40 ans, c'est sidérant.


    J'ai passé la journée à me dire, mais comment ça, quarante ans ?! 

À un moment j'ai même recompté sur mes doigts, tellement je n'y croyais pas, que ça fasse tant que ça.


Le 10 mai 81, je m'en souviens fort bien. À six mois près je ne votais pas, c'était enrageant. Je fais et faisais déjà partie du petit peuple de gauche, et ça a été un espoir fort cette élection, une liesse. Et au début on y avait cru : les 39 heures, la retraite à 60 ans. On ne demandait pas de rien foutre, mais on voulait tant que notre travail, et par là nos vies soient enfin respectées.
Mais très vite l'économie a repris le dessus et au bout du compte les années 80 furent encore plus des années fric pour les riches que celles qui avaient précédées.
Je me souviens que je passais le bac et que les bruits, même lointains - dans la cité pavillonnaire de grande banlieue les gens se réjouissaient paisiblement chez eux, ou car nombreux étaient ceux tenus par un solide syndrome du larbin et qui s'effaraient de la méchante gauche au pouvoir, se désolaient dans leur coin -, de fêtes m'inquiétaient un peu. Et s'ils m'empêchaient de dormir, juste avant les examens ?
Du fait du baccalauréat à passer, et qu'on n'allait pas à Paris si facilement que ça, je n'ai pu participer à aucun mouvement de célébration. Mais, même si j'étais plus circonspecte que bien des adultes, comme si c'était moi la détentrice de l'expérience qui rend méfiante, ça me laissait croire à un avenir plus ouvert, un respect du travail auquel un jour j'accéderai. 

Il y avait un truc indubitable : il n'y avait aucun doute que cet homme avait la stature pour la fonction, qu'il était un casting parfait pour cet emploi. Comme Jean Paul II pour faire pape ou Élizabeth II pour faire reine d'Angleterre ou plus tard Angela Merkel pour faire chancelière fédérale ou Kennedy ou Barack Obama pour président des États-Unis, c'est pas forcément qu'on soit d'accord avec leurs décisions, leurs prises de positions, leurs choix, mais n'empêche, le rôle leur va.
Je l'ai toujours vu en prince florentin, qui aurait pu lui-même écrire "Le prince" ou dans un autre registre, "L'art de la guerre", ai toujours été consciente d'un côté sombre, lequel convenait à la fonction (quelqu'un comme moi, au pouvoir même d'une petite association serait une catastrophe) ; mais je lui faisais confiance pour ne pas faire de mal au pays et ses successeurs me l'ont fait admirer. 

Quarante ans, ce moment où on a eu le fol espoir que même les petits métiers permettraient désormais aux gens de vivre décemment de leur gagne-pain. 

 

PS : Il y a dix ans (!?!) j'avais trouvé le temps de me replonger dans mes diarii d'antan et d'en retirer ce qui persistait : 

Dimanche 10 mai 1981, journée studieuse et électorale
Lundi 11 mai 1981, Mitterand président (sic)
10 mai 1981, les jours d'après

 


Je fus une enfant précoce, je n'en suis pas moins bête (ou : c'est pas parce qu'on est intelligent, qu'on n'est pas aussi cons)

 

En recherchant une autre émission, je tombe sur celle-ci, et comme j'ai quelques minutes j'y regarde de plus près. Elle fait plutôt bien la part des choses. Mais il y a quelques affirmations avec lesquelles je ne suis pas d'accord, celles-ci :

"Un enfant qui a un QI élevé est avant tout un enfant qui a de la chance parce que quand même, l'intelligence, ça sert dans la vie. Ça sert avant tout à l'école mais aussi dans tous les métiers en l'occurrence. De manière générale, les gens qui ont une intelligence plus élevée ont de meilleures chances dans la vie pour tout. Pour les études, pour la vie professionnelle et dans plein d'autres domaines." 

Elle est tempérée à juste titre par ce qui suit : "Après, le fait d'avoir une très haute intelligence ne vaccine pas contre les problèmes et ne vaccine pas non plus contre des troubles." ; mais n'en demeure pas moins assez discutable.

Je fus une enfant précoce, à l'âge de huit ou neuf ans j'étais consciente des choses, du monde, il n'y avait rien que je ne puisse piger si je ne m'y attelais pas, il suffisait que je lise ou qu'on m'explique, seules les choses de l'amour demeuraient un mystère (1). Quand je n'avais pas de 20/20 en classe c'était par distraction - les exercices m'étaient trop simples, je pensais à autre chose tout en les effectuant -, ou parce que je n'avais pas compris ce qu'on nous demandait en mode C'est trop simple ça ne doit pas être ça qu'il faut faire et du coup je m'inventais en quelque sorte un autre énoncé (à côté de la plaque), ou en orthographe car j'étais mauvaise en orthographe d'usage - le français étant une langue illogique entre toutes ; du jour où j'ai pigé un peu d'étymologie j'étais sauvée -. Bien sûr en ces temps là on ne diagnotisquait pas les gamins et encore moins les gamines. Je dois mon salut à notre institutrice de CM1/CM2, madame Banissi, qui laissait caracoler en tête avec une liberté encadrée, les élèves qui en avaient sous la semelle et alimentait les cerveaux assoiffés, tout en s'occupant bien du reste de la troupe . Je dois mon salut au fait d'aimer le sport donc je jouais avec les autres à ces jeux-là, d'aimer faire la clown, d'être tombée sur des potes de quartier dans l'ensemble bon-enfants et qui m'ont fait une place à part, une fille qui jouait aussi aux jeux des garçons, à qui on pouvait demander d'expliquer des trucs, qui nous racontait des histoires de bouquins, qui consolait en cas de pépins, qu'on pigeait pas toujours mais c'était pas grave elle était rigolote. Elle tenait parfois tête aux adultes et souvent ça les énervait encore plus mais des fois ils finissaient par céder et c'était trop bien ce qu'on obtenait. 

C'était juste de la précocité, pas d'être plus maligne, arrivée en classe prépa, et passé un premier chagrin d'amour qui me grilla bien des neurones, c'était terminé. Mais pas tout à fait le fait d'être décalée.

Et là, si l'on n'est pas issu d'un milieu social favorisé, ou si elle n'est pas couplée avec certaines caractéristiques d'égoïsme et d'ambition adaptée au capitalisme, l'intelligence n'est pas une alliée, c'est presque une forme de bizarre handicap. On voit trop bien les aliénations dans lesquelles on se retrouve enfermé·e·s pour simplement pouvoir gagner son pain quotidien, on ne sait pas se battre contre les mesquineries communes, on souffre de solitude par rapport aux groupes dans lesquels on se trouve - typiquement les discussions télés à la cantine d'entreprise du temps où c'était courant qu'il y en ait (des cantines) -. Le fait d'être intelligent peut rendre plein de choses quotidiennes totalement incompréhensibles, dès lors qu'elle ne sont pas logiques mais obéissent à des facteurs de par exemples petits profits égoïstes. On passe un peu son temps à réfréner des pulsions de révolutions : elles seraient condamnées à l'échec présupposant que la plupart des êtres humains est altruiste et logique dans ses raisonnements. Le capitalisme l'emporte à tous les coups qui est fondé sur la bêtise, les réflexes propriétaires et de jalousies et d'esprit de compétition mal placé (2).

En fait pour la survie dans notre monde présent, l'intelligence peut être un boulet, dès lors que l'on n'est pas bien né·e·s. Quelque chose qui se retourne contre soi. Notre bêtise face au monde moyen. Une façon trop élaborée d'envisager la survie.

 

 

(1) Elles le sont sans doute demeurées, même si j'ai moi-même été atteinte par cette étrange maladie qui nous rend si neuneus. Et  incapable de voir les choses telles qu'elles sont pendant un bout de temps. Une envoutante distorsion. 

(2) En ces années charnières vers un monde effondré il serait bon que l'esprit de compétition soit tourné vers l'objectif primordial de sauver la planète qui héberge l'humanité. Guess what, les milliardaires continuent à jouer à qui pisse le plus loin et celles et ceux que le pouvoir fait frétiller à se battre pour le contrôler puis faire des victimes (directes et indirectes) pour le garder. 
Plein de gens, efficacement conditionnés, ne savent plus rien faire d'autre que consommer ou rêver de le faire et prêts à tout parfois pour en attraper les moyens.

On n'est pas rendus.

 


Devenir "clients" c'est mauvais signe (dans certains cas)

 

    Pas mal de points m'ont marquée du nouveau film de Ken Loach "Sorry we missed you", outre qu'il montre la vie de tant de gens comme elle est, des gens de bonne volonté qui n'ont rien à se reprocher mais que le capitalisme mondial, sans contre-poids désormais, est en train de dévorer - moi comprise si la retraite n'arrive pas à temps -, mais des dialogues aussi, des détails du diable.

Ainsi cette phrase glissée discrètement parmi les remerciements, en générique de fin : 

"Thanks to the drivers and carers who shared the informations with us but did not want to leave their names"

Ainsi la mère de famille alors qu'elle tente de négocier auprès de l'agence de placement de personnel d'assistance à domicile dont elle dépend, qui proteste du fait de devoir appeler ses patients "clients". Elle a raison, il s'agit de personnes qui ont besoin de soins et il ne sont en rien libres de choisir comme le font de vrais clients d'un produit de consommation. C'est la même chose pour les usagers des transports en commun. On ne peut être clients que d'un truc que l'on choisit et dont on peut éventuellement se passer sans trop de dommages.

Cette phrase que le personnage d'Abbie Turner prononce, faisait écho de quelque chose. 

J'ai trouvé aujourd'hui. C'est dans "Le quai de Ouistreham" de Florence Aubenas page 31 de l'édition initiale chez l'Olivier, en 2010. 

Entre collègues, on parle d'abattage, tout le monde renacle à assurer le poste (1), mais les directives sont claires : "Vous n'êtes plus là pour faire du social, cette époque est finie. Il faut du chiffre. Apprenez à appeler "client" le demandeur d'emploi." C'est officiel, ça vient d'en haut. 

Décidément, de nos jours, devenir "clients", c'est mauvais signe, dès lors que l'on n'achète pas.

(1) celui qui nécessite d'assurer le premier rendez-vous avec celleux qui viennent s'inscrire, inscription initiale avec sa kyrielle de documents nécessaires, et orientation


L'adresse de François Ruffin à Emmanuel Macron (et quelques autres trucs)

 

    "C’est sur cette base rikiki, sur cette légitimité fragile que vous comptez mener vos régressions à marche forcée ? Que ça passe ou ça casse ? Vous êtes haï, monsieur Macron, et je suis inquiet pour mon pays, moins pour ce dimanche soir que pour plus tard, pour dans cinq ans ou avant : que ça bascule vraiment, que la « fracture sociale » ne tourne au déchirement."

Je n'aime pas l'emploi du verbe haïr que je trouve excessif, mais je comprends ici son utilité, une réaction est souhaitée, c'est de bonne guerre d'amplifier. Pour le reste, ce qui est dit est important, fort juste, il ne faut vraiment pas s'il est effectivement élu que ce garçon fasse crari, man, les Français ont souhaité que je réforme la France, ils croient en moi et this kind of bullshit blabla. OK on va être, je l'espère, un gros méchant paquet à voter pour toi, mais ne nous fait pas ton Chirac 2002, c'est seulement parce que ton adversaire est un pur cauchemar pour le pays et pour tous ses gens (quoiqu'elle ait réussi à en persuader du contraire quelques millions et à rallier les plus immorales ambitions).

Bref, François Rufin dit tout ça mieux que moi : 

"Lettre ouverte à un futur président déjà haï

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Prolétaire un jour, prolétaire ...

 

    Quand même cette curieuse constatation alors que j'aborde une nouvelle activité importante, nouvelle étape de ma vie, et pour la première fois (1) avec le sentiment qu'elle est choisie, qu'il y a eu de ma part une mise en œuvre presque méthodique afin d'y parvenir, parvenir au bord de tenter ma chance. Entre la prise de conscience que c'était là une voie à explorer pour moi et cette étape décisive (le plus dur reste à faire), compte tenu du contexte, il m'aura fallu cinq ans.

Peut-être qu'ensuite les forces me manqueront. Mais je tiens à essayer, faire de mon mieux, quitte à subir un échec plutôt que de rester dans de vagues rêves que l'âge ou la maladie éteindront, ou des regrets diffus. Mon point d'honneur est de faire de mon mieux.

Et donc quand même cette curieuse constatation, de ressentir une fois de plus que je suis la prolétaire d'un groupe qui m'accueille, celle confrontée à des tracas de coûts et de disponibilité horaire et calendaire, plutôt que d'organisation personnelle et de volonté. Je m'aperçois que j'ai eu le même tour pour tout ce que j'ai entrepris comme activités personnelles dans ma vie, exceptée peut-être l'inscription au cours de danse où j'ai pu observer au fil des ans que je n'étais pas la seule qui peinais à payer l'abonnement - tout en m'étonnant d'être une des seules à n'avoir pas réellement le choix des horaires de cours : c'est quand je ne travaille pas -. 
À croire que pour mes origines, dont je ne me dépare pas, j'ai de furieux goûts bourgeois. 

La part positive de cet ensemble est de pouvoir se dire qu'en cette vieille Europe en cette période là (fin XXème début XXIème) une femme quelconque, une citoyenne, pouvait avoir accès à ce qui lui convenait, même s'il s'agissait d'un accès strapontin. Aucune de mes aïeules n'aura eu de tels privilèges, ou la mémoire s'en est perdue. Mon appétit vient de leurs rêves, mes forces de leurs dévouements inouïs à leurs nombreux enfants. 

(1) Je ne sais comment compter ma vie de choriste tant ça me semblait une sorte d'injonction absolue lorsque j'ai croisé sur le pare-brise d'une voiture, le petit feuillet d'appel à voix de ma première chorale.  


Bécassine béatitude absolue

(Vous avez le droit de vous moquer)

J'ai traversé toute ma vie loin du luxe - fors quelques parenthèses un peu "fiançailles de Frantz" -, je n'ai ni argent à dépenser (ou si, une fois, en juin 2005 et j'en ai conçu une forme légère d'amnésie, retrouvant plus tard quelques chaussures, quelques habits dont je n'avais plus le souvenir ; il y avait eu une période d'euphorie à laquelle je n'étais pas du tout entraînée), ni envie de dépenses d'acquisition d'objets. Des choses utiles pour la vie quotidienne, oui, par exemple j'aimerais pouvoir refaire enfin la salle de bain, ranger l'appartement, refaire le réseau électrique (par sécurité), j'aimerais pouvoir participer à des financements de beaux projets, j'aimerais pouvoir à nouveau me déplacer et retourner en Italie, bientôt je vais avoir des envie d'expéditions sportives (1).

En 1998, lorsque le dopage s'est trop vu sur le Tour de France pour pouvoir continuer à être tu, j'ai découvert que des noms d'équipes pouvaient être des noms de montres de luxe. En fait je ne rattachais pas les noms des groupes de coureurs à des choses, y compris pour les marques bancaires pourtant connues de ma vie quotidienne. C'était disjoint. Des sons sans lien. Et (pour le cas des montres) pas la moindre idée de ce à quoi ressemblaient les objets, je veux dire, ce qui pouvait les distinguer des autres appareils à mesurer le temps que l'on porte au poignet.

Sous le précédent président qui aimerait tant devenir le suivant, il avait été question d'une marque de montre de luxe, un riche membre de sa cour ayant eu une sortie sur le fait d'en posséder une et qui aurait pu (dû ?) être un motif de fierté (2). À l'époque j'avais cru qu'il s'agissait d'auto-dérision. Ou qu'il avait été payé par la marque pour créer du buzz comme on disait (3).

Et puis ces jours-ci, je croise cet homme, sportif, d'allure élégante, avec au poignet une grosse montre métallique moche qui détonne avec l'ensemble de sa tenue, sobre et bien portée. Un peu comme des types qui semblent assez fins mais ont une grosse chevalière ou une gourmette énorme au poignet ou une dent en or (4) ou un tatouage voyant et racolleur. Bref, ça ne collait pas avec lui - je ne le connais guère, alors disons : le reste de l'image de lui -.

Ce matin, un de mes neurones, celui que lassent mes différents petits handicaps sociaux, a entrepris de me faire faire sur l'internet des familles la recherche élémentaire qu'il fallait.

J'ai enfin pigé.

Tout simplement l'homme disposait de cette fameuse montre réputée pour sa cherté. Et moi qui avais commencé à inventer des scénarii possibles de la présence d'une toquante détonante au poignet d'un homme au charme discret (5), j'ai enfin pigé qu'en fait il en était probablement fier. Peut-être même très.

[J'en ris encore]

 

PS : Comme je viens d'acquérir une grosse montre voyante pour les données d'entraînements - pas trouvé de modèle "filles" avec l'équivalent technique qu'il fallait -, je crois que je ne vais pas tarder à être aussi ridicule, quoi qu'en moins clinquant.

PS' : Peut-être qu'il disposait d'un modèle particulièrement volumineux et coûteux [à supposer qu'il y ait une corrélation taille / prix], et que d'autres de la même marque sont plus discrètes, qu'il existe des modèles fins pour femmes qui tiennent de la joaillerie, je ne sais, ou qu'avec un équipement de type costume cravate très corporate cadre sup ça ne m'aurait pas sauté aux yeux.

 

(1) Je n'avais pas mesuré le coût, exorbitant à mes yeux de semi-smicarde, de la pratique du triathlon : celui des engagements aux courses et des déplacements.

(2) ou plutôt de honte de n'en point avoir.

(3) Mission en l'occurrence parfaitement accomplie

(4) Déjà du temps où ça se faisait [la génération de mes parents] autrement que pour des rappeurs, je ne comprenais pas. Je trouvais ça d'une laideur maximale.
(5) Héritage familial porté avec piété, cadeau de la femme ou de l'homme aimé, qu'on trouve moche mais qu'on porte par amour du ou de la bien-aimé ...


À un moment, ça va coincer

    Se demander de plus en plus nettement, et indépendamment des mouvements de houle actuels (le risque d'une catastrophe électorale en 2017, d'une catastrophe guerrière ou écologique générale, toute une foule de variantes aussi "réjouissantes" les unes que les autres possibles), c'est à dire en fait dans une sorte de meilleur des cas, combien de temps les choses pourront continuer sans que les gens ne se révoltent et bien plus violemment qu'en ZAD ou lors du mouvement contre la loi (fin du) travail (salarié).

J'ai de plus en plus nettement la sensation de faire partie d'une fin de génération pour laquelle : 

- à condition de bosser dur ou très dur, l'ascenseur social y était, et sans forcément devoir se renier (par exemple en restant humaniste, respectueux des autres et des paroles données, non-raciste ...) ;

- les parents, relativement tôt retraités, pour les éventuels gardes d'enfants pouvaient aider, ce qui n'est pas rien lors des premières années de travail alors que les salaires couvrent à peine les frais ; 

- les parents s'ils avaient eu des vies professionnelles raisonnables, s'ils avaient trois sous de côté, s'ils étaient généreux, pouvaient donner le petit coup de pouce permettant, une fin d'études, un premier logement, l'attente des premiers salaires ...

 

Je m'aperçois que nous ne pourrons en faire autant envers nos enfants. Menacés dans nos jobs passés la cinquantaine (sauf à avoir su ou voulu ou pu devenir cadre dirigeant), nous n'aurons pas de retraites avant 67 ans. Ça signifie pour beaucoup d'entre nous, vivoter avec difficultés dans des boulots précaires (et encore, si l'on a la santé) ou déclassés (au moins d'un point de vue financier). Impossible d'aider la génération suivante, laquelle est confrontée avec une forte réduction des possibilités d'études peu coûteuses, du moins dans des cursus reconnus pour des emplois. Impossible aussi de l'aider concrètement par exemple en gardant les petits-enfants, coincés entre les soins aux aînés (lesquels vivent désormais beaucoup plus vieux d'une façon générale) et le devoir de continuer à gagner sa vie jusqu'à un âge avancé. Matériellement, nous aurons peu de choses à leur léguer, nos revenus, fors ceux qui individuellement tirent leur épingle du jeu, n'ont rien à voir à boulot équivalent avec ceux de nos pères. Tout passe dans les dépenses de vie courante non compressibles (1).

Un autre point a évolué concernant la nourriture : jusqu'aux années 70 du siècle dernier il était possible de manger sainement et de façon frugale si l'on n'avait pas beaucoup d'argent. La malbouffe existait, elle n'en était déjà pas qu'à ses débuts (cf. L'aile ou la cuisse), mais l'on pouvait encore contourner. C'est toujours possible, quarante ans après, mais désormais les produits non nocifs ont un coût élevé. Le frais, le sans (trop de) pesticides, le pas trop trafiqué, le produit sans souffrances industrielles extrêmes d'êtres vivants, sans trop de sucres inutiles ou de gras rajoutés, est devenu un luxe.

Les frais médicaux, du moins en France, restent encore globalement pris en charge mais avec de plus en plus de rétrécissement et un rôle croissant des mutuelles, ou des assurances complémentaires et leur travers masqués : pour cause de rentabilité on tendra un jour à ne plus couvrir ceux qui en ont le plus besoin (2). Or le coût des traitements a énormément enflé. Les techniques de pointes ont fait de remarquables progrès mais elles sont désormais hors champ du finançable par un particulier, même aisé.

Enfin, l'accès à l'emploi se fait de plus en plus souvent par des périodes de très basses rémunérations, qui portent comme implicite que le jeune soit (au moins) logé.

Bref, même si rien de pire entre temps collectivement ne survient, on est au bord d'un moment où ça va coincer. Et ce d'autant plus que les générations nouvelles ont grandi dans un monde d'intense consommation (3), ce qui suppose d'avoir un minimum de maille. Quels que soient les régimes politiques, sauf solide volonté de redistribution et de solidarité plutôt que d'extrême concurrence et de recherche d'une inhumaine rentabilité, nous allons vers des temps (encore plus) troublés. 

 

(1) La bulle immobilière pourra éventuellement amortir la chute et encore, pas certain. Et puis il y aura des pensions en maisons de retraites astronomiques à financer, d'où probablement des ventes forcées.
(2) C'est si facile : à qui a une pathologie chronique ou a été ou est atteint d'une maladie avérée, on propose(ra) des cotisations prohibitives (et en apparence : mais bien sûr tout le monde peut souscrire)(3) Au point que certains déjà le rejettent mais il devient difficile d'échapper à une sorte de minimum social : de l'internet, de la téléphonie, ces coûts qui pour ma génération à vingt ans n'existaient pas ou peu (un téléphone fixe par famille, le paiement par appels, les appels rares en cas de petits budgets). Et je suis affligée par les coûts jugés désormais incontournables de "soins" d'apparence de soi, en particulier pour les jeunes femmes. 

PS : Ceci n'est en rien un billet pour me plaindre, à titre individuel et parce qu'en 2016 j'ai eu de la chance sur certains points, et que j'ai des amis formidables, ma petite famille et moi nous nous en sortons encore, et pour l'instant je suis en meilleure forme que je ne l'ai jamais été, ce qui rend entreprenante. Mais d'autant plus que mon emploi est un poste d'observation parfait, et dans une zone de vie normale à population variée, je mesure les difficultés auxquelles d'une façon générationnelle hic et nunc nous sommes confrontés. Je vois que tous les mécanismes de solidarité familiale qui jusqu'alors amortissaient bien des fracas sont en passe à leur tour d'être menacés.


L'Égypte oubliée (mais pas les militants de la liberté)

 

J'étais plutôt contente de ces révolutions méditerranéennes, ces dominants brutaux qui tombaient comme des dominos, cet espoir qu'elles portaient ; je supposais malgré ma naïveté que des partis islamistes financés par des pays riches profiteraient des troubles pour au moins tenter de confisquer une part du pouvoir. Comme toujours, le pire était sous-estimé.

Je ne saurais plus dire pourquoi l'Égypte m'a plus saisie que les autres : sans doute parce que très vite on s'est trouvés à plusieurs amis (je pense en particulier ce soir @Kozlika) à suivre plusieurs amis de là-bas ou au moins militants ensemble qui témoignaient généralement en anglais de ce qui se passait. Que j'échangeais aussi beaucoup à l'époque à ce sujet avec celui qui a disparu si brutalement de ma vie depuis. Comme il se refusait à aller sur twitter, je lui servais de décrypteuse ; comme nous sommes tout les deux d'une génération qui a connu la télé rare, et les informations de papier principalement, nous étions, je le confesse, fascinés par le côté : c'est comme si on y était. On est avec vous, allez !

Sauf qu'on n'y était pas. Bien au calme dans la vieille Europe, où même quand elle est rude et du moins pour l'instant (1), la vie reste relativement paisible des armes ; j'ai bien dit relativement. En exil professionnel dans un quartier très chic que je n'ai pas déjà tout oublié de mes zones d'avant. 

À présent, eux sont en plein dans la répression de la répression d'après, puisqu'au bout du compte le soulèvement aura mis au pouvoir un régime autoritaire qu'un coup d'état militaire aura dégagé. Que leurs vies sont en danger et que comme toujours ce sont des gens formidables qui sont les premiers visés. 

Alors ce soir j'ai été particulièrement triste de lire la lettre ouverte d'Alaa Abd El-Fattah qui il y a dix jours (dix jours !) a entamé une grève de la faim, seul degré de protestation qui reste à qui est déjà privé de liberté.

Capture d’écran 2014-08-28 à 21.07.13Je me sens totalement impuissante, à part relayer l'info tout en étant conscience qu'il est sans doute trop tard. Pour lui, ses proches et des camarades dont le sort nous est inconnu, mais pas indifférent. 

(et pendant ce temps, c'est la guerre partout, l'impression qu'on a lorsqu'on passe des journées de travail bien remplies (privilège !) loin de l'information et qu'on rentre fourbus et qu'au matin on entend quelques trucs d'un flash d'infos au radio réveil avant de se lever, se préparer, puis d'y retourner) (et les politiciens français, désormais tous de droite sauf certains de ceux qui ne sont plus aux commandes, se couvrent de ridicule dans leurs chamailles pichrocolines).

Des pensées et des rêves, pour Alaa, pour ses camarades. Au moins.

 

(1) Je sens venir une catastrophe électorale en France pour 2017, gros comme une maison. Et après, risque de chaos. La haine des autres est gage de guerre, pas d'amélioration économique. 

 


Présidentielles anticipées (l'étrange songe tourmenté des)

  

Depuis quelques temps, ayant ce privilège inouï de ne pas devoir répondre à des horaires de matin contraignants (1), et profitant de ce que l'homme de la maison bénéficie de jours de congés (bien mérités), je me réveille à mon sommeil fini. Il se trouve qu'au normal de moi, j'ouvre assez naturellement les yeux vers 7h ou 7h30, 8h l'hiver ; mais qu'en ce moment, à ces heures en France il fait encore bien nuit. 

Alors l'animal en moi choisit le plus souvent de se conformer au soleil et de prolonger son somme. Mais la fatigue courante a été éclusée, ce qui laisse la porte ouverte à des rêves en conscience effleurée dont la plupart du temps je me souviens après.

Celui de ce matin, un rêve de rendors donc, était pour une fois loin de mes préoccupations strictement personnelles, presque drôle (ou inquiétant) et donc partageable.

*        *        *

J'ai rêvé qu'au lieu d'être en petites vacances impromptues en Normandie j'étais chez moi à Clichy, un jeudi de semaine normal avec le radio réveil qui se déclenche à 6 heures et demie. Ayant depuis longtemps abandonné NRJ au profit de France Culture (2), cela signifie que nous nous réveillons peu ou prou avec un flash d'informations, assez bref et concis.

Dans mon songe de Normandie j'étais donc en train de me réveiller en banlieue parisienne en entendant que puisque François Hollande devait prendre place au siège laissé vacant par Nelson Mandela dans l'Académie (une sorte d'académie française mais internationale où il était question de politique au lieu de belles lettres), le poste de président de la république se trouverait bientôt vacant et que des élections anticipées devaient avoir lieu.

On nous expliquait que c'était une sorte de promotion automatique à laquelle pour le rang et l'honneur de la France il ne pouvait déroger. 

Je songeais Oh putain le souk ! Et effectivement le prédécesseur déjà se précipitait pour sauver le pays assommant ses dauphins (au secours !), à gauche personne n'était présentable, malgré les ambitions déclarées du ministre de l'intérieur, le parti qui prétend n'être pas d'extrême droite se frottait les mains certain d'avoir une représentante au second tour et de peser lourd, très lourd. Et je ne pouvais même plus me réfugier en Belgique auprès de ... non, rien. L'Italie ? (3)

C'est peu dire que je me suis réveillée effarée, même si j'ai tenté de sourire de cette étrange académie que je venais de créer.

*        *        *

PS : Je n'ai rien de grave contre l'actuel président même si, comme prévu mais un peu pire, il me déçoit. J'espérais que la gauche avancerait à très grands pas sur les sujets de société, qui ne coûtent pas à mettre en place et ne mécontentent (tant pis) que ceux qui de toutes façons sont déjà mécontents de par le fait que pour une fois dans ce pays le pouvoir leur échappe et que leurs valeurs (à mes yeux rétrogrades) ne prévalent pas. 

Je crois que ce rêve vient de l'info lue quelque part d'une voiture qui a tenté de rentrer dans l'Élysée et d'autre part d'une interview de Cécilia Attias retracée dans le Canard Enchaîné où il était fait mention de femmes qui auraient divorcé pour "se rendre disponibles" pour le président précédent alors qu'il venait de se séparer d'elle. Et que j'ai du mal à le croire. Mais du coup ça aura mis le mot "président" dans mes pensées.

  

(1) sauf aux jours de piscine mais d'une part c'est avec joie et d'autre part les entraînements n'ont pas lieu pendant les congés scolaires.

(2) Hé oui, on vieillit. 

(3) On remarquera mon peu d'appétence pour l'option pourtant la plus probable compte tenu de mes limites amoureuses et financières, Rester sur place et (tenter au moins vaguement de) résister


Merci monsieur Plenel

 

"Défendre les Roms c'est nous sauver nous-même, défendre notre culture, notre liberté"

J'espère que ce bref extrait sera disponible encore longtemps : 

Edwy Plenel sur France Culture, sur un sujet qui fait solidement débloquer nos politiciens en ce moment.

Si jamais un jour j'en viens à m'en prendre à un groupe d'origine quel qu'il soit, c'est-à-dire juger d'autres humains pour une caractéristique de naissance à laquelle il ne peuvent rien puisqu'on ne choisit pas par où l'on atterrit, c'est que je serais sous l'effet de la contrainte, d'une violence ou d'une maladie.

(et parfois je me sens bien seule, on dirait en France, en Belgique, en Italie (les pays que j'habite ou que je connais bien pour les autres je ne saurais dire) que tous succombent, sinon au racisme, du moins à la xénophobie ; alors merci monsieur Plenel, ce matin je me suis sentie moins isolée et ça m'a fait du bien).