La ville escamotée

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C'est en retournant y courir par le chemin que nous connaissions bien que j'y ai repensé : voilà, la ville dans laquelle ma sœur et moi avons grandi, dans laquelle mes parents auront vécu une cinquantaine d'années (un peu moins pour mon père, bien malgré lui) n'est plus rien pour la famille, ou n'en a plus trace, plus rien. 

Ma sœur se souvenait que ma mère souhaitait être enterrée dans sa petite ville normande d'origine ; l'urne des cendres de mon père qui avait souhaité être incinéré était dans un cimetière de la petite ville du Val d'Oise mais pas le cimetière historique, un cimetière récent que je ne parvenais pas à correctement situer - pour penser à mon père j'allais au Père Lachaise, lieu de son incinération -. De façon logique mais follement dispendieuse nous avons fait transporter et l'urne et le cercueil jusqu'en Normandie. 

De fait, le charmant petit cimetière normand regroupe à présent une grande partie de ma famille maternelle, d'ailleurs je ne serais pas contre y avoir mon futur emplacement, et comme j'ai conservé la petite maison que ma mère y avait, qui la tenait de ses propres parents, tout ça est bel et bon. Je fais partie des gens qui trouvent réconfortant le fait de disposer d'un lieu de recueillement. De plus ma sœur habite dans la région ce qui lui permet de passer si elle en éprouve le devoir ou la nécessité. 

Il faut juste éviter qu'un incident ou accident dans cette région hautement nucléarisée la rende inaccessible, ou que la montée des eaux consécutive au réchauffement climatique ne la submerge.

Le pavillon que mes parents possédaient dans la petite ville du Val d'Oise a dû être vendu : nous n'avions ni ma sœur ni moi la surface financière pour le maintenir sans usage d'y habiter, et pas non plus de raison d'y loger - trop loin pour nous pour le travail, généralement plus proche de Paris, ou qui peut bouger mais que notre logis tout contre la capitale nous permettra d'assurer -, et ne nous sentions pas l'âme de loueuses de maison (1). J'ai fait faire les travaux nécessaires pour le rendre attractif malgré son ancienneté et un jeune couple en a fait son logis. Les circonstances contraignaient à cette option. Nous aurons au moins fait des heureux, du moins nous l'espérons.

Dès lors, il ne reste plus traces de tant d'années vécues en cette petite ville, qui avait son charme, qui porte nos souvenirs, qui est celle de la vie d'adulte de nos parents, dont ils avaient fait leur chez-eux. Quelques poèmes de ma mère à la médiathèque ? Des camarades du club de tennis qui se souviennent d'elle ? 

Je n'ai plus d'amis directs dans la ville, je ne crois pas ; je n'y connais plus que quelques rares personnes. Les voisins que je connaissais, primo-habitants du quartier, de La Cité, sont morts ou ont déménagé.  

Le rôle qu'a joué cette petite ville dans l'histoire familiale, tout important pour nous et durable qu'il fut, est à présent gommé.

Je n'ai pas de regrets, qu'aurions-nous pu faire d'autre ? Seulement je trouve ça étrange, une étape si importante, pour l'ensemble d'une unité familiale, dont il ne reste plus rien, nada, niente, que tchi, du moins sur le terrain.

 

 

(1) Je me résoudrais peut-être à contrecœur à louer notre actuel appartement si nos vieux jours à petites retraites, en admettant que nous tiendrons jusque-là, nous contraignent à le faire pour complément de revenus. Mais pour un appartement les frais de grands travaux sont au pire des côte-parts ; et ceux-ci peuvent être organisés par d'autres.

PS : À l'inverse, les parents de l'homme de la maison sont enterrés dans un caveau que mon beau-père avait acquis à la mort de sa femme au cimetière de la ville de grande banlieue où son travail l'avait amené vers sa quarantaine. Zéro attache dans le coin. Sa femme décède à la fin des années 80, lui-même tombe gravement malade fin 1994 et ensuite ne revient plus jamais vivre dans l'appartement qu'il louait. Voilà donc leurs dépouilles dans un endroit qui n'est proche d'aucun de leur proches et où ils ne firent eux-mêmes que passer, et des années non significatives - pas celles des premiers temps, pas celles qui virent grandir leurs enfants, juste ils étaient là pour le travail quand la mort ou la maladie les y a saisis -. L'homme s'efforce certes d'y passer régulièrement, ça n'est pas si loin de notre domicile, ça va pour l'instant. Mais ensuite ? 

 


Photos retrouvées (Il nous restera ça)

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Je cherchais à récupérer une information de date sur une prise de notes faite sur mon téléphone malin et suis tombée sur la "galerie" photos qui n'est pas l'interface que j'utilise habituellement pour récupérer mes images. 

Je me suis alors rendue compte que l'appareil avait accès via une appli de messagerie qui y était encore reliée - mais après un changement de nom général - à tout un lot de photos prises pour la plupart en 2008. 

Elles étaient totalement sorties de ma mémoire sauf pour certaines qui concernaient Bruxelles - et qui sont soigneusement archivées par ailleurs -. Il est clair que certaines étaient là en vue d'un partage, d'un envoi.

Je me souviens parfaitement des photos prises à la demande de Camille Renversade lors de sa rencontre au Festival Étonnants Voyageurs le 1er juin 2009 avec Michael Palin (1).  P6010058

 

 

 

 

 

 

 

 

Ou de celles prises pour l'ami Eduardo, par exemple celle-ci alors qu'il recevait Gilles Jacob dans les sous-sol de la Fnac Montparnasse, à présent dévolus au prêt-à-porter. C'était le 21 mars 2009.

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Je me souviens de cette soirée de réveillon, à l'orée de l'année 2009 qui fut pour moi si bouleversante, où nous avions bu du champagne extra-ordinaire. 

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Je me souviens du tram 33 et de ce soir bruxellois où le voyant passer sur le quai où j'en attendais un autre, je n'ai pas pu m'empêcher d'y monter sans même savoir où il allait.

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C'est ce qui s'appelle de l'emprise culturelle

 

 

 

 

 

 

 

Je me souviens bien sûr de la soirée du 28 août 2008 au centre culturel d'Uccle

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Et si je n'avais pas oublié que Claudie Gallay était venue à l'Attrape-Cœurs je ne savais plus que c'était le 11 septembre 2008.  CIMG9706

 Je me souvenais qu'elle avait le même tee-shirt à manche longue que j'avais failli mettre, le même exactement (couleur, taille, marque) (mais I. V. au dernier moment m'en avait dissuadée). 

Nous avions beaucoup ri, il en reste une photo floue, étrangement cadrée.

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Et d'ailleurs c'est l'un des mystères de ces images retrouvées pour la plupart huit ans après, c'est qu'elles ne sont en rien triées, ce qui n'est pas cohérent avec ma première hypothèse qu'elles aient été là pour partage. Figurent parmi elles des silhouettes de type street-view-ghosts, dont je connais la cause (j'évite le plus possible d'utiliser un flash sauf pour certains effets et donc les mouvements pris en lumière basse donnent parfois ces résultats).

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L'autre mystère étant quelques bribes qui sont des copies d'écran, dont celle-ci qui date du 22/09/2013 - quand les photos datent d'entre 2008 et 2011 - et correspond à une demande de mouchardage de la part de FB (à laquelle je n'avais bien sûr pas répondu).

Capture d’écran 2016-02-28 à 21.36.25 Ce qui était drôle était qu'une de mes amies se trouvait alors en déplacement professionnel à Mexico et que la machine me demandait si elle y habitait.

À l'opposé du spectre figurent quelques photos, dont celle qui ouvre ce billet et qui me paraissent trop bien pour avoir été prises par mes soins, sauf que je reconnais l'attribution de titres automatique de mes appareils successifs. Il serait peut-être temps qu'enfin j'apprenne à faire quelque chose de celles qui sont venues bien. En attendant je suis heureuse de les (re)trouver.

P8290067 Bastille again and again_260908_P9260039 Le rêve et le reste_Bastille_260908_P9260046

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La statue venait de poser un bouquet (mais restait chagrinée)_191008PA190030

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien sûr certaines sont drôles, d'où que je crois bien les avoir prises (elles ne font peut-être sourire que moi)

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J'ai également retrouvé une expérimentation du 19 juin 2011 qui me fait chaud au cœur (peu importe le résultat)

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Me revient alors que la photo avec le chien et les personnes attablées en terrasse avait été prise au Palais Royal et que je voulais faire un clin d'œil à Milky (2) qui s'était lancée dans une série New-Yorkaise : les gens avec leurs chiens.

Voilà donc un ricochet étrange de cette époque où nos appareils servent à notre espionnage et peuvent conserver certaines traces à notre insu : le retour de mémoires personnelles imprévues. Comme de regarder les albums photos de quelqu'un qui nous fut cher et qu'on avait un peu perdu de vue. 

L'expérience dans mon cas aura été plutôt plaisante. J'y apprends qu'après les traumatismes personnels (2006) ou collectifs (11/09/2001) une forme d'insouciance peut renaître et à nouveau des sentiments chaleureux. Je me demande ce qu'il en sera pour l'après 2015 (3). Je trouve aux images des années précédentes une légèreté qui me semble désormais inaccessible. Mais elles font du bien à revoir. 

Comme le slamme Grand Corps Malade, il nous restera ça.

 Il est amusant de constater qu'à l'orée d'une nouvelle étape de ma vie, qui se présente plutôt bien et dont la perspective en tout cas me stimule, des éléments extérieurs (la fin annoncée du fotolog, des fichiers en mémoire de mon téléphone retrouvés sans les avoir cherchés) me poussent à faire le point avant de clore le chapitre précédent, ses bonheurs et ses douleurs. Une expression extérieure d'un besoin d'archiver soigneusement pour passer à la suite sans entraves tout en emportant les précieux acquis de celles qui furent mes plus intenses années. Elles m'auront au moins permises d'apprendre un métier que je m'apprête à nouveau à exercer. Je le ressens comme un privilège.

Oui, il nous restera ça.

 

PS : Le bizarre album des retrouvailles est .

PS' : Accessoirement, en tentant de rechercher si j'avais déjà posté cette photo en la documentant un tantinet et alors que j'avais oublié d'ajouter le filtre "your own photostream" (qui en fait n'existe plus), je me suis aperçue que sur flickr on pouvait voir toutes les photos laissées publiques prises par des personnes ayant le même appareil (ou un appareil qui inscrit les photos en mémoire de la même façon) le même jour (mais pas forcément la même année) dont c'était le même numéro d'ordre dans les photos de la journée et qui n'ont pas modifié le titre. Ça me donne des idées (d'écriture). 

 

(1) Rien à voir avec Sarah et tout avec les Monty Python (je mets le lien pour l'intéressant article wikipédia en V.O.)
(2) Je choisis ce lien vers un billet précis car il m'émeut particulièrement. Je suis sous l'emprise de plusieurs mécanismes de ce genre, en particulier après les violences de 2015, et ça atteint l'écriture et aussi les vœux (mais les plus proches d'entre vous avez sans doute remarqué). Et d'ailleurs grâce à Milky il me vient une idée.
(3) Sachant qu'on risque d'encaisser de nouvelles horreurs, qu'on n'en a pas terminé. Mais ce n'est surtout pas une raison pour baisser les bras, ni renoncer par avance à quoi que ce soit.

 

 


Les petits mystères du carré militaire


20151214_155725Depuis vingt-quatre ans j'habite à environ cent mètres d'un petit cimetière et j'ai dû y aller seulement trois fois dont une aujourd'hui. 

Pourtant les cimetières sont des lieux de promenades que je ne déteste pas : on y est en paix et laissé en paix (sauf peut-être dans ceux qui sont également des lieux touristiques), ce sont parmi les rares lieux restants dans Paris où personne ne vous sollicite (1). Et puis ça me donne envie d'écrire, au moins dans ma tête, toutes ces vies finies. Dans un cimetière je me sens rarement seule. J'écoute ce qu'on me dit.

Seulement voilà ce cimetière là fut jusqu'à l'été 2013, de l'autre côté du pâté de maisons. Il fallait donc faire un tour assez conséquent pour accéder à ces lieux qui étaient pourtant si proches. Depuis l'ouverture du jardin public au cœur de l'îlot en face de chez nous, il suffit au contraire aux bonnes heures d'aller tranquille, tout droit. Le seul écueil sont que les bonnes heures finissent tôt, que généralement quand je quitte l'appartement c'est pour me rendre à un endroit et avec un horaire précis, et que je reviens bien souvent trop en fin de journée pour pouvoir entrer là.

Aujourd'hui fut une exception, je suis passée devant lors d'une heure d'ouverture, alors j'ai enfin pris le temps d'une visite de courtoisie.

À cette occasion j'ai découvert qu'il contenait un carré militaire. Normande pour partie, je connaissais depuis longtemps les grands cimetières militaires du débarquement. J'en avais déduit que les cimetières militaires correspondaient aux lieux de batailles ou de casernements. C'était faux. J'ai songé ensuite à des morts soignés en vain de blessures de guerre ou de maladies de campagne militaire à un hôpital de la ville. Apparemment l'hôpital Gouin, assez proche, en fut un. Il n'empêche que ce carré comporte des morts de différentes périodes, des morts en différents, lieux. Parfois même plusieurs défunts d'une même famille.

Les tombes sont semblables, seules une plaque, une fausse fleur, plus rarement un médaillon, les différencient et leur nombre avait dû être déterminé à l'avance puisqu'elles sont toutes garnies, si l'on peut dire. Je me demande bien comment on a fait pour trouver exactement le nombre de morts prévus et quels furent les critères d'admission. Ce sont les petits mystères du carré militaire.

Un peu en avant de cet emplacement se trouve un monument particulier à des martyrs de l'occupation, huit hommes alors jeunes, pour la plupart "fusillés par les allemands", mais l'un d'eux a été "guillotiné sur ordre du Maréchal Pétain". En rentrant j'ai tenté de comprendre : son crime avait été d'être communiste et d'avoir été jugé lors d'une période où la gestapo réclamait la vie d'otages en représailles à la mort d'un officier dans un attentat. Cet homme, André Bréchet, avait donc été guillotiné - pas même l'honneur d'une fusillade - du simple fait d'avoir été militant. En lisant son histoire, la condamnation à quinze mois de prison et puis soudain, finalement non, la mort, je n'ai pu m'empêcher de songer à ses proches, une femme peut-être, des enfants qui sait, ou de vieux parents, auxquels il avait peut-être eu le temps d'écrire quelque chose comme, Patience, quinze mois ça n'est pas si long, je reviendrai et qui ont dû encaisser la pire nouvelle peu de temps après. Finalement non, ça sera la mort, et non pas comme un soldat mais comme un assassin. 

Je n'ai décidément pas perdu ma journée.

Quelque chose en moi s'est enclenché le 7 janvier qui peu à peu se prépare aux combats à venir, sait leur issue fatale, et que chaque étape collective désespérante conforte. Écrire devient d'autant plus urgent.

 

(1) Encore que, avec ma tête à chemins, je suis aussi la personne à qui l'on demande où est la tombe de [personne célèbre] où la sortie la plus proche du métro.