Se prendre en compte

 

    Il aura donc fallu un vol stupéfiant (1) et qu'on me demande si j'avais des factures pour que je prenne conscience d'à quel point soucieuse de ne pas dépenser de l'argent que je n'avais pas, ni de surconsommer, aimant aussi trouver une utilité aux objets qui m'échoient, je me traitais un peu mal et qu'il était grand temps que je pense à moi. 

Je faisais durer depuis des mois mon petit Mac Book Air parce qu'il avait une valeur affective et par souci d'économie, mais de fait je me privais d'un fonctionnement normal, ça faisait longtemps que je n'avais pas sérieusement "développé" mes photos parce qu'il saturait. L'écran était devenu trop petit pour ma vue déclinante.
Je faisais durer depuis des mois mon sac à dos d'ordi. Je l'avais obtenu dans le cadre d'un programme de fidélité de ma banque à présent changé pour un système de cashback qui ne me sert pas, puisque j'achète peu ou par nécessité immédiate et donc sans choisir où. Il était troué en dessous, les fermetures éclair se rouvraient.  Il n'était plus tout à fait sûr. 
Des pochettes qu'il contenait, une seule correspondait à un achat - elle était si pratique et je la regrette -. Les autres étaient plus ou moins des petites trousses publicitaires. L'une imperméable venait de chez ma mère. Dommage, sa seconde vie n'aura pas duré. 
Le portefeuille était une réclame d'il y a des années. J'en avais pris l'usage en 2009 lorsque je m'étais fait voler un autre que j'avais et que j'aimais bien.
Le cordon du téléfonino qui m'a été volé correspondait à mon nouvel appareil qui est un "faux gratuit" de mon opérateur.

Bon, la souris de l'ordi. était aussi un achat mais depuis quelques temps elle avait un faux contact, par moments. 

Mon fils a pu me dépanner fort gentiment d'un ordi immédiatement. Il s'était facilement offert ce que je reportais pour moi. Certes, il gagne sa vie depuis qu'il est apprenti et participe volontiers aux frais de fonctionnement de la maisonnée, mais pourquoi est-ce que j'admettais de me priver d'un outil en pleine forme alors que nous sommes quatre dans ce même logis. 

Mes autres objets achetés et volés étaient des livres mais c'est aussi lié à mon métier. Pas des achats de fantaisie, même s'ils me font plaisir.

J'avais la même paire de lunettes depuis plus de 5 ans. Certes c'est parce que ma vue de loin n'a pas franchement baissé mais quand même. Dès que j'ai à nouveau une mutuelle, je prends rendez-vous chez l'ophtalmo, il me fallait le faire de toutes façons.

Nous allons devoir changer la serrure de la porte. Des années que par moments elle se bloque ou avec certaines de nos clefs. Mais l'homme de la maison freinait pour la changer.  

C'est effarant à quel point je suis formatée pour ne pas dépenser. Des années de manque d'aisance. Des années de vie avec quelqu'un qui n'a pas une relation normale avec l'argent. Les fins de mois difficiles ont fini par avoir raison de ma résistance à son trouble.
Cela dit, par souci écologique et de ne pas surconsommer, c'est moi et moi seule qui suis incapable de remplacer quelque chose qui fonctionne et fait bon usage par un autre modèle simplement parce qu'il est plus joli ou plus à jour des dernières spécificités. Mais il est temps que j'intègre qu'il ne faut pas traîner avec un matériel qui commence à être défaillant sous prétexte d'être raisonnable. On se complique la vie et on facilite le non-remboursement pour cause d'obsolescence par une assurance éventuelle en cas de problème.

Il est temps que j'apprenne à avoir envers moi un minimum de respect. À prendre en compte mes besoins, à ne pas toujours les reporter à des jours meilleurs qui ne viendront peut-être jamais.

En attendant le nouvel ordi, vif, rapide, lisible, agréable, me réjouit. J'en éprouve un regain d'appétit de travail, d'énergie.

 

(1) que je n'aie rien senti ne m'étonne pas : depuis le 7 janvier 2015 je ne ressens plus les présences à l'arrière, ni n'ai conscience de regards posés sur moi si je ne vois pas la personne qui me voit. En revanche que les personnes à ma table n'aient rien vu alors qu'elles étaient en face ou juste à côté de moi m'étonne. Je ne m'étais pas même absentée le temps d'aller aux toilettes. 


Cinq avril


    Un des plus beaux jours de ma vie a cinq ans aujourd'hui, retrouvailles dans Paris, les enfants alors adolescents, une amie intelligente, Denis qui m'a sans doute oubliée depuis, l'hôtel qui, prétendra l'autre par hasard, a été choisi à deux pas de la librairie où je travaille alors, un tour pour saluer mon patron, et un moment heureux, malgré la fatigue, l'impression que c'est ma vraie vie, enfin, que tout a un sens, que ma place est la bonne, qu'après bien des péripéties, je vais enfin pouvoir donner ma pleine mesure - plutôt que de jouer perpétuellement en défense, passer mon temps, dépenser mon énergie à éviter pire ou le but encaissé final qui disqualifie -. 
Quelle illusion !

Un an et deux mois plus tard tout s'effondrera, ces deux là qui comptaient fort, n'auront plus besoin de moi, peu après la librairie elle-même disparaîtra. Je n'ai rien décidé, rien voulu, peu vu venir à l'avance (1), voire rien du tout. Ainsi va la vie qui nous balance dans tout autre chose que ce qu'on croyait en cours, ce pour quoi on travaillait (s'il s'agissait de travail, par exemple).

Plus tard, il y a eu le 7 janvier 2015 et là c'était l'époque entière qui venait de changer.  Par rapport à une peine personnelle, c'est bien pire.

À présent que de nouvelles perspectives de travail stimulantes se dessinent, et après un dimanche merveilleux qui me laisse croire que la collection "plus beaux jours de ma vie" est loin d'être finie, malgré le contexte politique affolant, je crois à nouveau à de bonnes choses possibles. 

En cette date anniversaire, que tous les autres protagonistes auront oubliés, peut-être pas la jeune fille, peut-être pas Noé, qui sait, peut-être pas mon ancien patron, pas tout à fait - nous ne nous sommes pas perdus de vue, j'espère que nous nous reverrons même si, scotchée à un lieu de travail (même si celui-ci change), limitée par le manque d'argent, je ne voyage presque plus -, je mesure qu'il m'aura fallu cinq années avant de reprendre les forces qu'il fallait. Could have been worth. 

 

 

(1) pour la librairie, ça s'est plié en trois mois : le redémarrage de mars qui n'avait pas eu lieu.


À un moment, ça va coincer

    Se demander de plus en plus nettement, et indépendamment des mouvements de houle actuels (le risque d'une catastrophe électorale en 2017, d'une catastrophe guerrière ou écologique générale, toute une foule de variantes aussi "réjouissantes" les unes que les autres possibles), c'est à dire en fait dans une sorte de meilleur des cas, combien de temps les choses pourront continuer sans que les gens ne se révoltent et bien plus violemment qu'en ZAD ou lors du mouvement contre la loi (fin du) travail (salarié).

J'ai de plus en plus nettement la sensation de faire partie d'une fin de génération pour laquelle : 

- à condition de bosser dur ou très dur, l'ascenseur social y était, et sans forcément devoir se renier (par exemple en restant humaniste, respectueux des autres et des paroles données, non-raciste ...) ;

- les parents, relativement tôt retraités, pour les éventuels gardes d'enfants pouvaient aider, ce qui n'est pas rien lors des premières années de travail alors que les salaires couvrent à peine les frais ; 

- les parents s'ils avaient eu des vies professionnelles raisonnables, s'ils avaient trois sous de côté, s'ils étaient généreux, pouvaient donner le petit coup de pouce permettant, une fin d'études, un premier logement, l'attente des premiers salaires ...

 

Je m'aperçois que nous ne pourrons en faire autant envers nos enfants. Menacés dans nos jobs passés la cinquantaine (sauf à avoir su ou voulu ou pu devenir cadre dirigeant), nous n'aurons pas de retraites avant 67 ans. Ça signifie pour beaucoup d'entre nous, vivoter avec difficultés dans des boulots précaires (et encore, si l'on a la santé) ou déclassés (au moins d'un point de vue financier). Impossible d'aider la génération suivante, laquelle est confrontée avec une forte réduction des possibilités d'études peu coûteuses, du moins dans des cursus reconnus pour des emplois. Impossible aussi de l'aider concrètement par exemple en gardant les petits-enfants, coincés entre les soins aux aînés (lesquels vivent désormais beaucoup plus vieux d'une façon générale) et le devoir de continuer à gagner sa vie jusqu'à un âge avancé. Matériellement, nous aurons peu de choses à leur léguer, nos revenus, fors ceux qui individuellement tirent leur épingle du jeu, n'ont rien à voir à boulot équivalent avec ceux de nos pères. Tout passe dans les dépenses de vie courante non compressibles (1).

Un autre point a évolué concernant la nourriture : jusqu'aux années 70 du siècle dernier il était possible de manger sainement et de façon frugale si l'on n'avait pas beaucoup d'argent. La malbouffe existait, elle n'en était déjà pas qu'à ses débuts (cf. L'aile ou la cuisse), mais l'on pouvait encore contourner. C'est toujours possible, quarante ans après, mais désormais les produits non nocifs ont un coût élevé. Le frais, le sans (trop de) pesticides, le pas trop trafiqué, le produit sans souffrances industrielles extrêmes d'êtres vivants, sans trop de sucres inutiles ou de gras rajoutés, est devenu un luxe.

Les frais médicaux, du moins en France, restent encore globalement pris en charge mais avec de plus en plus de rétrécissement et un rôle croissant des mutuelles, ou des assurances complémentaires et leur travers masqués : pour cause de rentabilité on tendra un jour à ne plus couvrir ceux qui en ont le plus besoin (2). Or le coût des traitements a énormément enflé. Les techniques de pointes ont fait de remarquables progrès mais elles sont désormais hors champ du finançable par un particulier, même aisé.

Enfin, l'accès à l'emploi se fait de plus en plus souvent par des périodes de très basses rémunérations, qui portent comme implicite que le jeune soit (au moins) logé.

Bref, même si rien de pire entre temps collectivement ne survient, on est au bord d'un moment où ça va coincer. Et ce d'autant plus que les générations nouvelles ont grandi dans un monde d'intense consommation (3), ce qui suppose d'avoir un minimum de maille. Quels que soient les régimes politiques, sauf solide volonté de redistribution et de solidarité plutôt que d'extrême concurrence et de recherche d'une inhumaine rentabilité, nous allons vers des temps (encore plus) troublés. 

 

(1) La bulle immobilière pourra éventuellement amortir la chute et encore, pas certain. Et puis il y aura des pensions en maisons de retraites astronomiques à financer, d'où probablement des ventes forcées.
(2) C'est si facile : à qui a une pathologie chronique ou a été ou est atteint d'une maladie avérée, on propose(ra) des cotisations prohibitives (et en apparence : mais bien sûr tout le monde peut souscrire)(3) Au point que certains déjà le rejettent mais il devient difficile d'échapper à une sorte de minimum social : de l'internet, de la téléphonie, ces coûts qui pour ma génération à vingt ans n'existaient pas ou peu (un téléphone fixe par famille, le paiement par appels, les appels rares en cas de petits budgets). Et je suis affligée par les coûts jugés désormais incontournables de "soins" d'apparence de soi, en particulier pour les jeunes femmes. 

PS : Ceci n'est en rien un billet pour me plaindre, à titre individuel et parce qu'en 2016 j'ai eu de la chance sur certains points, et que j'ai des amis formidables, ma petite famille et moi nous nous en sortons encore, et pour l'instant je suis en meilleure forme que je ne l'ai jamais été, ce qui rend entreprenante. Mais d'autant plus que mon emploi est un poste d'observation parfait, et dans une zone de vie normale à population variée, je mesure les difficultés auxquelles d'une façon générationnelle hic et nunc nous sommes confrontés. Je vois que tous les mécanismes de solidarité familiale qui jusqu'alors amortissaient bien des fracas sont en passe à leur tour d'être menacés.


Je ne me souviens plus du printemps

Depuis 2013, qui était pluvieux, du moins il m'est ainsi resté en mémoire, je ne me souviens plus du printemps. 2014 était peut-être pas mal, mais il fallait aller à l'hôpital et nous étions si inquiets sans arrêts, 2015 était un deuil et le deuil aussi d'une autre relation et la difficulté qu'il y avait à travailler malgré tout alors que l'environnement n'était pas bienveillant - j'ai le souvenir de journées ensoleillées et d'un été plutôt chaud mais il reste comme sur une photo, sans ressenti, abstrait - et 2016 n'accorde de chaleur que par inadvertance. 

Ça fait longtemps, très longtemps que j'ai perdu les voyages, restaient les déplacements, quelques-uns, et Bruxelles. N'en restent plus qu'Arras et son festival de cinéma ainsi que deux week-ends de ciné-club - et encore coup de chance, j'avais un week-end non travaillé -. Faire l'amour s'éloigne aussi. J'ai passé l'âge des possibilités sans tout à fait avoir perdu l'envie, mais force est de constater que c'est bientôt fini.

Espérer rétablir l'équilibre de nos finances n'est plus qu'un espoir abstrait. Seul le départ des enfants ou que l'un d'eux contribue aux dépenses pourrait nous remettre dans une situation sans systématiquement des tracas de fins de mois et du jonglage et du report de dépenses élémentaires.

Travailler un peu loin c'était renoncer à une grande part de vie sociale, c'était déjà le cas dans le XVIème arrondissement (même si dans ce cas le "loin" n'était pas géographique), mais ça l'est désormais concrètement. Je m'y attendais, seulement ça peine.

Les problèmes d'argent pèsent aussi, joints aux prix délirants (par rapport à des salaires faibles) des consommations à Paris  

La rondelle

(photo récente d'un ticket de caisse d'un café parisien empruntée à Lola Spun et tellement significative, de la rondelle de citron taxée à 20 centimes à la CB minimum 10 € en passant par le prix de base des consos, 6,10 € le cidre, 4,20 € l'eau gazeuse)

Forcément, si on hésite à aller au café, parce que la moindre boisson c'est trente minutes de boulot qui se liquéfient, on voit moins les personnes à qui on aimait donner rendez-vous, sans nécessairement se faire inviter. On n'ose plus rien proposer.

Chacun est pris dans la nasse de ses propres difficultés et soucis. On est tous des hamster qui cavalent dans des roues, parfois on en descend, on dit deux mots au hamster d'à côté en tentant de reprendre notre souffle, et puis on reprend. Comment rester proches dans ces conditions.

L'opéra s'était terminé quand les files d'attentes collectives ont été supprimées et les places à 20 €. Ça me manque. J'ai au moins la conscience d'en avoir, grâce à Kozlika et au petit groupe qui s'était créé, vraiment bien profité.

La chorale s'était achevée avec mon premier emploi de libraire et les fermetures à 20h. Incompatibles avec les horaires de répétition. Et les répétitions en vue des concert qui prenaient les week-ends incompatibles avec les horaires des librairies ultérieures. Chanter me manque. La musique jouée me manque.

À présent c'est le théâtre. J'y allais en collectif avec un abonnement, certaines années deux (mais mon partenaire de Chaillot a totalement disparu de la circulation, quand je pense à lui désormais je pense aux morts dans la vieille série des Envahisseurs, un souvenir lumineux de la place qu'ils prenaient). Je vais quand même regarder ce qu'on m'a transmis mais je crois que je vais arrêter. Trop compliqué avec mes nouveaux horaires. Rare économie possible. Là aussi que de bons souvenirs. Que d'œuvres qui auront aidé à grandir.

Reste le sport, encore que (1), mais au moins la pratique quotidienne, elle, dépend beaucoup de moi et le nouveau travail la favorise. Est revenue une activité que l'éloignement des lieux et le peu d'entrain des miens m'avait fait abandonner alors qu'elle m'est une respiration vitale : les marches en forêt.

Reste le cinéma, entre le Cinema Paradiso découvert près du boulot et le Méliès de Montreuil cette année est faste. 

Restent les livres, mon métier retrouvé me remet dans une situation d'abondance. C'est déjà une vie très privilégiée, jointe au travail que j'aime. Aimer ce qu'on fait pour gagner sa vie est quelque chose de si précieux.

La lecture, le cinéma, le sport, trois éléments qui ne se rétrécissent pas dans une existence qui depuis 2013, que je le veuille ou non, se resserre.

Reste la BNF même s'il est frustrant de n'y pouvoir y aller que certains matins. J'y suis si bien, au calme, à mettre de l'ordre dans mes idées, avancer mon travail personnel, étudier.

Reste l'écriture, justement. La seule chose qui contre vents et marées échappe au renoncement pour l'instant, sauf qu'elle échappe aussi à la mise en œuvre de chantiers un peu longs. La seule chose qui me console c'est de n'avoir rien à me reprocher : j'y fonce dès que j'en ai la possibilité.

Je ne souviens plus du printemps, j'ai renoncé à avoir chaud, est-ce que ça existe encore ? Mais je n'ai pas renoncé encore à l'essentiel. Quelqu'un me soutient.

Peut-être aurais-je enfin davantage de printemps l'an prochain. 

 

 

(1) Je voudrais m'inscrire à la saison prochaine au Levallois Triathlon après une tentative trop tardive pour la saison 2015/2016 mais deux mails sont restés sans réponse pour l'instant. Je suis une femme, je ne suis pas jeune, je n'habite pas Levallois mais juste à côté, sans doute que je ne les intéresse pas.

PS : Le problème est aussi que les tracas externes grandissent en plus du climat général délétère et violent, mais je ne souhaite pas évoquer les premiers qui sont ceux de tous adultes vieillissants dont les parents atteignent au grand âge, et j'ai déjà beaucoup parlé du second.

addenda du 27/05/16 : À croire qu'il suffisait de demander, aujourd'hui un climat normal de printemps vers l'été #itwasabouttime 


Une vie réussie (may be)


(suite d'une conversation de la veille sur notre pouvoir de bienveillance et de générosité)

C'est à peu près plié, je n'aurais que peu contribué à tenter pas même de changer le monde - c'était déjà un peu trop tard pour croire à quoi que ce soit de lendemains sifflotants -, mais de limiter les dégâts de cet emballement de la machine, produire, surproduire, consommer, surconsommer, et engranger pour une poignée d'ambitieux monstrueux des profits mirifiques sans penser ni à leurs frères humains (ou seulement pour être fiers de les écrabouiller) ni à l'état de la planète. En revanche j'ai participé de toute la bienveillance possible et ai pris plus d'une fois de sérieux risques (professionnels et donc financiers, mais pas physiques donc c'est peu de chose) pour dire Votre folie des fous profits ne passera pas par moi, je ne joue pas à ça, continuez sans moi.

Et à l'âge où les souvenirs affluent, surtout lorsque l'on est resté géographiquement au même endroit, ce qui fait qu'à chaque pas, un bouquet d'entre eux refleurit, je prends conscience qu'à quel point j'ai sans cesse fonctionné à fond la caisse, au point de me demander pour pratiquement chaque période : Mais comment ai-je pu tenir ? Comment ai-je fait ? 
Et depuis l'écriture, c'est encore pire : chaque temps sauvé est employé.

Alors je me demande si une vie réussie ça ne serait pas ça : n'avoir jamais fait le malheur d'autrui (ou par des ricochets qu'on ne connait soi-même pas, mais par exemple et que je sache, personne n'a jamais été quitté pour moi, je n'ai pris des postes et des emplois que parce qu'ils étaient vacants, ni non plus n'ai triché et s'il m'est arrivé de peiner des personnes, c'était en défense, uniquement, et parce qu'il faut hélas parfois savoir gueuler Stop, vous êtes en train de trop en demander et de profiter de ma gentillesse) et pouvoir se demander à chaque période passée, mais comment avais-je fait pour faire tout ça ?, tout n'étant peut-être "que" le ménage, les enfants petits à chérir et soigner et aider chaque matin à s'habiller et accompagner à l'école et filer au boulot et tafer dix ou douze heure et rentrer à temps pour les croiser au dîner et leur lire l'histoire du soir et toutes choses du job et de la maison faites, au moins le plus urgent, trouver aussi le temps de lire un peu pour soi et se rendre compte que voilà rien que ça, c'était déjà un sacré exploit. 
Et que nous sommes beaucoup à le faire ou à l'avoir fait. 

Faire de son mieux, tout le temps et pas pour servir des objectifs frelatés.

Car avoir plus de fric que le voisins et le cacher ensuite de peur de se le faire piquer, c'est juste trop facile, il suffit d'être un bon tricheur avec une mentalité mesquine et que même si ça donne l'illusion d'un pouvoir, puisque forcément on peut acheter ce qu'on veut, du luxe, du clinquant et de l'inutile, et les services d'autres gens, obligés de les accorder pour gagner de quoi survivre, ou eux-mêmes esclaves de cette injonction du "toujours plus", la vraie réussite d'une vie, les vrais accomplissements sont ailleurs.

(et soudain je pense à Francis Royo et le bien qu'avec ses textes, ses poèmes, il a fait à une foule de gens, et pourtant si discrètement)


Deux ans de sur-place, un peu (si au moins il n'y avait eu que ça)

 

Capture d’écran 2016-03-15 à 18.11.12

 

En cherchant autre chose je suis tombée sur une appli qui rappelle d'anciens fichiers du même jour mais d'autres années. Je ne sais pas trop comment j'ai fait, mais alors que je ne le souhaitais pas plus que ça, j'ai dû activer une fonction de rappel et voilà qu'on me ressert celle-ci de mes photos horodatée précisément du 15 mars 2014 15:36 et que je viens (j'avais en partie oublié) de prendre sa presque jumelle (4 mars 2016 16:52).  20160304_165147

 

Il y a infiniment pire que de se retrouver deux ans après dans le même lit à baldaquin, à l'occasion d'un week-end de ciné-club. Il n'empêche qu'en ce qui concerne le travail j'ai l'impression d'avoir beaucoup donné pour un résultat décevant. J'ai rencontré quelques personnes, certains anciens collègues (essentiellement ceux qui ne se sont pas non plus attardés) sont devenus des amis, l'expérience de dépaysement fut rude mais formatrice. 
Financièrement, j'ai sauvé les meubles en bossant à gros rythme ces deux années - mais sans être pour autant mieux rétribuée -, puis en choisissant de quitter à ma liberté (1) j'ai replongé.

Je suis à nouveau en position d'espérer prochainement stabiliser à nouveau le déficit (et rembourser ma dette de dèche). À nouveau dans l'optique de retrouver un rythme de vie permettant de concilier l'écriture et bien bosser comme libraire. 

Les chantiers d'écriture ont l'un après l'autre été mis en jachère par des événements extérieurs qui combinés au travail qui passe toujours en premier, ont englouti le temps et l'énergie. Il y a eu un deuil, d'un genre qui m'avait jusqu'alors été épargné, et dont il est long de se remettre vraiment. Je crois que ça ne sera le cas que lorsque j'aurais écrit, pas l'écriture d'urgence et de survie mais quelque chose de plus posé, que les mots précis parviennent à délimiter la peine et qu'enfin elle cicatrise.

Avec un projet supplémentaire (sportif) un peu fou mais auquel je tiens de plus en plus. Et qui sera parfaitement compatible avec mon nouvel emploi ... si je m'y rends en vélo. 

Bref, au monopoly de la vie j'ai fait pour cette récente partie de deux années écoulées une sorte de "retournez à la case départ, ne touchez pas 20000, passez par le lit à baldaquin".
Et tout ira (enfin) bien ?

(Quand même assez fière qu'on ait tous les quatre de ma petite famille survécu à ces deux années dangereuses, il nous restera ça, dirait le Grand Fabien)

 

(1) Et quand même bien aidé par la poste qui oublie pendant quinze jours de présenter un recommandé - et répond tranquillou à un mot de protestation qu'un recommandé ne présente aucune garantie contractuelle de délais - et par les attentats de novembre qui m'ont laissée trop accablée pour surveiller les finances familiales. Qui m'ont aussi indirectement fait manquer une opportunité professionnelle prometteuse - parfois j'ai un tantinet la sensation de faire concurrence à Hélène Bessette ... mais pas dans le domaine qu'il faudrait -.

 

 

 


Mais qu'est-ce que c'est que ce binz ? (recommandé en errance)

    Dans la série Pendant les temps troublés les tracas continuent (et en profitent pour s'épaissir à notre insu), voici le dernier épisode en date.

 
    Ce matin, au courrier, une enveloppe : 

20151128_125604

Elle est oblitérée du 27 novembre, soit la veille, porte le logo de la poste, l'indication qu'il s'agit d'une lettre verte (donc d'un envoi non prioritaire). L'écriture manuscrite m'est inconnue (1). Et le code ROC 45612A, que j'ai recherché ensuite en tentant de comprendre semble un mystère général de l'internet. Les listes que l'on peut y trouver ne vont pas jusqu'aux chiffres au delà de 40000 qui composent le début de cette combinaison.

L'enveloppe est étrangement légère. J'ai failli la mettre de côté, croyant à une de ces publicités faussement nominatives. Nous en recevons régulièrement notamment de la part d'agences immobilières (et sans avoir rien fait pour ça, aucune recherche en cours). 

Il se trouve qu'il y a un autre courrier, à la provenance claire, et que j'ouvre alors celui-ci aussi, dans la foulée. Je m'aperçois que j'ai bien fait, ça n'est pas du tout une publicité.

C'est un avis de passage : 

20151128_122636Pour une lettre.

Il est daté du 28/11/15 soit le jour même. Nous étions trois ou quatre personnes dans l'appartement selon les heures depuis le matin-même et de bonne heure, aucune sonnerie n'est venue nous signaler le moindre passage.

Et puis dans une enveloppe datée de la veille et close, c'est un peu surprenant. Quelqu'un quelque part savait donc la veille qu'il ne nous serait pas présenté ce courrier le lendemain (?!).

Plus étonnant encore, le libellé de la rubrique info facteur "La Poste Mouvement Social".

Il nous est proposé un choix de re-présentation du pli - vu le côté fantomatique de la première présentation j'hésite - ou de passer le chercher au bureau de poste dont l'adresse est bien indiquée et qui est effectivement le plus proche de notre domicile : le 30/11/15 à partir de 17h. Logique pour la date puisqu'on est samedi et que les bureaux sont fermés le dimanche, agaçant pour l'heure lorsqu'on a connu des temps où l'on pouvait pour lettres ou paquets se présenter dès le lendemain matin première heure, par exemple avant d'aller au travail. Mais bon, ça fait longtemps que ce n'est plus comme ça.

Comme toujours lorsqu'on reçoit un recommandé, on se dit que c'est sans doute pour un sujet peu réjouissant. Nous n'avons rien à nous reprocher que des ennuis d'argent, un léger retard de paiement à la copropriété, des comptes bancaires qui ce mois-ci ont enfoncé leurs débits (mais quand je m'en suis aperçue j'ai contacté ma banque, lundi je dois les rappeler, je peux supposer qu'un recommandé aurait déjà été mentionné, il n'y a pas conflit mais fin de mois calamiteuse) et l'homme de la maison craint pour son emploi. Le libellé étant de type monsieur ou madame, j'écarte l'hypothèse d'un coup bas de ce côté-là. Reste l'affaire de la fuite d'eau invisible, qui n'en finit pas de se prolonger (2).

Bref, j'aimerais bien savoir de quoi il retourne sans avoir à attendre lundi soir ce qui ne permettra pas d'entreprendre quoi que ce soit avant au mieux mardi matin et mardi je bosse et l'homme de la maison aussi et ce sont de grosses journées, autant dire que l'emmerde peut-être en fait modérée et très administrative va avoir tout son temps pour enfler et cascader.

Alors je vais voir au numéro indiqué  (3) pour le suivi de ce courrier :

Capture d’écran 2015-11-28 à 12.34.10 - Version 2Date : 14/11/2015 "en cours de traitement" et envoi du 13/11/2015. Nous sommes le 28 et entre temps il n'y a eu ni présentation ni avis de passage, rien. On nous a donc envoyé un recommandé il y a quinze jours partant de la banlieue parisienne sud (4), nous n'en avons rien su.

Ceci rend le pli d'autant plus inquiétant. S'il émanait d'un de nos correspondants courants (le syndic de copropriété ou la banque) nous aurions déjà eu quelqu'un, en l'absence de réponse de notre part, pour s'en étonner et nous contacter par un autre biais.

J'ose espérer qu'il ne s'agissait pas d'une convocation quelque part dont le délais risque d'être dépassé.

 

Un tour sur les forums me laisse à supposer qu'on va se trouver dans notre tort si nous ne parvenons pas à mettre la main sur ce pli avant qu'il ne soit retourné à son expéditeur (mystérieux pour l'instant).

Enfin, j'ai tenté de savoir via différents moteurs de recherches, s'il y avait des mouvements sociaux à la poste en ce moment mais je n'ai rien trouvé. La grève secrète, ce concept innovant qu'il restait à inventer. 

Il n'y avait eu d'autres signes avant-coureurs que cette bizarrerie, la semaine passée d'avoir reçu douze plis le samedi, dont certains effectivement remontaient au 11 ou 12 novembre. Mais tout semblait être rentré dans l'ordre depuis.

 

J'aimerais bien trouver une explication à ceci. Et savoir si nous sommes les seuls concernés ou s'il y a (eu) un problème général. Je veux bien croire que les événements du 13 ont désorganisé pas mal de choses, que des personnes n'ont pas pu aller travailler, par exemple, ou sont définitivement manquantes. J'ai entendu parler par une jeune femme d'un droit de retrait qui avait été (ou non) exercé et je le trouve légitime lors des journées qui ont suivi les attentats.

Ça irait mieux, ou moins mal, si c'était dit.

 

(1) Il se trouve que je fais partie des personnes qui pratiquent encore la correspondance en papier, donc je sais reconnaître l'écriture de mes principaux correspondants, dont la vue me réjouit.

(2) En bref : une fuite d'eau qui n'avait pas été détectée à temps chez nous (le mur d'un placard était imprégné) et n'a pas été réparée dans un premier temps avec assez d'efficacité (un premier plombier a fait une intervention mais autre chose clochait, un deuxième a trouvé) a fait croire au voisin du dessous qu'on laissait couler de l'eau chez lui sans rien faire. La copropriété s'en est mêlée et résultat un beau mic mac, des frais pour nous en plus des interventions des plombiers, et des inspections d'experts à n'en plus finir.

(3) Depuis deux ans, il y a donc eu un net progrès.

(4) Indication qui malheureusement ne m'éclaire en rien sur son expéditeur. Sans doute une adresse d'entreprise qui délègue le traitement de son courrier.

addenda du 30/11/15 : C'était donc la banque, contre toute attente - pourquoi n'avaient-ils pas prévenus comme ils le font d'habitude en téléphonant, ou au moins en laissant un message ? - et qui nous mettait en demeure de régulariser un compte avant le 20/11/15. Pourquoi ne nous ont-ils pas aussi contactés en l'absence de réaction de notre part ? Heureusement j'avais commencé à m'en préoccuper de moi-même quand j'ai pris conscience du problème lors d'une vérification de fin de moi qui aurait dû être courante. Et qu'une bonne fée va nous aider [grand sourire soulagé]. Il n'empêche qu'on va au moins pire se retrouver avec des frais supplémentaires dus à ce délai postal intempestif. Et du temps perdu (alors que ça n'est vraiment pas le moment), passé à tenter de rattraper le coup. 


Tu ne veux pas te l'avouer mais en fait tu attendais


P4261803C'est au vu du peu de courrier, que des choses sérieuses, de la banque, des relevés, ou inutiles et publicitaires - non, tu n'as pas d'argent, avec quoi est-ce que tu achèterais ? - et que ton cœur s'est serré en constatant e peu, que tu t'es rendue compte que : 

- oui, tu espérais malgré tout encore et toujours un mot d'excuses, et pourquoi pas sous forme d'une lettre, une vraie, celle qu'il aurait dû au minimum t'écrire il y a deux années, pour le message malencontreux et affligeant du 8 janvier. Une amie qui a vu combien plusieurs mois plus tard encore tu en souffrais t'a soufflé, Tu sais c'était peut-être un envoi programmé. Et depuis tu te conditionnes à la croire, mais voilà, un mot qui dirait :

Je suis désolé, je n'avais pas suivi l'actualité française, j'étais préoccupé par la sortie de nos livres, et puis vraiment je m'en veux mais j'avais oublié que tu connaissais Honoré.

te délivrerait de quelque chose qui te fait intérieurement saigner. Être plus ou moins quittée pour une autre, ça ne faisait guère que la quatrième fois qu'on te le faisait et la sixième en comptant différentes menaces jamais réalisées, donc ça fait toujours aussi mal, mais OK. Avoir aimé quelqu'un capable d'autopromotion niaise béate joyeuse insouciante virevoltante au lendemain d'une tragédie collective à part personnelle qui plus est, ça te laisse une fente au cœur, un doute solide (est-il en plus d'être fou d'amour devenu fou tout court ?), une question obsessionnelle (Mais pourquoi pourquoi pourquoi a-t-il fait ça ?). Et le chagrin dont tu t'étais crue délivrée s'en trouve en fait réactivé.

- et oui aussi, il faut l'avouer, tu espères des nouvelles de F. B. (1). Dans la panade actuelle, ça te réconforterait.

[photo qui n'a rien à voir, quoi que : sur le stade de #MaNormandie un défibrilateur sous clef, l'esprit Shadok n'est pas mort, le goût de l'effort inutile : à quoi peut diable servir un défribrilateur s'il faut plusieurs minutes avant de dénicher le gars qui a la clef ?]

 

(1) Que surtout François Bon ne se sente pas concerné, en fieffés internautes on se tient au courant même lorsqu'on ne s'écrit pas directement. Ni d'ailleurs aucun de mes amis de l'internet qui aurait les mêmes initiales. Il s'agit de quelqu'un qui y est très peu - ou alors sous un pseudo resté secret à ce jour -.


Le Noël vraiment heureux


J'ai des souvenirs heureux de mes Noël de toute petite, je crois qu'un peu de famille venait, une fois celle de Bretagne, une fois Zio Piero et Zia Dina d'Italie, les parents ne s'entendaient alors pas si mal, j'étais gâtée. Je me souviens d'une guitare jouet qui avait fait mon plus grand bonheur - et probablement bien cassé les oreilles de mes parents -.

Des souvenirs mitigés des Noël d'enfance plus grande et d'adolescence, même si les parents par rapport à leurs moyens s'efforçaient de nous déposer pour le lendemain matin de beaux cadeaux au pied du sapin. Et que ce soir là (celui du 24) j'avais le droit de lire tard. Le bonheur de pouvoir lire tard le soir sans avoir à se cacher.

Et puis il y eut ce Noël de 1982. À Torino chez la famille d'Italie. Je ne sais comment, mon oncle Nicolà était parvenu à convaincre mon père qu'on vienne tous les 4. Mon amoureux d'alors était loin mais après tout puisqu'il n'était pas à Paris il ne me manquait pas pire à Turin. Pour le reste se furent des jours de rêve, une soirée de Noël d'anthologie, un repas de fête comme on n'en avait jamais fait - ma tante Paola avait oublié des plats d'entrées sur son balcon (mis au froid, réfrigérateur bondé) -. Comme la famille de France était là (nous) tous s'étaient arrangés pour au moins passer à un moment de la soirée. Je garde de ce Noël-là un souvenir ébloui.

Ensuite les Noël furent compliqués par des organisations de quelles familles voir quand puisque ma sœur comme moi avait une belle-famille. On s'efforçait de fêter pour les enfants, alors petits, mais il y avait toujours un moment où ça foirait. Nous restions souvent chez mes parents pour la nuit et dormions mal dans le lit d'appoint. C'étaient des Noël pas trop malheureux, je mettais grand soin dans le choix des cadeaux mais constitués d'une bonne part de sens du devoir, filial, parental, famillial.

Puis ma sœur est partie, les enfants ont grandi, mon père est mort. Les Noël sont devenus des un-peu-comme-ça-peut. Ni l'homme de la maison ni moi n'avons trop eu des emplois qui permettaient de réelles vacances, que je sois à l'"Usine" autrefois ou en librairie à présent, les fins d'années sont toujours de grosses périodes : jadis pour cause de bascules annuelles de bases de données - sans parler fin 1999 du fameux bug de l'an 2000, le surcroit de boulot que ça nous avait fait -, à présent pour cause de fournir les cadeaux des autres. J'arrive systématiquement à Noël rompue, sans être capable d'organiser quoi que ce soit, peinant pour tenir jusqu'aux minuits de la tradition, rêvant de la compagnie de certains amis mais Noël est si familial que chacun le passe avec les siens sans le secours de la chaleur amicale. Depuis l'internet ça va moins mal. On peut au moins échanger entre personnes qui ne festoyons que peu ou que pas. Un dîner amélioré, quelques présents, aller voir ma mère au lendemain midi (1), et voilà. Nous sommes heureux si personne n'est trop malade. On se dit que c'est déjà ça.

Cette année je suis contente : j'ai bien travaillé, il y a une satisfaction du devoir accompli, et il ne fait pas trop froid ce qui m'épargne un surcroît de fatigue. Et puis j'ai passé hier une belle soirée avec une amie qui m'est chère et c'était comme une petite fête personnelle, non datée. Qu'elle vienne jusqu'à mon travail a soulagé cette sensation d'exil qui depuis mars ne m'a pas quittée (2).

Il ne va pas tarder à être l'heure des (petits) cadeaux. Je songe à tous ceux qui offriront des choix que je les ai aidés à faire "Vous me sauvez mon Noël", disaient-ils. Puissent les destinataires des présents en être satisfaits.

(billet écrit dans un étrange état d'épuisement, au delà du sommeil)

 

(1) Cette année j'ai trop travaillé, je resterai à récupérer, je pense passer la journée au lit à attendre que le corps redevienne opérationnel pour vendredi et samedi.

(2) Sevrée de Bruxelles, quasi-coincée à Paris, je me trouve à fréquenter des quartiers qui m'étaient jusqu'alors étrangers. C'est "Cristo si e fermato a Eboli" à l'envers, des endroits trop chics pour ma personne. Et les amis (sauf un) si loin, qui semblent eux aussi à quelques exceptions près, respecter une frontière invisible dans l'intra-muros de Paris.


Nouvelle année

 

Ça m'est resté de l'enfance : pour moi les années fonctionnent en périodes scolaires, ou en saisons théâtrales. 2013/2014 qui fut un cru douloureux s'achève, et j'espère du mieux pour 2014/2015.

Ça correspond aussi à ma façon d'être : une année commence par le dur, les jours qui raccourcissent, l'épreuve qu'est l'hiver pour moi que le froid affaibli, tient ses heures les plus actives au printemps et s'achève en apothéose reposante l'été du moins si celui-ci contient des congés et est chaud.

Longtemps, la rentrée scolaire eut lieu le 15 septembre. Ça m'est donc resté comme date de début, surtout si celui-ci tombe un lundi.

2012/2013 avait bien commencé ; le livre de Joël Dicker gonflait les ventes à la librairie où j'ai tant aimé travailler - sauf les derniers mois lorsque tout s'effondrait -. L'auteur est venu, il y eut d'autres rencontres. Je commençais à avoir des ennuis financiers, dès que la paie arrivait avec un brin de retard (ça va vite : le fait d'avoir un compte débiteur engendre des frais qui accroîssent le débit), mais n'en n'avait pas encore pris la mesure. Le festival de cinéma d'Arras m'a fait découvrir Tarkovski, malgré une sorte de déconseil du bien-aimé que j'ai bien fait de ne pas écouter. Ces films en particulier "Stalker", "Solaris" et "Le sacrifice" (que j'ai regardé par imprégnation à la BNF, en V.O. sans sous-titres et dont je me suis sans doute fait un autre film) m'ont marquée même si me gêne par instants son regard sur les femmes ; clairement à ses yeux des êtres de catégorie B (une actrice italienne, d'ailleurs, dans un des making-off le dit). Sous des dehors d'amour, d'affection ou de courtoisie. C'est la même chose qui s'est produite avec celui qui pendant 5 voire 6 années aura tant compté et m'a quittée en 2013 au début de l'été, quand il a appris mon très prochain chômage et ma probable peut-être durable inutilité quant à la diffusion de son travail. Il avait rencontré la blonde dont il rêvait. Et donc le pion qu'au lieu de reine j'étais désormais sur son échiquier fut sommé, à quelques jours de retrouvailles prévues et tant attendues (de mon seul côté, compris-je alors tard (1)), de dégager ou rester pour tenir le chandelier. Il a eu de la chance que je ne m'associe par au colonnel Moutarde pour en faire usage dans la bibliothèque. Mademoiselle Rose nous en a dissuadés et le professeur Violet a dit qu'il m'aiderait.

Dans un premier temps il l'aura fait en me dégotant une proposition de travail, très amicale et décemment payée mais qui nécessitait d'être au meilleur de ma forme et capable de beaucoup d'aptitudes relationnelles. Ça m'est difficile mais je sais faire fort bien. En temps normal. Mais si je n'étais pas en danger au point de ne plus pouvoir assurer le quotidien ou un travail au calme, à mon rythme, dans mon coin, je n'étais pas en état de devoir passer des heures à parler, discuter, négocier, organiser avec les bouffées de peine qui à l'improviste me saisissaient. Elles ne se sont apaisées que cet été. Ou du moins sont devenues maîtrisables.

J'ai dû renoncer à ce poste proposé, après l'avoir dans un premier temps, coincée par les problèmes financiers, accepté. Ça m'a fait mal.

 

Satsuki m'a aidée très concrètement le temps que je retrouve un emploi dans mon métier de base, le vrai, qui est d'être libraire. Je sais que j'ai les aptitudes aussi pour faire de la radio à condition d'y parler de livres ou de films, mais je ne vois pas du tout comment y accéder. Le boulot en librairie est suffisamment sous-payé et comporte assez de tâches ingrates pour être accessible aux bonnes volontés. L'autre, assis et médiatique, nécessite d'être du sérail ou d'avoir au préalable une certaine notoriété. 

L'année 2013 / 2014 aura donc été celle de l'amitié puisque c'est aussi grâce à des amies que j'ai retrouvé du travail. Et dans le monde coupant tel qu'il est où les factures tombent avec régularité mais les rentrées d'argent moins - pour le commun des mortels -, avoir un job, ça n'est pas rien. Ça veut dire aussi bénéficier d'une couverture sociale, cotiser pour une retraite qui si elle devient de plus en plus lointaine et hypothétique, n'en comporte pas moins le risque de finir au crochet de ses descendants. J'aimerais autant éviter. Nos années de jeunes cadres dynamiques et qui auraient dû être confortables ont été obérées par la prise en charge du placement en maison de retraite d'un ascendant et je voudrais éviter cela à la nouvelle génération.

D'autres amies m'ont aidée. Ne serait-ce qu'en me faisant comprendre qu'elles aimeraient bien avec moi travailler.

Et qu'enfin c'est une grande amie qui nous a sauvé en urgence d'une fin de mois pire que les autres (3).

Ça aura été aussi l'exil dans les beaux quartiers, me rendre compte d'à quel point avant d'y travailler je n'y mettais jamais les pieds. L'exploration n'est pas encore achevée. Il est des soirs ou en rentrant par des chemins volontairement détournés, seule ou accompagnée, j'ai eu la sensation d'être ailleurs, dans un pays exotique, étranger.

J'y refais ma garde-robe et l'équipement de la maison.

Comme le quartier où j'habite est lui aussi en pleine et spectaculaire mutation, j'ai eu, j'ai toujours, cette impression d'avoir déménagé sur place. D'être partie ailleurs au même endroit pour suivre le travail.

Dans un certain sens c'est bien tombé : les problèmes d'argent manquant ont engendré une absence de voyages, fors la Normandie, gratuite grâce à ma mère et où il faut aller régulièrement pour entretenir sa petite maison. Si l'ami Matoo n'avait pas eu la grâce de se marier et de me convier à la noce, et Kozlika de m'héberger (comment aurais-je fait sinon ?) je n'aurais en 2013/2014 pas mis les pieds une seule fois dans des lieux qu'avant je ne connaissais pas.

Il y a eu le festival d'Arras, en novembre, moment de trève, même si le cinéma me ramène à l'absent. Se cramponner de se dire que j'avais le cinéma dans ma vie avant lui, que cette passion commune nous avait rapprochée mais que ce n'est pas lui qui me l'a apportée. Et que sa façon érudite de l'aborder était un tantinet trop masculine pour moi - ah ces femmes fatales attifées pour faire frétiller les mâles hétéros ; ce qui au delà d'un certain point m'afflige - et passablement professorale. Je préfère connaître les choses de l'intérieur, quitte à y avoir plein de flous, des dates de production incertaines, et des méconnaissances de distributions. Je laisse volontiers l'encyclopédisme aux garçons. Il n'y a qu'en matière de sciences que je ressens le besoin de la plus grande précision.

J'avais commencé à écrire à ce sujet un texte qui poussait plutôt bien lorsque je suis tombée malade, fin janvier 2014. Ce n'était qu'un rhume, a priori mais très mauvais, une fièvre de cheval disait-on autrefois. Ma vie étant une comédie à l'italienne, c'est la semaine d'être au plus mal que j'ai décroché trois entretiens d'embauche après un vide relatif d'un mois et demi. Miraculeusement l'un d'entre eux a débouché sur un emploi. Que j'occupe actuellement et qui me permet d'envisager au moins le futur proche presque sereinement. D'espérer remonter les finances, lentement.

La maladie m'a offert trois semaines de grande faiblesse dont je me serais passée. J'ai repris le travail et la danse (4) début mars, en même temps et ce fut un violent effort. Il fallait se remettre à niveau physiquement. Une tendinite à la hanche (à l'endroit de l'accroche, j'ai perdu le vrai nom) m'avait déjà gâché décembre et empêché de courir quelques temps. Les anti-inflammatoires pris à cette occasion m'ont fait, comme en 2006 quelques semaines de zoloft, prendre conscience d'à quel point je vis dans un corps sourdement douloureux et que c'est permanent. Les médicaments m'enlevaient toute douleur, je me sentais en coton. Le sport que je pratique régulièrement est une façon de savoir où et pourquoi on aura mal de courbatures et quelques froissements. Mais j'aurais de toutes façons mal sinon. Je soupçonne la thalassémie d'y être pour quelque chose.

Ma fille a eu des ennuis de santé autrement sérieux. Elle ne souhaiterait peut-être pas que j'en parle, alors seulement dire que ça va mieux mais qu'il y a eu des mois difficiles. Tenir au travail était le maximum que j'ai pu faire, et tenter d'être là. La vie est comme mise de côté pendant tout ce temps-là.

Le printemps d'ailleurs a été très froid. 

Heureusement qu'il y avait, qu'il y aura eu en 2013 / 2014 des lectures chaleureuses et formidables pour compenser. L'opulence de ce côté-là console.

J'ai dû cesser d'écrire (en dehors d'ici). Il a fallu une quinzaine de jours de congé en juillet, que mon employeur m'a intelligemment imposés, passés pour l'essentiel à la maison à régler tout l'en-retard de l'intendance minimale, mais à mon rythme, tranquillement, et que la grande n'allait pas si mal, pour reprendre pied. Parvenir à livrer en temps et en heure une nouvelle pour un recueil pour lequel elle ne fut pas retenue, mais c'était déjà formidable d'avoir su tenir distance et délai. C'était si mal barré.

Août et début septembre auront été consacrés au gagne-pain. Avec des complications imprévues (ordinateur de caisse en panne), ce qui a fait qu'il n'y aura pas eu de temps creux. J'ai tenu.

Les finances familiales remontent lentement. Très : 2013 /2014 aura été l'année de la plomberie avec le gag éternel de la fuite d'eau cachée mais qui fait des dégâts en dessous exaspérant des voisins alors qu'on ne se rend compte de rien, et qu'on mettra longtemps à déceler, l'année des appareils d'usage à remplacer alors qu'on s'en serait bien passé. Chaque fois on se dit qu'on devrait être tranquilles un moment. Et puis c'est autre chose qui lâche. Et je subis de plein fouet l'écart croissant entre le coût des choses et la difficulté de ramener de l'argent. Une petite bricole sur les clefs de la voiture dont la coque se désagrégeait nous coûte 18 heures de mon travail. Une pinte de Guinness dans le quartier où je bosse, c'est une heure. Un chèque déjeuner et je suis très soulagée qu'on en ait, c'est ... le prix d'un dessert au café brasserie d'à côté. (Et je préfère ne pas faire l'estimation pour les interventions des plombiers, du serrurier en juin ou juillet, des frais dentaires du conjoint).

Sans doute que l'année 2013 / 2014 aura été celle des renoncements, des espoirs éteints : celui de s'en sortir un jour, celui du meilleur de la sexualité, celui d'écrire à mon niveau, au meilleur de mes capacités. Je suis décidément condamnée aux temps sauvés. Je n'ai pas renoncé à les utiliser au mieux.

J'espère que 2014 / 2015 me reverra en forme, libérée des fardeaux, allant enfin de l'avant au lieu d'être tout entière employée à sauver ce qui peut l'être. Je m'en veux d'être si privilégiée par rapport aux 3/4 de l'humanité (ville en paix, pain quotidien assuré, soins médicaux possibles, un toit) et de n'en rien faire de mieux que tout juste parvenir à boucler le quotidien.

Au programme si ça veut bien : ranger la maison (urgent), lire La Recherche (c'est démarré, et quel plaisir), remplir un agenda pour madame B. très soigneusement, boucler deux manuscrits et entamer la ronde des refus. Oublier ce qui ne sert plus à rien qu'à me fournir en chagrin(s). Continuer de profiter de la vie culturelle à Paris qui est d'une richesse inouïe. Passer de bons moments avec les amis, c'est au fond le meilleur de la vie.

Si vraiment c'est la grande forme : devenir dans un an capable de courir un semi-marathon.

 

(1) Je m'en suis dans un premier temps voulu de n'avoir perçu les signes avant-coureurs (2) qu'après. Puis à l'occasion d'un souci d'ordi j'ai eu sous les yeux certaines amorces de messages, et j'ai compris que si j'avais été naïve, lui avait beaucoup masqué ; avec habilité.

(2) À propos de signes avant-coureurs dans le cas où l'on vit avec quelqu'un, un billet fort bien troussé chez Marie Vareille, et qui sous des dehors drôles ne dit pas que des légèretés.

(3) On nous avait joué un sale tour, il était question d'encaissements étalés qui ne l'ont pas été. 

(4) Abonnement échu et ce problème de santé certes passager mais qui m'aurait de toutes façons empêchée d'y aller.