Le meilleur moyen pour vous débarrasser de moi (à part me tuer, ce que je vous déconseille)
11 octobre 2014
Je fais partie de votre vie et vous en avez un peu marre qu'on se voie, ou qu'on s'écrive. Je crois que ma stabilité fait qu'au bout d'un moment je lasse et mon indécrotable franchise vient à bout des plus faibles susceptibilités. Sans compter les éclipses dues aux moments où le travail et les ennuis de santé familiaux remplissent la vie à ras bord et me vident de toute l'énergie, alors je ne suis plus là ou sous forme de fantôme triste. Des choses de ce genre. Quant aux amours il y a toujours une belle blonde qui surgit et qui fait que je suis celle de trop. D'ailleurs n'essayez plus le "J'ai rencontré quelqu'un" on me l'a fait une fois de trop et désormais je ne suis pas certaine de ne pas réagir avec une violence qui me semblerait à force d'avoir tant encaissé légitime. De même qu'un "Ce serait mieux qu'on ne se voie plus" assené sans qu'il n'y ait aucune cause apparente, aucune raison compréhensible. Et donc à part ces deux techniques devenues très risquées d'avoir été par quelques prédécesseurs sans précautions manipulées, restent :
- devenir raciste et toutes ses variantes (misogyne, homophobe, antisémite, négationiste ...) ; bref tout ce qui tient un autre en rejet, mépris ou haine du fait de caractéristiques qu'il possède de naissance et contre ou pour lesquelles il ne peut strictement rien.
Vous pouvez être certain(e)s que sans demander mon reste je sortirai de vos vies, incapable que je suis de maintenir un lien affective avec qui que ce soit qui vit dans le rejet mécanique d'une altérité.
- être frappé(e) soudain d'un élan mystique quel(s) que soi(en)t le ou les dieux révélés, religion officielle ou secte déclarée ; parce que j'ai l'impression que la personne qu'auparavant j'aimais ou j'appréciais ne dispose plus de son cerveau, qu'il est désormais comme un disque dur d'ordinateur infesté par un virus, que ce n'est plus son utilisateur qui en maîtrise les fonctions. Et puis ça rejoint le premier point car le plus souvent les religions conduisent tôt ou tard à considérer celui qui croit ailleurs comme un impie qu'on peut (qu'on doit) tuer afin d'accéder plus facilement à un ultérieur paradis. C'est donc au bout du compte une forme de racisme aussi. C'est alors moi qui ne suis plus capable de maintenir le contact. Parce que je ne sais plus si je m'adresse à la vraie personne ou à une sorte de robot téléguidé par des préceptes intrus.
Ça vaut aussi pour des extrêmismes politiques, lesquels fonctionnent selon un schéma proche : l'admiration pour un leader obère toute capacité de raisonnement.
Je peux en revanche rester proche de ceux qui ont toujours eu des convictions modérées, qui ne les laissent pas sans esprit critique, ne les équipent pas d'une haine de l'incroyant, ni d'une hiérarchisation entre humains et qui s'abstiennent de tout prosélytisme. Je comprends parfaitement qu'on se sente mieux avec la compagnie imaginaire d'un grand horloger et des rituels à respecter histoire d'oublier qu'on peut mourir à la seconde d'après et qu'ensuite il n'y a plus rien que les souvenirs diffus qu'aux autres on a laissés ou quelques trucs qui servent encore un paquet de temps après, il y a un peu de Thomas Edison dans mon usage ce soir d'un appareil électrique (par exemple) pour partager trois mots.
En revanche, tenter de m'éloigner en ce mettant aux abonnées absents est une stratégie infructueuse. La plupart du temps j'ai si peu de marge dans ma vie quotidienne que je ne me rends compte de l'absence (sauf s'il s'agit d'un(e) très proche) qu'au bout d'un temps assez long que je ne sais pas estimer : j'enchaîne les jours comme autant d'obstacles à franchir malgré l'épuisement, ils forment une continuité de fatigue, ça masque le reste. Et comme je ne sais pas interpréter le silence je viens et reviens aux nouvelles, puisque par dessus le marché je suis du genre à m'inquiéter dès que ma propre existence me permet de souffler.
Si j'écris ce soir ce billet c'est parce qu'après une semaine sauvée in-extremis par Modiano et les jurés du prix Nobel de littérature, mais qui a failli être engloutie par le succès d'un provocateur réactionnaire (1), je me rends compte d'à quel point ces dernières années, les uns se réfugient dans la haine d'un ou plusieurs boucs émissaires ou (inclusif) l'amour d'un dieu. Et que j'en ressens comme le souffle d'une épidémie qui s'attaquerait aussi à ceux que j'aimais, la famille d'origine, les amours, les amis. Et que je manque d'une force qui me rendrait capable de maintenir un lien avec ceux qui sont atteints.
(1) Être libraire c'est encore de nos jours se trouver en première ligne face à certains phénomènes, et c'est parfois flippant.