Ça m'est resté de l'enfance : pour moi les années fonctionnent en périodes scolaires, ou en saisons théâtrales. 2013/2014 qui fut un cru douloureux s'achève, et j'espère du mieux pour 2014/2015.
Ça correspond aussi à ma façon d'être : une année commence par le dur, les jours qui raccourcissent, l'épreuve qu'est l'hiver pour moi que le froid affaibli, tient ses heures les plus actives au printemps et s'achève en apothéose reposante l'été du moins si celui-ci contient des congés et est chaud.
Longtemps, la rentrée scolaire eut lieu le 15 septembre. Ça m'est donc resté comme date de début, surtout si celui-ci tombe un lundi.
2012/2013 avait bien commencé ; le livre de Joël Dicker gonflait les ventes à la librairie où j'ai tant aimé travailler - sauf les derniers mois lorsque tout s'effondrait -. L'auteur est venu, il y eut d'autres rencontres. Je commençais à avoir des ennuis financiers, dès que la paie arrivait avec un brin de retard (ça va vite : le fait d'avoir un compte débiteur engendre des frais qui accroîssent le débit), mais n'en n'avait pas encore pris la mesure. Le festival de cinéma d'Arras m'a fait découvrir Tarkovski, malgré une sorte de déconseil du bien-aimé que j'ai bien fait de ne pas écouter. Ces films en particulier "Stalker", "Solaris" et "Le sacrifice" (que j'ai regardé par imprégnation à la BNF, en V.O. sans sous-titres et dont je me suis sans doute fait un autre film) m'ont marquée même si me gêne par instants son regard sur les femmes ; clairement à ses yeux des êtres de catégorie B (une actrice italienne, d'ailleurs, dans un des making-off le dit). Sous des dehors d'amour, d'affection ou de courtoisie. C'est la même chose qui s'est produite avec celui qui pendant 5 voire 6 années aura tant compté et m'a quittée en 2013 au début de l'été, quand il a appris mon très prochain chômage et ma probable peut-être durable inutilité quant à la diffusion de son travail. Il avait rencontré la blonde dont il rêvait. Et donc le pion qu'au lieu de reine j'étais désormais sur son échiquier fut sommé, à quelques jours de retrouvailles prévues et tant attendues (de mon seul côté, compris-je alors tard (1)), de dégager ou rester pour tenir le chandelier. Il a eu de la chance que je ne m'associe par au colonnel Moutarde pour en faire usage dans la bibliothèque. Mademoiselle Rose nous en a dissuadés et le professeur Violet a dit qu'il m'aiderait.
Dans un premier temps il l'aura fait en me dégotant une proposition de travail, très amicale et décemment payée mais qui nécessitait d'être au meilleur de ma forme et capable de beaucoup d'aptitudes relationnelles. Ça m'est difficile mais je sais faire fort bien. En temps normal. Mais si je n'étais pas en danger au point de ne plus pouvoir assurer le quotidien ou un travail au calme, à mon rythme, dans mon coin, je n'étais pas en état de devoir passer des heures à parler, discuter, négocier, organiser avec les bouffées de peine qui à l'improviste me saisissaient. Elles ne se sont apaisées que cet été. Ou du moins sont devenues maîtrisables.
J'ai dû renoncer à ce poste proposé, après l'avoir dans un premier temps, coincée par les problèmes financiers, accepté. Ça m'a fait mal.
Satsuki m'a aidée très concrètement le temps que je retrouve un emploi dans mon métier de base, le vrai, qui est d'être libraire. Je sais que j'ai les aptitudes aussi pour faire de la radio à condition d'y parler de livres ou de films, mais je ne vois pas du tout comment y accéder. Le boulot en librairie est suffisamment sous-payé et comporte assez de tâches ingrates pour être accessible aux bonnes volontés. L'autre, assis et médiatique, nécessite d'être du sérail ou d'avoir au préalable une certaine notoriété.
L'année 2013 / 2014 aura donc été celle de l'amitié puisque c'est aussi grâce à des amies que j'ai retrouvé du travail. Et dans le monde coupant tel qu'il est où les factures tombent avec régularité mais les rentrées d'argent moins - pour le commun des mortels -, avoir un job, ça n'est pas rien. Ça veut dire aussi bénéficier d'une couverture sociale, cotiser pour une retraite qui si elle devient de plus en plus lointaine et hypothétique, n'en comporte pas moins le risque de finir au crochet de ses descendants. J'aimerais autant éviter. Nos années de jeunes cadres dynamiques et qui auraient dû être confortables ont été obérées par la prise en charge du placement en maison de retraite d'un ascendant et je voudrais éviter cela à la nouvelle génération.
D'autres amies m'ont aidée. Ne serait-ce qu'en me faisant comprendre qu'elles aimeraient bien avec moi travailler.
Et qu'enfin c'est une grande amie qui nous a sauvé en urgence d'une fin de mois pire que les autres (3).
Ça aura été aussi l'exil dans les beaux quartiers, me rendre compte d'à quel point avant d'y travailler je n'y mettais jamais les pieds. L'exploration n'est pas encore achevée. Il est des soirs ou en rentrant par des chemins volontairement détournés, seule ou accompagnée, j'ai eu la sensation d'être ailleurs, dans un pays exotique, étranger.
J'y refais ma garde-robe et l'équipement de la maison.
Comme le quartier où j'habite est lui aussi en pleine et spectaculaire mutation, j'ai eu, j'ai toujours, cette impression d'avoir déménagé sur place. D'être partie ailleurs au même endroit pour suivre le travail.
Dans un certain sens c'est bien tombé : les problèmes d'argent manquant ont engendré une absence de voyages, fors la Normandie, gratuite grâce à ma mère et où il faut aller régulièrement pour entretenir sa petite maison. Si l'ami Matoo n'avait pas eu la grâce de se marier et de me convier à la noce, et Kozlika de m'héberger (comment aurais-je fait sinon ?) je n'aurais en 2013/2014 pas mis les pieds une seule fois dans des lieux qu'avant je ne connaissais pas.
Il y a eu le festival d'Arras, en novembre, moment de trève, même si le cinéma me ramène à l'absent. Se cramponner de se dire que j'avais le cinéma dans ma vie avant lui, que cette passion commune nous avait rapprochée mais que ce n'est pas lui qui me l'a apportée. Et que sa façon érudite de l'aborder était un tantinet trop masculine pour moi - ah ces femmes fatales attifées pour faire frétiller les mâles hétéros ; ce qui au delà d'un certain point m'afflige - et passablement professorale. Je préfère connaître les choses de l'intérieur, quitte à y avoir plein de flous, des dates de production incertaines, et des méconnaissances de distributions. Je laisse volontiers l'encyclopédisme aux garçons. Il n'y a qu'en matière de sciences que je ressens le besoin de la plus grande précision.
J'avais commencé à écrire à ce sujet un texte qui poussait plutôt bien lorsque je suis tombée malade, fin janvier 2014. Ce n'était qu'un rhume, a priori mais très mauvais, une fièvre de cheval disait-on autrefois. Ma vie étant une comédie à l'italienne, c'est la semaine d'être au plus mal que j'ai décroché trois entretiens d'embauche après un vide relatif d'un mois et demi. Miraculeusement l'un d'entre eux a débouché sur un emploi. Que j'occupe actuellement et qui me permet d'envisager au moins le futur proche presque sereinement. D'espérer remonter les finances, lentement.
La maladie m'a offert trois semaines de grande faiblesse dont je me serais passée. J'ai repris le travail et la danse (4) début mars, en même temps et ce fut un violent effort. Il fallait se remettre à niveau physiquement. Une tendinite à la hanche (à l'endroit de l'accroche, j'ai perdu le vrai nom) m'avait déjà gâché décembre et empêché de courir quelques temps. Les anti-inflammatoires pris à cette occasion m'ont fait, comme en 2006 quelques semaines de zoloft, prendre conscience d'à quel point je vis dans un corps sourdement douloureux et que c'est permanent. Les médicaments m'enlevaient toute douleur, je me sentais en coton. Le sport que je pratique régulièrement est une façon de savoir où et pourquoi on aura mal de courbatures et quelques froissements. Mais j'aurais de toutes façons mal sinon. Je soupçonne la thalassémie d'y être pour quelque chose.
Ma fille a eu des ennuis de santé autrement sérieux. Elle ne souhaiterait peut-être pas que j'en parle, alors seulement dire que ça va mieux mais qu'il y a eu des mois difficiles. Tenir au travail était le maximum que j'ai pu faire, et tenter d'être là. La vie est comme mise de côté pendant tout ce temps-là.
Le printemps d'ailleurs a été très froid.
Heureusement qu'il y avait, qu'il y aura eu en 2013 / 2014 des lectures chaleureuses et formidables pour compenser. L'opulence de ce côté-là console.
J'ai dû cesser d'écrire (en dehors d'ici). Il a fallu une quinzaine de jours de congé en juillet, que mon employeur m'a intelligemment imposés, passés pour l'essentiel à la maison à régler tout l'en-retard de l'intendance minimale, mais à mon rythme, tranquillement, et que la grande n'allait pas si mal, pour reprendre pied. Parvenir à livrer en temps et en heure une nouvelle pour un recueil pour lequel elle ne fut pas retenue, mais c'était déjà formidable d'avoir su tenir distance et délai. C'était si mal barré.
Août et début septembre auront été consacrés au gagne-pain. Avec des complications imprévues (ordinateur de caisse en panne), ce qui a fait qu'il n'y aura pas eu de temps creux. J'ai tenu.
Les finances familiales remontent lentement. Très : 2013 /2014 aura été l'année de la plomberie avec le gag éternel de la fuite d'eau cachée mais qui fait des dégâts en dessous exaspérant des voisins alors qu'on ne se rend compte de rien, et qu'on mettra longtemps à déceler, l'année des appareils d'usage à remplacer alors qu'on s'en serait bien passé. Chaque fois on se dit qu'on devrait être tranquilles un moment. Et puis c'est autre chose qui lâche. Et je subis de plein fouet l'écart croissant entre le coût des choses et la difficulté de ramener de l'argent. Une petite bricole sur les clefs de la voiture dont la coque se désagrégeait nous coûte 18 heures de mon travail. Une pinte de Guinness dans le quartier où je bosse, c'est une heure. Un chèque déjeuner et je suis très soulagée qu'on en ait, c'est ... le prix d'un dessert au café brasserie d'à côté. (Et je préfère ne pas faire l'estimation pour les interventions des plombiers, du serrurier en juin ou juillet, des frais dentaires du conjoint).
Sans doute que l'année 2013 / 2014 aura été celle des renoncements, des espoirs éteints : celui de s'en sortir un jour, celui du meilleur de la sexualité, celui d'écrire à mon niveau, au meilleur de mes capacités. Je suis décidément condamnée aux temps sauvés. Je n'ai pas renoncé à les utiliser au mieux.
J'espère que 2014 / 2015 me reverra en forme, libérée des fardeaux, allant enfin de l'avant au lieu d'être tout entière employée à sauver ce qui peut l'être. Je m'en veux d'être si privilégiée par rapport aux 3/4 de l'humanité (ville en paix, pain quotidien assuré, soins médicaux possibles, un toit) et de n'en rien faire de mieux que tout juste parvenir à boucler le quotidien.
Au programme si ça veut bien : ranger la maison (urgent), lire La Recherche (c'est démarré, et quel plaisir), remplir un agenda pour madame B. très soigneusement, boucler deux manuscrits et entamer la ronde des refus. Oublier ce qui ne sert plus à rien qu'à me fournir en chagrin(s). Continuer de profiter de la vie culturelle à Paris qui est d'une richesse inouïe. Passer de bons moments avec les amis, c'est au fond le meilleur de la vie.
Si vraiment c'est la grande forme : devenir dans un an capable de courir un semi-marathon.
(1) Je m'en suis dans un premier temps voulu de n'avoir perçu les signes avant-coureurs (2) qu'après. Puis à l'occasion d'un souci d'ordi j'ai eu sous les yeux certaines amorces de messages, et j'ai compris que si j'avais été naïve, lui avait beaucoup masqué ; avec habilité.
(2) À propos de signes avant-coureurs dans le cas où l'on vit avec quelqu'un, un billet fort bien troussé chez Marie Vareille, et qui sous des dehors drôles ne dit pas que des légèretés.
(3) On nous avait joué un sale tour, il était question d'encaissements étalés qui ne l'ont pas été.
(4) Abonnement échu et ce problème de santé certes passager mais qui m'aurait de toutes façons empêchée d'y aller.