Une prière
Iwak #28 – Géant (Jumbo)

Pendant ce temps, il fait frisquet

Pendant ce temps, tandis qu'après un été étonnamment muni de trois semaines d'insouciance, l'automne voyait le monde à nouveau s'appliquer à courir à sa perte, nous étions tenu en alerte (et au frais), par un petit feuilleton local, lequel m'a rappelé très fort qu'à quelque chose malheur est bon.

Le chauffage dans notre immeuble dépend du chauffage urbain. Pour avoir disposé d'une enfance principalement pavillonnaire et bercée par les pannes de chaudière au fuel, de moments où mon père s'épuisait à tenter de réparer des choses, ou à trouver le merveilleux "un collègue qui", et une réparation s'effectuait, suivie trois jours après par des radiateurs glacés, des douches froides et une inquiétante odeur de mazout (1), j'étais ravie, les premières années, de ce chauffage urbain, collectif et impavide, qui laissait parfois de curieuses sorties de vapeurs dans nos rues, un petit côté film américain qui me plaisait bien.
Alors bien sûr ça nous valait des avril et des octobre en pull-over à cols roulés : il faisait déjà trop froid ou pas encore assez chaud dehors et le chauffage n'était pas encore ou plus là.
Mais un jour, on rentrait du boulot et ça ne sentait plus l'humidité (2). Ou dans l'autre sens, un jour le soleil devenait vraiment efficace, et le fond de l'air cessait d'être (trop) frais.

Seulement cette année, nous sommes le 7 novembre et le chauffage n'y est toujours pas. Nous n'avons pas été pris en traitre, le Syndic de Copropriété fait le job de nous tenir informés, c'est ce pour quoi il est payé.

Ainsi peu après fin septembre nous avions appris que des travaux urgents de "mise en conformité des réseaux secondaires" avaient été réclamés face au mauvais état de la sous-station qui dessert notre immeuble (3) et que les travaux auraient lieu les 24 et 25 octobre.
Vers la fin d'octobre on nous a indiqué qu'un retard de matériel les reportaient au 7 novembre.
Aujourd'hui, on nous apprend que la livraison du matériel est décalée au 8 novembre. 
Et que la remise en service du chauffage aura lieu après la fin des travaux.

Notre suspens est plus soutenu que celui de l'issu des élections américaines. 
J'espère que son issue sera moins cruelle.

En attendant nous nous souvenons que nous sommes d'une génération avec des souvenirs de logements sans chauffage central (4), et qu'on sait "faire avec" (ou plutôt : faire avec faire sans).
Et je me souviens qu'avant le 7 janvier 2015, je souffrais réellement du froid, au sens d'une souffrance de maladie, comme on peut avoir mal au dos, avec des sensations comme si ma peau était le seul espace de chaleur pris entre un sang qui véhiculait des glaçons et le froid de l'extérieur, et une douleur réelle (comme si les glaçons en circulant heurtaient des parois).
Et puis il y avait eu ce jour funeste et au soir j'errais comme tant d'autres, Place de la République, j'avais assuré ma journée de boulot (Comment avais-je tenu le coup ?) et j'étais partie aussitôt qu'elle fut finie et j'avais ma veste chaude d'hiver ouverte, le téléphone à la main (5) et seulement très tardivement j'avais remarqué que les gens de je croisais en plus de pleurer grelottaient, et moi non. Je ne ressentais rien de cet ordre. J'étais engourdie.
J'ai cru que ce syndrome d'indifférence au froid serait passager. Il ne le fut pas.
Quelque temps plus tard, j'avais pris conscience que je ne ressentais plus les présences arrières, ni les regards sur moi (6) (7).
Ces attentats semblaient avoir débranché, de par l'état de choc, quelque chose au sein de ma colonne vertébrale.

Pour ce qui est du froid, c'est un grand avantage parfois.
En ces jours de grand frais du logis pas chauffé, et alors que je me dis qu'il s'agit somme toutes d'un entraînement pour les temps troublés à venir, j'ai décidé de considérer que ma surprenante bonne résistance m'a été offerte par le vieux copain en partant. C'est plus joli ainsi. 
Moins désespérant.

Un jour peut-être le chauffage sera réparé. 
Quant au monde, c'est mal barré. 



(1) J'en ai conservé une allergie tenaces aux solutions "Je fais moi-même" et "Je connais quelqu'un qui" dès lors que des fluides ou de l'électricité sont de la partie (pour les choses inertes, pas de problème, on peut s'amuser, se gourer, recommencer). Hélas, les hommes français, adorent avoir une bonne combine, un "collègue qui", et des talents de bricolage qu'ils estiment sous-estimés. Dès qu'on m'en laisse le choix, je fais appel à des professionnels dûment facturés, ce qui m'autorise à des recours le cas échéant. 
(2) Radiateurs éteints, les tuyaux qui permettent le cheminement d'un étage à l'autre suffisent à réchauffer l'atmosphère.
(3) Association d'idée de mon cerveau fatigué : saviez-vous que le sous-commandant Marcos avait annoncé en qu'il renonçait à la direction du mouvement zapatiste qu'il dirigeait au Chiapas et prenait le nom de sous-commandant Galeano en mémoire d'un compagnon de lutte qui s'était fait tuer ? (source de confirmation : Wikipédia) ?
(4) Généralement ceux de nos grands-parents ou ceux de nos parents à leur tout début de jeunes couples, avec ou sans nous.
(5) Le petit groupe d'amis d'Honoré dont je faisais partie s'échangeait désespérément les nouvelles ou leur absence le concernant. Et de toutes façons nous étions atterrés pour ses collègues.

(6) Le truc qui fait que si quelqu'un vient nous rejoindre en arrivant par derrière nous, et nous regarde en s'approchant on sent son regard sur notre nuque.

(7) Ni non plus peur de Vladimir Poutine dont la moindre image me faisait littéralement froid dans le dos.

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