu avais rencontré toute une bande de blogueurs et geeks calés, "L'Enclos du temps" un café -restaurant près de Montparnasse est devenu votre lieu. P9219447_2
Très calme dans l'après-midi. Ton premier oloé digne de ce nom ?

Plus tard, tu quittes l'emploi d'ingénieur qui n'avait plus de sens et te désespérait. La cuisine certains jours convenait. Le bien-aimé entre-temps rencontré t'expliquait que bien des écrivains travaillent dans leur cuisine, tu sais. Et mentionnait l'amie qui trois ans plus tôt t'avait quittée (Aveugle étrangement je n'ai pas fait le rapprochement. (Mais c'est une autre histoire) (quand notre vie se met à ressembler à un roman d'un peu trop près, c'est qu'on est mal barrés)). En attendant ça te donnait envie d'aller ailleurs te poser. Et surtout t'éloigner des tâches ménagères qui savent si bien hurler, lorsqu'on reste à domicile, qu'on les a négligées. Difficile pour une femme et mère de famille de résister à ces suppliques lorsque toute ton enfance a été enserrée dans le modèle féminin de qui se sacrifiait pour le bien-être des siens. 

Tu as trouvé des cyber-cafés, ou des cyber-places tout court. Les unes s'appelait cyber-cube (1), les autres Milk. Les Milk c'était marrant, car les fréquentaient des gamers qu'on entendait jurer dès qu'une phase de jeu les mettait en danger. Tu les as aimés ces oloés, même si mal remise de ta terrible année et encore secouée par la fin brutale de ta première vie professionnelle, tu les fréquentais dans un état étrange (étais-je vraiment là ?).

Puis Traces ... a participé à une collecte de l'écriture numérique et internautique que la BNF effectuait. Peu après par ricochets, parce qu'une nouvelle amie t'a indiqué que tu pouvais, tu as pu t'y inscrire. Tu avais trouvé ton Oloé, le bon le vrai, une place où tu te sentais à ta place sans avoir encore conscience d'à quel point.

Tu n'as pas envie ce soir d'évoquer tes oloés bruxellois, le Café Maison du Peuple, certes un peu branché mais aux bières raisonnables et au wi-fi parfait, spacieux, parfait pour y écrire en paix (et même une fois y relire un manuscrit que l'on t'aura confié), l'appartement des amis, l'hôtel Best Western County House - rien ne vaut une chambre d'hôtel cossu et calme aux solides connexions pour bosser -, le Pain Quotidien (non, celui-là c'était pour les confidences, curieux qu'il ait fait office de QG), la librairie La Licornele club house du club de tennis de Wolvendael (2). Peut-être qu'au fond il serait bon, en oubliant le contexte source de peine désormais, de terminer sur ce dernier. Le plus magique d'entre tous : entrer quelque part car soudain il pleuvait, et non seulement y trouver l'abri mais aussi le wi-fi et un accueil adorable. Tu n'oublieras jamais le gars sympathique qui spontanément voyant que ton Mac était comme le sien, que tu étais sans ton chargeur et que tu avais sans doute fait une grimace à l'allumage en constatant que la batterie était sévèrement entamée, t'avait proposé le sien. 

Ou peut-être que non, peut-être qu'il convient de finir sur le plus bel oloé qui t'ait été accordé : tu as eu brièvement en novembre 2010 grâce à un anniversaire que tu venais fêter dans le quartier, puis à l'été 2011, pour le plaisir de l'amitié,  accès à un oloé de grand luxe, un oloé plus classe que tu n'aurais jamais rêvé en trouver, a room with a view (avec l'internet qu'il fallait). Du lit, allongée, tu vois la mer, et du petit bureau bien sûr aussi. Comment dans ces conditions écrire du mauvais ?

Pendant ce temps ta cuisine s'encombre (3). Le fiston dit C'est Bagdad. Mais après tout c'est sans doute là que tu passes le plus de temps. Alors laisser à l'oloé de base la phrase de la fin. C'est là que tout aura commencé.

 

(1) J'ignore si elles existent encore, à présent le wi-fi presque partout dans Paris rend leur usage restreint aux moments  sans ordi, et comme j'en ai un tout petit grâce aux amis, il m'accompagne souvent.

(2) En relisant ce billet tu te demandes comment tu as fait pour te montrer à ce point aussi innocente et naïve que le personnage de Raphaël dans "La maison atlantique" que tu viens de lire. On t'appelait quand la voie était libre, et en bonne Bécassine Béate tu croyais aux prétextes invoqués.  

(3) En toute honnêteté la photo date de fin 2010, l'ordi a changé ... et l'encombrement crû.

[photos : l'entrée de la BNF en octobre, qui entre-temps a changé : l'Est est redevenu directement accessible ; l'Enclos du Temps 21/09/12] 

Ce billet est une réponse confuse, longue et maladroite à la demande claire qu'Anne Savelli a déposé aujourd'hui sur Fenêtre Open Space.

 

addenda du 2 mars : billet repris aujourd'hui dans le collectif Oloés du monde entier 

(merci à Anne Savelle et Joachim Séné)

 


Petite prise de conscience mais grandement tardive

 

Mon inscription à la BNF date de l'été 2010. Je m'y suis aussitôt sentie bien, à quelques inconvénients près 

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J'ai pensé, et ça reste vrai, que c'était le mélange bois et béton, ainsi que la présence d'arbres et bien sûr que j'accédais ainsi enfin à une forme, certes collective mais merveilleuse de documentation, de Chambre à soi, qui me valait ce bonheur. Comme bien des familles, et plus encore en grandes villes où le logement prend vite la moitié d'un budget, nous n'avons pas de pièce dédiée pour se retirer écrire ou étudier.

Trop vite pour mes chantiers d'écriture, presque trop tard pour les finances familiales, un travail salarié m'a rattrapée et je n'ai plus pu venir que les lundi et vendredi. C'était déjà bien. 

Au fond je n'y viens pas davantage depuis mon récent chômage, occupée que je suis à tenter de trier ce qui doit l'être depuis des années dans l'appartement. L'absence de contrainte horaire extérieure fait que c'est le moment ou jamais. Il y a toujours plus de choses à faire que de temps à y consacrer. 

Au bout du compte, un nombre de jours assez honorable (environ 350 ?) de fréquentation en 3 ans 1/2, tourmentés par ailleurs mais si heureux de cette habitude là.

Il aura pourtant fallu ma lecture du livre de Sylvain Pattieu, "Avant de disparaître" et qui donne la parole aux ouvriers de PSA Aulnay alors en train de fermer, et qu'il me remette dans mon milieu social d'origine, qu'il me remémore d'à quel point certains éléments, pas tant des façons de parler que des modes de pensées, quand on vient de là où l'on travaille le fer, l'acier, le minerai ou la terre, de là où l'on met au moins au départ les mains dans la boue ou le cambouis, c'est pour la vie, pour qu'aujourd'hui à l'instant où j'accédais à hauteur du jardin, je comprenne enfin : si je me sens si bien ici, c'est qu'il s'agit d'un endroit neuf. Pas un de ces bâtiments somptueux, que je peux au demeurant trouver très beaux - et comme elles sont splendides ces vieilles bibliothèques, les lieux de la rue de Richelieu, la bibliothèque Sainte Genevièvre, les vieux lycées parisiens ... - mais qui m'intimident toujours un peu, non, un lieu sans (longue) histoire, un lieu où je ne suis pas écrasée par le poids de générations de gens des classes dirigeantes dont mes aieux n'étaient certainement pas.

Et ça m'est revenu que mon choix d'études scientifiques, si tant est que j'eusse pu opter pour des études de journalisme ou de cinéma - inenvisageable à l'époque dans mon cas - pour la faible part où j'eus mon mot à dire tenait d'une forme de conscience que dans les domaines littéraires ou artistiques qui auraient pu également m'attirer, je manquais d'un fond historique, de transmission par mes aînés, pas de bibliothèque de référence chez mes parents (1) dans laquelle avant l'ère de l'internet j'aurais pu puiser. Alors qu'en maths et en physique tout le monde était à égalité : c'était la capacité de piger et la force de travailler qui s'y jouaient. J'avais d'excellentes notes en français, et sauf au bac (le jour du) en philo. Mais elles me paraissaient des coups de bonne fortune et je n'avais personne à qui poser certaines questions chez moi (sauf en latin, que mon père apprenti curé avant que la guerre ne l'en sauve avait longuement pratiqué).

Je me suis sentie soudain profondément touchée qu'il existe un lieu au moins dans la ville où je vis où il m'était possible de venir travailler à égalité avec le monde entier. Un lieu qui ne dit pas à ceux qui viennent d'ailleurs géographique ou social, OK on vous tolère mais vous n'êtes pas d'ici. Pour un peu j'éprouverais presque une forme de reconnaissance envers François Mitterrand (2).

Et toujours une si grande gratitude envers celle qui m'a incitée à m'inscrire et m'en a donné la possibilité. Car s'il est vrai que l'endroit est favorable aux personnes telles que moi, persistait en moi cette forme de blocage (3) qui consiste à ne pas même imaginer que si on le souhaite on peut avoir accès. (Je me répète avec mes mercis, je sais, tant pis).

 

(1) Mais des livres quand même : tous les Agatha Christie, mes livres pour enfant (bibliothèque verte essentiellement), et une collection de rééditions à fausse belle reliure et mal fagotées mais qui avaient le mérite d'exister de grands classiques (Dumas, Chateaubriand, Balzac etc.) à bon marché, plus une courte série de romans à tranche blanche que ma mère m'avait interdits de toucher (j'ai tellement bien obéi - elle avait du me dire qu'il s'agissait de romans sentimentaux ce qui pour moi était dissuasif (dans ma tête = à l'eau de rose) - que j'ignore même de quoi il s'agissait), un Petit Larousse du début des années 1960 (à l'époque c'était récent) et une encyclopédie Quillet en quatre volumes. Ma mère (et moi, mais qui n'habitais plus là) nous sommes mises à la littérature contemporaine d'un certain niveau seulement par après. D'où qu'elle détient à présent une honorable bibliothèque.

(2) Au sujet duquel j'avais à la base la même opinion que celle mon ami Nicolas exprime en apparté dans ce billet : Tu me phatiques ! , lequel mérite le détour pour bien d'autres raisons. 

(3) Et social et féminin. Ah, cette capacité infinie à s'autolimiter à force d'avoir intégré les bornes que les siècles précédents ont imposé à nos aïeules.

 


Comme tout change (tandis qu'au fond rien n'a changé)

 

 

Partie au festival d'Arras puis requise par différentes contraintes, occupée aussi à déposer ici ou là mon CV - très difficile de chercher un emploi après une rupture subie, cette sensation profonde que de toute façon on n'est plus LA bonne personne pour personne -, je n'étais pas venue à la BNF depuis le 7 novembre. Entre-temps l'accès Est est ouvert à nouveau. Deux ascenseurs et des escaliers remplacent les rampes glissantes et malcommodes qui n'étaient pas tout à fait assez larges pour que deux personnes de front puissent passer. 

Ça sera mieux. 

On dirait cependant qu'une sorte de malédiction préside à tous les choix systématiquement : l'escalier est fait de grilles métalliques c'est transparent on voit le sol. Je ne suis pas concernée sauf aux jours de tension vraiment trop basse, mais je plains ceux et celles qui sont sujets au  vertige. Les portiques de contrôle pour l'instant ne sont pas bien réglés. Trop sensibles ils sonnent on ignore bien pourquoi. J'ai eu beau vider mes poches, les retourner, je faisais sonner d'alarme. Un jeune homme avant moi connut le même tracas. De guerre lasse et parce que d'autres attendaient, il a bien fallu nous laisser passer. Peut-être y aurait-il une part métallique au chagrin et que lui aussi (il avait l'air triste) en serait atteint ?

Le nouveau système de réservation s'est débarrassé du bug qui obligeait à s'y reprendre à deux fois pour les postes audiovisuels. Finalement pouvoir en arrivant choisir une place dont l'internet est disponible (puisque que le wi-fi n'y est pas et qu'un poste sur deux seulement est équipé) se révèle plutôt pratique même si devoir demander une place en arrivant fait perdre un peu de temps.

Étrange de retrouver ces lieux qu'il y a encore quelques mois j'occupais entre mes journées salariées et dûment accompagnée de la lointainte présence d'un correspondant bien-aimé. Les commentaires de films qu'on pouvait s'échanger. À présent, un grand vide, même si même sans guide je ne manque pas d'idées de classiques à rattraper.

Comme tout change ! Ce n'est plus la même façon d'habiter ces lieux. Comme rien n'a changé ! Je retrouve les places habituelles, la connexion filaire, mes documents en cours d'étude que je n'ai pas lâchés. Depuis ce sombre été, j'ai tout continué sur ma lancée, mais l'élan n'y est plus. Vis ta vie a écrit celui que j'ai aussi soutenu. Je suis une femme jetable, qui aide les autres à aller mieux, dont on se débarrasse après. Que puis-je changer ?

J'aimerais pouvoir venir tous les jours sans avoir sur d'autres tâches à me disperser (1). J'aimerais au moins pouvoir écrire en paix.

 

(1) Bon, éplucher les haricots verts comme la veille je veux bien et même les cuisiner. Mais devoir me rendre à d'inutiles convocations, ou traverser la ville pour remettre un CV dont j'ignore à cette heure s'il a seulement été regardé ou bien directement jeté (réponse obtenue mais en insistant), c'est absurde. La période est pour moi suffisamment pénible, je n'ai pas besoin que l'on vienne me charger d'autres contraintes et corvées, d'efforts non reconnus.

 


Mai le joli mai

 

P5062794Lorsqu'il fait beau au printemps, et qu'aucun chagrin ne m'oppresse, me reviennent comme une chanson, les vers d'Apollinaire

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains ? (1) 

Je m'étais réveillée le rire de F. en tête ; une soirée était prévue à La Libreria, c'était une belle journée.
Cela fait vingt-quatre ans que JF et moi sommes mariés, dix-sept ans qu'a brûlé le siège du Crédit Lyonnais, un an qu'Hollande est président (2). 

[photo : lundi 5 mai 2013 en quittant la BNF]

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(1) L'intégralité du poème, issu d'Alcools, par ici

(2) Mais à part le mariage pour tous aucune bonne nouvelle pour l'instant.

 

 


J'ai croisé Audiard (son descendant ? son fantôme ?) à la cafétéria

 

Ce sont deux hommes à l'allure sympathique que j'aurais volontiers qualifiés de pépères si je ne m'étais pas souvenu à temps qu'ils ont peut-être pas franchement plus d'années que moi. C'est l'heure du déjeuner, que je prends aujourd'hui seule, en cours de BNF, à la cafétéria.

Ils se tiennent à la table la plus proche de la mienne, en pleine conversation sur les difficultés de vie des paysans bretons au siècle dernier. Je ne m'en suis pas rendu compte, me crois en train de lire (en fait je lis AUSSI (1)), mais j'écoute leur conversation. Parce qu'elle est intéressante, tout simplement.

L'un d'eux décrit à l'autre l'arrivée à Paris de Bretons démunis, les enfants débrouillards, les parents ne parlant pas ou très peu le français, et certains employeurs qui profitaient de leur méconnaissance de la langue pour les sous-payer. Il ajoute : 

- Et moi, ça ne me fait pas rire.

Son collègue, surpris : - Ce n'est de toutes façons pas drôle. Ça ferait rire qui ?

Et alors le narrateur d'évoquer quelques-uns [des connaissances communes, je présume] dont un en particulier, brillant récent élu socialiste. L'autre semble déçu, mais n'ajoute rien. Alors le premier de conclure : 

- Avec des mecs comme ça à gauche, on n'a pas besoin de l'armée coloniale !

 

J'ai entendu, je vous assure, les huit notes des Tontons.

 

(1) J'ai la sensation que la lecture est devenue pour moi à ce point aussi naturelle qu'une respiration que je suis parfaitement capable d'y consacrer une part de mon cerveau tout en faisant autre chose avec une autre, quasiment en parallèle. Ma limite est la vision.


Objets trouvés (suite)

 

Voilà, les bagues trouvées à la BNF la semaine passée sont déposées au vestiaire ouest, où il y a effectivement un registre mais rien qui permette d'enregistrer sérieusement le dépôt. J'attends éventuellement un mail qui me ferait mentir, et attesterait de celui-ci, mais en tout cas dans un premier temps, que vous rapportiez des objets de valeurs ou un parapluie c'est un peu la même chose. 

Je viens d'apprendre l'existence du blog lecteur de la BNF et leur transmettre une annonce, mais ils vont peut-être répondre que ce n'est pas leur vocation de publier les notifications des objets trouvés.

J'aurais mieux fait d'imprimer un mot que j'aurais laissé dans les toilettes où ont été perdus les objets et qui aurait demandé de me contacter. Si quelqu'un se montrait assez précis dans sa description et les circonstances de la perte, il y aurait eu de fortes chances que ça soit la bonne personne. Il y aurait eu plus de probabilité qu'elle les récupère et sinon au bout d'un an et un jour, j'aurais pu profiter de mon "invention".