Iwak #4 – Exotique (Exotic)
11 octobre 2024
Il m'est arrivé d'effectuer quelques incursions dans d'autres continents que la vieille Europe, et je n'y ai jamais eu le sentiment d'être dans des endroits exotiques, ou confrontée à des façons de vivre exotiques à mes yeux. C'était juste semblable par certaines façons et différents par d'autres.
En revanche j'avais douloureusement conscience, au Burkina Faso, d'être exotique aux yeux des habitants. Nous étions Le (alors jeune) Joueur de Pétanque et moi deux petits blancs et donc riches, forcément. Et pour nous qui arrivions juste juste à boucler les fins de mois (j'avais mon prêt étudiant à rembourser et lui sa solde de Volontaire du Service National en Entreprise des premiers mois qui permettait de boucler mais sans gras, et les billets d'avion pour que je puisse le rejoindre nous mettaient dans le rouge, souvent), c'était très déstabilisant. Alors bien sûr, nous mangions à notre faim, et avions un toit pour nous abriter, ce qui voulait effectivement dire "être riches". Par là-dessus, personne ne comprenait qu'en tant que riches nous ne fumions pas. Bref, le moindre pas dehors était source de malentendus. J'avais fini par me balader avec des stylos bic que je distribuais pour ne pas décevoir trop les sollicitants.
En fait l'expérience de l'exotisme fut pour moi la découverte du XVIème arrondissement lors d'une expérience professionnelle dans une grande librairie de ce quartier. Je le connaissais d'avant, j'ai toujours vécu en région parisienne, mais pas "de l'intérieur". J'avais également déjà travaillé dans un "Beau quartier" (les Champs Élysées).
Mais ce fut différent.
J'ai découvert, lors de livraisons des appartements qui occupaient l'intégralité d'un étage d'immeuble, des appartements que l'ascenseur desservait directement (il y avait au moins deux ou trois codes à composer) ; des personnes qui prenaient la voiture pour faire leurs courses comme dans une petite ville de province ; des objets neufs, luxueux et en bon état déposés chaque soir près des poubelles ; des gens qui achetaient des livres au métrage afin de garnir des étagères de la bibliothèque (la pièce, pas le meuble) d'une maison de campagne récemment achetée ; des enfants d'une dizaine d'années qui se comportaient déjà comme des dirigeants courtois (1) ; un monde où une dame très âgée masquait sa solitude dans un appartement avec vue sur la Tour Eiffel comme au cinéma et la compagnie d'une dame de compagnie que terrorisaient les descendants (2) ; un monde dans lequel un prince (?) élégant (3) venait demander à la libraire de faire un paquet cadeau pour l'ouvrage qu'il venait de recevoir via Amazon et était stupéfait que je ne m'exécute pas dans l'enthousiasme et la joyeuse servilité.
Heureusement, le quartier était par ailleurs également touristique et les touristes me permettaient ... de ne pas me sentir trop dépaysée.
Quand on a grandi en banlieue, même en étant issue de la classe moyenne - celles et ceux qui s'en sortent sans le moindre gras dans le budget, et en bossant très fort -, l'exotisme, y a pas à tortiller, ce sont certains des beaux quartiers.
C'est sans doute moins vrai de nos jours, avec l'internet des réseaux sociaux qui permet une plus grande perméabilité, et de voir ce qui se passe dans d'autres places sociales que les nôtres, ce qui pour le meilleur comme pour le pire, participe d'un relatif décloisonnement.
(1) Mes collègues s'en félicitaient, Qu'ils sont polis et bien élevés. J'étais la seule à frémir, ils donnaient des ordres et savaient déjà les habiller sous les apparences d'une demande élégante, alors qu'ils auraient dû être en train de s'amuser, dès les devoirs d'école achevés. Ils n'avaient déjà plus une once de spontanéité dans leurs relations humaines, et ça allait de soi.
(2) Je ne l'ai compris que très à retardement.
(3) J'ignore d'où ça me vient mais je sais reconnaître les habits sur mesure, les tissus de grande qualité, les chaussures faites à façon.
Participation à Iwak ( Inktober with a keyboard ) en théorie : un article par jour d'octobre avec un thème précis. Je l'adapte à mon rythme et à ma vie. Peut-être qu'en décembre, j'y serai encore.
C'est Matoo qui m'a donné l'impulsion de tenter de suivre.