Gâtée

 

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Ça fait long de Noël qu'on ne peut fêter vraiment, avec de l'allégresse et autour d'une table, sans doute depuis 2004 en fait. Et puis on est tous devenus un peu des militants de la non-surconsommation, sauf l'homme qui l'est par suite d'un léger souci dans son rapport à l'argent qui au bout du compte revient au même.

Nous nous sommes rendus compte qu'à part l'hôpital d'Ermont et pour moi le beaucoup de boulot (dans une belle énergie, les clients étaient gentils) de Noël en librairie, et le grave problème que posait l'hospitalisation à domicile de ma mère à mettre en place l'an passé à même période, nous n'avions pas de vrais souvenirs de Noël dernier. 

On s'est cette année échangé quelques cadeaux dans la cuisine encombrée à l'issu d'un petit dîner de type dimanche soir amélioré - pas ou si peu de temps personnel, quand ranger ? -. Et j'ai été gâtée. L'Homme a entendu un souhait qu'en novembre (ou début décembre) j'émettais.

J'ai l'impression que quelque chose se recoud du passé ; et aussi que m'attend un délicieux rattrapage de chansons que les problèmes de respiration de l'artiste vieillissante m'avaient empêchées de savourer (1).

 

(1) J'ai un effet miroir avec tout ce qui touche à ça. Je ne peux par exemple regarder de natation synchronisée. Et tout ce qui comporte des respirations haletantes me fait un effet de malaise. En revanche sur d'autres choses, effet miroir total zéro alors que tout le monde y semble sensible. 


Je ne suis plus sans papiers

Gilda with ID card

Voilà, grâce à l'initiative heureuse et sympathique d'une employée de la mairie, me voilà à nouveau pourvue d'une carte d'identité.

Après le vol de mon sac fin octobre et de tout ce qu'il contenait, j'avais pensé à faire refaire le passeport en priorité et qu'une fois seulement lorsque j'en disposerai je pourrais faire ré-établir les autres documents. Elle m'a suggéré fort intelligemment de tout faire en même temps. 
J'ai dû filer en courant chercher de l'argent pour acheter au Tabac un timbre fiscal et de ce fait, alors qu'il faut prendre rendez-vous et que ça n'est pas si simple (pré-demande en ligne à remplir, puis presque autant à refaire au moment même du rendez-vous), et pas si simple de se libérer, les deux demandes sont parties en même temps.

Ce matin alors que je disposais, ô miracle, de deux heures de temps personnel, mon téléfonino a émis son signal de SMS arrivé, lequel disait, "Votre carte d'identité est disponible jusqu'au 17/03/2018 dans votre lieu de recueil". Autant vous dire que je n'ai pas attendu un seul instant de plus.

Je suis donc extrêmement reconnaissante envers cette femme et sa suggestion. 

Je le suis aussi envers le photographe de la rue de Charenton chez qui j'étais allée me faire tirer le très officiel portrait. Il a trouvé moyen tout en respectant les consignes strictes des documents de maintenant (1) que j'aie l'air d'être moi, même avec un splendide RF sur le nez. 

Au soulagement que j'éprouve moi que la conformité soucie peu, je mesure combien doit être source de tension le fait de n'avoir pas de papiers d'identités, du moins pas ceux qui autorisent à séjourner dans un pays plutôt qu'un autre.

J'ai vécu le reste de la journée dans l'illusion que puisque c'était allé si vite, le reste de mes tracas administrativo-quelque chose de ces jours derniers allait rapidement s'aplanir, chèque et chéquier, carte de mutuelle ..., mais je crains que ça ne soit pas si simple.
Ma carte vitale, quant à elle, est déjà là (2).

Avant que d'oublier et de passer à la suite de mes aventures, je dois noter que mon pass navigo m'a été utile comme seul document un peu sérieux quoique non officiel avec photo me restant. Je déplore que son abandon prochain ait été voté par la région au profit d'une sorte de future appli smartphone - particulièrement injuste puisque sa facilité d'utilisation dépendra de la qualité de notre équipement -.

Et qu'il m'a été secourable malgré qu'il n'était ni obligatoire ni mentionné, d'avoir pris avec moi mon livret de famille lors du premier rendez-vous.

Dans l'absolu il faudrait s'arranger pour avoir toujours un document d'identité à la maison lorsqu'on en a un autre sur soi, et jamais dans le même sac ou au même endroit le téléphone portable et l'ordinateur. Moyennant quoi il devrait suffire de moins d'un mois pour retrouver une vie sans surcroît de complications. Ç'aura été presque mon cas.

 

(1) Je me souviens d'un temps où l'on pouvait sur un passeport arborer l'air souriant, des cheveux débordants, une barrette pour les maintenir, ce qu'on voulait comme vêtement du moment qu'on voyait le visage.

(2) Quand tu penses à la façon fastidieuse de 2009 (vol du portefeuille), que de progrès !

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Les conséquences persistantes

 

    Ça fera trois ans en janvier l'attentat contre Charlie Hebdo, cette journée entière passée entre espoir et attente d'une mauvaise nouvelle, et de toutes façons déjà fracassée par ce qui s'était passé quand bien même l'ami, le camarade, lui s'en sortirait. La journée de boulot accomplie malgré tout (comment ai-je tenu ?), l'errance le soir à Répu, croiser les gens qui grelottaient, se rendre compte alors que moi si sensible au froid j'étais anesthésiée, après la mauvaise nouvelle, finir la soirée chez l'amie commune, bien plus que moi touchée. 
Ça faisait du bien de parler.

Le retour à Vélib en criant mon chagrin.
J'ignorais qu'un coup sordide m'attendrait le lendemain. Et que Simone me sauverait du vacillement compréhensible face à une réalité qui dépassait l'entendement. 

Les soirées passées avec les amis, notre seule façon de tenir. Mais combien ce fut efficace.
La grande manif du 11, qui nous donna la force, après de continuer.

Et pour moi : l'absence de ressenti intérieur du froid, et qu'elle perdure. J'en avais tant souffert, du froid perçu jusqu'aux tréfonds des os, c'était comme un cadeau. 
L'absence aussi de "frisson dans le dos". D'où que Poutine ne me faisait plus peur, alors qu'une simple photo de cet homme déclenchait jadis chez moi une réaction épidermique - de proie potentielle sur le qui-vive devant un prédateur -.

D'où que je ne percevais plus ni les regards sur moi, ni les présences derrière moi.

Quelque chose est resté débranché depuis tout ce temps-là. Je m'efforce de me préparer à une éventuelle réversibilité, mais j'en suis de moins en moins persuadée.

Ça change encore mon quotidien.

Je dois veiller intellectuellement à ne pas me mettre dans un froid persistant, car si je perçois moins le froid, mon corps en est traversé, l'absence d'alerte ne signifie pas l'absence de symptômes. Je m'enrhume davantage (1).  

J'ai dû m'habituer à cette sensation si nouvelle pour moi : avoir chaud. D'accord j'avais chaud par temps de canicule ou après le sport au sauna, mais c'était pour moi si rare, je savourais. J'apprécie encore, à ce titre l'été dernier m'a terriblement frustrée, à peine quelques jours à frétiller pleine de l'énergie reçue. Pour le reste grisaille et être habillée comme en demi-saison.
Ce matin encore en arrivant à la BNF, quelques secondes pour comprendre : ah oui, j'ai chaud là. C'est chauffé [chez nous toujours pas, seulement à partir du 15 octobre je crois]. Et je me souviens alors qu'en ces lieux la température est maintenue constante, j'y portais l'été des pulls légers et à partir d'octobre des pulls épais ou des gilets, tout en me disant C'est sympa les lieux publics mais ça n'est pas très chauffé et la clim l'été quelle plaie ! On a froid. En vrai : c'est tempéré, stable, et plutôt bien réglé. 

Ce matin aussi : ne pas avoir sentir sur l'escalator que quelqu'un me talonnait - du coup avoir failli, de surprise quand je l'ai constaté, foncer dans la personne immobile sur l'escalier qui me précédait (2) -. Avoir laissé se rabattre une porte au nez de quelqu'un d'autre : comme j'étais un peu pressée j'avais omis le coup d'œil de vérification avant de la tenir ou non. Je me souviens très bien d'un temps où je n'avais pas besoin de regarder, je percevais si quelqu'un me suivait. 
Combien de fois sur les trottoirs des trottinettes me frôlent, leur pilote persuadés que je les ai sentis venir et fais ma mauvaise tête mais vais m'écarter. Si l'engin est silencieux et leur coup de propulsion, je ne me rends pas du tout compte de leur présence. 
Et quand je suis perdue dans mes pensées ou que le #jukeboxfou de dedans ma tête me passe une musique assez fort, je n'entends même pas ce qui serait audible. Du coup dans la foule, je bouscule ou me fais bousculer, j'ignore des présences, j'écrase parfois des pieds.

Étrange héritage qui me met à la fois à l'abri enfin, et aussi en (léger) danger.

 

(1) Même processus avec l'ivresse : l'absence de signes doit être compensée par une vigilance accrue - ne pas dépasser certaines quantités -.  
(2) C'est l'ennui de ces longs escalators mono-voie. Si quelqu'un s'arrête tout le monde est bloqué.


Les jours heureux (au travail (pour le reste, un peu moins))


C'était une belle belle intense journée de boulot, de celles où tout s'enchaîne, de messages le matin jusqu'en soirée organisée. Avec le sentiment de pouvoir faire avancer les choses et un ami qui m'a fait une joie immense en acceptant de venir comme auteur invité alors qu'il viendra de pas sauvagement tout près.

Du coup les tracas immobiliers (vente qui tarde, diagnostic douteux), et ceux de victimes de vol (dans l'autre maison, en Normandie) ne semblent pas si forts. 

Nous avons récupéré quatre objets dont l'un n'était pas celui que l'on croyait. Par rapport à tout ce dont nous nous sommes faits dépouiller, c'est peu. Cette affaire nous aura coûté environ 1500 €, plus que ce que je gagne en un mois. 
Les propriétaires ont fait vider la maison qu'occupait le voleur, réparer la porte du type qui était cassée également et changer la serrure. Il est probable que l'homme ne reviendra plus. Je me dis que dans deux ans mettons il sortira de prison et qu'il sera sans affaires personnelles et sans toit. Alors il ira ailleurs et il recommencera. Ça semble sans issue. Il a eu sa chance avec cette femme de la petite ville qui l'aimait, qui a tenté de briser le cercle des poisses successives, qui se cramponne à son dur boulot. Mais il est incapable de rester stable bien longtemps. Et d'avoir le courage d'endurer un de ces jobs physiques de ceux destinés à qui n'est pas qualifié.

Je pense à ce cousin par alliance qui a si brutalement quitté la famille. Qui nous a raconté à chacun des craques à des degrés divers. J'ai l'impression que nous avons tous été victimes d'une escroquerie affective. À nouveau me revoilà en train de me poser la question de Comment cet homme-là a-t-il pu agir ainsi, prétendre ce qu'il a prétendu, se révéler si différent de celui qu'il était ?
C'est peut-être la quatrième fois de ma vie que ça m'arrive : avec V. dont l'amitié semblait si solide et sincère, avec le grand B. qui semblait si respectueux mais non, Emmanuel R. volatilisé. Il y avait eu aussi Bernard, mais son cas était différent (1).
D'autres m'ont aussi menée en bateau, mais disons que c'était d'une certaine façon prévisible, que ma confiance en eux avait su rester raisonnable. La révélation n'est alors qu'une pénible déception. Pas de ces moments qui font douter de tout et de tous. 

Difficile de ne pas songer à ce film de Woody Allen dans lequel le jeune qui se met à avoir des idées ultr-réac. est en fait atteint d'une tumeur au cerveau.
Ou à l'histoire de Jean-Claude Romand, et soudain on se surprend à se sentir soulagé que ça n'ait pas fini aussi mal.  

Je m'efforce de me dire que certains des moments étaient sincères, l'étaient vraiment et que c'est seulement à partir d'un instant donné que les choses ont pu dévier. Que la personne de maintenant avec ce qu'elle a fait ou déclaré n'est plus la même que celle qu'on appréciait mais que celle-ci a réellement existé. Qu'on varie tout au long d'une vie.
Il n'empêche que ça fait mal. 
Apprendre que celui qui m'avait si souvent donné des conseils si avisés et qui m'ont plusieurs fois aidée a pu se comporter comme un affabulateur et un bourreau affectif et que dans son travail il maquillait la situation de son entreprise, et que ce que j'avais pris pour un succès était un échec en fait (2), me laisse sciée. Et il y a suffisamment d'indications concordantes pour que je sache que ce que j'ai appris récemment n'était pas inventé.
Bon sang, mais pourquoi ?
Tout est-il tout le temps faux, dès lors qu'il s'agit d'humains ? 

 

(1) Il avait pendant des mois (années ?) prévu son suicide minutieusement. S'inventer une reconversion faisait partie du processus. Nous y avions tous cru. Elle était absolument inventée et il est allé mourir au premier jour théorique de sa nouvelle carrière.
Avait-il d'autre choix s'il voulait qu'on le laisse mourir en paix et également nous protéger de tout sentiment de culpabilité (nous sommes exemptés du fait de n'avoir pas su deviner, il avait tout tellement bien organisé pour faire écran de fumée).
(2) Dû pour partie à des repreneurs qui n'ont pas tenu leurs engagements. Il n'empêche que ça n'est pas l'exemple de succès qui de loin (je n'avais pas les mêmes aspirations, mais la recherche d'une dynamique) m'inspirait.

 

 

 


Après nos fins

 

    À l'occasion d'heureuses (oui, heureuses, les uns et les autres vous vous aimez bien et c'est l'emprise de la vie quotidienne qui vous a éloignés tandis que les kilomètres qui séparent vos villes de résidence n'arrangeaient rien ; il y a aussi qu'avec l'Internet tu as cessé de téléphoner et qu'eux n'étaient pas des internautes, tes aînés) retrouvailles, vous découvrez ce par quoi vous en êtes passés, des maladies graves des enfants, des ruptures, des contextes professionnels pas tout à fait que ce que vous croyiez savoir ...

Tu sais avoir une bonne mémoire jusqu'à présent, du moins pour les choses affectives, alors tu es persuadée que ce que tu découvres à présent, c'est que tu ne l'as pas su, ou alors en mode totalement hors de proportion avec ce qui se tramait (La petite x... , elle n'est pas très en forme en ce moment, par exemple, pour dire une maladie qui rétrécit l'avenir de qui l'a développée). En fait la génération du dessus, qui détenait les nouvelles et que chacun supposait avoir fait le boulot de mettre au courant ses propres enfants (1) n'a rien transmis. L'une n'a pas dit, ou l'autre n'a pas redit. J'imagine bien ma mère nous voyant aux prises avec nos propres problèmes, de boulot, de maladies chroniques, d'argent malgré de bosser dur et de dépenser peu, a peut-être préféré ne pas nous alourdir, sachant combien j'aimais mes cousin-e-s, et s'est tue. Peut-être aussi n'avait-elle tout simplement pas su.  

Depuis février, à chaque personne que nous revoyons (2) c'est une trentaine d'années d'historique qu'on se mange au rattrapage. Pas que du triste, il y a des choses bien. Notamment les femmes qui ont réussi de belles choses d'un point de vue professionnel et ne s'en sont pas vanté et personne n'a eu la bonne idée de colporter.

Ce sont aussi des éléments de l'histoire familiale qui se révèlent pourvus d'autant de versions que d'issus de survivants. Ainsi la mort de ma grand-mère maternelle en Normandie quelques mois après le débarquement et de celles d'un petit garçon qu'elle venait de mettre au monde a autant de versions qu'il y avait d'enfants grands qui avaient survécu. Le point commun étant : tomber malades et ne pouvoir être soignés, du fait des circonstances. Ils se meurent quand tout le monde festoie. Les médecins et même les prêtres sont avec les soldats. Les maisons sont des courants d'air qui n'ont pas ou plus de toits.

Aucune version n'est plus ou moins glorieuse ou dramatique qu'une autre, c'est la maladie qui change ou même (dans mon cas) l'ordre des décès. Le fait est que ma mère ou ses sœurs n'en parlaient jamais, les très rares fois ou elles faisaient l'effort - généralement pour répondre à nos questions d'adolescent-e-s - leur mémoire avait peut-être enfoui les précisions. Nous portons de fait toutes, nous les filles de la génération suivante, le poids de la mort prématurée de cette grand-mère remarquable, dont toutes les traces restantes nous laissent à penser qu'elle fut une femme d'une force de caractère hors du commun. Nous portons également une succession d'enfants grandissants qui n'eurent pas lieu, chaque génération soumise à des impératifs de guerres, maladies, morts, nécessités économiques. Ça se paie un jour, inévitablement.

Mon naturel optimiste (que je tiens peut-être de cette femme, sa force de combat, ou d'une belle part de fantaisie venue de mon côté d'Italie, salut Enzo !) fait que je persiste à penser que nous ne nous en sommes pas si mal tirées.

De façon plus contemporaine, il y a aussi que depuis 1994 nous avons perdu un rendez-vous annuel chez l'oncle et la tante qui avaient une maison assez grande et un immense jardin. Personne n'avait les moyens, ne seraient-ce que géographiques, de prendre la relève.

Il y a également que chacun a pu supposer que l'autre avait été mis au courant, s'était peut-être désolé du manque de solidarité, de soutien. Et que, passé le pire, ceux qui étaient concernés n'avaient pas envie d'en reparler (3), ce qui fait qu'à l'occasion suivante, rien n'avait filtré des épreuves traversées.

D'autant plus qu'on n'a pas envie d'être définis par sa maladie ou ce qui peut handicaper.
D'autant plus que ces dernières années nous ne nous sommes croisés le plus souvent qu'à des enterrements. Ce ne sont les bons moments ni pour confier des ennuis ni pour se vanter.
D'autant plus que le capitalisme sans opposition puissante, qui est depuis plusieurs décennies le système économique prévalant, génère une concurrence permanente sur tout tout le temps. La maladie qui commençait tout juste à n'être plus honteuse (4) devient facteur d'exclusion même après rémission. Alors on la tait.

En attendant, nous avons perdu beaucoup de temps à rester éloignés, écopant chacun dans notre coin, tentant de nous en sortir. Le regret de n'avoir rien su et donc été absente est chez moi tempéré par le fait que j'étais toujours trop prise par mes propres combats pour pouvoir réellement assurer une présence aux autres. J'espère que nous parviendrons à retisser les liens, à présent qu'on sait que l'on ne savait pas.

Je vais désormais essayer, si le travail et les santés des uns et des autres m'en laissent la disponibilité, de venir aux nouvelles et aussi d'en donner. Qu'elles soient mauvaises ou bonnes, sans dramatiser ni exagérer.

Et je retiens la belle idée de ma marraine d'une fête pour remercier un jour tous ceux qui lors des différentes épreuves m'ont aidée. Restera à trouver un moment favorable, un endroit, un budget. Elle sera aussi la fête des fêtes que l'on n'a pas faites.

 

 (1) On s'amuse rarement à prendre soi-même le téléphone ou le stylo pour annoncer à toute la famille l'annonce d'une grave maladie ; au mieux, on appelle une fois le pire passé, pour dire qu'il y a eu ça, mais qu'on s'en est pour l'instant tiré. 
(2) Elle semble avoir eu lieu dans les deux sens, la non circulation de l'information.
(3) Surtout à ceux qui, ignorant tout, ne s'étaient pas fendus du moindre mot, de la moindre visite à l'hôpital, par exemple. 
(4) Je n'ai jamais compris que l'on use de périphrases pour désigner des cancers, a priori ni contagieux ni liés (à part le cancer du poumon et fumer) directement à une activité précise.


Soirées littéraires

    Cette semaine, sorties 4 soirs sur 7 : 2 en tant que libraire invitée par des éditeurs, 2 en tant que libraire contribuant à inviter des auteurs. William Boyle, Don DeLillo, David Lagercrantz, Cyril Dion et Gilles Marchand.

Pour ce dernier c'est demain jeudi 21, à partir de 19h30 et vous êtes les bienvenus.

Comme nous sommes à Paris, et que c'est une jolie petite ville en fait, je me suis retrouvée un midi à prendre le café en compagnie d'une amie (c'était prévu) et d'un autre auteur (qui passait par là). 

C'est une vie d'une intensité et d'une richesses d'échanges comme je l'ai rarement connue et comme je n'aurais jamais cru pouvoir connaître. Je savoure chaque jour, consciente d'un immense privilège. Écouter Cyril Dion ce soir, avait quelque chose de magique, ou d'en tout cas formidablement réconfortant. Sa manière de voir les choses en face sans pour autant se résigner à ce qu'elles aillent si mal est sans doute contagieuse.

(car pendant ce temps le vaste monde va mal, si mal, qu'il est difficile d'en faire abstraction, mais voilà de quoi puiser quelques forces afin de résister tant qu'on le peut encore)

 


Dimanche soir


    (notes en vrac posées en dormant) 

J'aurais voulu aller courir en forêt puis continuer à préparer des cartons de la maison de Taverny, mais voilà, il pleuvait à verse au moment du réveil et lorsque le soleil splendide est revenu nous étions déjà dans l'optique du travail à accomplir. 

J'apprends que mon père savait depuis 1973 pour la thalassémie. Pourquoi n'a-t-il rien dit ? Pourquoi ne nous a-t-on pas alors à ma sœur et moi fait passer les examens qui auraient alors pu nous rassurer sur notre mauvaise santé ? Je sais qu'en ces années-là on ne parlait pas aux enfants de la santé de leurs parents. J'en retrouve triple confirmation. Je sais que lorsque j'étais teenager mon père a subi à la clinique d'Enghien une brève opération. À ce jour j'ignore toujours de quoi il s'agissait (je suppose : une hernie).

Je découvre que la petite maison normande n'a pas comme je le croyais été construite après la guerre, lors de la reconstruction mais ... bien avant (quand ?) et achetée par mes grands parents lors d'une vente sur folle enchère , ces ventes à la bougie. En 1943. Ça mérite un billet à part. Le document retrouvé est magnifique.

Pendant ce temps la côte sud du Texas est la proie d'un ouragan et de pluies diluviennes. Il était annoncé mais si j'ai bien compris avait été (volontairement ?) sous-évalué ce qui fait qu'aucun ordre d'évacuation n'avait été donné. Son ampleur prend les gens au piège d'inondations dignes des meilleurs cauchemars. Vu en particulier une video prise dans les locaux de la station météo, où l'eau monte à vue d'œil avec une force inouïe.

Trump s'en fout il vaque à ses usual conneries. 

Je retrouve de vieilles allumettes dans un cadeau de fête des mères. Leur odeur aussi. Il devait y avoir du souffre et plus aujourd'hui.

C'est un soir de vague à l'âme. 

Pourtant j'ai retrouvé deux lettres magnifiques de l'homme de la maison alors fou amoureux fou [de moi] à mes parents. Il était alors à faire son service militaire en temps que VSNE à Ouagadougou.

Je retrouve de mes lettres d'adolescente à mes parents et ma sœur lorsque par exemple je séjournais à Miniac-Morvan. Elles sont marrantes. Je l'avoue : je suis assez fière de l'épistolière que j'étais à douze ou quinze ans. Quant à la diariste elle était redoutable de précision. Je n'imaginais pas à quel point j'allais rendre service à la moi de plus tard en décrivant chaque journée, scrupuleusement. 

La chambre qui fut celle de ma sœur puis de mon père est à présent vidée. J'ai donné quelques jouets.
L'homme s'est attelé à des tâches de ménage. Courageusement. 

J'ai trouvé une lettre de refus (pour des poèmes de ma mère) d'une élégance folle. J'ai retrouvé aussi toutes sortes de marques de ses succès dont elle parlait peu (ou alors : étais-je à ce point inattentive ?).

Beaucoup de documents sur la petite maison [de La Haye du Puits] qui se fait cambrioler à répétition par le voisin cette année. Un des entrepreneurs qui a travaillé sur le chantier de sa remise en état demande dans un courrier à mon père s'il peut retarder d'une semaine son intervention parce qu'alors son fils sera en vacances et qu'il veut en profiter pour lui montrer le travail. 

J'apprends que là où est actuellement la salle de bain - WC se situait un sellier. Attenants à la maison il y avait des clapiers.

En soirée j'écoute des chansons françaises des années 60 et 70. Tout est parti d'une chanson de Maxime le Forestier.

Il se fait tard et je tombe de sommeil. 

 


Seuls (et sans mutuelles)

    Mon nouveau travail étant fort pourvoyeur de soirées - et comme j'allais avant aux soirées qui y étaient organisées, au fond ça ne change que mon rôle dans leur contenu -, c'est le plus souvent aux soirs moi qui suis absente de la maison.

Mais voilà qu'aujourd'hui ça n'était pas le cas et que ce sont les enfants qui menaient leur vie de jeunes adultes, et pour notre fille un peu de sa vie professionnelle aussi, et s'étaient absentés.

Alors nous étions les deux vieux tout seuls. Un peu désemparés, surpris. Un peu, Ah, ça fera donc comme ça ? 

Pas trop le temps de m'appesantir, la vie de libraire est truffée de "devoirs d'école", j'ai à lire et plus vite que ça. 

Et puis voilà qu'au lieu d'en profiter joyeusement, on a parlé d'intendance et qu'on s'est rendus compte que nous n'avions plus ni l'un ni l'autre de mutuelle. Dans mon cas c'est à cause d'un loupé chez Klesia où un premier interlocuteur a mal renseigné celui qui m'emploie, conjugué avec la trêve estivale qui a fait que la situation a traîné - comme j'étais chez eux dans mon précédent travail j'avais cru, ô naïveté, que ça serait plus simple d'y rester - (1). Dans celui de l'homme de la maison c'est qu'il s'est laissé déposer au bord du chemin sans rien faire, malgré des courriers de relance. J'ai suffisamment de tracas avec le deuil et la succession et le voisin voleur de Normandie, pour ne pas prendre en charge ce qui relève d'un autre adulte, même si entre chômage et double deuils et les accompagnements qu'il y a eu, il a de quoi être épuisé.
Puissions-nous ne pas avoir de pépin de santé tant que les choses ne sont pas clarifiées.

Ma vie se sera donc déroulée entièrement ainsi : de l'enfant qui tentait d'empêcher ses parents de trop mal aller, à l'adulte qui se retrouve en charge des choses, quoi qu'il advienne. L'avantage est que je suis à l'aise dans un travail autonome, habituée à tout débrouiller. À part que je ne sais ni chasser ni pêcher, je suis mûre pour faire face à différentes fins du monde. La solitude à la longue peut me rendre un peu triste, mais elle ne m'effraie pas (2). 

Il n'empêche que je rêve parfois de poser les armes, que quelqu'un me dise Compte sur moi ou Ne t'inquiète pas, je m'occupe de ça, que quelqu'un organise quelque chose de chouette pour moi. Un peu de roue libre (3). Que je rêve aussi de retrouver confiance, même si je sais pertinemment qu'il ne faut pas, que c'est faire aveux de faiblesse, qu'on se fait avoir à chaque fois. 

Enfin il est terrible de constater qu'à force d'enchaîner les obstacles, ils finissent par tous se parer d'une forme d'équivalence : Ça va être quoi, maintenant ? 
Or ce n'est pas du tout pareil la mort d'un parent et des pertes matérielles, des soucis d'argent et des chagrins affectifs ... À force d'enchaîner sans arrêt, ils s'uniformisent. 

 

(1) Frappant de voir à quel point tout règlement même créé pour être favorable comprend des effets secondaires indésirables. Ainsi cette loi qui a fait passer les mutuelles sous l'égide de l'employeur pour qui est salarié, afin que tous soient protégés (au moins ceux qui ont ce statut) et qui pour les très petites entreprises ne facilite la vie ni des employeurs ni des employés. 
(2) Et puis avec la thalassémie je ne suis jamais seule, j'ai ma fatigue pour inlassable compagnie. 
(3) Après coup je me demande si ce n'est pas ce que j'ai tant apprécié au stage d'intégration de mon club de triathlon en octobre : je n'avais d'efforts à faire que physiques pour le reste tout était organisé et fort bien. I just wasn't in charge. Pour un week-end je n'étais plus celle qui doit penser à tout. 


Quitter une maison


    Pour moi c'était fait depuis longtemps, je suis de la génération qui filait fière de son indépendance dès venue la majorité. Les parents aidaient à mesure de leur moyen pour des logements étudiants peu coûteux (pas non plus exactement luxueux) et on faisait des petits boulots et des stages ou des jobs d'été l'été pour financer le quotidien. On s'endettait aussi (un peu) (1).

Mais voilà, à présent que mes parents sont tous deux morts, il s'agit de la vendre, cette maison où ma sœur et moi avons grandi. Il s'agira ensuite de ne plus y retourner, une fois les nouveaux propriétaires installés.

J'étais suffisamment ancrée dans ma propre vie, qui ne manque pas d'intensité, jamais (2), pour avoir perdu la plupart des automatismes. Ma chambre d'enfant puis de jeune fille avait été débarrassée en mon absence par ma mère qui en a eu besoin pour son propre usage, ce qui fait que je n'avais pas eu le temps d'organiser mon départ - et longtemps cru que l'essentiel de mes papiers personnels non officiels avait été jeté, et mes livres égarés (3) -.

L'homme venu ce matin relever les compteurs d'électricité nous a d'ailleurs trouvé hésitants sur où étaient lesquels, c'était sans doute pour lui un peu amusant.

Pour autant c'est bien maintenant, ou dans quelques mois, que la maison et nous [la famille, les descendants] on se quitte et pour de bon cette fois. Sans doute que les nouveaux occupants souhaiteront opérer quelques restructurations, les conceptions ont changé depuis cinquante ans et mes parents avaient pour leur part respecté l'endroit, n'y apportant que de subtiles améliorations comme de rendre le grenier accessible. Et la conception de base était rationnelle, et plutôt agréable pour une petite famille avec deux enfants (4). 

J'ai de la peine pour les arbres, je crains que ne soit abattu le vieux cerisier au tronc boursouflé mais aux cerises délicieuses. 

Les souvenirs ne seront plus que des souvenirs, il n'y aura plus de lieux pour les ressourcer. 
Une page va se tourner, non sans férocité.
Je regrette sans doute en partie de n'avoir pas eu les moyens financiers pour éviter cette dispersion, ou du moins de n'avoir pas réellement d'autre choix, qu'il s'impose de cette façon-là. 
Seuls les riches peuvent s'accorder le luxe d'une maison de famille en indivision.

Je vais être habitée par deux maisons à la fois (ou trois).

 

PS : une pensée pour l'ami Gilsoub qui traverse la même étape, même si le contexte, c'est très heureux pour eux, est nettement plus porteur.

 

(1) Rien à voir avec les coût de scolarité actuels. Et des bourses accessibles existaient.
(2) Pourtant je n'ai pas le sentiment d'aller au devant des événements mouvementés. Ça doit être mon côté Forrest Gump, une fois de plus
(3) J'ai en fait tout retrouvé mais dans différents endroits et cartons. Il aura fallu ça : le moment du tri pour débarrasser la maison.
(4) Je crois que je suis pile à la génération charnière où, pour les français moyens, on est passé dans les logements de une chambre pour les parents et une pour les enfants quel que soit leur nombre - ce qui était déjà un super progrès par rapport à : tout le monde dans une salle commune -, à une chambre pour les adultes et une pour chaque enfant ou deux maximum s'ils sont de mêmes âges et sexes. 
(Puis il y a eu le même phénomène pour les télés, puis pour les ordis).
Il m'en est resté qu'être enfin seule, réellement seule, physiquement, est un luxe (et ses corollaires : ne pas risquer d'être interrompue dans ses pensées ou ce qu'on fait, ne pas être obligée d'émettre des sons, de parler). 
Pendant ce temps les lieux de travail ont opéré l'évol


La bibliothèque, la nuit

version courte, BNF version longue l'expo elle-même

et le making-off 

La lecture vous met le nez dans la réalité 

 

 

J'avais déjà tâté de la réalité virtuelle lors d'un salon du livre de Montreuil, et ça ne m'avait pas déplu. Je pense que le principal usage de ces technologies sera bientôt d'offrir à tout être humain assez fortuné pour louer le matériel une vie sexuelle de bonne qualité et permettra par exemple de souffrir moins d'une rupture subie. Peut-être qu'alors l'acte sexuel physique réel ne sera plus réservé qu'aux couples souhaitant procréer à l'ancienne, ce qui ne sera pas nécessairement bien vu car les petits ainsi conçus seront d'une imperfection so XXIème. On trouvera d'ailleurs sans doute ça assez peu hygiénique. 

Comme nous n'en sommes pas encore là, où seulement en labos, les casques servent pour les gamers, des expérimentations sérieuses, et des expositions. 

Celle-ci est charmante et enchanteresse : il s'agit d'un voyage à travers les bibliothèques, une dizaine en tout et fait en trois temps : un vestibule d'expo classique avec quelques explications, une salle qui nous plonge dans une bibliothèque de vieux manoir écossais (1) un jour d'automne pluvieux. On peut s'asseoir regarder et toucher (mais pas photographier, ce que j'ai un peu regretté). La voix d'Alberto Manguel nous accompagne et qui parle des bibliothèques le jour et la nuit. 

Puis l'entrée casque à la main dans une forêt avec des tables classiques de library et des siècles sièges pivotants, on s'installe, on enfile le casque selon les consignes qui nous ont été données dans la salle précédente et c'est parti pour un voyage un peu enfantin au pays des grandes bibli. 

Il y a celle de Sarajevo en flammes sous la guerre (2) avec un violoncelliste qui résiste en musique, celle du Danemark avec ses spectres : les livres anciens n'y sont pas répertoriés, ils se trouvent donc réduit à leur fonction isolante et décorative, celle de Montréal gagnée par les oiseaux qui du grand grimoire semblent s'échapper, et quelques autres. 

La qualité de l'image n'est pas encore tout à fait au point, mais suffisante pour s'amuser. L'effet 360 est un peu en risque de mal de mer, mais ça peut s'estomper (3) ; au bout du compte quelque chose d'assez jouissif. Les choix dans le menu sont fait par direction du regard, ce qui ne laisse pas de m'impressionner, et est sans doute ce qui m'a le plus impressionnée.

Après, si on ne met pas trop fort le casque son, on peut percevoir les bruits extérieurs, et lorsqu'on a le sens de l'orientation on ne perd pas celle du monde réel.

Mon seul regret : puisque l'expo sans doute pour éviter tout risque d'effets secondaires inattendues est interdite aux moins de 13 ans, les commentaires eussent pu être plus "adultes", nous apprendre vraiment des choses sur les bibliothèques, sortir un cran au dessus du pur divertissement. Mais peut-être est-ce un effet de l'âge : j'ai tendance à trouver les expos puériles ces dernières années, favorisant l'anecdote aux dépends de l'instruction. 

Cela dit, le divertissement était parfaitement réussi. Et l'entrée dans la forêt - bibli un instant de songe parfait.

Je suis sortie de là heureuse et enfantine, la moi de douze ans aux anges comme en son temps rarement.

Ce qui manquait encore c'était de pouvoir se déplacer au sein des lieux visités (4). 
Mon idéal serait, pas de mise en scène (même si je me suis bien amusée, je l'avoue) mais qu'avec l'équipement on puisse visiter comme par une sorte de google street view intérieur en 3D. Et que les commentaires puissent être d'un niveau culturel avancé, du moins que l'on puisse choisir cette option qui sur l'histoire de ces belles bibliothèques nous en apprendraient vraiment.

En attendant, quel bon moment ! 

(Si vous voulez y aller, prévoir du temps, si possible réservez le créneau horaire à l'avance, compter 1h30 pour être en paix et dépêchez-vous ça n'est que jusqu'au 13 août). 

 

PS : Il manquait quand même celle des Ailes du Désir. 

 

(1) J'ai décidé unilatéralement qu'il s'agissait d'Écosse.

(2) Je crains qu'elle ne vienne me hanter

(3) Je commençais tout juste à me demander si j'allais pouvoir tout regarder quand mon corps s'est trouvé habitué.

(4) C'est du 360 haut bas point fixe pour l'instant