Quoiqu'il advienne


    Cette rencontre accordée par l'amour des livres, quelle que soit la suite que la vie y donnera, aura eu sur moi un effet salutaire de sortie de deuil. 

C'est comme après une rupture subie, on ne peut pas (je ne connais qu'un seul cas (grand sourire pour qui se reconnaîtra)) passer directement d'un chagrin affectif à une nouvelle passion (qu'il s'agisse de l'amour des amoureux ou simplement d'une très profonde et intime amitié). Après Livre Sterling qui s'était achevée par une fin la fin de l'endroit lui-même, et donc quelque chose d'absolument irréversible, il était en fait impossible (mais je l'ignorais) de me retrouver pas juste bien (1) mais heureuse, remplie d'allégresse et d'énergie en partant au travail, rieuse le soir en me souvenant des bons moments, oubliant les mauvais quasiment dans l'instant, fatiguée mais fière de l'être. 

Le Rideau Rouge et ses oiseaux auront marqué la charnière, j'étais à nouveau capable de me replacer même provisoirement, dans cette force-là. Se lever dans l'élan et le petit suspens de la journée à venir (Qu'est-ce qu'ils [les fournisseurs, les clients ...] vont [me] faire aujourd'hui ? (air de vieille institutrice devant sa classe de galopins) ?] et non sur la défensive (Pourvu que je tienne le coup malgré les 18 cartons prévus pour l'opé de Pâques), dans le plaisir de retrouver les partenaires et amies de boulot. Seulement c'était sans lendemain possible, et tant mieux puisque ça signifiait le retour de l'absente comme prévu et que tout allait bien.

Et là, voilà. Depuis mercredi je sais qu'à nouveau je peux me sentir à ma place quelque part, que ça n'était pas définitivement fini, ce ressort-là en moi, pas mort. Il fallait, en plus que cet endroit existe, que le temps de deuil travaille et passe.

Cette récupération de facultés que j'avais crues perdues pour toujours et à jamais en a entraîné deux autres, celles d'un chagrin affectif que je peux à présent regarder de loin - je viens d'archiver tous les messages sans un pincement de cœur, c'est bon, c'est clos, c'est du passé - et celles du deuil, celui-là réel et loin d'être achevé mais désormais calme pour Honoré. C'est comme s'il m'avait soufflé, Vas-y n'attends pas, prends le train ! et qu'il s'éloignait doucement, son boulot d'âme de bon copain fait.

Par ricochet j'ai pu m'attaquer avec une efficacité décuplée aux grands rangements nécessaires : je peux revoir des notes de l'époque de l'avenue Franklin Roosevelt, des messages du Grand Belge ou de V. (mais ceux-là, ça fait déjà un moment), des cartes de vœux que Philippe nous dessinait, sans avoir les larmes aux yeux, mais bien plutôt le sourire aux lèvres de qui peut se dire Ç'aura été parfois rude, mais j'ai eu une bonne vie. (et sans un seul instant d'ennui, sauf jadis à "l'Usine").

Il faut à tout prix que je me prépare mentalement pour ne pas retomber dans la peine si finalement les choses ne se font pas. Ou d'autres, mais moins satisfaisantes (2).

 

(1) Comme aux débuts de l'autre librairie avec Anne, Marguerite, Olivier et Sébastien
(2) Ce truc curieux de la vie, toujours vérifié, qui fait que dès lors que quelqu'un quelque part s'intéresse à vous, d'autres qui n'ont rien à voir, aucun lien, le font aussi. Ce qui vient d'arriver également à ma fille qui s'est retrouvée à dédaigner un stage pour une revue prestigieuse tout simplement parce qu'elle avait mieux et que c'était déjà en cours.


Boulot - dodo


Allez, tu seras quand même parvenue à arracher quelques soirées au sommeil. C'est comme si les amis te protégeaient pendant les instants partagés. Mais après, toujours après, il faut rentrer et pas question de prendre un taxi, c'est trop d'heures de travail d'un seul coup envolées. Alors prévoir de dire au revoir avant de risquer de s'effondrer en cours de route.

C'est le travail personnel qui a morflé et très nettement depuis janvier. Ainsi que les correspondances, mais tes destinataires savent qui sont indulgents. 

Il n'empêche : ne pas se voir, ne plus (trouver le temps de) s'écrire, c'est de l'éloignement.

Tu te sens reléguée dans le beau quartier.

Le nouveau chantier n'avance pas : il te faudrait du temps personnel disponible et réveillé. Il ne t'en reste pas. 

Cette semaine, le bouquin de Despentes te tient la main. Elle a si bien su capter l'air du temps. 

Tenir jusqu'aux vacances, en juillet mais trop tard pour rejoindre les camarades festivaliers. Rien n'est fait pour faciliter. Chaque bribe de bon moment doit être arrachée. De quelle malédiction fais-tu l'objet ?


Il y a deux ans - version longue -

nb. : Ce texte a été écrit bien avant le 7 janvier 2015 et le message autopromotionnel reçu de ta part le 8. À la réflexion j'ai décidé de le maintenir à la date que j'avais prévue. Il est une bonne mesure du chemin parcouru, de l'incidence qu'un acte de terrorisme même s'il ne nous touche pas physiquement, peut avoir dans nos vies, nos façons d'aimer, de penser, de percevoir le monde. À l'instar de Marie, je me suis longtemps demandé, surtout pour ma part devant les faiblesses que j'avais : Peut-on changer ? Je sais désormais que la réponse est oui. 


Capture d’écran 2014-11-04 à 18.03.12Il y a deux ans, à la même heure, je vendais "L'histoire d'Alice qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris)". Le patron et moi étions efficaces.
J'étais heureuse et fière (1).

 

 

(deux mois après)

La librairie allait fermer. Définitivement.

Tu m'as dit Va-t-en (2).

 

(l'année suivante, autre établissement)

Je n'ai pas su vendre le roman d'après.

Toute compétence a ses limites.

 

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Il y a deux ans - Make it short

nb. : Ce texte a été écrit bien avant le 7 janvier 2015 et le message autopromotionnel reçu de ta part le 8. À la réflexion j'ai décidé de le maintenir à la date que j'avais prévue. Il est une bonne mesure du chemin parcouru, de l'incidence qu'un acte de terrorisme même s'il ne nous touche pas physiquement, peut avoir dans nos vies, nos façons d'aimer, de penser, de percevoir le monde. À l'instar de Marie, je me suis longtemps demandé, surtout pour ma part devant les faiblesses que j'avais : Peut-on changer ? Je sais désormais que la réponse est oui. 

 

Capture d’écran 2014-11-04 à 18.03.12Il y a deux ans, à la même heure, je vendais "L'histoire d'Alice [...]". Le patron et moi étions efficaces.
J'étais heureuse et fière.

Puis tu m'as dit Va-t-en.

Je n'ai pas su vendre le roman suivant.

 

141104 1838

 

  

 


Comment font ?

 

Ces derniers temps, entre les difficultés financières malgré le travail salarié retrouvé et les tracas physiques induits par le boulot - bossant davantage pour dépanner pour août, je me réveille la nuit d'avoir mal aux jambes -, et aussi les chagrins affectifs et pour partie leurs conséquences physiques, je passe une partie non négligeable de mon temps à me demander Comment font les autres (pour l'amour, pour l'argent, pour tenir le coup physiquement - tant d'amies bossent en librairie à temps plein et qui n'ont pas l'air que leur principal souci soit de tenir debout -) ? Comment ont fait mes aïeux dont les conditions de vie étaient autrement plus rudes ? Et puis la question qui me taraude le plus : comment font tous ceux qui écrivent (et publient, et pas rien) tout en tenant par ailleurs un job à temps plein ? 

Ce mois d'août j'aurais vraiment mené une vie dépouillée, pas de sorties, pas même celles liées au travail (1), tout au plus à l'extérieur deux brefs dîners (sans prolongations pour refaire le monde), une bière avec une amie, un soir un ciné. Pauses déjeuners frugales et sur place (2). Moins de sport pour cause de pause estivale des cours et entraînements, ce qui mécaniquement aurait dû me libérer du temps. Hé bien non, rien, travailler et dormir, lire bien trop peu pour moi. Le sommeil me tombe dessus dès après le dîner comme si on m'assommait et les douleurs des jambes me réveillent quelques heures après, j'attends que ça se calme, me recouche, me rendors aussitôt. Pourtant, pour la récupération, ça ne suffit pas.

Bien sûr ce n'était pas un hasard si j'avais cherché avant tout un emploi à temps partiel, je voulais tout concilier, je me savais loin d'être une wonderwoman comme il conviendrait, et sans doute qu'une fois retrouvé mon rythme normal, au moins les douleurs aux jambes devraient regagner une intensité supportable qui ne me réveilleront plus la nuit en cran d'arrêt. Il n'empêche, se sentir au bord d'être inapte à gagner pleinement sa vie, et alors même qu'on aime ce qu'on fait, commence à devenir sérieusement flippant. 

 

(1) par exemple en mai et juin il y eu un certain nombre de soirées de présentation de rentrée littéraire.

(2) Les premiers temps je profitais de mes pauses déjeuner pour explorer le quartier, cette contrée exotique qu'est l'arrondissement chic. 

PS : En plus pour quelqu'un qui vit en région parisienne j'ai un temps de transport vraiment supportable voire carrément privilégié ; si le temps (météo) le permet je rentre même en vélib, tranquillement, une trentaine de minutes, le meilleur moment de la journée.


Complètement cramé (18 ans déjà)

 

Dix-huit ans déjà que par un beau dimanche matin je reçus de Hong Kong un très étrange coup de fil d'un bon vieux copain de promo et qui disait : - "Dis Gilda, je crois que ton bureau est en train de cramer". J'ignore quelle heure il était chez lui, peut-être victime d'une insomnie, d'un petit coup de Heimweh, regardait-il les infos de Paris, "C'est sur France 2" m'avait-il dit. 

Je ne savais pas, ça alors. Ben je vais aller voir, merci, ai-je répondu en substance peut-être assorti d'un Hé merde bien senti. Je me doutais qu'un incendie, aux salariés n'apporterait que des ennuis. 

J'ai raccroché, j'ai dit J'y vais. Je ne sais pas pourquoi comme ça j'avais filé, ça ne changeait rien. Je crois que je voulais voir l'ampleur du désastre, savoir que faire au lundi, si c'était seulement l'agence bancaire au rez-de-chaussé où les étages qui étaient touchés. Je n'ai appelé aucun collègue, je voulais voir d'abord.

Et quand j'ai vu sortir un gros panache noir des fenêtres précises où étaient nos locaux, c'est à mon amis Pierre que j'ai téléphoné. D'une cabine (1). Les pompiers ou plutôt la police avait bouclé le périmètre. J'ai le souvenir d'une bonne dame équipée d'un cabas dont dépassait un poireau et qui tentait vainement d'obtenir l'accord pour retourner chez elle. Elle était sortie faire son marché et voilà qu'elle ne pouvait plus rentrer. Elle avait au moins de quoi manger.

L'incendie faisait rage, je me souviens de l'avoir très exactement pensé que j'avais sous les yeux l'illustration même de cette expression, qui se révélait (hélas) sans exagération. 

Je me suis revue le vendredi soir finir un peu plus tard pour achever une sauvegarde, étiqueter soigneusement la disquette, la ranger dans un boitier avec quelques autres déjà ordonnées, le boitier dans le placard derrière mon bureau, de ces placards professionnels hideux avec rideau coulissant gris, d'avoir fermé à clef, la clef dans le pot à crayons - pour le principe -, revenir sur mes pas alors qu'au seuil de la porte, car les fenêtres, élevées (par elle on ne voyait pas elles étaient au dessus et je souffrais énormément de cette sensation d'enfermement) étaient restées ouvertes. La manivelle, les refermer. Dès fois qu'il y ait un orage, sait-on jamais.

De mon bureau lui-même il n'est rien resté : il s'est trouvé dans une partie du bâtiment qui s'était écroulée. Celui qui était à l'époque ma directe hiérarchie me confiait tous les documents importants : j'étais du genre organisée (essentiellement pour ne pas perdre ensuite du temps), lui non. Au moins dans ton bureau, on sait où ils sont. 

On savait désormais qu'ils avaient entièrement brûlé. 

Alors que son propre bureau sis dans la partie que les pompiers s'étaient acharnés à préserver - zone des hautes hiérarchies, œuvres d'art aux murs, et sans doute dans les coffres des secrets bien gardés - n'avait que peu été touché. Et qu'il récupéra l'intégralité de ses dossiers. Sous une couche de cendre noire poisseuse, sans doute un peu toxique, mais néanmoins.

J'étais rentrée peu auparavant de congé de maternité et n'avais pas encore eu ni le goût ni le temps de personnaliser ma place. Hormis une calculette, et un vieux dictionnaire de l'informatique, déjà vieux en ce temps-là et que je gardais pour les définitions d'appareils déjà alors obsolètes dont la description m'amusait, je n'ai rien perdu de personnel dans l'aventure. En revanche de précieuses archives professionnelles, dont des classeurs de dépannages informatiques où je m'étais constitué un stock très utile de "pannes vues", les symptômes et leur solution. Comme une partie de notre travail consistait à aider des utilisateurs parfois lointains, cette documentation sur mesure était très utile. Elle me manqua longtemps.

De même qu'au fil des ans et des demandes, des programmes, des fichiers, des documents qu'on prenait alors conscience d'avoir eux aussi perdus.

La perte d'intérêt du poste que j'occupais date de ce moment-là : au lieu d'être sur de nouveaux projets nous avons passé notre temps à combler ce qui n'aurait pas dû cesser d'exister. Quand ce fut éclusé nous avons dû nous gaver les modifs et tests de passage à l'an 2000 puis le passage à l'euro (et dans les fichiers et bases de données tout ce que ça impliquait).  C'est à dire des surcharges de travail mais uniquement pour des choses mécaniques, qui n'en appelaient pas à de la réflexion satisfaisante ni à un savoir-faire exceptionnel. Finies les journées bouclées en se disant, Mazette, j'ai résolu ce point délicat, je ne m'en serai pas cru capable ; et d'avoir un emploi fastidieux mais comportant d'un point de vue neuronal de stimulantes satisfactions. Ingénieur, quoi.

Nous avons été du lundi - oh la rencontre fortuite d'un bon ami d'alors, perdu de vue depuis, j'ignore encore pourquoi : il a cessé de venir aux week-ends du ciné-club puis n'a plus répondu à rien et qui me croise sur le trottoir à la hauteur d'alors Del Duca, Que fais-tu là ? - C'est mon bureau, il a brûlé et je montre le bâtiment et lui qui passait en se hâtant lève les yeux et voit l'étendue du désastre - au mercredi en chômage technique, dès le jeudi dans des locaux à la Défense à rebrancher des ordis qui étaient des périmés d'autres services, de ceux qu'on garde dans une réverve pour pallier une panne d'un plus neuf. J'ai un plutôt bon souvenir de la période Remontons nos manches et les mains dans le cambouis. J'aimais la bidouille, une liberté retrouvée. Loin du Siège Social nous subissions moins la pression hiérarchique, je me suis même autorisée à venir bosser en jean (ben oui quoi, on bricolait). Le jean étant pour moi le vêtement de travail parfait. Le bleu de travail. Tout autre tenue me voit moins efficace, fors le maillot de bain pour nager et le short pour le foot.

Je n'ai plus jamais retrouvé mon aptitude à ranger. L'appartement en témoigne. C'est l'année où les choses puisqu'elles n'étaient plus faites à mesure, ont commencé à déraper, les papiers à s'entasser, les vêtements et les chaussures à subir du retard dans leur indispensable tri Été / Hiver. (Les livres pour leur part avaient déjà tendance à proliférer, je ne crois pas que l'incendie ait modifié quoi que ce soit).

Dès années après il m'est encore arrivé de remarquer une perte que le feu avait occasionné. Ainsi ce matin en lisant ce billet chez Baptiste Coulmont, un début d'étude marginale que j'avais faite sur les fréquences par années des prénoms et comment les modes descendaient les niveaux hiérarchiques car j'avais remarqué cette tendance via quelques données (dont un sous-fichier pour l'arbre de Noël en l'occurrence, pour lequel j'avais été en désespoir de cause chargée d'ôter les doublons et triplons à la main (1) d'où l'attention sur les prénoms ; la rubrique "naissances" du journal interne, également). Voilà, 18 ans après je prends conscience de sa disparition. Mon petit chef, que ça amusait et qui trouvait qu'il s'agissait d'un excellent entraînement, m'avait à l'époque donné sa bénédiction à condition que ça soit fait sur les interstices quand les sujets officiels piétinaient.

Il y avait aussi une magnifique étude sur les temps de transports en Île de France dans les années 70 et qui était passionnante pour qui savait décrypter. Je l'avais un jour sauvée de la benne - les temps avaient changé, on ne se souciait plus du confort des salariés, au contraire, on avait bien envie de les décourager -.

Je n'éprouvais pas d'attachement affectif envers mon travail, c'était un gagne-pain et vécu comme tel. Je m'efforçais d'être irréprochable, effectuais mon travail du mieux que je pouvais, mais mon âme ailleurs vivait. Il n'empêche que tout perdre, brutalement, par le feu est une expérience qui reste, laisse des traces, et nous change. Je me suis souvent demandé comment des collègues qui eux "s'investissaient" et aussi ceux qui personnalisaient beaucoup leur poste de travail s'en étaient au fond tirés. Peut-être mieux que moi qui me croyais détachée, mais suis sensible aux infimes infinis détails du quotidien.

Il m'arrive encore de rêver du siège social tel qu'il était, en particulier le gymnase au sous-sol (que mes songes agrémentent volontiers d'une piscine), le jardin intérieur en soubassement (sans doute pour cela que celui de la BNF me "parle" autant), l'escalier en double révolution (revu depuis, il a survécu) et puis "l'entrée en tombeau de Napoléon" côté arrière, voulue par l'un des présidents, des années de lourds travaux ... partis en fumée.

 

(1) Il fallait veiller qu'un même enfant ne perçoive qu'un seul cadeau or certains pouvaient apparaître trois fois à la suite d'un divorce et d'un remariage au sein de l'entreprise, déclaré par la mère, le père, la nouvelle femme du père. Le gros des troupes filtrables par programme, mais toujours de somptueux cas particuliers. Certaines personnes ayant visiblement des existences agitées mais que ça n'empêchait pas de vouloir profiter même indûment de tous les avantages. Cette double aptitude au rock'n'roll doublé d'une capacité à examiner le moindre document administratif m'a toujours sidérée. Alors que ça n'est pas strictement contradictoire, en fait.

 

(1) Hé oui c'était au siècle dernier. D'un portable tout le monde n'était pas équipé.


L'art du politiquement incorrect (ou comment j'ai touché ponctuellement un tarif horaire intéressant)

 

En période de vaches maigres, les réunions de consommateurs peuvent être des sources d'un peu d'épinards dans l'assiette. C'est très aléatoire - il faut correspondre au coup par coup à des critères précis -, limité - sinon ceux qui les organisent ont des ennuis et potentiellement on en aurait aussi, il faudrait que ça soit déclaré comme travail - et pour les femmes souvent remarquablement inintéressant dans les sujets de sélection : la bouffe, le ménage, les enfants. 

Une fois au siècle dernier, le sujet de la réunion fut le whisky (youpi !) mais ils ne voulaient que des hommes : j'avais donc soufflé les réponses de sélection au téléphone à mon mari.

Cela dit elles m'ont sauvées plus d'une fin de mois lorsque les enfants étaient petits - beaucoup de réunions sont organisées au sujet des produits les concernant - et quelques-unes avaient été l'occasion de bien manger, de découvrir de vraies choses utiles et de faire quelques rencontres amicales. Certaines furent ludiques et drôles. 

Depuis un moment je me suis donc mise à nouveau sur les rangs pour d'éventuelles sélections. Mais la vie de peu de dépenses que j'ai choisie en quittant le monde de l'entreprise a fait de moi une piètre consommatrice (déjà que). De plus en plus souvent je ne connais même pas les produits dont l'usage habituel sert d'objet à la sélection. En plus d'être devenue inéligible à l'amour, je le suis en consommation. Sans réels regrets pour ce dernier point, en fait.

Par ailleurs, les lieux des réunions tendent à s'éloigner de Paris intra-muros sans que soit pris en compte un dédommagement pour le déplacement de qui en vient. Une réunion compensée par 30 € si 11,20 € passent dans l'aller retour en zone 5, ça paie tout juste son coup.

Sur celle d'aujourd'hui coup de chance : j'avais le bon âge et les bons enfants, il fallait pouvoir faire la réunion en anglais posséder un smartphone et pratiquer les réseaux sociaux ; les horaires et le lieu proposés étaient compatibles avec mon emploi du temps, je pouvais participer. Il était fait mention d'un blog ultérieur éventuel. J'ai eu la naïveté de me dire Chic alors, il va être question d'un peu de l'internet et je vais gagner de quoi rembourser quelques coups à boire aux amis que j'y ai (1).

Quelque chose était louche : les organisateurs étaient sur notre présence vraiment très insistants. Deux relances pour la confirmer dont une 10 minutes avant. 

La salle était munie d'une glace sans tain comme pour les identifications des Usual Suspects et de usual cameras mais nous n'avons pas eu droit à la courtoisie de l'avertissement quant au fait d'être filmées. Nous n'étions que des femmes, c'était mauvais signe - en plus que sans espoir de rencontre romantique -. Il a été dit rapidement qu'il s'agissait en fait d'une pré-sélection en vue de constituer une communauté de consommatrices sur l'internet, le but de la manip étant qu'on teste des produits ou du moins qu'on en parle genre comme entre amies mais sauf qu'en étant "récompensées" (2) par les marques concernées.  

C'était deux fois une embrouille : rien de tel n'avait été évoqué lors de la sélection pour la réunion, or ce n'est pas la même chose de venir s'entretenir d'un sujet que d'être embarquée dans un recrutement et quand bien même je leur plairais il était hors de question sauf à crever de faim que je participe à ce genre de sournoiseries. 

J'ai failli dire que Désolée, je n'avais pas compris ça, que ça ne m'intéressait pas, au revoir ; me lever, m'en aller.

Puis j'ai pensé que si je faisais ça mon dérangement ne serait pas même dédommagé. J'étais aussi  curieuse de voir un peu ce que ça pourrait donner. Mais pas trop longtemps. Je me suis dit qu'il devait être assez facile vu comme ils insistaient sur le mother way of life, de ne pas leur convenir, qu'en étant moi-même à fond ça le ferait : ils souhaitaient visiblement des femmes formatées et je n'en suis pas. 

Sur quatorze nous n'étions que deux ou trois à avoir nos vrais cheveux. Toutes les autres étaient teintes.

Il a fallu s'aligner par ordre de notation que l'on avait donné de 1 à 10 pour exprimer notre bien-être, comment on se sentait. Pour le coup c'était vraiment Round Up the Usual Suspects. J'ai été déçue : j'étais la seule apparemment à retenir un fou-rire. Pourtant il y avait parmi nous une réalisatrice.

Il fallait dire notre marque préférée et celle qu'on détestait. Déjà ça ne m'avait pas effleuré qu'on puisse dans l'absolu avoir une marque préférée : un produit précis dans un domaine défini oui (3). Mais je tenais du coup le bon moyen de ne pas m'attarder.

Sur quatorze, trois ont cité Apple et je crois qu'elles étaient sincères : c'est effectivement une marque qui a une identité en tant que telle et ses afficionados ou - nadas ont un vrai truc d'identification. Je n'aurais cependant pas pensé dans cette proportion-là. Je suppose que comme la sélection c'était faite sur téléphones et utilisation des réseaux sociaux, elles pensaient que c'était bien adapté de parler des outils d'accès, des téléphones les plus utilisés.

J'ai parlé d'une marque de whiskies (4). Pas très bien, j'étais fatiguée and my english was getting rusty. 

Les autres, toutes les autres, se répartissaient entre cosmétiques, fringues et petits délires gourmands (chocolats trucs ou machins, trop addictifs, trop bons). Une des participantes a même évoqué une chaîne de supermarchés (?!) (5). Pour certaines j'ignorais jusqu'aux noms des enseignes ou produits dont elles parlaient.

Concernant la marque détestée j'ai dit en ce moment Barilla et expliqué pourquoi. Ce qui a stupéfié plusieurs femmes : elles n'avaient pas eu écho des déclarations de ce cher Guido.

Première pause et ça n'a pas traîné : les trois férues d'outils informatiques et moi avons été appelées. Nos choix pas girly comme il fallait - même si ça n'a pas été dit, un tirage au sort (6) a été évoqué -.

J'avais pu répondre au sujet de Barilla, pendant le début de pause. Ce qui fait qu'en plus je n'avais pas perdu mon temps. J'ai trouvé cependant cavalier que nous n'ayions pas non plus été prévenues qu'il s'agissait d'une sélection directe par élimination (même si personnellement je m'en étais doutée).

Je pensais en revanche qu'on aurait encore un petit boulot à faire avant de partir et j'ai failli laisser mes affaires dans la salle pour les récupérer après. Même pas : direct dehors, avec quelques mots d'explication pour l'une des quatre qui semblait éberluée, alors que je retenais mon hilarité. 30 € pour 35 minutes de présence. Je crois que ça faisait longtemps que je n'avais pas été si bien rémunérée en tarif horaire et pour quoi que ce fût.

J'espère simplement que les femmes qui ont répondu par les nunucheries attendues des produits exprimant avec grâce leur féminité l'ont fait exprès.

 

(1) J'en ai un peu assez de vivre au crochet de mes amis. Quand on traverse une mauvaise passe, c'est d'un réconfort formidable de pouvoir compter sur eux. Quand elle se prolonge, ça devient gênant.

(2) "rewards" was the word.

(3) Par exemple parmi les cosmétique telle crème hydratante qui empêche la peau de vous tirer.

(4) Après avoir hésité avec une marque de serviettes périodiques ou de tampons hygiéniques, mais j'ai eu pitié de celles qui étaient peut-être dans leurs mauvais jours et que ça aurait pu rappeler douloureusement à leur intimité. Mon mauvais esprit serait redoutable s'il n'était pas si souvent par mon bon cœur limité.

(5) Elle a quand même réussi à dire avec le plus grand sérieux l'équivalent réactualisé de Ma marque préférée c'est Prisunic. Et l'animatrice d'en prendre note avec non moins de plus grand sérieux.

(6) Le sort était contraire à qui avait prononcé "Apple", il faut croire.

 


Le wild wild west parisien


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Il pleuvait à seaux. Un policier en civil est entré, qui a dégainé aussitôt son badge, a ordonné Je peux me mettre là, nous suivons une bande, sans un seul point d'interrogation dans la voix. Je préparais des retours près de l'ordi qui donne sur un côté de la vitrine, j'ai continué à vaquer comme si de rien n'était. Le meilleur moyen de ne pas attirer l'attention est de poursuivre au même rythme ce qu'on fait. L'homme communiquait par téléphone (1) avec ses collègues qui suivaient les mêmes gens. Et qui peut-être étaient armés. Le type est reparti, puis revenu. Il était tendu. Ça n'était pas sauvagement fait pour me rassurer. Puis il est parti pour de bon et des clients sont entrés.  Sur le moment j'étais concentrée pour réagir vite si l'éventualité s'en était présentée  J'ai émis je crois un ou deux touites avec mon humour habituel, suffisamment cryptiques pour ne rien dévoiler - deux ou trois personnes (merci @Kozlika) fines mouches et qui me connaissent bien ont pigé qu'il y avait anguille sous roche (2) -. Envoyé je quelques textos, à J. , à F., au fiston, à mon ami Pierrot, aux amies les plus proches, dès fois que ça finisse mal et qui pouvaient être pris comme un petit salut de quelqu'un au boulot ou comme un au revoir si ça dégénérait. Les uns comme les autres se sont surtout dit qu'avec le temps qu'il faisait, une pluie forte qui ne cessait pas, je devais en ce jour férié manquer de clients et m'ennuyer. Ça n'était pas tout à fait ça. Après coup, j'ai presque eu peur. 

Capture d’écran 2014-12-02 à 17.47.58J'en ai fait quelques touites (il fallait retourner bosser) : 

Bon, alors les rares personnes que j'ai prévenues hier en direct qu'à la librairie ça chauffait un brin ne m'ont pas prise au sérieux.

Les uns (hommes (3)) ont dû me trouver trop détachée pour que ça soit sérieux (une faible femme est sans doute censée paniquer).

Les autres et une partie d'entre eux, connaissant mon goût pour l'humour pince-sans-rire on cru que je plaisantais (ça m'apprendra).

Et mon fiston qui est un grand maître zen ne s'est pas inquiété puisque lui-même dans le même cas ne s'inquiéterait pas et resterait calme.

(en fait tel fils telle mère ou l'inverse, je ne peux l'en blâmer)

Il n'empêche faire libraire dans le wild wild west que sont les Champs-Élysées est un métier risqué.

(et que le shérif était beau garçon).

Non sans avoir résumé pour l'amie qui s'inquiétait : 

Policier, poursuite, filature, librairie comme point d'appui et zone de guet. Tu commences à regarder autour de toi où te planquer si jamais ça défouraille.

 

(1) Ce qui m'a étonnée. Peu de confidentialité. Ou alors ce sont des appareils particuliers, des fréquences réservées.

(2) Je leur ai répondu en clair dès que j'ai pu.

(3) En fait surtout un, l'autre qui aurait pu se soucier étant loin de son téléphone et qui n'a réagi qu'après coup.

[photo prise juste avant ou juste après]

 

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