Nos vies après


    Alors aujourd'hui il faut aller au travail et c'est vraiment très bien, mais voilà nous laissons du coup le radio-réveil à 6h30 comme en semaine, et sur France Culture c'est ceci : 

Le 13 novembre, ma vie après

J'ai enfin pu pleurer moi, qui ai eu beaucoup de chance concernée jusqu'à présent seulement par ricochet, mais dont la vie par les événements du 7 janvier puis par les vagues d'attentat successives s'est trouvée modifiée ne serait-ce que de façon très concrète : mon nouveau travail, je n'y serais pas, probablement restée au précédent en m'efforçant vaille que vaille de tenir le coup malgré ses côtés insatisfaisants, mais je serais peut-être aussi à un autre nouveau travail puisqu'en novembre c'est ce qui était envisagé avant qu'une personne pour laquelle j'aurais dû bosser ne soit douloureusement concernée, ce qui a chamboulé tous ses projets (et du coup les miens). Je n'aurais pas su que la belle librairie où je suis désormais existait. Comme c'est étrange.
Reste le sentiment de solitude. On se sent moins seul-e-s de savoir qu'on n'est pas seul-e à se sentir seul-e.
"Tu ne peux plus lâcher prise, tu es dans la veille constante".
"Je me sens essoufflée"

Je voudrais remercier ceux qui ont fait cette émission et les témoins qui ont accepté d'y participer. Ça aide, ça aide.


Souvenir d'un soir d'automne

 

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Toujours occupée par les sauvegardes et ménages de photos récupérées en surabondance. 12000 images pour juillet 2015, 6000 pour août, dont la moitié voire les deux tiers sont des variantes techniques générées par les logiciels lors de simples manipulations d'étiquetages et de regroupements, seulement tout a été restauré en bloc.

L'effet fuite impressionnante du temps est largement compensée par les retrouvailles avec les souvenirs de bons moments que sans avoir nécessairement oubliés je n'avais plus à l'esprit. Il est intéressant de constater combien l'année 2015 dont je conserve un souvenir de violences et de chagrins et de difficultés financières et professionnelles, bref, une année dure, comporte un nombre conséquent de temps formidables, de rencontres, d'émotions, de lectures, de bonheurs. L'ultraviolence générale et le poids des éléments pénibles les ont mazoutés. Les photos me les restituent.

Parfois, je me surprends à espérer que pour le reste comme c'est en train professionnellement de se réaliser, tout n'est pour moi pas terminé.

(mais, quand bien même une chance se présenterait, suis-je encore capable d'accorder ma confiance après tout ce que j'ai traversé ?)

 

 

[vendredi 18 septembre 2015, fin de journée]


Bribes en vrac d'une belle soirée

 

    Les survivants se rassemblent et ceux qui ont survécu à ceux qui n'ont pas survécu. 
Nous avions tant d'estime et d'affection pour notre ami commun. 

Beaucoup ont réagi par le travail. 

Il a fallu, je crois, prendre ses distances. 

Il y a : ceux qui dorment trop, ceux qui ne dorment plus.

Le corps physique a ses limites. 
Les esprits, c'est fort, ne sont pas défaits.

Tu comprends que la jeunesse actuelle n'a rien d'un passé militant (conversation).

Les forces de l'ordre, certains, ne se cache même plus pour jouer les casseurs puis mettre un brassard. Ce qui permet de dire, il y avait des casseurs et nous avons chargé. Nous les avons dispersés (conversation)

Tu entrevoies un ami qui envisage le football. Les Émirats Arabes Unis ont disqualifié le Qatar par mercenaires interposés. Mais les supporters font semblant de croire qu'il s'agit encore d'une équipe de leur ville avec des joueurs qui n'iraient pas ailleurs pour davantage d'argent. Ils font aussi semblant de croire que l'issue de leurs paris compte moins que le sport, le score, l'honneur. 
De nos jours un supporter, ça fait beaucoup semblant.
Un grand rugissement. Ils ont marqué, avance un ami, tout en démontant la tente. Pas certaine qu'il ne s'agissait pas de déception, dis-tu.  

Il ne fait pas froid.
Tu ne peux pas dire : je ne souffre plus du froid depuis que votre père est mort. C'est pourtant la stricte, surprenante et dérangeante vérité.

Tu voudrais offrir son livre à ton grand vieil ami, ton presque frère. Mais tu n'as pas d'argent et l'ami pour te voir n'a plus du tout de temps. (double un peu triste constatation)

Nous avons les mêmes valeurs, presque les mêmes opinions mais nos sensibilités diffèrent sur Eddy Bellegueule et Merci Patron ! (conversation)

La police fait des rondes, tant et si bien que tu finis par te dire qu'effectivement il pourrait y avoir un danger. Mais ça t'es égal. Ils méritent qu'on le coure.

Tu as honte de te remettre lentement quand les vrais concernés font face vaillamment. Pleurer d'avoir en sus reperdu un amour perdu te semble d'une faiblesse ridicule. Notamment face aux filles sans [plus de] pères, qui sont là et sourient. Faire face à l'adversité.

Tu sais le score du foot dès la fin du foot, tu sais qu'il vaut mieux éviter de rentrer en vélib, pas de place près de chez toi où les raccrocher, les stations sont saturées (vie moderne).

Nous démontons la tente, sous la direction de M., notre grand spécialiste.

Ta grande amie est venue qui pour sa dédicace ne donne que son prénom. Je ne commets pas l'erreur d'expliquer à la jeune femme qui elle est. Mais, allez, avoue, ça t'a effleurée.

Tu remercies une femme remarquable pour son travail fait à la librairie où tu as appris le métier. C'était il y a quatre ou cinq ans. Elle réfléchit, puis se souvient. Avec un sourire triste. C'était ça ma vie d'avant. Les libraires, les réfugiés.

Elle raconte un cadavre de vélo à cause d'un chauffard colérique. (conversation)

Tu noies tes chagrins, celui du deuil en particulier, dans les verres de gingembre.

Un camarade âgé veut tout bouger. Et à plusieurs reprises. D'où lui vient cette bouffée d'énergie ?

Quelqu'un avait écrit dans la première version de transcription d'une interview que la femme qui le racontait avait eu pendant dix ans une relation avec un homme marié. Non seulement c'était faux mais elle se demande encore ce qu'elle a bien pu dire qui fut noté ainsi. Elle a pu [faire] corriger, du coup c'est resté drôle.

Tu rentres à pied munie d'un (petit) cadeau (alimentaire).

Je prends des billets de train pour le 1er mai. 

Paradoxe de la belle soirée dont on aurait aimé qu'elle n'eût jamais lieu.

[À présent] Il faut dormir.  Demain, mon ordi sera réparé. 
Que deviennent les humains ?

 


Deux ans de sur-place, un peu (si au moins il n'y avait eu que ça)

 

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En cherchant autre chose je suis tombée sur une appli qui rappelle d'anciens fichiers du même jour mais d'autres années. Je ne sais pas trop comment j'ai fait, mais alors que je ne le souhaitais pas plus que ça, j'ai dû activer une fonction de rappel et voilà qu'on me ressert celle-ci de mes photos horodatée précisément du 15 mars 2014 15:36 et que je viens (j'avais en partie oublié) de prendre sa presque jumelle (4 mars 2016 16:52).  20160304_165147

 

Il y a infiniment pire que de se retrouver deux ans après dans le même lit à baldaquin, à l'occasion d'un week-end de ciné-club. Il n'empêche qu'en ce qui concerne le travail j'ai l'impression d'avoir beaucoup donné pour un résultat décevant. J'ai rencontré quelques personnes, certains anciens collègues (essentiellement ceux qui ne se sont pas non plus attardés) sont devenus des amis, l'expérience de dépaysement fut rude mais formatrice. 
Financièrement, j'ai sauvé les meubles en bossant à gros rythme ces deux années - mais sans être pour autant mieux rétribuée -, puis en choisissant de quitter à ma liberté (1) j'ai replongé.

Je suis à nouveau en position d'espérer prochainement stabiliser à nouveau le déficit (et rembourser ma dette de dèche). À nouveau dans l'optique de retrouver un rythme de vie permettant de concilier l'écriture et bien bosser comme libraire. 

Les chantiers d'écriture ont l'un après l'autre été mis en jachère par des événements extérieurs qui combinés au travail qui passe toujours en premier, ont englouti le temps et l'énergie. Il y a eu un deuil, d'un genre qui m'avait jusqu'alors été épargné, et dont il est long de se remettre vraiment. Je crois que ça ne sera le cas que lorsque j'aurais écrit, pas l'écriture d'urgence et de survie mais quelque chose de plus posé, que les mots précis parviennent à délimiter la peine et qu'enfin elle cicatrise.

Avec un projet supplémentaire (sportif) un peu fou mais auquel je tiens de plus en plus. Et qui sera parfaitement compatible avec mon nouvel emploi ... si je m'y rends en vélo. 

Bref, au monopoly de la vie j'ai fait pour cette récente partie de deux années écoulées une sorte de "retournez à la case départ, ne touchez pas 20000, passez par le lit à baldaquin".
Et tout ira (enfin) bien ?

(Quand même assez fière qu'on ait tous les quatre de ma petite famille survécu à ces deux années dangereuses, il nous restera ça, dirait le Grand Fabien)

 

(1) Et quand même bien aidé par la poste qui oublie pendant quinze jours de présenter un recommandé - et répond tranquillou à un mot de protestation qu'un recommandé ne présente aucune garantie contractuelle de délais - et par les attentats de novembre qui m'ont laissée trop accablée pour surveiller les finances familiales. Qui m'ont aussi indirectement fait manquer une opportunité professionnelle prometteuse - parfois j'ai un tantinet la sensation de faire concurrence à Hélène Bessette ... mais pas dans le domaine qu'il faudrait -.

 

 

 


Prendre dix ans d'un coup

 

    13519434844452_fÀ mesure que je sauvegarde mon fotolog et que je tombe de loin en loin sur quelque autoportrait - généralement lorsqu'il y a une raison marrante de le faire, le cadre ou mes cheveux ou une température exceptionnelle [cette photo par exemple date de mars 2012, il a fait un temps d'été un beau dimanche de ce printemps-là (pourri par la suite) et j'étais la seule personne que j'avais sous la main pour en témoigner], je me rends compte d'à quel point après le 7 janvier 2015 mon visage sinon mon corps a vieilli d'un coup. J'ai pris dix ans, la pesanteur s'est fait connaître - jusqu'à présent elle s'était désintéressée de ma personne -, mes cheveux ont pris une accélération de blanc, les yeux et les paupière ont pris du tombant. J'ai pris trois plis en bas de la joue, au coin de la bouche, d'un seul côté.

Or : 

1/ Des coups durs j'en avais eu de sévères avant et j'en aurai encore.

2/ Je n'étais pas parmi les personnes les plus touchées : pas sur les lieux des différents assassinats, pas une très proche d'aucune des victimes, simple amie. 

3/ D'origine italienne, habitante de Paris, visiteuse du Burkina Faso treize jours après l'un des coups d'état, je sais vivre avec l'idée d'un danger terroriste ou (inclusif) armé permanent.

Alors je m'interroge. Au delà du chagrin, qu'est-ce qui ce jour-là a été si fort atteint pour que mon apparence et mes perceptions changent (1) ? Est-ce parce que les types qui ont assassiné les autres avaient perdu leur humanité ? Parce qu'un ami paisible a été avec d'autres exécuté comme s'il évoluait dans un milieu mafieux ? Est-ce parce que je pressens du bien pire à venir (2) ?

Mon apparence ne me dérange pas plus que ça, j'ai pu mener à bien une recherche d'emploi sans mentir ni tricher en quoi que ce soit - pas de maquillage, pas de teinture, aucun artifice et c'était totalement volontaire, en rien une négligence -, mais les raisons de la brutalité de la variation restent comme un mystère qu'il me faudrait résoudre. Faudrait pour avoir une chance de survivre (à la suite),(par exemple). Et parce que je me demande parfois si je suis la même ou à un point important pas.

 

 

(1) dont celle du froid 
(2) Je veux dire pire qu'en janvier et en novembre 2015.


En congé du réel (interview de Nicolas Grimaldi)


   Cet article vient de me sauter aux yeux. Il s'agit pour Libé (qui a été fondé en 1973 pas en 1981 contrairement à ce que ce "corrigé" croit savoir) d'une interview de Nicolas Grimaldi (1) :

Les terroristes agissent comme dans un rêve en prenant congé du réel

Il m'est arrivé une fois de prendre congé du réel sous l'effet d'un choc émotionnel violent et une deuxième fois, au lendemain du 7 janvier et pour partie à cause des événements de ce jour-là, j'ai frôlé la récidive. Je peux attester qu'il s'agit d'un étrange état et qu'effectivement on peut ne plus être vraiment ici bas tout en prenant en compte l'environnement et les choses concrètes, qu'il est possible (je crois) de donner une apparence extérieure de quasi normalité, et de tenir une conversation.

Je n'étais programmée pour rien du tout, il se trouve simplement que dans les deux cas j'étais confrontée à des situations ou des propos tenus en face à face qui dépassaient l'entendement, lequel a buggué en se plaçant dans la position "normale" qui y ressemblait le plus : être en train de faire un (très mauvais) rêve. Et donc croire mais sans plus aucun lien, plus aucune ancre plantée dans aucun fond stable, qu'on n'est plus en "pour de vrai". Il se trouve que je ne suis pas d'un naturel violent, où qu'elle ne se déclenche chez moi que sous forme de contre-attaque et que je n'étais pas en train de conduire ou de piloter quoi que ce soit. Je n'ai donc tué ni menacé personne, à part éventuellement moi en cherchant à sortir du cauchemar.

Il n'empêche que je trouve de fait l'hypothèse de ce philosophe très plausible. Certains recruteurs-manipulateurs sont sans doute très forts. Et des drogues doivent probablement contribuer à l'état "décollé". Si je n'avais pas traversé moi-même certaines difficultés, j'aurais pensé de toute ma rationalité coutumière qu'il exagérait. 

Si ça tombe les mecs croient être dans un jeu video (2), oh trop cool, le décor c'est comme dans à Paris.

Et peut-être que celui qu'à l'heure actuelle on recherche encore a tout simplement "décroché" sur le moment, repris connaissance avec le réel et s'est carapaté, atterré. Dans mon cas très léger, et non programmé, le retour au réel s'est fait grâce à quelqu'un qui s'est adressé à moi, l'air gentiment inquiet.

 

 

(1) par Anastasia Vécrin et Robert Maggiori
(2) Attention : ne surtout pas interpréter cette phrase comme : Les jeux vidéos rendent violents. Mais simplement parmi ce qu'ils ont déjà éprouvé dans leur vie d'avant et d'en vrai, c'est la situation qui doit le plus ressembler.
Pour moi la situation qui ressemblait le plus c'était un pur cauchemar - retrouver quelqu'un qu'on aime beaucoup, courir vers cette personne, avec joie, et l'autre sort une arme et vous flingue à bout portant - (c'est dans ce cas une métaphore, mais l'impression fut celle-là), la personne en laquelle on avait toute confiance -, l'un des pires possibles. 


BDJ - Comment les chaussettes orphelines nous ont sauvé d'une calamité domestique aggravée

(et comment leur mystère fut partiellement résolu)

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Depuis longtemps, et ça a déjà dû faire l'objet de plusieurs billets sur ce blog, je m'interroge sur l'étrange phénomène des chaussettes orphelines : on dépose une paire de chaussettes dans la corbeille de linge sale, je m'efforce autant que possible de les glisser dans la même fournée de lessive, n'y parviens pas toujours ou je ne sais pas mais bref : il en réapparait une seule, plus tard dans le linge propre et sec. 

J'en étais même venue à soupçonner la machine à laver de les manger, avec cette malice qui permettait d'en avaler une seule sur deux. 

Ce mystère aujourd'hui s'est trouvé pour partie résolu, à la suite d'une mésaventure domestique qui aurait pu mal tourner.

Le jeudi j'ai piscine. Un entraînement tôt le matin. Malgré la pluie battante à l'heure où j'en sortais, et que le groupe de nageurs est vraiment sympa, d'où une tendance à rester se parler un peu après, j'ai choisi l'option rentrer vite fait. Je ne savais pas trop pourquoi.

J'ai vite su. En allant mettre dans la salle de bain mes affaires à sécher ou tremper dans de l'eau non chlorée, j'y ai découvert une flaque conséquente. Entre mon départ et ce retour, une heure trente s'était passée, deux personnes s'étaient douchées, parfois lorsque l'on douche on trempe un peu alentour, mais là c'était quand même beaucoup, et dans le coin opposé à la baignoire. Bizarre. J'ai commencé à éponger, mais ça semblait ne pas diminuer. J'ai alors cru en passant la main sous un tuyau peu accessible tout à fait dans le coin que la jonction entre l'évacuation du lavabo et la colonne descendante était en train de s'effriter et que par là ça coulait. J'ai coupé l'eau, mais ça coulait toujours et de plus en plus fort. Alors j'ai appelé une entreprise de plomberie et demandé qu'elle intervienne vite : nous avons déjà un long contentieux avec le voisin du dessous qui nous soupçonne depuis l'affaire de la fuite d'eau invisible de ne rien faire quand un problème survient, ça n'est vraiment pas le moment d'agir en mode bouchons et écopons en attendant qu'un proche se charge de la réparation. Et puis de toutes façons l'urgence était claire et nette.

Le plombier vint qui bossa fort bien et n'eut pas de mal à trouver l'origine de la fuite : un des tuyaux était tout bonnement troué (1) et le temps qu'il arrive, l'eau coulait à jet, un vrai Manneken Pis. En moins incarné. Pendant ce temps j'épongeais, toutes les wassingues de la maison y passaient, j'avais coupé l'eau mais (le temps que l'eau préalable s'épuise) ça continuait. Je pense être intervenue de façon suffisamment rapide et énergique et le plombier a été d'une si grande efficacité que l'eau n'a pas eu le temps d'infester le voisinage.

Entre temps, et afin que l'homme de l'art puisse travailler j'avais vidé la pièce de tout encombrement inutile, du panier de linge sale et d'un meuble façon colonne avec une glace sur la porte qui voisine ledit panier dans la configuration normale. Je me suis alors aperçue qu'entre la dernière étagère intérieure et le bas du meuble il y avait tout un espace creux. Et que passant par l'arrière qui ne pouvait être plaqué contre le mur pour cause de présence de tuyaux d'évacuation, toutes sortes d'objets s'étaient au fils des ans installés là en toute tranquillité. Dont le poisson thermomètre de la baignoire des enfants bébés et ... une douzaine de chaussettes. 

Une partie du mystère des chaussettes orphelines venait de se désintégrer.

Ces chaussettes étaient gorgées d'eau : entre le bref intervalle entre le départ du père et du fils qui au travail et qui en cours et mon retour de l'entraînement, elles avaient vaillamment épongé. Grâce à leur intervention, les dégâts étaient restés raisonnable, une flaque sur du carrelage, l'eau n'avait pas coulé jusqu'à d'autres pièces. 

Le bonheur du jour fut donc d'avoir été sauvée de plus sérieux ennuis par leur présence efficace.

À quelque chose malheur est bon : tout occupée à résoudre le problème, assister le plombier, puis en profiter pour tout nettoyer à fond et ranger, je n'ai pas eu loisir avant 13h30 de laisser s'infiltrer les insidieuses pensées de type "Bon sang, un an", qui bien sûr se sont fait un plaisir de s'inviter après, y compris dans un très beau rêve que j'ai fait lorsqu'en cours d'après-midi je suis tombée de fatigue - écoper épuise -, dans lequel l'ami disparu était chaleureusement présent. Et encore si vivant (2).

 

(1) Ce qui est très étrange d'autant plus qu'il était dans un endroit ou a priori rien ne peut faire choc. Mystère.
(2) Mais dans le rêve lui-même je restais consciente d'être en train de rêver d'où un réveil heureux - chic alors un rabiot de présence on aurait cru en vrai - et non désespérant - quelle horreur, je l'ai cru revenu et je rêvais seulement -. 

[photo l'état du tuyau après nettoyage de la zone blessée et avant intervention]

 

 PS : Les autres bonheurs du jour furent un Laphroaig 17 ans embouteillage du Clan, un délice des dieux, et un Bunnahabhain 22 ans titrant à 45,1 % et si parfaitement équilibré - la tourbe, oui, mais avec subtilité - que j'en eusse volontiers acheté une bouteille si les finances familiales l'avaient permis. Et l'excellente compagnie avec laquelle ce plaisir réconfortant fut dégusté. Islay, l'Italie et Bruxelles me manquent (mais j'ai parfaitement conscience de vivre au quotidien dans des lieux qui sont un but en soit, quand ils ne sont pas une cible, et donc de n'être pas à plaindre, vraiment pas)

billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour.
On en pleure encore chez l'amie Kozlika qui a lancé le mouvement et le lien vers tous les bonheurs (pour s'inscrire c'est par ici- grand merci à Tomek qui s'est chargé du boulot -)

billet également publié sur Bella Cosa 


Les petits mystères du carré militaire


20151214_155725Depuis vingt-quatre ans j'habite à environ cent mètres d'un petit cimetière et j'ai dû y aller seulement trois fois dont une aujourd'hui. 

Pourtant les cimetières sont des lieux de promenades que je ne déteste pas : on y est en paix et laissé en paix (sauf peut-être dans ceux qui sont également des lieux touristiques), ce sont parmi les rares lieux restants dans Paris où personne ne vous sollicite (1). Et puis ça me donne envie d'écrire, au moins dans ma tête, toutes ces vies finies. Dans un cimetière je me sens rarement seule. J'écoute ce qu'on me dit.

Seulement voilà ce cimetière là fut jusqu'à l'été 2013, de l'autre côté du pâté de maisons. Il fallait donc faire un tour assez conséquent pour accéder à ces lieux qui étaient pourtant si proches. Depuis l'ouverture du jardin public au cœur de l'îlot en face de chez nous, il suffit au contraire aux bonnes heures d'aller tranquille, tout droit. Le seul écueil sont que les bonnes heures finissent tôt, que généralement quand je quitte l'appartement c'est pour me rendre à un endroit et avec un horaire précis, et que je reviens bien souvent trop en fin de journée pour pouvoir entrer là.

Aujourd'hui fut une exception, je suis passée devant lors d'une heure d'ouverture, alors j'ai enfin pris le temps d'une visite de courtoisie.

À cette occasion j'ai découvert qu'il contenait un carré militaire. Normande pour partie, je connaissais depuis longtemps les grands cimetières militaires du débarquement. J'en avais déduit que les cimetières militaires correspondaient aux lieux de batailles ou de casernements. C'était faux. J'ai songé ensuite à des morts soignés en vain de blessures de guerre ou de maladies de campagne militaire à un hôpital de la ville. Apparemment l'hôpital Gouin, assez proche, en fut un. Il n'empêche que ce carré comporte des morts de différentes périodes, des morts en différents, lieux. Parfois même plusieurs défunts d'une même famille.

Les tombes sont semblables, seules une plaque, une fausse fleur, plus rarement un médaillon, les différencient et leur nombre avait dû être déterminé à l'avance puisqu'elles sont toutes garnies, si l'on peut dire. Je me demande bien comment on a fait pour trouver exactement le nombre de morts prévus et quels furent les critères d'admission. Ce sont les petits mystères du carré militaire.

Un peu en avant de cet emplacement se trouve un monument particulier à des martyrs de l'occupation, huit hommes alors jeunes, pour la plupart "fusillés par les allemands", mais l'un d'eux a été "guillotiné sur ordre du Maréchal Pétain". En rentrant j'ai tenté de comprendre : son crime avait été d'être communiste et d'avoir été jugé lors d'une période où la gestapo réclamait la vie d'otages en représailles à la mort d'un officier dans un attentat. Cet homme, André Bréchet, avait donc été guillotiné - pas même l'honneur d'une fusillade - du simple fait d'avoir été militant. En lisant son histoire, la condamnation à quinze mois de prison et puis soudain, finalement non, la mort, je n'ai pu m'empêcher de songer à ses proches, une femme peut-être, des enfants qui sait, ou de vieux parents, auxquels il avait peut-être eu le temps d'écrire quelque chose comme, Patience, quinze mois ça n'est pas si long, je reviendrai et qui ont dû encaisser la pire nouvelle peu de temps après. Finalement non, ça sera la mort, et non pas comme un soldat mais comme un assassin. 

Je n'ai décidément pas perdu ma journée.

Quelque chose en moi s'est enclenché le 7 janvier qui peu à peu se prépare aux combats à venir, sait leur issue fatale, et que chaque étape collective désespérante conforte. Écrire devient d'autant plus urgent.

 

(1) Encore que, avec ma tête à chemins, je suis aussi la personne à qui l'on demande où est la tombe de [personne célèbre] où la sortie la plus proche du métro.


À l'ami disparu


    Marrant comme tu es là, mentalement toujours là, je t'ai vu au concert, silhouette contre le mur juste avant que Patti ne chante ce morceau de révérence à ses chers disparus, tu étais là ce soir, bien sûr, à table avec nous, même si nous n'avons pas parlé de ni avec toi, ce n'étais pas la peine, nous le savions tous trois qu'on était quatre avec toi ; même si tu ne manges pas. Ni ne bois.

Tu es de toutes les soirées à la petite librairie, tu es dans les mots échangés, dans les absences de certains qui hésitent à venir pour ne pas être confrontés à la présence de ton absence ; et moi je t'y vois, je peux même dire que j'entends ta voix, ce que tu dirais si. Et je sais avec certitude que c'est exactement ça.

Tu m'as mis plus d'une fois la main sur l'épaule lorsqu'à la librairie que je m'apprête à quitter, épuisée, des clients ou des livres se montraient sans respects à votre sujet. Par exemple : ceux qui spéculaient.

Comment dire ?

Tu es là et je ne suis pas pressée que tu n'y sois pas, même si ne plus songer à ce jour tragique serait un progrès. 

Ils ont voulu ta mort. Mais je ne t'oublierai pas.


Citizen four (avoir vu) : avant / après


    Est-ce parce qu'à l'approche de nouvelles difficultés, pour une fois prévisibles, dans ma vie, et bientôt libérée d'une contrainte siphonante de temps et d'énergie, je commence à refaire surface ou est-ce la qualité des personnes et travaux que l'existence me permet de croiser, est-ce d'avoir retrouvé le cinéma grâce au Nouveau Méliès - dimension de ma vie qui avait presque disparue, bien malgré moi - j'aurais rarement été comme en ce début d'automne marquée par des livres, des rencontres, des films.

Quand je dis marquée, je veux exprimer qu'ils restent, qu'il ne s'agit pas d'un plaisir passager ou d'un effort vers une œuvre ardue mais qui permet d'apprendre, hélas parfois sans trop de suite.

Je sais que je ne suis plus exactement la même personne d'avoir vu hier Citizen four. Ou plutôt que je me suis à nouveau rapprochée de celle que j'étais il y a dix ans, quand j'ai tout mis de côté ou presque pour aider. J'ai retrouvé en Snowden ce truc qu'on a parfois qui nous pousse à agir dans un sens alors qu'on risque très gros et que rester sagement dans son coin serait tellement plus raisonnable. Bien sûr son cas est un milliard de fois plus fort que mes petits risques à moi : sa vie même est en jeu et il craint pour ses proches. La plupart de nos enjeux ne mettent en danger que nos vies quotidiennes : la famille, les amours, le lieu d'habitation, l'emploi, mais l'existence même n'est pas menacée. 

Mais il y a ce mécanisme là qui est à l'œuvre dans les deux cas : celui du Je n'ai pas le droit de laisser faire ça ou du, plus ténu : Je dois cesser de contribuer à ça (1).

Tout en sachant qu'en réagissant, on va prendre cher. Perdre tout ou le peu qu'on a.
Ce film me prépare au combat (mais lequel ?).

 

(1) Par exemple lorsqu'on participe d'une entreprise dont l'une des activités heurte nos convictions.

PS : Très intéressante bio de Laura Poitras (la réalisatrice du film) sur IMDB (merci Pablo !)