Monsieur Honoré - un film

J'irai le voir dès que je le pourrai. Honoré me manque. Je crois encore voir sa silhouette plusieurs fois par semaines. Moins depuis que je suis à Montmorency. Peut-être parce que sur la colline on croise moins de grands messieurs à crinière blanche. Sans doute aussi parce qu'être occupée par un travail à forte part concrète (livres à manipuler, clients à accueillir et parmi eux de fins lecteurs à conseiller), j'ai quelque chose d'un peu solide sur quoi m'appuyer. Au moins trois heures par jour et un week-end sur deux, le deuil et l'autre deuil (celui-là purement affectif) sont tenus à distance, plus les temps de transports qui certains jours très actifs et d'autres dans de très confortables trains, la beauté de l'environnement, la proximité de la forêt font infiniment de bien. J'avais besoin d'un calme actif, il m'est accordé.
J'entends cependant sa voix. Généralement elle me commente avec son humour des instants auxquels j'assiste. 
Comme si on était à l'Astrée que je lui racontais et qu'il me répondait.
C'est ce qui dans la débine me console, me dire, quand même, qu'est-ce qu'on a bien rigolé, toutes ses années. Et tant qu'il nous reste de la mémoire, ça, personne ne peut nous le retirer. Nos bons moments sont notre richesse.

Le livre de Catherine Meurisse, m'a bouleversée. "Toute l'année 2015 a été une quête de survie". Alors que je suis bien moins touchée, ma vie quotidienne n'a été en rien modifiée si on ne tient compte que de son aspect concret : il y a "seulement" un ami que je voyais régulièrement au sein d'un groupe chaleureux, que je ne vois plus, la survie, j'en suis encore là. Parce qu'en réalité c'est tellement plus que ça et, même si j'ai fait ce qu'il fallait en quittant un emploi où, sans doute aussi par conséquences, je suffoquais (1), c'est encore tellement chaque jour un effort pour ne pas céder à une tristesse qui sape l'énergie. Comme si les temps d'avant étaient ceux de l'insouciance - en réalité pas tant, j'avais déjà quelques chagrins aux semelles de plomb, des difficultés, comme tout un chacun, il y a des personnes malades alentours, 2014 n'avait pas été une année sympa sympa -, mais rétrospectivement, et plus encore après les attentats de novembre, c'est l'impression qu'on a. L'irruption de la violence générale et aveugle dans un monde qui s'en passait depuis un moment.

Je suis heureuse qu'il y ait un film. Il m'a semblé qu'Honoré, le travailleur inlassable et discret était à ce point oublié, ou plus vite que les autres, qu'il sera bon de lui rendre la place qu'il méritait. Comme Hélène Honoré y a participé, j'ai confiance. Peut-être qu'un peu ça nous apaisera.

(et une fois de plus merci à François Morel)

(1) En plus de boiter, ce qui était venu quelques mois après. Le corps m'ordonnait d'arrêter.


François m'a appris quelque chose à mon sujet


Je repensais à l'intervention de François Morel, jouant un rôle en y étant (presque) méconnaissable et tenant des propos qui sont à l'opposé de ce qu'il dirait s'il était en tant que lui-même à la place du personnage interprété. 

Je repensais à une partie de ce très riche billet de Jaddo. Celle où elle découvre qu'elle est équipée à son insu et malgré elle de préjugés racistes.

Je crois être assez peu sensible au physique des gens pour me faire sur eux une impression. Disons que je fais, question de survie, forcément attention à certains marqueurs pour que l'animal en moi puisse se faire une idée "Ami ou ennemi" sur ceux que je croise, avant d'affiner ou de corriger si l'on en vient à se fréquenter. Mais je pense que la plupart d'entre eux sont de l'ordre des éléments choisis, vêtements, coiffure, équipement et pas ce qui ne dépend pas d'eux (être grand ou petit, jeune ou vieux, d'une couleur de peau ou d'une autre (en revanche je me méfierais de quelqu'un de peau blanche au départ équipé d'un bronzage trop parfait ou carrément orangé)).

Seulement voilà, je sais que le François Morel d'en vrai je le croiserai quelque part sans rien savoir de qui il est, j'éprouverai d'emblée pour lui une sympathie. Quelque chose dans sa physionomie m'inspire confiance. Avant même d'entendre sa voix. (1)

Alors que le pourtant même homme mais arrangé comme il l'est dans ce sketch (perruque, barbe, sans doute des lentilles colorantes ...) m'impose une méfiance immédiate, l'animal en moi, émet d'emblée quelque chose comme "Oh, ce type-là, il vaut mieux être sur mes gardes, je le sens pas." (2)

Comme quoi j'ai donc davantage de préjugés d'apparence que je ne voulais bien me l'avouer. Tant qu'il n'a pas ouvert la bouche ce type pourrait être un François Morel qui ne sait tout simplement pas s'arranger. Et ce n'est même pas comme s'il portait un faux nez ou tout autre accessoire qui modifie réellement la physionomie. On peut reconnaître son visage en y prêtant attention.

Il y a là matière à penser. Et pas exactement de quoi être fière.

 (Et je pense à l'expression "On lui donnerait le bon dieu sans confession" ce qu'elle nous dit de nous autres, pauvres humains, soumis à toutes sortes d'impressions d'apparence)

(1) C'est tellement vrai qu'un jour le voyant de loin arriver vers l'Astrée avant même de l'avoir reconnu, j'avais songé que ce passant que j'apercevais avait "l'air sympa"

(2) Rien à voir avec le fait qu'il s'agisse d'un acteur interprétant un rôle. Je pars de l'hypothèse : je croise le même dans la rue. 


"Je ne pensais pas du tout avoir ... cette chose ..."

Parfois, les prix tombent sur les bonnes personnes. Parfois les bonnes personnes sont précisément celles qui ne correspondent pas aux normes. Souvent les écrivains le sont parce que leur mode d'expression est l'écrit, absolument. Patrick Modiano en est l'exemple même.


Je suis d'autant plus touchée que je fus comme lui (pour ce qui est de bafouiller, hélas pas tant d'écrire). Puis j'ai participé au comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun où je me suis trouvée à répondre souvent en tant que non-journaliste non-amie directe de l'otage. Il fallait faire très attention à ce qu'on disait car les ravisseurs pouvaient en prendre ombrage. Cet étrange stage de formation m'a rendue à l'aise avec la prise de parole car plus rien de ce sur quoi je pourrais être sollicitée n'a autant d'enjeu (1). Et c'est tellement jouissif d'être facile sur un exercice qui nous était avant difficile à surmonter que j'aimerais désormais animer une émission de radio ou une rubrique d'une émission, afin de parler des livres ou de cinéma.

Je peux dire aussi que ce n'est pas parce qu'on s'exprime à voix haute de façon embrouillée et confuse que les pensées le sont. Ça coince seulement au moment de leur expression. C'est comme si les mots devaient passer par une sorte d'entonnoir. L'effort pour verbaliser pompe trop d'énergie ou de disponibilité neuronale (appelons ça comme ça) ce qui fait qu'il ne reste dans l'instant plus rien pour travailler à la cohérence et à la clarté. Ce prix me fait plaisir comme tout. Il va à quelqu'un qui ne courait pas après. Quelqu'un de discret. Mais qui a produit une œuvre. (et qui par dessus le marché a donc un petit-fils suédois ... ;-) )

 

(1) Du moins je l'espère.

 

PS : Le billet correspondant de François Morel est finalement un ton en dessous du vrai. C'est d'autant plus touchant et drôle.

PS' : En l'écoutant lui peut-être comprendrez-vous pourquoi je ne suis pas capable d'écrire sans mettre sans arrêt des notes de bas de page. C'est la pensée qui ouvre des parenthèses sans arrêt.


Dans le train

 

Depuis un long moment j'ai l'impression que les dieux sont ceux de l'Olympe un peu réactualisés, aussi imparfaits et chamailleurs que les humains sur les destinées desquelles ils influent. J'ai la sensation de n'être maître de rien, une actrice perdue devant jouer dans un film dont le scénario ne lui a pas été communiqué, ni non plus les dialogues, qui subit et tente de réagir au mieux, de se rendre quand même utile et de ne pas mourir trop souvent.


Le petit dieu de l'amour semble avoir décidé de me faire payer quelque malédiction ancestrale, je ne vois guère d'autre explication à un tel acharnement. Celui des livres a dû trouver ce sort trop injuste qui m'offre cadeaux, miracles et encouragements alors qu'il est venu me chercher si loin de ses habituels sujets. Le petit dieu de la bonne santé m'a longtemps rejetée ; à force d'acharnement et de pratique sportive, je suis parvenue à l'amadouer et ai fini par me faire tolérer dans sa cour. Puisse au moins cette situation un tant soit peu durer.

Le résultat de ces courants fluctuant me rendait triste hier. J'avais vécu dix jours dans les films, qui sont un bon refuge, me l'a appris qui me rejette à présent, et me retrouvais confrontée au vide que la fin de notre relation laisse. J'avais cru si naïvement qu'il tenait à moi.


Alors le petit dieu des livres et des bons amis s'est bougé le cul et m'a fait entendre cette conversation :

 

Il y avait quelques rangs devant une petite vieille. Au sens littéral : très âgée, très ridée, toute recroquevillée. Mais l'esprit vif et gaie comme un pinson. Elle était en quête de conversation et quelque chose dans son attitude faisait qu'assez volontiers auprès d'elle les gens se relayaient, jusqu'au contrôleur qui s'est soucié spécifiquement de son confort. Au point qu'elle en riait : Comme tout le monde est gentil ici, je reprendrai le train ! 

Un monsieur pourvu d'un bel accent du sud lui a tenu compagnie un moment. 

- Vous lisez François Morel ? lui demanda-t-il

- Oh oui, je l'ai vu en spectacle l'an passé à La Rochelle, c'était formidable. Alors j'ai eu envie de lire son livre (1) [soupir d'aise]. C'est bien.

- Oui c'est quelqu'un de formidable, ponctua alors l'homme et qui complèta, Sensible, intelligent, humain.

Ils convinrent ensuite qu'ils étaient heureux qu'existe quelqu'un comme lui.

Si je n'avais pas encore eu le visage dans les larmes, je me serais levée pour crier : 

- Moi aussi !

 

Le petit dieu consolateur m'a fait plus tard un autre cadeau. Mais si j'en parle ce sera dans quelques mois, durant l'hiver (2), pour partager de bonnes notes.

(1) Je suppose qu'il s'agissait de "L'air de rien
(2) Que pour l'instant je suis incapable d'envisager.