Première rencontre avec Perec ?
14 juin 2025
J'étais hier soir à L'ours et la vieille grille où des amis présentaient de façon croisée et fort bien travaillée leur participation à la collection Perec 53 de Thierry Bodin-Hullin, et ce fut l'un de ces moments un peu magiques où l'on reprend une once de confiance en la possibilité de la survie de l'intelligence et de l'amitié, en ce monde violent, stupide et guerrier.
Ils se sont posés la question de leur première rencontre avec Perec, ce qui me l'a fait me la poser à mon tour et a ouvert en moi un bon peu de perplexité.
La réponse est en effet : je n'en sais plus rien.
Tout comme Virginia Woolf, Georges Perec est pour moi constitutif. C'est comme si on s'était connus depuis avant ma naissance. L'impression qu'à partir de leur surgissement dans ma vie, ils avaient toujours été là, à mes côtés et secourables.
Pour Perec, c'est bien moins surprenant que pour Virginia Woolf, nous avons les maths et le côté s'aider de guides qu'on peut faire voir ou pas, le côté je veux m'amuser avec des exercices, mais que le résultat puisse ne pas laisser voir qu'on s'exerçait. Un petit côté On se protège de l'émotion par une recherche en virtuosité, comme une séance d'entraînement et puis Oups, on a fait un super truc en fait, là.
En gros à une époque où j'écrivais sans trop savoir que j'écrivais mais parce que c'était comme lire, je ne savais pas faire autrement face à la vie quotidienne devant être menée, à peu près à chaque fois que j'avais l'impression de tenir une bonne idée (1), bim, Perec l'avait déjà fait bien mieux et bien avant moi.
J'en concevais une forme de validation qui me rendait heureuse (Je me disais bien que c'était une bonne idée, je ne suis pas folle, ne m'étais donc pas gourée) et souvent hélas me dissuadait (à quoi bon m'y coller, c'est fait et bien mieux fait que je ne saurais le faire).
Je suis loin, très loin, d'avoir lu toute son œuvre, parce que j'ai l'impression de la connaitre déjà. Je ne sais pas ce que j'ai lu en premier, peut-être "Les choses" à cause du "Pain" de Ponge, qui m'avait portée chance au bac et que j'adorais ?
"Un homme qui dort" est pour moi un souvenir de cinéphile avant d'être une œuvre écrite. Et j'avais rêvé moi qui bossais sans arrêt sauf à être malade (2), de pouvoir m'octroyer le luxe d'être comme le personnage, au moins un temps "en dehors" de la marche du monde (3).
Il est fort probable que ce soit Bruno Plane, mon prof de français et latin au lycée qui m'ait parlé de Perec en premier ; que je l'aie croisé sur l'écran de la télé parentale, lors d'un Apostrophe auquel il avait participé, en le trouvant rigolo d'apparence mais un peu trop fou fou à mon goût (4). Je suis certaine qu'on avait parlé de lui avec Pierre et Jean-Marc mes collègues informaticiens de mes débuts professionnels, car alors il était naturel de parler bouquins dans les interstices au boulot. Il avait été question de W ou le souvenir d'enfance.
Comme les copains, oui, ce gars-là me disait Bien sûr que tu peux toi aussi. Et de la même façon que certains et certaines des personnes que je suis sur les plateformes concernant la course à pied : eux font leurs séances dans des allures qui sont la tienne en sprint sur 100 m, mais rien n'empêche de faire la même, les mêmes séquences d'intensité et de récupération, les mêmes distances ou les mêmes durées, mais à notre propre allure, notre niveau.
Ils guident au quotidien vers une bonne vie, et grande est ma gratitude envers ces personnes partageuses et l'écrivain pas comme les autres (5).
(1) C'est-à-dire un truc qu'on peut faire en s'y mettant par bribes un peu chaque jour et au bout du compte il se peut que ça forme quelque chose.
(2) Études, sports, petits jobs, intendance domestique, il y avait toujours à faire. Et la lecture était déjà davantage qu'un loisir, une façon de respirer.
(3) D'où que je ne me suis jamais sentie aussi libre que pendant le premier confinement. Merci Georges !
(4) Quelque chose en moi apprécie irrésistiblement le minimalisme, la frugalité, l'austérité.
(5) Du moins tels que je me les figurais en mon enfances : vieux messieurs pâles et morts ou bientôt, sauf Agatha Christie qui était une grand-mère. Lui était vivant à l'époque et comme un lutin amusé mais néanmoins sérieux dans sa pratique.