Un moment déjà que ça ne t'étonne plus : cette absence de besoin des plus jeunes de voir le jour au matin. Le garçon plus que sa sœur, capable aux jours de congés de se lever sans ouvrir les rideaux, filer dans la pièce de l'ordinateur dont il va les fermer si ce n'est déjà fait : la lumière du jour le gêne pour l'écran.
Toi, la vieille, déjà tu laisses ouverts les volets afin d'être réveillée si possible par le soleil, et puis sauf par grands froids tu ouvres une fenêtre, tu tatonnes l'air du temps, tu remercies notre étoile vitale mentalement de continuer son boulot et les nuages de nous apporter l'eau.
Et puis ce matin tu t'apprêtes à traiter tes petites photos quotidiennes, les copier, trier et sauvegarder, c'est ta façon à toi, avec l'écriture, de rester en vie, de rester raccrochée au réel dont tu te sais capable en l'absence d'assez d'amour de partir assez vite assez loin assez bien. Et tu tombes par sérendipité sur ce groupe aux photos qui ressemblent un peu à la Californie ou à certains paysages du Nord du Mexique, ou du Centre des États-Unis, tu confonds certes un peu, mais ça a l'air impressionnant ce coin-là.
Quoiqu'un peu futuriste. Et puis tu fais enfin gaffe à ce qui est marqué, complètes par une recherche via un moteur que tu n'aimes pas tant mais qui est performant, et, lente, tu comprends : ceux qui ont créé ce compte sont les photographes d'écrans d'un jeu tout récent. Les paysages de son décor ont une définition, une luminosité et un souci du détail qui les jettent si l'on n'y prend pas garde à hauteur de ceux de la planète où nous sommes hébergés.
Alors tu comprends (un peu) (moins mal) pourquoi les jeunes générations ont si peu besoin du dehors, de la lumière directe ; le faux monde a presque rejooint la teneur du vrai. Et ce qu'on y fait, tout en étant sans risques, est tellement plus excitant. On peut y tuer et s'y faire tuer tranquillement. Sans puanteur et sans douleur. Seulement les délicieuses sensations des "Comme si" des jeux d'enfants.
La lecture et cet effort, pour nous autres vieux briscards aguerris inconscient, de former à partir de signes des images dans notre tête, ne peut rivaliser face à ces beautés parfaites, séduisantes et prémâchées.
Ton soleil du matin, guetté à la fenêtre, incertain, n'atteint pas la séduction des lumières rasantes, aux brumes artificielles, choisies et calibrées. La nature devient désuète.
Et l'écrit un vague vestige traditionnel d'un monde déjà ancien.
Alors tu te rassures à petit brin par la consolation que d'aucuns dans le jeu, au lieu d'entrer comme prévu dans la compétition, la quête de performance, se seront laissé aller à poursuivre quelques bribes de beauté. La poésie (nous) survivra.
Le groupe flickr : Landscape photographers of Los Santos and Blaine County