Des casques au chant et puis un très beau billet chez un ami

 

    Mes journées de travail sont intenses et belles (sauf celle du mois où je dois faire la déclaration de TVA, je me sens totalement en erreur de casting sur ce coup-là, même si, si c'est bien ce que j'ai compris qu'on fait, ça n'est en rien compliqué), je ne vois pas le temps passer, à la radio je mets FIP et ses brefs flashs d'infos à tous les 50 d'une heure et j'ai toujours l'impression que je viens d'en entendre un quand le suivant survient.

Du coup lors d'un des trajets - pour certains éditeurs on est aussi un peu nos propres coursiers -, j'ai eu un petit endormissement de métro, avec un rêve, ce qui est rare, comme une sorte de vision.

Les dangers d'attentats venaient désormais dans les grandes villes des cieux (1) : les types mettaient des sortes de grenades à retardement sur des drones bon marché et larguaient ça n'importe où. Alors on avait pris l'habitude de ne jamais sortir dans Paris sans sur la tête un casque de vélo. On avait aussi pris le pli de se balader avec des ballons à hélium, comme des ballons d'enfants, auxquels étaient attachés des coussins (2) ; ça rendait la ville curieuse, tout le monde ressemblait à des enfants dont les parents auraient été des paranoïaques de la prudence (3). Et puis très vite il y avait eu de la fantaisie, et dans les casques et dans les coussins-ballons ce qui mettait plein de touches de couleurs. La ville n'avait jamais été si dangereuse fors en temps de guerres ouvertes, mais n'avait jamais eu l'air si insouciante (4).
De cette évolution des risques il ressortait que le métro était devenu le mode de transport le plus sûr. On s'y bousculait (5). 

J'arrivais, je me suis réveillée, je n'en saurai donc pas davantage.

Mais ce rêve, même s'il n'y ressemblait pas, en fait, m'a rappelé celui du billet Le chant du canari qu'avait écrit en février l'ami Le Roncier, durant cette campagne électorale affolante et affligeante que nous avons traversée. 
Je crois que c'est parce qu'il tente aussi, ce micro-songe, d'avertir de quelque chose qui ne sera pas entendu (et d'ailleurs, par qui ?)

*            *            *

J'ai lu sur le même blog dès lors de plus récents billets que ma vie trop chargée m'avait fait manquer.

Parmi eux, celui-ci : L'ïle des Morts.

Je ne sais rien dire de plus que Allez voir, lisez. Il part de la sortie d'un film qui se passe à Paris au début des années 90 et fait revivre cette période durant laquelle Act-up tentait de secouer l'inertie de la société.

Je ne pense pas que j'irai le voir : la mise en fiction de périodes et lieux que j'ai connus ou événement que j'ai vécus (6) me pèse, il y a donc un grand risque d'être exaspérée, désespérée, horripilée - et encore je ne fais pas partie de ceux qui ont connu le mouvement d'au plus près -. Néanmoins ce film, s'il a du succès, pourra avoir un bon rôle pédagogique auprès des populations qui ne se croient pas concernées et pourraient de fait sans l'existence de telles passerelles pour eux accessibles, se laisser séduire par les fausses affirmations des groupes réactionnaires qui sont si frétillants depuis plusieurs années. 

Wait and see (or not)

En attendant et une nouvelle fois, toute ma gratitude envers Le Roncier pour ce qu'il écrit.

 

(1) Probablement car la circulation de véhicules particuliers était interdite intramuros sauf cas particuliers. Et que toute zone piétonne était protégée par des plots, des murets. 
(2) Une fois sortie du rêve je ne comprends pas trop ce que ça empêchait - mais sur le moment ça semblait imparable et parfaitement cohérent -.
(3) J'ai eu une amie comme ça autrefois, faire une balade avec ses enfants petits et elle était épuisant. Elle était sans arrêt en train de leur crier des appels de prudence (alors qu'ils étaient plutôt du modèle enfants sages et raisonnables).
(4) J'ai dû lire trop d'articles sur Paris 2024 et les J.O. (sujet au sujet duquel je ne parviens pas à me forger une opinion).
(5) Ça, ça vient tout droit de "L'étoile jaune de Sadorski" de Romain Slocombe, lu pour la rentrée, avec (entre autre) ses scènes de métro surchargé pendant l'occupation
(6) Je me dis que ça nous pend au nez qu'un réalisateur se saisisse du sujet formidable que ferait l'aventure du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun, que c'est l'affaire d'une petite poignée d'années avant que ça fasse un truc super bankable, genre belle aventure humaine qui en plus fini bien, avec des tractations en hauts lieux et ce que font les petites gens. Et je sais que sauf si c'est [Bip] ou [Bip bip] ou Félix van Groeningen, qui revenu de ses (més)aventures hollywoodiennes voudra renouer avec le "vrai" ciné, ça va m'horripiler. 
En revanche si quelqu'un de respectueux et d'honnête décide de faire un documentaire, je serais ravie d'y contribuer. Elles ne sont pas si fréquentes en ce début de XXIème siècle les luttes collectives victorieuses.


Une bizarrerie (mes neurones en parallèle)


    Ainsi donc c'est la troisième fois que mon cerveau me fait le coup de disposer de toutes les infos nécessaires pour établir l'évidente connexion entre une personne que je connais et une autre que je connaissais ou un travail d'elle-même qu'elle avait fait et que je connaissais. Un lien qui aurait dû me sembler évident dès la rencontre elle-même et qui pourtant aura mis entre 8 et 24 mois pour s'établir enfin. Et le plus souvent de façon fortuite. Ou plutôt par une conséquence logique mais involontaire.

Pourtant dans la vie, je suis celle qui, délivrée du poids des enfants petits, assoiffée d'apprendre, en perpétuel appétit de bons moments (et les soirées en librairies, ou voir un bon film, le sont) et donc sortant beaucoup, pratiquant aussi l'internet dans sa version chaleureuse de contacts et d'échanges, fait souvent le lien entre les uns et les autres. Avec une vista pour les collaborations fructueuses et autres affinités dont j'aimerais qu'elle puisse un jour s'appliquer à ma propre vie - mais on dirait qu'hélas je suis moi-même exclue du champ de mes propres capacités ; ou bien ma capacité est celle-ci et rien d'autre : présenter les uns aux autres afin qu'ensemble ils puissent progresser -.

Il m'est donc particulièrement troublant de constater à quel point mes neurones ou tout autres éléments impliqués dans les processus de pensée fonctionnent pour moi-même en parallèles sans jamais spontanément se croiser et pour le collectif en très efficace toile qui relie les autres.

Je reste très émue de ce que je viens d'apprendre. Un lien entre un ami relativement récent et d'autres qui datent du temps où je venais de faire la rencontre décisive qui allait bouleverser ma vie. Et une foule d'éléments incompréhensibles isolément prennent harmonieusement place. Dont le fait que je me sente à ce point affectée par la mort de Patrice Chéreau alors que je n'ai fait que parfois le croiser - et apprécier ses travaux, certes, mais d'ordinaire ça ne suffit pas pour avoir du chagrin comme ça -. 

Émue et heureuse de ce que j'ai enfin appris,  mais troublée par mes sortes de micro-aveuglements, voire d'amnésies. Comme un sortilège. Ou un enchantement.

 


Quand l'intuition précède de loin la compréhension - doc about ABBA

 

J'étais tombée sur ce documentaire il y a quelques jours, n'ai eu le temps de le regarder que ce soir. Il est truffé de micro-pépites y compris (ou peut-être surtout) pour qui n'apprécie pas l'ancien groupe plus que ça.

Les intervenants sont pour plusieurs inoubliables. J'adore le pianiste et le costumier (quand tu penses que tout ça c'était pour échapper au poids de la sexualité fiscalité). 

Peu à peu j'apprends et je comprends pourquoi très exactement me fait l'effet qu'il me fait ce groupe-là et aucun autre, ou peut-être, mais il n'est pas un groupe et c'est dans une moindre mesure et avec les ans l'effet s'est un tantinet tassé, Eros Ramazzotti

Attention, je ne suis pas fan. Incapable de l'être sauf éventuellement de chanteurs/euses d'opéra et encore je peux être subjuguée par leurs prestations et garder face à eux IRL un relatif sang-froid, voire ne pas même les reconnaître. Mais disons qu'Abba est un médicament dont j'use régulièrement - même si je préférerais avoir moins d'occasions de le faire que depuis huit ans -, que leurs chansons me sont restées, et qu'ils sont pour moi source d'une aspiration. On peut partager le triste car le plus souvent pour qui n'est ni séduisant(e) ni bien né(e) la vie le plus souvent l'est, mais qu'il y ait de la pêche, de l'humour - sans que l'autodérision n'obère l'émotion -, de l'énergie, que ça console ceux qui ont profité du partage. Et qu'un travail de création peut être populaire et accessible au plus grand nombre sans pour autant être mauvais, qu'il peut même inspirer ceux qui se veulent pionniers et soucieux seulement d'art - ce qui revient souvent à un abord plus compliqué -. I would like so much life to allow me to do my job here below before it's too late, I'm way too tired these days and afraid it's as for love the case.

 

PS : Ce serait bien que je me souvienne de Kevin, se dit la fille qui a toujours bien trop d'idées par rapport au temps et à l'énergie nécessaire pour les réaliser.

PS' : Note pour Satsuki : vrais éclats de Suédois inside (certes brefs, mais)

 documentaire The joy of Abba - Phil Ramey Ben Whalley BBC4 (samedi 28 décembre 2013)

 


The mysterious mister Mistry

Ce soir, in my quiet kitchen

  

J'étais en train de me cramponner pour ne pas désespérer, "le samedi soir quand je peux j'écoute pousser mes cheveux", me dire que la maison en effet collatéral des derniers développements était en train de perdre ses pannes, ce qui me fait marrer en plus de redevenir confortable, quand via Christine Genin, m'est parvenu un lien vers cette vidéo.

Bizarrement, je n'ai pas eu l'ombre d'un doute quant à ce que je voyais, mais quand au fait que ces inventions seraient en open source. Le point "trop beau pour être vrai". Il semblerait cependant bien que même ça soit bien réel. Qu'il existe encore des humains comme ça est un mystère pour moi. À une époque où être partageux est si dépassé que même dans la vie privée avoir ce type d'attitude crée des malentendus, ça me paraît tenir du miracle. Ou bien : ça n'est pas possible, ça ne va pas durer. En attendant et même si demain, je dois une fois de plus être frappée de désillusion, là maintenant, profitons.

  

Pour ce qui est des réflexions subtiles, je laisse les mots à François Bon, et pour la part technique à l'inventeur lui-même.

Et bien sûr des limites au rêve, qu'on peut commencer à pister par là (merci @Padawan pour le lien), mais ce soir je n'en ai pas envie, non, pas.

Stéphanot, tu vois, ton idée de pouvoir s'envoyer par un scanner des objets plats et qu'ils se reconstituent chez l'ami destinataire, on s'en approche pas à pas.

Bon sang, pour la première fois depuis des semaines et des mois, j'ai envie de vivre un peu vieille afin de voir la suite. Et si j'avais 20 ans de moins je me ferais cinéaste pour réaliser le film, loin des canons holly ou bolly-hoodiens.

Thanks mister Mistry.


Et les mains, du mohair de Roumanie ?

Ici et maintenant

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Pendant que d'aucunes s'entraînent assidûment à l'ouverture de portes, jusqu'à ce que le geste devienne si ample et assuré que plus une huisserie même mal huilée ne leur résistera, et ont choisi pour terrain d'entraînement celles des boutiques de lingerie fine, une autre aux séductions plus septentrionales, essayait un accessoire nouvellement acquis en vue d'un hiver qu'elle pressent difficile.

Il lui allait comme un gant.

Elle ne doute pas un seul instant de la puissance de sexitude offerte par le Mohair de Roumanie présentement torsadé, complété de polyamide (25%) et d'acrylique (20%) dont la torridité si elle n'égale pas celle du tergal est puissamment avérée.

Il ne lui restera plus qu'à apprendre la danse, la chanson et la navigation sur hauts talons, et attendre que lui poussent poitrine opulente et roux cheveux longs. C'est alors Brad Pitt qui pour elle quittera Angelina Jolie.

Les destins tragiques étant cependant immuables autant qu'inéluctables, et ledit Brady étant trop performant pour incarner un tendre et romantique amant, elle ne saura pas profiter de son charme enfin accompli. La crainte de peiner Angelina qu'elle n'aura pas cessé d'aimer depuis le temps où elle comptait plus  pour elle que Vita pour Virginia (ou l'inverse) sera plus forte que le désir possible (1).

Ça finira mal (en général).

Mais peut-être à Brooklyn Barcelone Bruxelles Beijing Berlin Berne Bagnolet (ou pas loin (voire plus près)).


[photo in situ mais fort floue : j'aurais voulu vous y voire, poser d'une main et tenir l'appareil de l'autre]

PS : par souci pour eux noms et prénoms ont été changés, et je prierai instamment ceux d'entre vous qui savent depuis longtemps qu'il s'agit en fait de Paul Auster et Siri Hudsvedt d'être discrets dans leurs commentaires éventuels.

(1) le dernier paragraphe est bien entendu à lire de cette façon-là

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Bons bisous de Moscou

jeudi 28 décembre 2006, dans ma boîte aux lettres puis sous mes yeux ébahis

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J'attends quelques paquets, du matériel informatique léger et complémentaire, un CD commandé, le cadeau [de Noël] de la grande, mais dans le fond pas de courrier [postal].

Les voeux s'échangent désormais sur l'internet en grande majorité, et comme dans la famille nous survivons assez peu je n'ai guère de proches d'un très grand âge que les ordinateurs auraient effrayés, à qui en envoyer respectueusement au moyen de timbres et papier.

Je me trouve donc surprise de trouver dans le lot de courrier du matin une carte postale, très belle, très moscovite, la place rouge sous la neige juste ce qu'il faut mais pas trop afin qu'on la reconnaisse.

Je la retourne aussitôt, je ne savais pas que quelqu'un de ma connaissance y séjournait, la signature est très lisible :

Wytejczk

Mon coeur saute de joie, pour ma part j'attends un instant : que fait-il là-bas et quand et que dit-il ?

Il dit peu mais c'est doux :

" Je n'ai pas donné de nouvelles depuis longtemps. Ma vie a changé, tu sais. Je pense bien à toi"

et puis agrémenté d'un :-) "Bons Bisous de Moscou".

Le cachet de la poste fait peut-être foi mais je ne sais pas le lire, seulement les chiffres. Un 10 et puis l'année, 2006, celle où nous sommes pour quelques jours encore. Quel mois ? Décembre ? Novembre ? Je renonce à déchiffrer.

C'est bien son écriture.

Bon alors le 10 de quelque chose de cette année-là, il était loin, il devait aller bien (suffisamment pour écrire, le faire et y songer) et il pensait à moi.

Ainsi confirmée dans mon existence, je dédaigne l'ascenseur et monte quatre à quatre nos trois étages pour prouver aux tartares qu'ils peuvent bien arriver, ouvre la porte sans coup férir, j'avais déjà la clef à la main, tiens, et toute joyeuse brandis la carte sous les yeux d'un Stéphanot que le bruit d'une cavalcade qui lui fut familière mais ne l'était plus depuis de longs mois a attiré dans le couloir d'entrée. Il a compris au son que quelque chose s'était passé et amariné au pire est immédiatement soulagé de comprendre que pour une fois du bon, enfin, est arrivé.

Il connaît mon ami qu'il a déjà croisé plusieurs fois et sais, même si je n'en parle guère, que son absence prolongée et inexplicable me pèse et me tourmente.

L'enfant lit, sourit, ses yeux me disent "au revoir tristesse", mais quand même il s'interroge :

- Qu'est-ce qu'il est allé faire là-bas ?

- Je sais pas moi, l'espion. Et je rigole bêtement.

Enfant de fin du siècle, d'une période de guerres tièdes, meurtrières et éparpillés et dépourvue de mur allemand, il ne comprend pas l'allusion. Alors j'essaie d'expliquer l'ancien monde, celui du temps de ma jeunesse, celui qui est déjà plus dans les livres d'histoire que dans la mémoire vive des gens, quand dans les films USaméricains ce n'étaient pas les mêmes méchants que maintenant.

Le micro cours d'histoire improvisé et incomplet achevé, je scrute une dernière fois la carte, comme si elle pouvait m'apporter d'autres nouvelles, entre les lignes déjà trop brêves. Puis je la glisse dans mon sac à main au creux solide de l'agenda 2007 que l'usage n'a pas encore déformé. Je la perdrais moins vite ainsi ou bien lui aussi.

Pour la première fois depuis de longs mois, aujourd'hui j'ai rangé ; sérieusement ; de nombreux papiers.

[photo : pas celle que j'aurais souhaité afficher mais un quelconque pêle-mêle]

 

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Le buffet de la gare

         
samedi 20 mai 2006, gare de Lyon, 6 h 50
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Je savourais mon café-crème en regardant passer les gens ; affairés, chargés, nez à terre sur leurs bagages, ou tout en l'air vers les tableaux horaires, courants ou poireautant ;
je n'ai pas fait long feu dans ce détendant moment d'âme vague, moi que rien n'obligeait avant quatre heures du soir, j'ai entendu une voix surprise, familière et heureuse de me trouver là.
   
- Comme c'est gentil d'être venue me chercher !
 
Ma mère et deux valises, se matérialisèrent soudain à deux pas. Ou plutôt une valise et un sac à roulette. Entre la panique et la déception, même si je n'étais censé attendre rien ni personne, j'étais sans doute venue persuadée d'une rencontre, désolée que ce ne soit que celle-ci. D'avec elle qui m'avait née j'avais pris mes distances depuis quelques déclarations par elle émises hostiles à ceux qui par ici venaient d'un peu trop loin selon son goût du sol. Je ne savais donc plus vraiment l'aimer, je suis xénophobophobe, défaut incurable et accablant pour une française de semi-souche dotée d'une famille néanmoins monochrome.
   
Le temps de recaler les causes de sa présence ici, un retour d'un de ces lieux de villégiatures qu'affectionnent les vieux, j'embrayais selon la pente du moindre ennui, pour un mensonge elliptique, la phrase que j'énonçais étant tout à fait vraie :
 
- Je ne me souvenais plus de l'horaire de ton train.   
 
Je réglais ma consommation et me levais, tant qu'à faire autant aider et la raccompagner chez elle, à son âge je suis mieux qu'elle capable de porter.
      
"- Salut la mère et la fille" s'exclama dans mon dos à cet instant une voix joyeuse. Mon coeur fit un bond, mon cerveau se remplit à ras-bord de l'infinitaire de questions ; cette voix que je n'avais plus entendue en vrai depuis des mois, et qui s'adressait à nous comme avec du plaisir de nous retrouver là. Cette voix, c'était Wytejczk.
    
Détendu, plutôt bronzé. Et qui pourtant partait, il nous le dit :
       
- Je prends le train pour Montpellier.
Ma mère embraya, - Moi je reviens de Nice.
Il enchaîna : - Ah, Nice ! J'y étais l'an passé, quelques jours, en juin.
   
Ils se mirent à causer Sud comme de vieilles connaissances, qu'ils étaient un peu, pour s'être grâce à moi plusieurs fois fréquentés. Je sombrai davantage dans ma sidération. Il n'avait pas l'air fâché, ni même indifférent, c'était lui qui s'était arrêté.
 
Que s'était-il donc passé pendant tous ces mois ? Pourquoi ce si long silence ? Cette disparition ? Des séquelles de l'accident qui avait mis son scooter au radoub ?
   
La présence maternelle obérait toute chance d'un échange personnel, en même temps qu'elle l'avait peut-être rendu possible. Ce serait-il sinon attardé ?
      
Il ne le pouvait d'ailleurs pas davantage, et fila sans que j'ai eu le temps d'articuler un mot, d'énoncer l'espoir du moindre rendez-vous. Nous le vîmes courir, peu chargé, vers le quai de son train.
      
Ma mère, que sa petite conversation entre connaisseurs avait ravie, me sourit :
   
- Quel homme charmant, ce Wytejczk ; tant de naturel chez un si beau garçon [bref soupir de vieille dame] ... Tu dois être heureuse d'être son amie.
   
Je masquai mon désarroi sous une perfidie, adossée à la bonne cause :
- Pourtant, c'est un étranger !
Ce à quoi, indécrottable, elle répondit sans le moindre trouble :
- Oui mais, il est polonais je crois ; c'est pas pareil.
   
Je me gardais de préciser que son frère s'appelait Farid. Trop occupée à regretter de n'avoir pas même pu demander de ses nouvelles.
   
[photo : gare de Lyon, dimanche 8 mai 2005]
      

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Un petit peigne en plastique sous son blister fragile

      

Une autre pharmacie , plus au nord, lundi 1er mai 2006 ; c'était le surlendemain

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Je n'ai pas trop compris pourquoi, à part qu'il pleuvait, que mes cheveux étaient mouillés, que j'avais une personne au moins à voir ensuite, que c'était un peu sérieux même s'il ne s'agissait pas à proprement parler d'un déplacement purement professionnel.
J'ai éternué, je suis entrée dans la pharmacie.
Peut-être aussi parce qu'elle était ouverte, que j'étais en avance mais pas le printemps, et que le climat peu clément comme la non-fermeture étaient remarquables.
                
C'était le 1er mai.
         
               
Je pensais confusément à des pastilles pour la gorge, qui peut-être empêcheraient le rhume sinon d'advenir du moins de choisir cet angle d'attaque particulièrement pénible quand on doit causer. Pourtant quand mon tour est venu après une longue attente, les maladies et les souffrances ne fêtent pas le travail, je me suis entendue prononcer ces mots :
      
- Auriez-vous s'il vous plaît un peigne à me vendre ? J'en cherche un petit, en écaille.
   
La pharmacienne m'a regardée non sans perplexité, mes cheveux sont très courts, j'en avais marre de leur indépendance, lasse d'être ébouriffée je leur avais un vendredi plus tôt imposé la colonisation du ciseau. Je venais de remporter haut la main la palme des demandes incongrues de dimanche et jours fériés.
       
- C'est pour vous ? laissa-t-elle échapper en ajoutant très vite comme pour réparer une gaffe ou maladresse,
- En écaille, non, mais en plastique il m'en reste un.
   
Elle m'a indiqué sous son blister suspensif un petit peigne noir, au prix fort abordable. Ca faisait mon affaire.
Je l'ai pris. J'ai reposé par la même occasion le dentifrice au fluor et la brosse à dents dont j'avais, pendant l'attente au milieu des présentoirs, garnis mes mains alors que je n'en avais aucun besoin immédiat.
      
Un homme derrière moi s'est marré, et m'a dit d'une belle voix d'enrhumé parfait que complétait le même accent légèrement oriental que celui de mon ami Bachir qui habite à Beyrouth, 
- Remarquez, ça peut toujours servir.
         
Puis secourable et presque en chuchotant afin d'être discret : - Si vous voulez je peux vous dépanner.
         
    
J'ai mis un instant à comprendre qu'il croyait que je les reposais à cause du prix du peigne, quand c'était juste par absence de réelle nécessité. 
Ma tenue avait tout pour l'induire en erreur, j'avais de mes jeans celui qui est troué, mon vieux caban râpé à force d'être inusable, des chaussures héritées d'un refus de Stéphanot à qui une amie les avait d'abord cédées car elles ne convenaient plus à son propre fils, et cet air un peu misérable des gens qui sont mouillés.
      
Confuse mais touchée par sa gentillesse, je l'ai remercié d'un sourire contrit, puis pour faire bonne mesure et payer par carte bleue acquérais 25 grammes de gelée royale à consommer de préférence avant le 15.07.2006 et à tenir au frais (emballage isotherme).
            
Eussé-je été plus jeune, plus blonde et moins minable (1), j'aurais peut-être pris mon temps afin de ranger mes emplettes et que nos sorties coïncident de façon prometteuse, mais j'ai lâchement filé. Le sale temps, mon passé et le froid m'enlèvent toute audace et sapent mon énergie. Voilà pourquoi parfois je ne me ressemble pas.
    
   
A Stéphanot et de retour j'ai offert au bord du même soir un livre, acheté non loin et peu après.
Le peigne de plastique est resté dans mon sac. Servira-t-il un jour ?
      
    
(1) puis pourvue par ailleurs d'un échantillon publicitaire utile et rassurant.

[photo : Grande Phamarcie Moderne, Arras, le 1er mai 2006]

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Like a moon over Wytejczk's street

       
au milieu de Paris, (par) une nuit (pluvieuse)
   
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Je suis passée ce soir dans la rue de Wytejczk. Depuis juin sans doute, je n'en avais rien fait ; non que j'évitais les parages, non. Mais ne le voyant plus ou si peu je n'avais pas de raison d'y être, pas de trajets précis qui m'y conduisait par ailleurs et peut-être aussi une sorte d'appréhension diffuse de le croiser s'il ne le souhaitait pas.
          
Mais ce soir, je suis passée. Ce n'était pas délibéré, c'était le métro, le dernier à ne pas rater et un concert qui s'est achevé tard ; avec les musiciens, nous avons discuté.
   
La soirée m'a un peu allégé la chape de plomb, de plume et de solitude qui pèse ordinairement de tout son poids sur mes épaules. Ceux que j'ai entendus ont le bonheur de jouer, un plaisir malgré les dates qui se succèdent d'être sur scène ensemble et d'offrir leur meilleur. Je sors tout juste d'un concert merveilleux, avec en tête la ritournelle de l'espoir, the best is yet to come.
         
A présent il ne faut pas traîner, par réticence et par (absence de) finance, je ne veux pas prendre un taxi donc c'est le métro ou bien mes pieds.
La première option est plus raisonnable.
          
Mais oui, j'avoue, j'ai eu une réticence, juste au moment de tourner, et de glisser dans sa rue. A peine le temps d'une pointe d'exaspération contre moi-même, et je m'engage sur nos chemins anciens, d'un pas rapide, regard au sol ou sur ma montre, très inutilement. Il est around midnight mais à quoi bon le savoir si de la dernière rame l'horaire m'est inconnu.
       
Je croise un cyber non-café comme en fleurissent à Paris, ces derniers temps, ces derniers mois. Une grappe d'habitués sur le seuil discute avec l'évident patron des lieux, le temps d'en griller une. Confusément je pense à un message, que d'ici l'ami aurait envoyé. Qu'est-ce que j'en sais ?
          
L'endroit n'existait pas à nos dernières rencontres. Ceux qui le fréquentent semblent l'avoir toujours fait. Ils repoussent ainsi nos moments amicaux dans un passé lointain et j'en ai mal.
   
Au point que ça m'arrête, comme le souffle qui d'un coup manque. Je lève alors les yeux, j'aurais aimé entrevoir un croissant de lune, quelques lumières d'étoiles, un repère temporaire de la permanence des planètes à nos mesures d'humains.
    
Mais ce sont ses fenêtres sombres et noires que je vois. Serait-il donc parti ? A-t-il quitté Paris ? N'y-a-t-il pas comme un rai de lumière qui percerait sous l'épais, somptueux et lourd rideau cramoisi du salon ?
      
Son absence indéfinie m'ayant laissé désemparée au point de ne plus savoir apprécier les choses, je ne sais pas quoi faire.
    Dans l'immédiat, rentrer, c'est évident. Mais demain ? Est-ce que son silence ne cache pas une détresse qu'en respectant le premier je contribuerais à consolider ?
       
Je reprends mon chemin. La hâte n'est plus que dans ma tête, ce qu'il en reste de rationnel. Les jambes ne suivent pas.
      
Je m'ordonne d'avancer, je n'ai rien à faire ici.
N'ai-je donc rien à faire ici ?
   
La mélodie n'est plus la même, qui se fredonne en moi. Que reste-t-il de nos amours ?
Et de nos amitiés ?
      
[photo : New Morning, last night, concert de Stacey Kent]

L'avant-dernier appel

C'était un mercredi, c'est ma seule certitude

et l'automne n'était pas encore froid

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Je sortais de chez le coiffeur. J'y vais rarement, aussi je m'en souviens.

Afin que je patiente en attendant mon tour de shampe, l'aimable barbière m'avait procuré quelque lecture. Un de ces magazines pour dames où l'on se sent encore tenu, entre deux pleines pages de réclame, de glisser parfois un articulet culturel, le dernier livre ou film à la mode, celui dont il faut savoir parler même sans l'avoir lu ou vu.

Ceux dont les rédac-chefs se souviennent vaguement d'une révolution qu'il n'ont pas su faire ajoutent également entre la mode et les produits de tartinages corporels, un dossier au ton sérieux sur un sujet de société.

    

Ce mercredi-là, la société de papier pour dames s'inquiétait donc du difficile métier de coursier en ville, les accidents de leur travail, les risques de la profession.

C'était bien avant que Wytejczk n'ait le sien.

Je lus donc l'article dans une relative insouciance, non sans penser à lui, que j'avais brièvement croisé le jour de ma reprise de travail, mais depuis plus rien.

Peut-être sur cet élan, c'est en quittant cette boutique, la tête vaguement parfumée d'un gel inhabituel, que je lui avais téléphoné.

Il faut dire qu'un groupe de cabine était juste planté là, au beau milieu du trottoir, comme un ordre intimé.

      

J'avais obéi à cette injonction des choses, d'autant qu'il me revint que mon amie Françoise cherchait l'adresse d'un peintre sérieux pour des travaux urgents et que le frère de Wytejczk, à moins que son beau-frère, pratiquait ce gagne-pain. S'en remettre à nos hasards merveilleux de rencontres, qui déjà se raréfiaient, ne suffisait donc plus.

   

Quelque distrait avait confondu la veille cabine d'appel et urinoir, sans doute s'était-il à peine étonné du design inhabituel, d'un relatif manque d'intimité et de l'absence de raccordement au réseau des eaux usées ; les lieux s'en ressentaient, mais l'appareil était propre et fonctionnait correctement, je fis donc abstraction de l'environnement olfactif.

Du moins je prétendis.

   

Ce fut quelqu'un de sa famille qui décrocha mais Wytejczk était bien là ; chance étrange un jour de semaine en pleine journée, mais comme tout concordait jusque-là, de la demande à formuler à la présence d'un téléphone, en passant par l'article lu, j'oubliais de m'en étonner.

Il proposa qu'on se voit, et même rapidement, en insistant avec égard que ce soit un jour où je serai d'usine, qu'il viendrait me chercher après pointage du soir.

Je n'en demandais pas tant, juste une information, mais lui semblait heureux d'une occasion de se revoir, et ma foi je ne tenais pas tant que ça à m'attarder dans ces lieux malodorants le temps de noter l'intégralité d'une adresse d'entreprise dont il pourrait me fournir la carte à transmettre seulement 2 jours après.

      

Certaine de n'en rien oublier fors désintégration du noyau atomique, mort subite et personnelle ou nouvelle guerre mondiale et de proximité, je ne pris même pas la peine de noter notre rendez-vous dans mon agenda que pourtant j'avais en main, ne connaissant pas son numéro par coeur et l'ayant lu dans le carnet d'adresse qui y était fixé.

   

Mon allégresse ne vécut cependant qu'entre la conclusion efficace de notre accord et mon geste de raccrocher.

   

A cet instant précis, je sus qu'il ne viendrait pas ; avec une certitude aussi forte que l'impulsion qui m'avait fait entrer dans cette cabine alors que dans ma poche se tenait sage et silencieux mon téléfonino en parfait état de marche.

   

Je fus désolée pour Françoise.