Les conséquences persistantes

 

    Ça fera trois ans en janvier l'attentat contre Charlie Hebdo, cette journée entière passée entre espoir et attente d'une mauvaise nouvelle, et de toutes façons déjà fracassée par ce qui s'était passé quand bien même l'ami, le camarade, lui s'en sortirait. La journée de boulot accomplie malgré tout (comment ai-je tenu ?), l'errance le soir à Répu, croiser les gens qui grelottaient, se rendre compte alors que moi si sensible au froid j'étais anesthésiée, après la mauvaise nouvelle, finir la soirée chez l'amie commune, bien plus que moi touchée. 
Ça faisait du bien de parler.

Le retour à Vélib en criant mon chagrin.
J'ignorais qu'un coup sordide m'attendrait le lendemain. Et que Simone me sauverait du vacillement compréhensible face à une réalité qui dépassait l'entendement. 

Les soirées passées avec les amis, notre seule façon de tenir. Mais combien ce fut efficace.
La grande manif du 11, qui nous donna la force, après de continuer.

Et pour moi : l'absence de ressenti intérieur du froid, et qu'elle perdure. J'en avais tant souffert, du froid perçu jusqu'aux tréfonds des os, c'était comme un cadeau. 
L'absence aussi de "frisson dans le dos". D'où que Poutine ne me faisait plus peur, alors qu'une simple photo de cet homme déclenchait jadis chez moi une réaction épidermique - de proie potentielle sur le qui-vive devant un prédateur -.

D'où que je ne percevais plus ni les regards sur moi, ni les présences derrière moi.

Quelque chose est resté débranché depuis tout ce temps-là. Je m'efforce de me préparer à une éventuelle réversibilité, mais j'en suis de moins en moins persuadée.

Ça change encore mon quotidien.

Je dois veiller intellectuellement à ne pas me mettre dans un froid persistant, car si je perçois moins le froid, mon corps en est traversé, l'absence d'alerte ne signifie pas l'absence de symptômes. Je m'enrhume davantage (1).  

J'ai dû m'habituer à cette sensation si nouvelle pour moi : avoir chaud. D'accord j'avais chaud par temps de canicule ou après le sport au sauna, mais c'était pour moi si rare, je savourais. J'apprécie encore, à ce titre l'été dernier m'a terriblement frustrée, à peine quelques jours à frétiller pleine de l'énergie reçue. Pour le reste grisaille et être habillée comme en demi-saison.
Ce matin encore en arrivant à la BNF, quelques secondes pour comprendre : ah oui, j'ai chaud là. C'est chauffé [chez nous toujours pas, seulement à partir du 15 octobre je crois]. Et je me souviens alors qu'en ces lieux la température est maintenue constante, j'y portais l'été des pulls légers et à partir d'octobre des pulls épais ou des gilets, tout en me disant C'est sympa les lieux publics mais ça n'est pas très chauffé et la clim l'été quelle plaie ! On a froid. En vrai : c'est tempéré, stable, et plutôt bien réglé. 

Ce matin aussi : ne pas avoir sentir sur l'escalator que quelqu'un me talonnait - du coup avoir failli, de surprise quand je l'ai constaté, foncer dans la personne immobile sur l'escalier qui me précédait (2) -. Avoir laissé se rabattre une porte au nez de quelqu'un d'autre : comme j'étais un peu pressée j'avais omis le coup d'œil de vérification avant de la tenir ou non. Je me souviens très bien d'un temps où je n'avais pas besoin de regarder, je percevais si quelqu'un me suivait. 
Combien de fois sur les trottoirs des trottinettes me frôlent, leur pilote persuadés que je les ai sentis venir et fais ma mauvaise tête mais vais m'écarter. Si l'engin est silencieux et leur coup de propulsion, je ne me rends pas du tout compte de leur présence. 
Et quand je suis perdue dans mes pensées ou que le #jukeboxfou de dedans ma tête me passe une musique assez fort, je n'entends même pas ce qui serait audible. Du coup dans la foule, je bouscule ou me fais bousculer, j'ignore des présences, j'écrase parfois des pieds.

Étrange héritage qui me met à la fois à l'abri enfin, et aussi en (léger) danger.

 

(1) Même processus avec l'ivresse : l'absence de signes doit être compensée par une vigilance accrue - ne pas dépasser certaines quantités -.  
(2) C'est l'ennui de ces longs escalators mono-voie. Si quelqu'un s'arrête tout le monde est bloqué.


Bilan de l'an (2016 / 2017)


P6242099_2Pour moi les années depuis l'enfance n'ont jamais cessé de fonctionner selon le découpage des années scolaires. Tant il est vrai que fréquemment et aussi pour le métier que j'ai adopté (ou qui m'a adoptée, devrais-je dire), les rentrées sont dites de "septembre" (1), les choses fonctionnent ainsi. Janvier n'est pas le début d'une nouvelle phase mais le deuxième trimestre d'une "saison" du théâtre de la vie.

 

2011/2012 commencée encore un peu triste d'un chagrin de l'hiver d'avant avait eue une fin merveilleuse. Et 2012/2013 avait été une des plus belles années de ma vie sauf sur la fin où le cumul d'une rupture subie avec la perte d'un emploi avaient été rudes. Au bout du compte le vrai mois de vacances (dont j'ignorais qu'elles allaient être mes dernières d'avant longtemps) lié à la fin de mon travail me permit sans doute de ne pas sombrer. J'ai fait du sport. J'ai dormi autant qu'il le fallait. Lu, aussi. Et puis j'étais dans ma Normandie qui en ce temps là était encore un havre de paix.
2013 / 2014 avait été une année difficile même si au printemps j'avais retrouvé du travail, problèmes de santé pour l'un des membres de la famille, qui engloutissent des brèves vacances - ce qui est très secondaire mais marque le début de plusieurs années sans plus de vraie période de récupération -. 2014 / 2015 alors qu'à l'automne on reprend espoir (mais que l'automne est marqué par la mort d'une de mes tantes) tombe l'attentat du 7 janvier et ceux des jours suivants.

La vie ne sera plus jamais pareille. Par ricochet je perds une seconde fois quelqu'un qui avait tant compté pour moi, en plus d'avoir perdu un ami assassiné. 
Je crois que c'est le moment de mon existence où l'expression "ne plus savoir à quel saint se vouer" prenait tout son sens, car plus rien n'en avait. C'est le moment, après un problème à un pied qui était sans doute une fracture de fatigue mal diagnostiquée, où je prends, c'est rare, une décision, celle d'arrêter un job que je ne parviens plus à tenir avec efficacité et qui ne parvient pas à me laisser payer les factures. Je m'impose un épuisement qui n'a pas de sens, de mois en mois se creuse notre manque d'argent.

2015/ 2016 c'est l'année d'une nouvelle tentative de se relever après avoir été mise KO par l'adversité. J'avais grâce à une amie, une jolie perspective professionnelle toute neuve et qui me plaisait bien - en plus qu'assise à un bureau, ce qui convenait à mon état physique boitillant d'alors -, en compagnie d'une personne avec laquelle je m'étais immédiatement sentie bien. J'allais apprendre de toutes nouvelles choses dans le traitement de la photo. 
Les attentats du 13 novembre pulvériseront cette perspective : celle qui aurait pu être ma future collègue était au Bataclan, s'en sort mais non sans séquelles et par conséquence de conséquences le poste prévu est supprimé.
C'est très étrange d'être par deux fois parmi les victimes de 3ème ou 4ème niveau d'attentats dans la même année. Impactée par les ondes de choc d'événements enchaînés. Ce n'est rien par rapport aux réelles victimes et à leurs proches. Mais c'est loin d'être rien. 
Heureusement, l'année civile 2016 débute par une formidable rencontre professionnelle puis par un bel emploi dans un petit havre de paix en haut d'une colline avec quelqu'un que j'apprécie. Il n'en demeure pas moins que depuis le 7 janvier 2015 parmi les séquelles de l'étrange état de choc subi, je traîne une forme d'hypersomnie qui confine à la narcolepsie. Ça sera au point de faire une investigation d'apnée du sommeil. Laquelle sera négative. 
Rétrospectivement, je crois que c'est simplement mon corps qui réagissait fort sainement à tout ça.
À l'été 2016 la plus grosse inquiétude est la santé de la compagne de mon meilleur ami, atteinte par une infection rare et grave et qui restera entre la vie et la mort un (long) moment. Elle s'en sortira mais ensuite il semble n'avoir plus de temps ni d'énergie pour rien d'autre que pour le travail et rester auprès d'elle. Old adult's life is not friend's friendly.

2016 / 2017 aura ainsi été une grande année de pertes : un ami qui n'a plus de temps, ou plus l'envie, un cousin par alliance qui se sépare d'une de mes cousines. De tous ils m'étaient les plus proches, qui ne se connaissaient pas mais que les circonstances auront sortis au même moment de ma propre vie. Et puis surtout nos ascendants, celui de l'homme de la maison, et ma propre mère dont la santé se sera dégradée d'un grand coup, alors qu'elle semblait partie pour faire solide centenaire.

Avec l'élection de Trump et le Brexit, dans une moindre mesure l'élection présidentielle française aussi, cette histoire de fou qui met au pouvoir un ultralibéral ultracommuniquant, la perte aussi d'une croyance pleine et entière en la démocratie.


C'est une proposition d'emploi d'amis qui cherchent une remplaçante libraire pour qui de leur équipe s'en va qui me sauvera à plus d'un titre : tourner la page de ce retour au Val d'Oise qui avant la maladie de ma mère tendait à me charmer, après, n'était qu'un rappel des temps envolés ; devoir mobiliser toutes mes forces pour tenir ce nouveau travail qui est très complet et à ma mesure.

Une autre chose me sauve : le triathlon. 

Décision de 2011, octobre, prise alors qu'au marathon de Bruxelles nous encourageons l'ami Pablo. Cinq ans pour parvenir, entre manque de temps, manque d'argent, et recherche de place dans un club, à accéder à la possibilité d'essayer. 
La maladie de ma mère et au printemps le changement de boulot auront passablement obérée ma capacité d'entraînement. Ça n'était vraiment pas prévu comme ça lors de mon inscription effectuée alors que j'avais, croyais-je, enfin un travail stable et heureux, et que ma famille semblait elle aussi stabilisée, les santés et les voies professionnelles (ou fin de travail pour l'un, mais sans trop d'urgence financière) des uns et des autres. Tout semblait dégagé pour que je puisse me consacrer à ce nouveau défi pour une fois personnel et volontaire. 
Las, le syndrome de George Bailey aura encore frappé.

Nous ne pourrons garder en banlieue la maison que ma mère occupait. Depuis avril je consacre une part importante de mon temps libre si réduit à ranger, trier, jeter, préparer un déménagement. Je retrouve d'anciens documents. C'est émouvant, parfois marrant, régulièrement étonnant, toujours finalement éprouvant. Ma chance est d'aimer la photo, et de trouver du sens dans les images, peu importe que l'on y connaisse ou non les gens. J'aime ce qu'elles disent d'une époque, d'un temps. Mes trouvailles m'aident en fournissant une part de beauté, un peu d'enchantement.

Histoire d'accentuer le deuil, il y aura à partir de février 2017 l'épisode du voisin voleur au passé de psychopathe possiblement violent et qui en Normandie videra à plusieurs reprise la petite maison de denrées et équipements. Nous volera aussi de l'électricité tant qu'à faire. Au delà du préjudice financier (entre 1700 et 2000 € à ce jour), moral (trouver la maison cambriolée vitre arrière fracassée, tout jeté sens dessus dessous alors qu'on arrive tard un soir de février pour enterrer sa mère le lendemain, on a beau en avoir vu d'autre, ça atteint), c'est notre havre de paix qui est pulvérisé au moment où l'on en avait fort besoin. Et de nouvelles brèves vacances qui volent en éclat : visites des gendarmes, dépôts de plaintes, réparations à entreprendre, achats de remplacements, virage obsessionnel de l'homme de la maison et ses accès de colère induits (2). Zéro détente fors dans les livres, heureusement excellents, les Sadorski de Romain Slocombe, la Serpe de Philippe Jaenada. En plus que je suis heureuse dans mon nouveau travail, si stimulant qu'il a fait reculer mon hypersomnie et que j'ai l'impression de revivre, je n'avais jamais repris le boulot après des congés avec autant d'appétit. 

L'année 2017 / 2018 démarre donc par une arrestation, celle du voisin indélicat, par du sport, beaucoup de sport et ça me fait un bien fou, par des nouveaux tracas de santé familiaux qui se profilent par beaucoup de pluie (3), par ce beau défi professionnel et un vaste point d'interrogation financier (4).

Je ne manque pas de rêves et de projets, c'est fou comme un emploi qui vous convient peut donner des ailes, seulement je crains que les circonstances, générales comme individuelles ne soient pas favorables. 

 J'aimerais du calme pour pouvoir avancer, dans le sport, dans le travail, dans l'écriture, enfin. Je crains de plus en plus que ça soit un vœu pieu. J'aimerais la force pour pouvoir avancer malgré l'absence de calme.

Les activités ont toutes repris ou le feront la semaine prochaine. Allez hop, c'est reparti. Puissent les guerres et les grands tourments nous épargner encore. Nos aînés ont tant donné. 

 

[photo : ma plus belle photo de l'année, lors du triathlon de Deauville ; celle qui encourage et celui qui participe, alors en plein effort, sommet d'un raidillon]

 

(1) même si en pratique en août.

(2) J'aime les romans d'Ariane Bois entre autre pour leur qualité à présenter des hommes qui en cas de coups durs savent parfois être un soutien. Mon fils l'est par moment, seulement la différence d'âge et d'expérience et que c'est à rôles inversés, limitent cet effet, mon meilleur ami savait l'être, mon cousin déclassé également, mais très partiellement. Je n'ai connu et ne connais sinon que le cas où l'homme face aux coups durs est principalement un facteur aggravant, voire carrément la source même, pour certains et certains chagrins.  

(3) J'ai l'impression qu'à part une poignée de journées caniculaires il n'y aura pas eu d'été. Et depuis plusieurs jours, il pleut sans beaucoup discontinuer.

(4) Tant que la succession n'est pas dénouée, c'est très juste, entre les frais liés au décès maternel et ceux liés aux cambriolages successifs que l'assurance n'a pas couvert (entre restrictions lorsqu'il s'agit d'une maison de campagne et notre manque de factures, puisqu'au départ ça n'était pas notre maison). 

PS : Se rappeler que 2017 au printemps Mastodon est apparu comme une alternative non marchande à Twitter, avec respect des niveaux de confidentialité.


Le dimanche d'avant


    Un camarade de club indique l'équipement nécessaire pour un trail en forêt par temps glacial - j'avais prévu de me joindre à un repérage dimanche mais compte tenu de mes limites (distance et résistance au froid (même si désormais je suis normale, ce qui est un gros progrès, je ne me plains pas)) et des contraintes [familiales] fortes de la période, je vais renoncer à l'expérience qui pourtant me réjouissait - crapahuter quatre heures en forêt, bonheur -. Je prends par ricochet quelques notes pour mon blog de carnet de bord d'entraînements et tombe sur une entrée du 4 janvier 2015.

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Ce n'est pas une selfie ni une photo pour avoir une photo de moi, juste une image prise pour détailler mon équipement ce matin-là, par 5°C et plutôt du soleil. D'où ce geste de la main pour montrer le gant. Comme à ce moment-là je souffre encore du froid, par 5°C je mets en effet des gants de vélo pour courir. Et un sweat à capuche qui est assez chaud.

Le visage que j'y ai, est celui qui me correspond, celui dans lequel je me sens moi-même, mais c'est celui que je n'ai plus. C'est impressionnant d'à quel point les traits s'en sont trouvés affaissés, d'un seul coup après les 7 et 8 (et 9) janvier 2015. 

J'ignorais que je détenais une photo de "juste avant", une photo qui me permettait de constater de visu ce que j'avais cru constater sans pouvoir le prouver.

Je ne ressemble plus tout à fait à la personne sur la photo. J'ai dix ans de plus depuis deux ans.

PS : Lu ceci peu après Une rose et un millepertuis

 


Seront-ils tous tristes, désormais (nos 7 janvier) ?

 

    L'an passé, la journée s'était arrangée pour être tellement chargée, avec une fuite d'eau spectaculaire et l'intervention grâce à moi en urgence d'un plombier, la résolution d'une partie du mystère des chaussettes invisibles puis les activités habituelles, que je n'avais guère eu le temps de trop songer à la date - même si des pensées pour l'ami assassiné et ses collègues avaient occupés chaque moment non urgent -. 

Cette année où finalement même si c'est dans le dur, le sombre, ma vie est davantage stabilisée, la peine a commencé son travail de sape dès la veille au soir. Je me sentais sous l'emprise d'une profonde tristesse puis j'ai pris conscience de la date et que l'anniversaire effrayant que ça préludait.

J'ai à peu près passé la journée à éviter de pleurer. Mis un point d'honneur à vendre notre exemplaire de l'anthologie des dessins politiques d'Honoré, sans pour autant raconter ma vie. Trouvé pour le midi un restautant Japonais, bon et désert où j'aurais pu à l'abri des regards me laisser aller - évidemment à ce moment précis, occupée à écrire et (bien) manger, ça allait -. Failli craquer sur le chemin du retour entre des appels croisés avec Famille Services puis l'homme de la maison et qu'au bout du compte il m'engueulait moi parce que le boitier pose problème (et quelque chose comme : c'était de ma faute si les personnes envoyées n'étaient pas capables de l'ouvrir). Me suis réfugiée dans un livre à lire "pour le travail" (1). Ai tenté de joindre un vieil ami (qui n'a pas répondu). Reçu un message plein de sollicitude d'un autre. Et ça m'a fait du bien. De la même façon qu'alors qu'il n'y a aucun mérite (c'est une inscription sur un site, en aucun cas une sélection) m'a réjouie mon inscription au triathlon XS d'Enghien. Et le passage de certains parmi les plus sympathiques de nos clients. Ainsi qu'une pinte de rire partagée au sujet du grand retour de Chantal Goya.

Mais voilà, le sombre restait. 

Je me suis souvenue d'un conseil de mon fiston datant déjà d'un an :

Capture d’écran 2017-01-07 à 23.05.39Alors j'essaie.

J'essaie de dire que durant 6 années, le 7 janvier fut avant tout l'anniversaire de celle qui est désormais "l'ancienne amie" (je l'avais rencontrée en février donc l'année de notre rencontre son anniversaire n'avait pas compté). Puis il y eut le 7 janvier 2005, et ce matin-là apprendre l'enlèvement de Florence Aubenas. Lequel remontait au mercredi, mais il avait fallu le temps que le journal signale ou confirme. Puis il y eut le 7 janvier 2006, et penser Bon sang, il y a un an. Les 7 janvier suivant penser à l'amie qui n'était plus mon amie et le vide qu'elle laissait. Et le 7 janvier 2015 avoir à peine eu le temps de songer, Bon sang, dix ans. Dix ans que ma vie est entrée dans un tourbillon, que l'attentat à Charlie Hebdo était annoncé et que l'enchaînement des circonstances des trois jours suivants ont encore fait basculer nos vies dans un autre niveau, le monde était devenu différent. Et pas seulement sa perception. Un message reçu le 8 m'avait ensuite fait vaciller - alors que j'étais sous le choc, nous l'étions tous -, qui dépassait l'entendement par son indélicatesse, son indécence et sa stupidité. 
Deux ans plus tard le sentiment de solitude est plus fort que jamais. Les sensations d'irréalité ont disparu. Les morts ont eu plus que le temps de se confirmer dans nos existences. Les instants d'oubli (2) se sont fait plus rares, les présences fantômes pas moins (3).

Une sorte de larme sombre se forme sous ma paupière gauche, comme si cette soudaine anomalie de pigmentation était significative.

Je me demande si le cours de la vie, celle qu'on croyait "normale" un jour reprendra. Je me demande s'ils seront tous tristes, désormais, nos 7 janvier.

(Et pourtant bon anniversaire à l'ancienne amie si elle venait à passer par ici ; ce furent jadis de belles années)

 

(1) Aveu de faiblesses de Frédéric Viguier
(
2) Ces instants, vous savez, où l'on a le temps de se dire, Il faudrait que je lui en parle ça pourrait l'intéresser (ou : le faire rire) (ou, dans le cas d'Honoré : lui servir de point de départ pour un dessin), avant que ça ne revienne, Bon sang, mais non, il n'est définitivement plus là.
J'ai eu le cas fort longtemps avec Bashung, me dire, Tiens, ça fait longtemps qu'il n'a pas sorti de disque et puis me (re)souvenir qu'il n'y en aurait plus. 
(3) Ces moments où par exemple on a l'impression que nos chers disparus sont encore un peu là. Où l'on se remémore une inflexion, une expression, le timbre de leur voix.

PS : Via Kozlika ce qui pourrait être le plus beau film pour des chaussures de course jamais réalisé (Eugen Merher)

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(ce qui rejoint ce qui me propulse à chaque entraînement : j'en profite tant que peux encore, si ça tombe comme pour, ... non rien, ça s'arrêtera d'un seul coup, une forme d'inéligibilité) 

 


"À la place du cœur" (Arnaud Cathrine)

C'est précisément en voulant ranger ce livre, un roman adolescent ou jeune adultes comme à la librairie nous en recevons tant, en voulant jeter un coup d'œil afin de m'en faire une idée (personnelle) pour pouvoir mieux le conseiller, que je suis tombée dedans.

Pourtant si j'avais lu la 4ème de couv, je ne m'y serais pas aventurée. Qu'il s'agisse de fiction ou de témoignage, revivre à travers les écrits des autres ces jours effarants de janvier 2015, pour le moment m'est assez insupportable dans l'idée. Et puis là il y avait quelque chose, c'était immédiat.

Dans la justesse de ton, je crois. 

Ce qui était d'autant plus un exploit qu'en se plaçant dans le mélange insoluble d'un premier amour heureux et des événements de Paris à ce moment-là, ça n'était pas gagné.

Après, bien sûr, en tant que vieille adulte, certaines choses m'ont fait sourire. Sans doute le fait que le héros, Caumes, soit équipé d'un bel humanisme - ce qui le fait passer pour un gauchiste effréné - tandis que ses parents sont "de droite". Le fait aussi que les camarades de lycée présentent une palette trop parfaitement exhaustive de types de personnes et d'opinion et que le casting des enseignants est lui aussi trop tranché. 

Mais c'est faire la fine bouche. La part amoureuse est touchante et franche, très réussie, mieux en tout cas que bien des fois lorsqu'une romance s'invite dans un ouvrage pour adultes confirmés. Le déroulé des événements est très intéressant, ainsi présenté par le filtre de quelqu'un qui n'a pas davantage d'éléments que quiconque (1) et qui doit composer avec les contraintes de sa vie - les cours sont censés avoir lieu -. Je me souviens terriblement bien ce que c'était que de devoir aller au travail malgré tout. J'ai retrouvé ça chez Caumes et sa petite amie Esther.

Il y a aussi une belle combinaison entre les événements généraux et leurs conséquences directes dans les vies de chacun.

Bref, ce livre lu de façon tout à fait inattendue, qui s'est glissé entre deux lectures à délais et prévues, m'a fait du bien. 

Il faudrait que je trouve le temps et le courage de témoigner, j'ignore sous quelle forme, de mes journées sur la période. Moi qui comme tant d'autres à Paris fut à la fois si concernée et si loin d'un poste de télé.




(1) Ce que j'ai pu lire jusque-là, et c'est logique, tenait plutôt du récit ou mettait en scène des personnes concernées au premier titre. Là, les héros ont plusieurs fois très peur, le frère de l'un est journaliste et sur place, celui de l'autre potentiellement présent dans l'hyper casher, mais sans être d'emblée au cœur du cyclône.


L'absence de colère

En ce matin où l'en France on semble tout surpris qu'un politicien de niveau national se mange de la prison ferme, une peine légère, seulement douze fois plus que quelqu'un qui vole par faim un morceau de fromage, alors que le redressement fiscal (qui sans doute ne portait pas sur tout et est donc probablement inférieur au montant de la fraude) s'établissait à 2,3 millions d'euros, ce qui fait en admettant que la bûche de chèvre fût d'une marque réputée soit à 2,86 €,  et sauf erreur de ma part 804196 unités fromagères, soit 2412588 mois à l'ombre si la peine était proportionnelle soit 201049 ans si la peine était mathématique [ça me paraît tellement énorme, je me dis que j'ai dû faire une grossière erreur de calcul mais je n'ai pas le temps de vérifier], l'ex ministre, je trouve, s'en sort super bien. Donc en ce précis matin me parvient une interview de Luz, l'un des survivants de Charlie, lequel entre d'autres choses, dit : 

"Le plus dur, chez moi, n'est pas le pardon, mais l'absence de colère ! C'est dur, parce qu'il paraît qu'il faut passer par là pour avancer. Je pense qu'il n'y a pas de chemin tout tracé.". 

Et je songe alors que c'est sans doute ce qui me coince aussi dans une tristesse, le fait de n'être pas en colère après ceux qui font tant de mal, d'être davantage dans l'accablement. Tout ce passe comme si pour les agissements d'une extrême gravité, la colère elle-même était dépassée. 

Si je devais être en colère ces temps derniers ce serait par exemple contre ce ministre escroc et la clémence à son égard, contre ma mère qui s'est bousillé la santé, n'a rien voulu entendre lorsqu'on tentait de l'aider, et à présent qu'elle est en bout de course continue à tout refuser, plongeant sa famille (et les professionnel de santé en charge actuellement) dans de solides problème insolubles sans son accord, contre celui qui un jour assure, un jour n'assure pas - une défaillance, une lassitude, se comprendraient, mais il convient d'avertir et non de faire faux bond -, et tant d'autres exemples jusqu'au client de mauvaise foi (1) 
Mais pour les assassins des journalistes, d'un ami, de tant de personnes promises à des avenirs constructifs, à titre personnel pour ceux qui m'ont successivement quittée avec une lâcheté telle qu'elle me mettait en danger, pour ces agissements extrêmes, la colère manque. Probablement car ils dépassent l'entendement et qu'il est si dur d'être aux prises avec leurs conséquences que leurs acteurs mêmes passent au second plan. N'ont-ils pas, dans le fond, été que des instruments, des humains ayant laissé tomber leur discernement ?

Alors voilà, il convient d'avancer sans passer par la case "saine colère amplement justifiée", et le faire chacun avec ses propres moyens. Pour l'un le dessin, pour l'autre l'écriture, pour un troisième la musique ou le chant. There must be some way out.
Le tout est de disposer du temps et d'assez d'énergie résiduelle pour s'y consacrer.

 

(1) Il y en a peu là où je travaille actuellement. Mais dans le XVIème arrondissement, il était fréquent qu'on fût heureuses d'avoir été deux présentes dans certains cas, témoins l'une pour l'autre, quand en face une contre-vérité était soutenue avec un aplomb absolu.

PS : Voir aussi à ce sujet le beau livre d'Aurélie Silvestre "Nos 14 novembre"


Vers la fin d'une très belle journée

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Vers la fin d'une très belle journée, le boulot idéal, y aller en vélo après réparation, prendre conscience que le plus récent chagrin n'est pas guéri comme il faudrait - l'esprit OK désormais (merci au nouveau travail, à la beauté de la région retrouvée, au bonheur des retrouvailles avec mon cher vieil ami), mais le corps toujours aussi sensible à ce qui est resté inconsolé -. Je craignais d'être sujette à une bouffée de violence en cas de revoyure inopinée, je risque surtout de vomir, en fait.

Probablement que le fait d'avoir vu une réédition prévue qui correspond à un souhait que j'avais émis à l'époque (et une redécouverte que j'avais suscitée) m'avait donné, sans que j'en sois consciente, l'illusion que l'idylle qui m'avait rendue surnuméraire s'achevait, alors même que je pensais m'en moquer désormais.

Me voilà au moins fin prête à toute éventualité, y compris à l'annonce d'une publication conjointe, je veux dire une vraie.

 
Cette tristesse intempestive m'a légèrement gâché le bonheur du dernier film de Solveig Anspach, "L'effet aquatique", la part d'histoire d'amour m'étant peu supportable, me semblant trop fleur bleue, la part comédie étant, quoi qu'on puisse avoir comme difficultés personnelles, de toutes façons très réussie. C'était émouvant de les voir tous réunis, l'équipe du film, comme si sa force de fédération était toujours aussi vivace et présent l'esprit.20160623_204805

 

La fin de soirée fut particulièrement douce et jolie ; le long retour en métro sans encombre. 

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J'ai une belle proposition de sortie samedi. Et demain sera peut-être surtout l'occasion de retrouvailles avec un bon ami. Il convient d'oublier tout saligaud de l'oubli.

Il y a tant d'autres préoccupations plus lourdes, ne serait-ce que de découvrir qu'on habite un pays où l'on met les gens dans une sorte de cage pour qu'ils tournent en rond en guise de manifestation (si vous me dites que j'ai mal compris, j'en serais ravie). 


Les soins du Paradis

Honoré courait à mes côté, retapé et affûté comme il ne l'avait jamais été, il m'expliquait qu'au paradis il y avait des soins médicaux, qu'on l'y avait opéré et soigné de ses multiples blessures, comme ses copains de Charlie, mais que niveau diète et bonne santé ça rigolait pas et que donc en contrepartie il avait dû se mettre au sport. Qu'il avait pris la course à pied c'était ce qui le faisait le moins chier, mais que la pression pour le foot était forte : ils avaient des équipes à constituer. Qu'à présent que c'était fait, il aimait plutôt bien en fait. Et qu'il en profitait pour venir accompagner les vivants qui en faisaient. Il concluait en disant, rigolard, Tu te rends compte, mort, je fais marathonien !

J'ai rêvé que le paradis existait, mais qu'au fond il n'était autre qu'une sorte de seconde chance médicale avec une obligation d'éternelle bonne santé. C'est parce qu'ils s'ennuient un tantinet que les morts reviennent visiter les vivants - en étant le plus souvent bienveillants -. Au moment même du songe tout me semblait extrêmement réel, et logique et cohérent. 
J'ai un peu tendance, parce qu'il me va fort bien, que grâce à mon nouveau boulot, je suis "guérie", je vais mieux, que du deuil réel et principal je vais mieux. Ce rêve me rappelle que ça n'est pas si simple. Oui je vais mieux, beaucoup mieux. Non, je ne suis pas sortie du deuil, loin s'en faut.


Je ne me souviens plus du printemps

Depuis 2013, qui était pluvieux, du moins il m'est ainsi resté en mémoire, je ne me souviens plus du printemps. 2014 était peut-être pas mal, mais il fallait aller à l'hôpital et nous étions si inquiets sans arrêts, 2015 était un deuil et le deuil aussi d'une autre relation et la difficulté qu'il y avait à travailler malgré tout alors que l'environnement n'était pas bienveillant - j'ai le souvenir de journées ensoleillées et d'un été plutôt chaud mais il reste comme sur une photo, sans ressenti, abstrait - et 2016 n'accorde de chaleur que par inadvertance. 

Ça fait longtemps, très longtemps que j'ai perdu les voyages, restaient les déplacements, quelques-uns, et Bruxelles. N'en restent plus qu'Arras et son festival de cinéma ainsi que deux week-ends de ciné-club - et encore coup de chance, j'avais un week-end non travaillé -. Faire l'amour s'éloigne aussi. J'ai passé l'âge des possibilités sans tout à fait avoir perdu l'envie, mais force est de constater que c'est bientôt fini.

Espérer rétablir l'équilibre de nos finances n'est plus qu'un espoir abstrait. Seul le départ des enfants ou que l'un d'eux contribue aux dépenses pourrait nous remettre dans une situation sans systématiquement des tracas de fins de mois et du jonglage et du report de dépenses élémentaires.

Travailler un peu loin c'était renoncer à une grande part de vie sociale, c'était déjà le cas dans le XVIème arrondissement (même si dans ce cas le "loin" n'était pas géographique), mais ça l'est désormais concrètement. Je m'y attendais, seulement ça peine.

Les problèmes d'argent pèsent aussi, joints aux prix délirants (par rapport à des salaires faibles) des consommations à Paris  

La rondelle

(photo récente d'un ticket de caisse d'un café parisien empruntée à Lola Spun et tellement significative, de la rondelle de citron taxée à 20 centimes à la CB minimum 10 € en passant par le prix de base des consos, 6,10 € le cidre, 4,20 € l'eau gazeuse)

Forcément, si on hésite à aller au café, parce que la moindre boisson c'est trente minutes de boulot qui se liquéfient, on voit moins les personnes à qui on aimait donner rendez-vous, sans nécessairement se faire inviter. On n'ose plus rien proposer.

Chacun est pris dans la nasse de ses propres difficultés et soucis. On est tous des hamster qui cavalent dans des roues, parfois on en descend, on dit deux mots au hamster d'à côté en tentant de reprendre notre souffle, et puis on reprend. Comment rester proches dans ces conditions.

L'opéra s'était terminé quand les files d'attentes collectives ont été supprimées et les places à 20 €. Ça me manque. J'ai au moins la conscience d'en avoir, grâce à Kozlika et au petit groupe qui s'était créé, vraiment bien profité.

La chorale s'était achevée avec mon premier emploi de libraire et les fermetures à 20h. Incompatibles avec les horaires de répétition. Et les répétitions en vue des concert qui prenaient les week-ends incompatibles avec les horaires des librairies ultérieures. Chanter me manque. La musique jouée me manque.

À présent c'est le théâtre. J'y allais en collectif avec un abonnement, certaines années deux (mais mon partenaire de Chaillot a totalement disparu de la circulation, quand je pense à lui désormais je pense aux morts dans la vieille série des Envahisseurs, un souvenir lumineux de la place qu'ils prenaient). Je vais quand même regarder ce qu'on m'a transmis mais je crois que je vais arrêter. Trop compliqué avec mes nouveaux horaires. Rare économie possible. Là aussi que de bons souvenirs. Que d'œuvres qui auront aidé à grandir.

Reste le sport, encore que (1), mais au moins la pratique quotidienne, elle, dépend beaucoup de moi et le nouveau travail la favorise. Est revenue une activité que l'éloignement des lieux et le peu d'entrain des miens m'avait fait abandonner alors qu'elle m'est une respiration vitale : les marches en forêt.

Reste le cinéma, entre le Cinema Paradiso découvert près du boulot et le Méliès de Montreuil cette année est faste. 

Restent les livres, mon métier retrouvé me remet dans une situation d'abondance. C'est déjà une vie très privilégiée, jointe au travail que j'aime. Aimer ce qu'on fait pour gagner sa vie est quelque chose de si précieux.

La lecture, le cinéma, le sport, trois éléments qui ne se rétrécissent pas dans une existence qui depuis 2013, que je le veuille ou non, se resserre.

Reste la BNF même s'il est frustrant de n'y pouvoir y aller que certains matins. J'y suis si bien, au calme, à mettre de l'ordre dans mes idées, avancer mon travail personnel, étudier.

Reste l'écriture, justement. La seule chose qui contre vents et marées échappe au renoncement pour l'instant, sauf qu'elle échappe aussi à la mise en œuvre de chantiers un peu longs. La seule chose qui me console c'est de n'avoir rien à me reprocher : j'y fonce dès que j'en ai la possibilité.

Je ne souviens plus du printemps, j'ai renoncé à avoir chaud, est-ce que ça existe encore ? Mais je n'ai pas renoncé encore à l'essentiel. Quelqu'un me soutient.

Peut-être aurais-je enfin davantage de printemps l'an prochain. 

 

 

(1) Je voudrais m'inscrire à la saison prochaine au Levallois Triathlon après une tentative trop tardive pour la saison 2015/2016 mais deux mails sont restés sans réponse pour l'instant. Je suis une femme, je ne suis pas jeune, je n'habite pas Levallois mais juste à côté, sans doute que je ne les intéresse pas.

PS : Le problème est aussi que les tracas externes grandissent en plus du climat général délétère et violent, mais je ne souhaite pas évoquer les premiers qui sont ceux de tous adultes vieillissants dont les parents atteignent au grand âge, et j'ai déjà beaucoup parlé du second.

addenda du 27/05/16 : À croire qu'il suffisait de demander, aujourd'hui un climat normal de printemps vers l'été #itwasabouttime 


Monsieur Honoré - un film

J'irai le voir dès que je le pourrai. Honoré me manque. Je crois encore voir sa silhouette plusieurs fois par semaines. Moins depuis que je suis à Montmorency. Peut-être parce que sur la colline on croise moins de grands messieurs à crinière blanche. Sans doute aussi parce qu'être occupée par un travail à forte part concrète (livres à manipuler, clients à accueillir et parmi eux de fins lecteurs à conseiller), j'ai quelque chose d'un peu solide sur quoi m'appuyer. Au moins trois heures par jour et un week-end sur deux, le deuil et l'autre deuil (celui-là purement affectif) sont tenus à distance, plus les temps de transports qui certains jours très actifs et d'autres dans de très confortables trains, la beauté de l'environnement, la proximité de la forêt font infiniment de bien. J'avais besoin d'un calme actif, il m'est accordé.
J'entends cependant sa voix. Généralement elle me commente avec son humour des instants auxquels j'assiste. 
Comme si on était à l'Astrée que je lui racontais et qu'il me répondait.
C'est ce qui dans la débine me console, me dire, quand même, qu'est-ce qu'on a bien rigolé, toutes ses années. Et tant qu'il nous reste de la mémoire, ça, personne ne peut nous le retirer. Nos bons moments sont notre richesse.

Le livre de Catherine Meurisse, m'a bouleversée. "Toute l'année 2015 a été une quête de survie". Alors que je suis bien moins touchée, ma vie quotidienne n'a été en rien modifiée si on ne tient compte que de son aspect concret : il y a "seulement" un ami que je voyais régulièrement au sein d'un groupe chaleureux, que je ne vois plus, la survie, j'en suis encore là. Parce qu'en réalité c'est tellement plus que ça et, même si j'ai fait ce qu'il fallait en quittant un emploi où, sans doute aussi par conséquences, je suffoquais (1), c'est encore tellement chaque jour un effort pour ne pas céder à une tristesse qui sape l'énergie. Comme si les temps d'avant étaient ceux de l'insouciance - en réalité pas tant, j'avais déjà quelques chagrins aux semelles de plomb, des difficultés, comme tout un chacun, il y a des personnes malades alentours, 2014 n'avait pas été une année sympa sympa -, mais rétrospectivement, et plus encore après les attentats de novembre, c'est l'impression qu'on a. L'irruption de la violence générale et aveugle dans un monde qui s'en passait depuis un moment.

Je suis heureuse qu'il y ait un film. Il m'a semblé qu'Honoré, le travailleur inlassable et discret était à ce point oublié, ou plus vite que les autres, qu'il sera bon de lui rendre la place qu'il méritait. Comme Hélène Honoré y a participé, j'ai confiance. Peut-être qu'un peu ça nous apaisera.

(et une fois de plus merci à François Morel)

(1) En plus de boiter, ce qui était venu quelques mois après. Le corps m'ordonnait d'arrêter.