25/ 397 - Prudence

 

Si j'avais de l'argent actuellement j'épargnerais, je me renseignerais sur les immigrations possibles dans des pays en phase ascendante où il y a du pain sur la planche, où les femmes ne sont pas que des hommes de catégorie B dont les premiers disposent sur leur échiquier (il doit bien y en exister ?). Je quitterais la vieille Europe aux populations désormais craintives et raccornies qui sont prêtes, par peur de l'Autre bien attisée par des politiciens sans scrupules, à scier la branche sur laquelle elles sont assises et voter n'importe comment jusqu'à une prochaine dictature comme on en connut dans le temps. Je filerais d'ici. Avant 2017 et des élections, qui au vu de la déception que nous offre ce gouvernement-ci et de la radicalisation épouvantable que présente son opposition, risque d'offrir un boulevard aux partis de la haine et de la régression.

Je partirais par prudence. Car je suis trop vieille pour lutter et que mon héroïsme est faible ; mais pas ma lucidité. Qu'aussi pour la connerie des autres mes parents et grand-parents dans deux pays, des deux côtés, ont déjà tant donné.

(Et pourtant je sais nager).

 

La chanson d'Anne Sylvestre : Prudence !

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24/ 397 - Qu'est ce que c'est que ce bruit ?

 

Curieux d'attraper cette chanson pour thème un jour où pour l'instant tout est calme. Alors je songe à celui qui a déménagé récemment parce que de ses précédents voisins les bruits le fatiguait et les sirènes d'ambulances aussi alors qu'il est au calme, quoi qu'en pleine ville, désormais. 

Ce qui m'amuse aussi est que "ma" Normandie n'est pas très silencieuse : petite maison de petite ville sur la route principale et donc porteuse d'une belle circulation : tout se fait là-bas en voitures, en camions, en tracteurs également. Ce qui fait que c'est l'appartement, en ville, qui est le plus silencieux puisque posé sur une avenue calme sauf quand une exception survient. Mais quand on dit qu'on y va, tout le monde pense Calme et Campagne voire un peu Mer aussi (elle y est mais à 10 bornes).

Par exemple ce nouvel hôtel qui vient d'être construit   CIMG6941

et dont l'alarme à incendie semble décidément trop sensible. Elle se déclenche alors de façon intempestive, surprenante pour nous qui ne sommes pas tout près d'où un temps de décalage à l'heure d'identifier. Les fenêtres clignotent alors en rouge, les unes après les autres, ce qui pour le passant est du plus bel effet mais qui pour les occupants des chambres doit faire assez flipper. Peut-être qu'ils ne séjournent pas assez longtemps pour croire à autre chose qu'à un dysfonctionnement ponctuel ou un exercice d'entraînement. Les employés et les voisins seuls savent. Je me demande quand ceux des nôtres qui sont tâtillons se plaindront. À moins qu'ils n'aient pas encore identifié la source de ce son épisodique lancinant.

  

La chanson d'Anne Sylvestre : Qu'est-ce que c'est que ce bruit ?

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23/ 297 - Alors ce n'était que ça

 

C'est quelque chose de cet ordre qui rend si rude ce chagrin-là. La façon dont ce sont trouvés escamotés six ans de se connaître, cinq ans de bien s'aimer, même si l'amour des amoureux m'était interdit, l'homme était capable de séduire mais pas d'assurer par après, fors avec certains types de femmes bien déterminés auxquelles je ne ressemble pas, merci à Dustin Hoffman de sauver l'honneur des hommes hétéros (1) en me rendant compréhensible ce qui s'est joué là et me condamne à continuer sans toi.

Et devoir se dire à la façon dont j'ai été escamotée, Alors [pour toi] ce n'était que ça ? Tout ce qu'on a partagé, les contacts quotidiens, les échanges, l'entraide, les gestes tendres puisque tu prétendais que tu ne pouvais plus, tout ce qui pour toi comptait si peu que tu t'es comporté avec une autre comme si tu étais seul, comme si je n'existais pas. Rien. Pas assez jolie. Nada. Reste mais comme stricte et simple amie.

Alors ce n'était que ça ?

Et s´il ne restait que ça, 
On ne l´effacerait pas

 

(1) Je ne saurais parler pour les autres, qui ne sauraient me décevoir dans ce domaine-là. 

La chanson d'Anne Sylvestre : Alors ce n'était que ça

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22/ 397 - Langue de pute

 

Et si, ça me déplaît. En fait j'aime bien taquiner les autres en leur présence - ce qui fait que mon carnet d'adresses comporte assez peu de personnes susceptibles -, ou pratiquer l'autodérision.

Ou alors il faut qu'il s'agisse de personnes publiques et qui ont pris la parole pour dire des énormités (publiquement aussi), ce qui fait que je n'ai aucun scrupule à me moquer. Souvent il s'agit d'en rire pour ne pas pleurer.

Quand je laisse échapper une appréciation dépréciative sur quelqu'un qui n'est pas là, il faut vraiment que je sois dans un moment de faiblesse, dans la douleur d'un coup subi ou que quelqu'un se soit conduit de façon inqualifiable avec l'un(e) de mes ami(e)s. Mais dans ce cas je me contente, sans jouer les langues de pute, ni mettre de l'humour, de faire savoir ce qui fut fait (et fit mal) à qui risquerait à son tour d'être ensuite concerné. Sinon, je me tais. On est rarement au courant de l'ensemble d'une situation conflictuelle, des tenants et des aboutissants. Alors le dernier développement d'un conflit dont on ignore l'antériorité peut sembler peu honorable pour l'un des protagonistes mais prend un sens différent si l'on en vient à connaître de ce que l'autre lui a fait subir avant. 

Sans parler des situations de points de vue inconciliables dans lesquelles chaque protagoniste perçoit totalement différemment des choses vécues en commun (1). Ou encore des opinions si divergentes qu'elles feront crier l'un au scandale pour quelque fait que l'autre trouvera parfaitement admissible. Ce qui ridiculise parfois ceux qui jouent à la langue de pute car s'ils choisissent mal leur audience, au lieu de sembler spirituels il paraîtront stupides. Ou indécrottablement vieux jeu.

En fait je suis toujours mal à l'aise quand ceux qui m'entourent, lors de soirées ou en diverses assemblées, se livrent au divertissement trop facile qui consiste à prendre pour cible un absent. Même si certains bitchent avec grand talent. C'est hélas dans les milieux que je fréquente un sport assez courant.

J'étais donc d'autant plus heureuse et détendue hier soir, lorsqu'après une journée d'hommage à un ami écrivain souffrant, ceux qui l'aimaient continuèrent au café où l'on buvait un coup après à parler de leur camarade avec humour, affection, émotion et que malgré les situations professionnelles complexes et conflictuelles pour certains, il ne fut question en rien de ceux qui fâchent, pourtant nombreux en ces périodes de disettes budgétaires où chacun défend son pré carré, parfois au détriment de l'estime de soi autant que de celle des autres.

Mais voilà, ce n'était pas un jour comme ça, et j'ai été heureuse d'entendre parler littérature au cœur, dans sa conception même, et un peu cinéma.

 

(1) J'en ai eu un exemple triste, insoluble et éprouvant sous le nez dans le dos le samedi d'avant. Que seul sans doute pourra dénouer le temps. Et je souffre dans ma vie d'un cas exemplaire de ce type, du moins si l'autre était sincère (ce dont je suis même venue à douter). 

 

La chanson d'Anne Sylvestre : Langue de pute

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21/ 397 - Comme un grand cerf volant

 

Je suis tombée plus d'une fois avec lui, le cerf volant de la vie. Il faut dire que j'ai la faculté d'aimer à fond et sans arrière-pensées, alors forcément, lorsque je suis quittée je me retrouve brisée. Il faut se relever, rassembler ce qu'on est indépendamment de qui a décidé de se passer de nous car quelqu'un qui l'excite plus et promet davantage dans ses jours l'a croisé. Saisir les mains secourables qui se tendent, j'ai toujours eu cette chance, des amis sur qui compter. Et à présent ce (ré)confort que porte une vie déjà d'un côté complète et bien remplie, si tout devait soudain s'arrêter je pourrais me dire que c'était mal barré et que je m'en suis bien tirée. Et que peut-être auprès de moi l'homme qui partage le quotidien n'aura pas été si malheureux qu'avec quelque belle blonde qui l'avait fait rêvé, mais n'aurait certainement pas su lui offrir autant d'ouverture vers le monde palpitant, et les livres, et les films et des tas de trucs fous, même si pendant ce temps le ménage n'est pas fait. 

Et peu à peu, tirant le fil magique
On rembobine les mots, la musique
Et on se dit avec humilité
Qu´un jour de plus le vent nous a portés

Mais voilà que pas encore remise, je ne pense qu'à redevenir oiseau. Après tout même cette fois-ci je ne me suis pas rompue le cou. Et le temps est compté.

Peut-on changer ?

 

La chanson d'Anne Sylvestre : Comme un grand cerf volant

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20/ 397 - Qu'est-ce que j'oublie ?

 

Je me sais parvenue au bord des âges où la mémoire parfois peut commencer à flancher. Pourtant libérée depuis cinq ans d'un gagne-pain qui me déplaisait et me l'encombrait copieusement de toutes sortes de choses qui ne la concernait en réalité pas, j'ai fait en vieillissant de délicieux progrès : désormais elle m'appartient et à ma main elle fonctionne (pour l'instant) (fort) bien.

Je profite sans doute aussi des habitudes contractées à l'époque où mon temps pour l'essentiel se trouvait réquisitionné pour des choses qui ne présentaient pour moi aucun intérêt que l'argent de subsistance qu'à la maison je rapportais. Prendre des notes, profiter des temps de trajets pour se remémorer ce qu'on souhaite conserver, s'exercer (mais non sans filet) sur des petites choses pratique qui ne sont jamais sans utilité, je suis déjà au taquet pour l'heure toujours trop précoce qui verra la vieillesse arriver.

De la chanson du jour me reste cependant quelques doux points communs : 

Les si jolies cartes postales
Que je reçois de n´importe où
Pleines de pensées amicales
Et de bisous
Et là
Je vois
Qu´au loin on pense à moi

et qui n'a rien à voir avec le fait d'oublier. En revanche je crains ces dernières années que mes interlocuteurs ne croient que je les ai oubliés quand est venu mon tour de voyager : pour cause d'ennuis pécuniaires, je ne bouge presque plus. Les occasions d'envois de ma part se sont donc raréfiées. 

Et puis ceci, que j'eusse aimé moi-même écrire tant il n'y a rien à retrancher. Ma vie aussi, au mot près.

J´ai croisé gens de toutes sortes
J´ai eu des amis, des amours
Certains encore me réconfortent
D´autres sont perdus pour toujours

Certains perdus, hélas, ne se laissent pas oublier. Il faudra bien y arriver.

 

La chanson d'Anne Sylvestre : Qu'est-ce que j'oublie ? 

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19/397 - C'est chouette

 

C'est chouette de sentir ses forces revenir après avoir été une semaine au lit, une autre à tenter chaque jour d'assurer, sans y parvenir, l'amplitude d'une journée, une troisième de vivre selon ce qui était prévu mais tout accomplir au ralenti et se remettre à dormir dans chaque interstice, y compris dans l'ascenseur entre trois étages.

C'était chouette de cavaler à midi sur un terrain de football, sans partir en quintes de toux et sentir que mes jambes étaient redevenues ces deux solides bases vaillantes et ne sont certes pas configurées pour faire rêver les hommes, d'autant que mes pieds sont incompatibles aux escarpés escarpins, mais qui me rendent d'infinis service au quotidien et ne se fatiguent pratiquement jamais quand il s'agit de marcher. 

La meule à chagrins, en revanche, n'a pas encore fait tout à fait son chemin. Il est toujours là à me tenir froid. Là-haut a lieu dès demain la Foire du Livre, et ça sera Sans moi. Je refuse de commettre l'erreur de casting de jouer les rabats-joies, je ne suis pas née pour ça. C'est Bonne Mascotte, mon job à moi. 

Mais c'est déjà chouette de pouvoir au moins compter sur soi.

(et lire le mercredi le Canard Enchaîné que quelqu'un est allé gentiment chercher pour le petit-déjeuner avec du pain tout frais, les fleurs au fond c'est périssable)


La chanson d'Anne Sylvestre : C'est chouette

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18/ 397 - Le p'tit grenier

 

C'était en mai 1984, je ne sais plus pourquoi ni comment mais le futur homme de la maison et moi nous étions trouvés embarqués dans un week-end à Amsterdam dans la vieille guimbarde d'une bonne copine qui voulait sans doute, mais pas seule, aller là.

Ce fut un week-end épique, la panne totale de la voiture en arrivant aux faubourg de notre destination, un ingénieur iranien que l'immigration avait rendu personnel d'auberge de jeunesse nous avait bigrement aidé, diagnostiquant le dysfonctionnement et nous permettant de limiter les frais (il fallut, c'était grave, avoir recours à un garage) (2). Les cartes de crédit n'étant pas admises pour l'opération, ni l'euro établi, tout notre change s'était trouvé liquidé dans la réparation, nous n'avions plus de quoi nous payer de vrais repas et avions dû quitter l'auberge de jeunesse acceptable pour une autre qui ne coûtait rien mais servait de plaque tournante à un intense traffic de drogue et pas que l'herbe douce. J'avais sympathisé sans préméditation avec une jeune femme très atteinte par la plus féroce addiction mais qui de fait eu ce sens de l'honneur résistant de ne pas s'en prendre à nos pauvres affaires d'étudiants et de passer la consigne à ses compagnons d'infortune (1). Nous n'avions pas assez pris en compte le fait qu'Amsterdam est plus au nord que Paris et avions froid sans arrêt.

Pour autant j'étais parvenue à entraîner mes deux acolytes à la maison d'Anne Franck. Je m'attendais à être un brin agacée par quelque chose de type récupération mercantile. Il n'en fut rien. J'avais son "Journal" parfaitement en tête, diariste appliquée, il avait dès ma prime jeunesse fait partie de mes livres de chevet. Et le plan, la disposition des lieux, était celle-là même que j'avais imaginée. 

J'ai le vague souvenir de croiser de très petits groupes (les lieux sont assez étroits) avec guides et d'être là, n'entendant rien, les oreilles battantes, au bord des larmes, prise par d'anciennes visions qui n'étaient pas les miennes, évidemment, oubliant notre conductrice et même mon compagnon. Qui n'avait pas lu ne pouvait pas comprendre. Et j'étais incapable de partager mon émotion, de l'exprimer. Je crois qu'aujourd'hui je saurais. Mais en ce temps là j'étais encore the tough kid et qui vient d'un milieu où parler des sentiments et de soi, ça ne se fait pas. Et puis sentir le passé si proche et palpable, n'était-ce pas être un peu folle ? 

Ce n'était pas qu'un grenier, c'était un immeuble complexe avec une seconde entrée (très habillement) cachée, mais la mémoire m'en est restée, intacte, brûlante, 30 ans après.

Et cette certitude, ce devoir, qu'il fallait écrire le quotidien, quoi qu'il survienne, pour (aider) ceux d'après. 

J'ai traversé le reste du week-end dans une sorte d'absence à ce qu'il advenait, fors une halte à Gent dans la maison de ceux qui n'étaient pas mes beaux-parents et un contrôle féroce à la frontière française (mais c'est une autre histoire) ; perdue dans l'espace restreint que j'avais entrevu dans lequel une famille entière pendant des jours et des jours s'était trouvée confinée, avait tentée de s'en tirer. Je m'étais alors juré dans mon confort fin de siècle - période de paix de ne jamais flancher. Ai tenu 22 années. Il peut être important parfois de visiter un grenier

 

Que sur le ruisseau de vos larmes 
Voguent des bateaux de papier 

 

(1) Rien ne fermait à clef, dortoirs. Mixtes. Ce qui ne semblait poser de problème à personne, pas plus que la saleté extrême des lieux et l'épaisse et permanente très odorante fumée.

(2) Je commençais à capter un peu de néerlandais, pas assez pour le parler, mais suffisamment pour comprendre que l'homme avait été vraiment secourable, qui le maîtrisait presque comme un natif, s'était montré net et précis avec le garagiste et avait pour nous négocié un prix, soyez sympas, ils sont vraiment fauchés, ils viennent de Paris, vous avez vu l'état de la voiture. Et le garagiste avait respecté et le tarif après l'avoir revu à la baisse grâce à l'ami, et le délai. Il y a quelque chose de très réconfortant de voir que quelqu'un vous aide, se donne du mal pour vous, sans raison autre que la gentillesse (il refusa d'être dédommagé) alors qu'il suppose que vous ne saisissez pas ou très confusément le bien qu'il vous fait. Je repense à cet homme dans mes moments de désespoir envers l'humanité. On devait avoir l'air sacrément tracassés, désemparés.

 

La chanson d'Anne Sylvestre : Le p'tit grenier

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17/ 397 - Les oiseaux du rêve

 

Il est un film de Bertrand et Nils Tavernier au sujet de sans-papiers lyonnais (je crois, lyonnais (1)) qui en son temps m'a bouleversée. Et particulièrement la réponse d'un homme pourtant pas si vieux à qui l'un ou l'autre demandait, Et quels sont vos rêves ?

Être en règle, avoir des papiers, répondait-il.

Oui, ça d'accord disait le réalisateur, mais en admettant que ça s'arrange, qu'est-ce que vous rêvez de pouvoir faire dans la vie ?

Et l'homme réfléchissait, réfléchissait, silence, puis faisait Non de la tête, - Une carte d'identité. répétait-il.

J'en pleure d'y repenser. La dureté de sa lutte pour pouvoir rester avait tué en lui tous les oiseaux des rêves.

 

D'une façon infiniment plus confortable, j'ai été enfant, puis jeune un peu aussi comme ça. Ce n'était pas si dur je ne me plains pas. Mais le sentiment était très fort de n'avoir pas le choix. Rêver était inutile, il fallait assurer.

Lorsqu'à treize ans d'avoir trop lu sur les atomes et la relativité, je suis tombée dans une vocation de chercheuse en physique nucléaire et quantique, il ne s'agissait en rien d'un rêve, mais d'une obligation morale. Je croyais avoir l'esprit pour ça, j'avais pigé qu'il faudrait bosser comme une dingue, mais c'était dans l'idée d'avoir les aptitudes qu'il fallait et qu'on n'a pas le droit de se défausser. J'en avais l'idée d'heures et d'heures ingrates passées à travailler, de fausses pistes, d'expérimentations difficiles, d'un risque de santé. Je n'étais pas assez intelligente, je l'ai compris à 19 ans, mais mon idée, me dis-je à présent car alors ça n'était pas du tout formulé, mais une évidence, n'était pas stupide : ce sont des domaines où pour entraîner du progrès il faut à la fois un niveau scientifique élevé et une imagination débridée. 

Ensuite la vie d'adulte est venue très vite. D'avoir dû s'endetter pour les études obligeait à travailler dès les cours terminés du moins pour les filles qui n'avait pas de service militaire à effectuer. J'ai pris le premier boulot qui n'allait pas me faire périr d'ennui qui se présentait, l'idée étant que lorsque que mon fiancé serait rentré du pays lointain où il accomplissait son VSNE et nos prêts respectifs éclusés, on verrait. 

Les enfants sont nés, les prêts immobiliers ont succédé aux prêts étudiants, c'était (presque) tout vu, je suis restée. Zéro rêve dans cette vie, c'était déjà bien d'avoir ses petits qui étaient de chouettes gosses même si j'étais épuisée, et d'habiter tout contre Paris dans un endroit qui nous plaisait, c'était des rêves que nous n'avions pas faits (2) et qui s'étaient réalisés d'avoir été amoureux et bosseurs et sérieux. Métro-boulot-marmots-dodo, en s'y tenant on s'en sortirait. S'en sortir, ce serait déjà assez fou. J'avais simplement l'espoir que les enfants, eux, auraient le choix.

 

Les oiseaux du rêve sont venus pour la première fois voleter autour de moi par l'intermédiaire de Johnny Halliday, sans doute que le petit dieu facétieux qui nous avait fait la blague de le faire épouser une femme du même prénom que notre fille trois semaines après la naissance de celle-ci, souhaitait se faire pardonner. La chorale à laquelle je m'étais inscrite devait en effet participer à une petite série de concerts qu'au stade de France les chanteur allait donner. J'avais à l'époque à l'"Usine" un chef formidable (3), il m'a poussée à prendre pour une fois tous mes congés sans morceler. Ce qui fait que j'avais pu préparer ces concerts en menant pendant une douzaine de jours une vie de musicien professionnel, les répétitions, les concerts et pas d'autre obligation de travail.

J'ai aimé ça. Je me suis sentie vivante comme ça ne me l'avait jamais fait à part lors de la tendre enfance pendant les longues vacances en Italie. Ça peut paraître bizarre, mais j'aime travailler. Et là, le travail était quelque chose que j'aimais, même si ce n'était pas si facile que ça et avec de l'enjeu.

Un battement d'ailes s'est alors infiltré, la vie peut être autre chose que métro-boulot-marmots-dodo (ça je le savais), même pour des gens comme moi (ça ne m'avait jamais effleuré, j'avais intégré très jeune que "Le soleil n'est pas pour nous").

Il a suffi que cinq mois plus tard je rencontre La personne qui, celle qui m'embarqua dans l'écriture plus que les autres (4), et les oiseaux se sont trouvés comme une large troupe d'oies cendrées et moi un petit Holgersson qu'on emportait.

La suite du voyage s'est révélée dangereuse et mouvementée. Puisque j'ai survécu, je ne regrette pas, y compris après les cruels développements de l'an passé et ma dèche présente, je ne regretterai jamais d'avoir quitté ma première et trop sage contrée.

Quand les oiseaux du rêve viennent vous visiter, il faut les suivre, sinon vient un jour où l'on meurt du confort de n'avoir rien tenté.

Et si du temps m'est accordé,
Je reviendrai, infatigable,
Avec au bec une chanson

 

(1) Gagné ! Histoires de vies brisées 

(2) Gros privilège des jeunes couples hétéros, se dire qu'un petit pourrait peut-être grandir pas trop malheureux là, et pouvoir essayer sans pression, en se disant, on verra. Chez moi encore une fois ça procédait de quelque chose de l'ordre du : puisque tout est réuni pour que ça soit possible, on n'a pas le droit de n'essayer pas. 

(3) Oui il y en eut. Un.

(4) Il y eut en fait une sorte de conjonction coalition mais les autres, des hommes, ne parvenaient pas à me faire sortir de ma ligne de sérieux (Et qui fera le ménage ? Et pour le boulot, comment je ferai ?)

 

La chanson d'Anne Sylvestre : Les oiseaux du rêve 

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16/ 397 - Carcasse

 

Depuis quelques temps au sujet de ma pauvre carcasse j'ai un blog dédié. Non que je tienne à parler d'elle, ni de moi, mais voilà, il se trouve que je souffre d'une légère anomalie génétique des globules qui fait de moi une permanente anémiée. Ça n'est pas grave. Étant le fruit d'une union internationale et cette anomalie étant liée à une part de géographie, je n'en souffre qu'en mode mineur, mon père était porteur de l'anomalie et ma mère non. Ce qui fait de moi quelqu'un qui peut mener une vie d'apparence normale et tenir un travail mieux que quelqu'un de pleine santé qui se foutrait de sa condition physique. Mais me limite de façon cruelle dans les ambitions légitimes que ma cervelle aurait et n'a sans doute pas contribué à ce que j'accède à une vie amoureuse épanouie - chez le dernier amoureux que j'aurais pu avoir, la première chose que j'ai faite s'est de tomber endormie ; comme il n'était pas très vaillant il n'a pas trouvé ça bandant -.

Cette anomalie s'appelle la thalassémie. Et dans mon cas particulier elle est bêta et mineure. A priori je n'en mourrai pas.


J'avais lu sur plusieurs forum des messages angoissés de parents à qui l'on venait d'annoncer que leur enfant en souffrait et qui s'inquiétaient éperdûment. J'avais tenté ici ou là de laisser des messages rassurants. Et puis un jour une amie de ma fille lui a gentiment envoyé ... la copie d'une de mes interventions. Il y avait si peu d'infos que qui en cherchait tombait sur nous-mêmes.

Alors j'ai décidé de partager ce que j'en pouvais. Rien de médical (pour ça, la doc y est et je ne suis pas particulièrement calée, on m'a un peu trop dit tout et son contraire pendant mes jeunes années) mais du ressenti quotidien, les malheurs, les bienfaits, les astuces, la musique qui réveille, les moments de désespoir (parfois on se sent enfermé dans un corps qui refuse d'avancer), les moments curieux, bref, rassurer ceux qui s'inquiètent, provoquer peut-être des échanges avec d'autres malades, aider si possible.

Le problème étant en gros qu'on a de la chance (lorsque la thalassémie est mineure et non dans sa forme grave où aucun globule rouge n'est normal et qui nécessite un suivi, des transfusions), que par rapport à tout plein de pathologies ça n'est rien et donc un peu tout le monde s'en fout. Reposez-vous, disent, bienveillants, les médecins. Et j'avoue que je serais une très heureuse rentière, vivant à mon rythme, dormant à chaque coup d'épuisement, ce qui permet d'être aussi dynamique que les autres le reste du temps. Mais voilà, comme la plupart des gens, je ne suis pas riche, on vit dans un monde extrêmement concurrentiel, la maladie n'est pas assez gênante pour être validée comme un handicap, et pour autant elle en est un quant à une vie professionnelle d'un certain niveau. Alors je crois qu'il faut en parler pour que ça devienne connu, et qu' à défaut d'être aidés on puisse s'entraider.

 

Afin que ce billet ne soit pas trop triste, je tiens à protester sur ce passage de la chanson : 

La fièvre, moi, je l´aimais bien
Quand tu me collais des angines
Je voyais des dragons de Chine
S´agiter sur mon papier peint

La fièvre qui me fut si familière (et l'est récemment redevenue, hélas pendant une rude semaine), je ne l'ai jamais aimée, ni non plus les dragons agités qu'elle offrait au papier pourtant sage de ma chambre d'enfant, en revanche je me souviens encore d'avoir vu une fois un bronski qu'était tout tata (sic - les 40°C ne devaient pas être bien loin, j'avais 9, 10 ou 11 ans -).

Ne me demandez pas de le décrire, je ne saurais pas.

  

La chanson d'Anne Sylvestre : Carcasse 

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