Le jour où j'avais failli avoir un bouquet


6a00d8345227dd69e201b8d0d6db70970c-450wi[TEXTE ÉCRIT IL Y A DEUX OU TROIS ANS, selon la contrainte "passé du futur" ; cette année les fleurs sont pour les enterrements ]

C'était il y a plusieurs année. Celui d'ici et moi allions au théâtre un dimanche en matinée.

François Morel.  

Si l'actualité n'avait pas été si sombre (c'était l'année où dessinateurs, journalistes, policiers, vigiles et passants du mauvais moment en France et au Dannemark se faisaient dessouder), ç'aurait été une après-midi d'allégresse, de tendresse, de beauté. 

Pour aller au métro nous passions devant un marchand de fleurs. La Saint Valentin avait la veille eu lieu. L'étalage était rempli de magnifiques bouquets qui n'avaient pas trouvé preneurs, allaient sans doute être jetés, pouvaient peut-être se trouver achetés à moindre prix - c'est triste à dire mais lorsque les fins de mois sont tendues, le romantisme doit passer sous les fourches caudines d'un pragmatisme obligé de confiner parfois à la radinerie -. Habituée à ne jamais recevoir de cadeaux de la part de celui qui m'accompagnait et ayant compris grâce à un éditeur et écrivain bruxellois qu'il ne faut pas écouter les hommes quand ils disent Je ne peux pas car lorsqu'ils désirent une femme comme par magie leurs empêchements s'en vont, et parfois même leurs convictions (1), j'avais émis avec franchise qu'un tel bouquet, pour une fois, me plairait. Nous étions alors convenus qu'on verrait si au retour il en restait. D'autant plus que oui, en fin de journée du dimanche de bouquets préparés pour la veille, sans doute que ça serait une folie raisonnable.

Le théâtre avait été formidable. On en revenait le moral regonflé. 

Il m'imposa quelques bifurcations, une question de place de parking, des fruits et légumes à acheter pour lesquels il était vrai que le matin même, le temps avait manqué. Mais malgré ces manœuvres dilatoires, le magasin de fleurs était toujours ouvert. 

Nous y étions donc allés, ce n'était pas même un détour. Le cœur un peu réchauffé j'avais attendu devant avec le sac de courses. La jeune femme qui tenait la boutique était en train de ranger. J'avais eu l'outrecuidance de songer que c'était le moment optimal pour satisfaire et la radinerie de Celui d'ici, et nos tracas budgétaires et mon besoin de réconfort, d'être pour une fois un peu prise en considération au lieu d'être l'éternelle variable d'ajustage. Celle qu'on néglige vers laquelle on revient en l'absence de l'adulée.

Je n'aime pas particulièrement les fleurs coupées mais j'imaginais le vase, le geste pour les répartir, la bonne odeur dans la cuisine. Bécassine béate.

Il était ressorti avec trois roses enfouies dans de la mousse, un cœur découpé, une fausse perle, une décoration avec des tiges censées faire un cœur. Et des mots violents face à mon dépit (2). Assorti de l'aveu qu'il trouvait ce massacre - une rose est belle avec sa tige et si possible son parfum - mignon (3).

L'argument suprême fut qu'ainsi engoncées, les fleurs allaient durer (4).

 

(1) La démonstration par A + B que l'édition numérique représentait le mal absolu, et que j'étais naïve et sans doute un peu bête de penser le contraire et voilà qu'avec la nouvelle femme les œuvres co-produites étaient numériques avec parfois une version papier, dès la première deux mois à peine après cette discussion acharnée. 
La leçon avait été dangereuse et douloureuse à encaisser mais ensuite c'était bon, j'avais enfin pigé.

(2) Un de mes défauts, et que je sais irréductible étant d'être incapable de feindre. Au mieux je sais me taire. Ça fait aussi de moi une amie sincère sur laquelle on peut compter. Et une relectrice de confiance au risque de fâcher.

(3) Il y a quelque chose à écrire sur les qualifications esthétiques par ceux qui prétendent nous aimer ou l'avoir fait : s'ils nous avaient dit ou écrit de belles choses quant à la façon dont il nous voyaient, et qu'on avait eu la faiblesse de les croire et s'en sentir valorisées, le fait qu'ils trouvent une chose hideuse de toute beauté, nous renvoie qu'en fait on est sans doute bien placées dans l'échelle de la mocheté. 

(4) Il y a quelque chose à écrire sur les arguments à portée inversée : le truc étant foiré ce que tu dis pour tenter de rattraper le coup enfonce le clou.

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La première fois que j'ai deviné le Goncourt à l'avance (élémentaire mon cher Watson)

 nb. : Ce texte a été écrit bien avant le 7 janvier 2015 (même si ça ne change a priori rien à son contenu je préfère le préciser). Je trouve amusant de le publier aujourd'hui alors que le résultat du même prix ce mardi a été une grande joie - prix qui longtemps m'était totalement indifférent ne couronnant le plus souvent que des ouvrages guerrier pour hommes ou de femmes dans la logique des hommes (préoccupée de séduire, peu d'autre chose), du moins c'est l'impression que j'en avais -.

 

 Cette année-là je connaissais deux des quatre finalistes du Goncourt - ce qui n'a rien d'exceptionnel lorsqu'on est libraire à Paris, on rencontre les gens ne serait-ce qu'au café du coin - et l'un d'eux était un homme que j'appréciais et même si on c'était rencontrés "en pour de vrai" sur le tard par rapport à ses polars, dont je me sentais proche.

On avait plaisanté sur le fait que je lui souhaitais plutôt le Goncourt des Lycéens que le Goncourt des vieux.

Le week-end avant l'attribution de ce dernier prix, j'étais en Normandie, peu connectée, même si pour la première fois Orange daignait me faire les honneurs de son hotspot (moyennant le partage consenti de notre livebox). J'avais donc un peu de retard dans mes réponses aux messages.

Une émission sur France Cul le lundi matin même me fit prendre conscience que le prix allait être décerné le midi même (et non le jeudi, comme je croyais, j'ignore pourquoi). Du coup j'ai répondu (brièvement) à une conversation tranquille (1) que j'avais laissée pendante avec l'auteur de ce livre que j'avais beaucoup aimé. Il m'a répondu vite, dans notre ton (2). D'où que je m'étais dit Ah tiens, il n'est pas en train de travailler.

C'était déjà l'époque où les messageries se montraient déjà bavardes et précises : "envoyé de mon mobile" précisait le fond de celui-là. 

Te voilà donc en route, mon gars, ai-je alors songé, amusée. Comme c'était le prix qu'il souhaitait, j'ai été contente pour lui. Pas un instant je n'ai songé qu'il me répondait sur le chemin de son habituel boulanger.

Mais j'ai ensuite espéré que les lycéens ne se laisseraient pas dissuader. Et puis j'ai eu une pensée pour sa femme, que j'avais croisée dans une librairie amie et qui n'avait rien de l'éternelle blonde décorative dont tant d'hommes en devenir (ou sur le retour) aiment à se faire escorter ; celle-ci était discrète, élégante sans étiquetage ni affèterie et intelligente : il est aussi difficile d'être le conjoint de qui a du succès que de qui cumule les échecs. Bien sûr les fins de mois s'arrangent, du moins tant que le couple tient, mais ça n'est pas simple. Du tout.

Je tenais alors pour ma part un chagrin amoureux bien profond et méchant, pour un auteur qui m'ayant rejetée en tant que femme, se privait du même coup de ce petit côté "Bonne Mascotte" (3) que j'avais. Alors ce bref échange, tout diplomatique que ce prix-là fût, m'avait réconfortée. Une façon enfantine et irrationnelle (j'en conviens) de me dire que l'autre grand dadais en me quittant non seulement s'était privé d'un secours appréciable mais ne m'avait pas même si j'étais à terre coupée de cette petite grâce de passionnée qui m'était donnée depuis plusieurs années de disposer d'une forme de vista.

Et puis la gentillesse pour le coup de cet homme qui se sachant déjà lauréat avait pris la peine de me répondre alors qu'il n'avait strictement rien à y gagner : je n'étais qu'une lectrice lambda, et libraire au chômage, m'avait marquée. Il y a comme ça un bel avantage à galérer de longues années avant de parvenir à s'en sortir (provisoirement) (un peu) : elles permettent de faire le tri entre les personnes désintéressées et les autres. Ceux qui ont été adorables, attentifs ou respectueux avec moi alors que je n'étais qu'employée d'une grosse banque ou femme plutôt délaissée, pas jolie, pas jeune, mal attifée, c'est forcément qu'ils disposaient naturellement d'une belle dose de générosité. Je me serais moi-même peut-être envoyée promener (qui sait ?).

On ne peut quand même pas faire que désespérer de l'humanité.

J'étais restée jusqu'au soir sans pleurer (ou du moins sans pleurer de chagrin car j'avais en cours de route une lecture qui m'émouvait).

 

(1) Je veux dire qui ne concernait pas que les questions de prix, ou avec une légère distance.

(2) Sans rien divulguer

(3) L'appellation est de Serge Scotto, adorablement un tantinet moqueur, il n'empêche que ...

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Un soir bizarre

jadis, qu'il m'en souvienne soudain, effet retour d'anciens chagrins ?

 

J'avais trop travaillé, mes amis un peu perdus, selon cette loi si dure qui fait que si l'on s'écarte par surmenage, cette détresse perverse et masquée, personne ne vient vous rechercher pour vous empêcher de sombrer.

On vous croit fort puisqu'accaparé.

Et je découvrais d'un coup tout le nouveau qu'il y avait, dont pourtant j'avais eu des bribes, mais rien encore de concret.

Il y avait ceux qui s'étaient séparés alors qu'à les voir encore par instants côte à côté il était évident qu'encore ils s'aimaient.

Celui qui allait mal et qu'on a déridé mais qui devait rentrer.

Celui dont je savais certaines arrières-pensées et la femme séduite et qui les ignorait (1).

Celui qui exhibait enfin une conquête, mais dont l'insignifiance était si parfaite qu'on se demandait bien quelle mouche l'avait piqué. 

Une ancienne qui savait.

La cohorte nombreuse des surmenés qui ne savaient plus prendre le temps de se voir et partager et passaient ce soir-là pour le constater.

La soirée avait été bonne. Il n'empêche qu'en rentrant, toujours seule, pour changer, presque soulagée de l'être au fond, mieux valait ça que mal appariée, j'ai eu très fort envie de pleurer. Ce monde de bord de guerre ne permettait plus d'aimer.

 

(1) Ça aurait pu être moi avec l'homme de mes rêves si j'étais fortunée.